texte - Les SES dans l`académie de Bordeaux

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Mondialisation et politiques conjoncturelles européennes
Dès l’origine, la construction européenne a été conçue comme le cadre dans
lequel le passage à un capitalisme de grande envergure devait être assuré.
A partir des années 60, la PAC a été mise en œuvre pour permettre la
transformation des structures agricoles en limitant la casse sociale : concentrer les
terres en même temps que les aides et accroître la productivité, tout en maintenant des
revenus minima aux petits agriculteurs.
La liberté de circuler pour les capitaux a été accordée au début de la décennie
90. Dès lors, le capitalisme européen s’intègre dans le capitalisme de plus en plus
mondialisé.
Après une vingtaine d’années d’existence du serpent monétaire et du SME qui
avaient été créés pour rendre possible la poursuite de la PAC après l’instauration des
changes flottants dans le monde, l’accélération de la constitution de l’UEM avec l’euro
et la banque centrale européenne indépendante a pour conséquence d’éloigner le lieu
d’exercice du pouvoir de création et de régulation monétaires des lieux où se gère la
force de travail qui sont encore largement nationaux.
Ainsi, l’Europe est partie prenante de la phase contemporaine du
développement du capitalisme financier. En son sein, et de façon générale dans le
monde entier, les Etats ont été les artisans de la mondialisation sans pour autant la
maîtriser. De ce fait, la mondialisation n’a pas manqué d’avoir des effets sur les
politiques économiques, tant conjoncturelles que structurelles. Globalement, les
politiques ont eu tendance à être normalisées et donc subordonnées aux nouvelles
exigences du capital international. L’exemple européen montre que les lieux de
décision économique s’éloignent de plus en plus des lieux où s’expriment la
démocratie politique et où peuvent se nouer les compromis sociaux.
1. La globalisation normalise et subordonne les politiques
Cette normalisation et cette subordination s’effectuent autour de l’objectif de
stabilité des prix par le biais d’une rigueur monétaire et budgétaire.
1.1. La politique monétaire
1.1.1. Rappel des conceptions de la monnaie et des politiques monétaires
On dit d’habitude qu’il y a deux conceptions théoriques de la monnaie – les deux
premières présentées ci-dessous – parce que c’est entre ces deux que se cristallise le
débat en termes de politiques monétaires. Mais en fait il y a deux autres conceptions –
les deux dernières ci-dessous – qui permettent de saisir les fonctions sociales de la
monnaie.
Première interprétation
La première interprétation de la monnaie consiste à faire de celle-ci un
instrument permettant d’éviter les inconvénients du troc. C’est celle que l’on rencontre
le plus souvent quand on met en relief le rôle d’unité de compte et celui
d’intermédiaire des échanges. C’est celle qui est sous-jacente à la conception classique
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et néo-classique selon laquelle la monnaie n’est qu’un voile qui dissimule le fait que
les marchandises s’échangent contre des marchandises.
Cette interprétation pose un redoutable problème dès qu’il s’agit de prendre en
compte le rôle de réserve de valeur que joue la monnaie.
Deuxième interprétation
Une seconde interprétation se dégage alors pour souligner que la monnaie est
désirée pour elle-même et pour remettre en cause la dichotomie entre la sphère réelle
et la sphère monétaire. Cette interprétation (que Marx avait en grande partie énoncée)
est celle de Keynes qui montre que la thésaurisation peut entraîner un déséquilibre
entre les revenus susceptibles d’être réinvestis et la quantité de biens de production
disponibles pour être mis en œuvre.
Mais cette interprétation soulève la question de la nature du capital sans la
résoudre.
Troisième interprétation
Une troisième interprétation est alors nécessaire pour comprendre que le capital
n’est pas seulement une ensemble de biens de production et que la monnaie n’a pas le
même sens lorsqu’elle sert à acheter des biens de consommation, des biens de
production ou de la force de travail.
Cette interprétation est celle de Marx qui montre que la monnaie est
l’instrument permettant l’achat de la force de travail génératrice de plus-value pour
grossir le capital au cours des différentes métamorphoses que celui-ci subit : K-argent,
K productif, K-argent.
La monnaie est alors la représentation du travail vivant créateur de valeur, la
monnaie est la valeur par excellence. Mais la monnaie dissimule le rapport social
d’exploitation, l’aliénation du travail.
Sans monnaie, il n’y a pas possibilité de transformer de la plus-value en profit.
Pour cela, le système bancaire anticipe le résultat du processus de production : il
prévalide le travail qui sera reconnu comme socialement utile par le marché.
La possibilité de la crise réside dans la contradiction entre la nécessité pour le
capital d’accomplir jusqu’au bout son cycle et l’impératif de dévaloriser le capital pour
pouvoir suivre le progrès technique et surmonter la concurrence.
Cependant, cette interprétation, la plus satisfaisante jusqu’ici, a l’inconvénient
de laisser supposer que la monnaie est uniquement liée à l’existence d’une société
marchande.
Quatrième interprétation
Une quatrième interprétation permet de prendre en compte ce dernier aspect :
les anthropologues soulignent le fait que même les sociétés que nous appelons
primitives connaissaient la monnaie dont la fonction était d’assurer le lien social.
Avant d’être un outil du marché, la monnaie est un outil de communication sociale.
Pour reprendre l’expression de Marcel Mauss, elle est un « fait social total ».
Non seulement, elle est le reflet des antagonismes sociaux et des rapports de
pouvoir (en cela, cette interprétation rejoint celle de Marx), mais elle exprime la
tentative désespérée de l’homme de fuir sa condition ou de lui trouver un exutoire :
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l’angoisse de la mort, le spectre de celle-ci sont éloignés, exorcisés par la passion de la
richesse que permet d’assouvir l’argent. En accumulant biens matériels et symboles
que la monnaie permet d’acquérir, on conjure le sort funeste qui nous est promis.
La monnaie est alors un moyen de canaliser la violence à l’intérieur des sociétés
vers cette soif de richesse, exutoire à l’angoisse morbide le plus accessible, et passion
susceptible de dégénérer de façon un peu moins violente que la passion du pouvoir ou
le fanatisme religieux. Ceci est l’interprétation de René Girard.
A partir de là, cette conception de la monnaie connaît deux variantes. L’une, qui
est bien représentée par une partie de l’école des conventions (A. Orléan) rejointe par
une partie de l’ex-école de la régulation (M. Aglietta), considère que la monnaie est
l’acte fondateur de la société. Elle se démarque donc de la théorie classique qui situait
cet acte fondateur dans le seul échange entre individus autonomes hors de tout
environnement social et dans le contrat qu’ils nouent. Cette première conception n’a
plus besoin de la théorie de la valeur.
L’autre variante, que l’on peut rattacher à la problématique marxienne, continue
d’adosser la théorie de la monnaie à la théorie de la valeur parce que le travail est
l’acte par lequel les hommes vont nouer des rapports sociaux dans lesquels la monnaie
joue son rôle (voir plus haut, 2° interprétation).
Les troisième et quatrième interprétations n’aident en rien pour savoir s’il faut
augmenter ou diminuer les taux d’intérêt mais elles sont précieuses pour comprendre,
d’une part, la financiarisation du capitalisme (3° interprétation) à l’époque de la crise
financière, d’autre part le rôle social de la monnaie (4° interprétation) à l’époque où
l’on parle de dissolution du lien social et où certaines monnaies nationales vont
disparaître prochainement.
Les deux premières interprétations se disputent le leader-ship au sein de
l’orthodoxie et de multiples débats opposent les économistes orthodoxes. Un premier
débat oppose ceux qui considèrent la monnaie comme exogène, c’est-à-dire que, en
situation d’inconvertibilité, l’offre globale de monnaie dépend des seules autorités
monétaires au comportement spontanément laxiste ; et ceux qui considèrent la
monnaie comme endogène, c’est-à-dire créée par le système bancaire en réponse aux
besoins de l’activité économique (conception de Wicksel, d’I. Fisher en 1933, et de
Keynes).
Au sein des premiers, un débat partage ceux qui pensent que la monnaie n’a que
des effets nominaux sur l’économie (conception de la monnaie-voile qui voit une forte
dichotomie entre la sphère réelle et la sphère monétaire : TQM, Currency shool, I.
Fisher de 1911, NEC) ; et ceux qui pensent que la monnaie a des effets réels
(conception de la monnaie active). Mais au sein de ces derniers, certains pensent que
les effets ne sont que transitoires (dichotomie faible : Friedman) ; d’autres pensent que
les effets sont durables et dommageables (pas de dichotomie : Hayek, Rueff).
1.1.2. L’objectif principal de la banque centrale
A l’époque où les taux d’inflation étaient élevés, l’objectif fut de réduire, voire
d’éliminer l’inflation. Une fois cet objectif atteint, l’objectif fut de maintenir l’inflation
à un taux très faible.
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Les justifications de ce choix sont puisées dans la théorie d’inspiration néoclassique, principalement la branche monétariste de M. Friedman et celle des
nouveaux classiques travaillant sur l’hypothèse des anticipations rationnelles.
- Comme la monnaie est considérée comme neutre pour les variables réelles,
sauf à court terme, la masse monétaire doit être contrôlée et il faut éviter d’en faire un
instrument d’action sur la conjoncture qui se révèlerait nuisible à long terme pour la
stabilité des prix.
- Pour les tenants des anticipations rationnelles, la monnaie étant neutre même à
court terme, la politique monétaire n’aurait d’effet réel que si elle n’était pas anticipée.
Au total, les justifications de la priorité exclusive donnée à la lutte contre
l’inflation peuvent se résumer par le concept de crédibilité. La crédibilité de
l’ensemble de la politique économique est subordonnée à la rigueur de la gestion
monétaire. Le problème est qu’il n’est jamais précisé aux yeux de qui cette crédibilité
doit être assurée. Dans le meilleur des cas, il est dit qu’il s’agit de la crédibilité auprès
des marchés financiers. C’est mieux que rien mais c’est insuffisant. Parce que les
marchés financiers sont ici un euphémisme pour désigner les détenteurs de capitaux
dont l’exigence de rentabilité s’est progressivement élevée au cours des dernières
années. La lutte contre l’inflation est donc un dispositif central dans le processus de
financiarisation de l’économie capitaliste, celle-ci étant elle-même la forme
contemporaine revêtue par l’accumulation du capital.
Dire que la stratégie de lutte contre l’inflation était la seule possible sans
préciser ce qui précède est trompeur. Cette stratégie était la seule compatible avec la
nécessité de restaurer la rentabilité du capital.
Il faut donc en venir à la possibilité de poursuivre simultanément plusieurs
objectifs. Est-il possible d’assurer une croissance équilibrée sans inflation ouverte ni
trop rampante accelerando et en même temps avec un plein-emploi, voire un
commerce extérieur équilibré ? Bref, tout à la fois : les délices du paradis et les
coquineries diablotines et jouissives.
Une politique monétaire expansive pour l’emploi oblige à une course non pas
entre salaires et inflation comme on le dit, le répète et le lit partout, mais entre les
salaires et les profits, avec une résultante sur les prix. Poursuivre plusieurs objectifs
pose donc un problème de répartition. Problème qui est nié avec une politique de
l’objectif unique parce qu’on fait implicitement le choix de l’austérité salariale et de
l’opulence capitaliste.
Le taux de chômage naturel (qui n’accélère pas l’inflation) est une fadaise qui
permet d’éviter un autre concept : celui de taux de chômage qui laisse inchangé le
rapport de forces capital/travail. Voici le schéma suggéré par P. Artus, pourtant néoclassique bon teint.
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Croissance du
salaire rée l
Pour une
croissance de
la produc tivité
donnée
Augmentation de
la part des sa laire s
dans la VA (1)
Augmentation de
la part des p rofits
dans la VA (2)
Chômage de ? (3)
Chô mage
(1) Accé lérat ion de l’inflation ? oui, si les profits veu lent reprend re leur pa rt
(2) Ra lentissement de l’inflation ? non, s i les salaires veu lent rep rend re leur pa rt
(3) Chômage d’équilibre ? d’équilibre de quoi ?
- chômage nature l ? NAIRU?
- chômage laissant inchangé le rapp ort de forc es ca pital/trava il ?
Au
cours
des
dernières décennies, plusieurs configurations ont été constatées :
- après guerre : pluralité d’objectifs dans des économies encore assez fermées.
- Etats-Unis : politique adaptable aux fluctuations de la conjoncture. L’inflation
est jugée par rapport à l’objectif de long terme et par rapport à l’écart PIB-PIB
potentiel. S’il y a un gros écart négatif, on favorisera la croissance et l’emploi ; s’il est
faible, on sera plus vigilant en matière d’inflation.
- Dans la période récente, notamment depuis la multiplication des risques
d’instabilité financière, les banques centrales ont ajouté un objectif : pour éviter que
tout dégénère, jouer le rôle de prêteur en dernier ressort international
Reste une question : l’inflation est-elle un mal en soi ? un mal pour certains
groupes sociaux ? un mal nécessaire ?
L’inflation réduit le pouvoir d’achat de la monnaie à revenus nominaux
constants. Mais comme les revenus nominaux ne restent jamais constants et qu’ils ne
se modifient jamais de manière homothétique pour tous les individus et tous les
groupes sociaux, alors l’inflation provoque une modification de la répartition des
revenus. Le problème est de savoir au profit et au détriment de qui. Si c’est à
l’avantage de ceux qui ont la propension marginale à consommer la plus forte, alors
cela tire la consommation, la production et/ou les importations vers le haut. Pendant
les 30 Glorieuses, la progression des salaires parallèle à celle de la productivité et leur
indexation sur l’inflation rampante étaient vertueuses. En 1981-82, la hausse du
pouvoir d’achat s’est traduite par des importations supplémentaires. Aujourd’hui, le
blocage des salaires et l’inflation financière nourrissent les revenus du capital.
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Dans le cas de l’inflation traditionnelle portant sur les prix des biens et services,
elle pénalise ceux qui ont des revenus faiblement indexés ou les créanciers qui ont
prêté de l’argent à taux fixe. Toux ceux-là ont intérêt à la plus faible inflation possible.
Dans le cas de l’inflation portant sur les actifs financiers qui a remplacé l’inflation
traditionnelle, les gagnants sont les détenteurs de capitaux, les perdants sont les
salariés puisque la valorisation des titres s’obtient par captation supplémentaire de la
valeur ajoutée (compression de l’emploi, stagnation des salaires alors que la
productivité augmente, flexibilité, précarisation, …).
Quelle que soit la forme revêtue (par les prix des biens ou par ceux des actifs
financiers), l’inflation reflète l’état des rapports de forces dans la société. La politique
monétaire étant la traduction institutionnelle au niveau monétaire de ce rapport de
forces et du choix opéré par les instances dirigeantes de pérenniser ce rapport de forces
(c’est le choix sanctionné par les divers traités de l’UEM) ou bien de le faire évoluer
(c’était ce qui avait été annoncé par M. Jospin avant qu’il devienne Premier
Ministre…).
Il est évident que pour analyser ainsi l’inflation et la politique monétaire, il faut
sortir du cadre réducteur et insipide de l’opposition entre seulement deux conceptions
de la monnaie.
1.2. La politique budgétaire
D’autant plus encadrée par le traité de Maastricht puis par celui d’Amsterdam
que les déficits publics avaient eu tendance à s’aggraver au cours de la décennie 90.
1.2.1. La politique budgétaire pourrait être revalorisée par l’UEM
a) Un facteur d’autonomie accrue des politiques budgétaires
Relâchement de la contrainte extérieure commerciale intra-UEM.
b) Un facteur d’efficacité accrue des politiques budgétaires.
- Dilution de l’effet d’éviction financière par les taux d’intérêt car ceux-ci sont
déterminés au niveau communautaire.
- Dilution de l’influence des budgets sur le taux de change euro-autres monnaies.
c) Un facteur de renforcement des effets entre politiques budgétaires nationales
- Effets négatifs
Les politiques budgétaires nationales déficitaires provoquent :
augmentation des tx d’i en Europe affectant les autres pays ;
diminution de l’euro pouvant gêner les autres pays.
- Effets positifs
D’autant plus que les liaisons commerciales sont fortes.
1.2.2. Mais la politique budgétaire risque d’être neutralisée par le pacte de stabilité
a) Le contenu du pacte de stabilité
- Caractéristiques
Le 1er critère de Maastricht est pérennisé. Si son déficit public dépasse 3% du
PIB, un pays est sanctionné financièrement. Un dépôt sans intérêt est transformé en
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amende : 0,2% du PIB augmenté de 0,01% du PIB par tranche de dépassement de
0,1% du PIB avec un plafond à 0,5% du PIB.
Toutefois, l’application des sanctions dépend de la gravité de la récession que
subirait ce pays :
* application automatique si la récession est faible (moins de 0,75%) ;
* application à discuter si la récession est assez forte (entre 0,75 et 2%) ;
* application supprimée si la récession est très forte (plus de 2%).
- Fondement théorique
* influence de la conception néoclassique de la politique budgétaire ;
* prise en compte exclusive des externalités négatives ;
* méfiance vis-à-vis du pouvoir politique.
b) Les effets neutralisateurs
- L’obstacle à la fonction de stabilisation conjoncturelle
* Si les conditions actuelles de déficit se perpétuent : perte de l’outil
conjoncturel à cause du pacte et augmentation des risques en cas de choc symétrique
conjoncturel.
* Si les conditions de déficit tendanciel disparaissent : possibilité de
recouvrer la fonction de stabilisation, ce qui suppose des « réformes structurelles ».
- Le difficile traitement des chocs conjoncturels asymétriques (concernant un
pays ou quelques pays)
* Eventualités de chocs nationaux spécifiques (dans un petit pays ou
pays à X spécialisées, ou pays avec mouvements sociaux).
* La pénurie d’instruments utilisables au niveau national : pas de
politique monétaire + neutralisation de la politique budgétaire. Que reste-t-il ?
Fédéralisme budgétaire européen ? Ou bien…
c) Dérégulation sociale
- Flexibilité accrue du « marché du travail »
* Austérité salariale (progression des salaires < celle de la productivité) ;
* Flexibilité de l’emploi et des conditions d’emploi.
- « Refondation sociale » = régression sociale
* Remise en cause de l’indemnisation du chômage ;
* Remise en cause de la protection sociale (santé, retraites) ;
* Réduction des services publics.
Finalement, les contraintes imposées aux politiques budgétaires dans l’UEM
pourraient conduire à arbitrer entre plus de flexibilité et plus de solidarité.
Les recommandations les plus récentes viseraient même à remettre entre les
mains de la BCE non seulement la politique monétaire mais aussi la politique
budgétaire qui, suffisamment corsetée n’aurait plus d’autonomie réelle. Il ne resterait
plus aux Etats que le soin d’ajuster le marché du travail aux impératifs financiers.
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1.3. La policy mix
Le concept de policy mix est entendu au sens large à savoir l’ensemble des
combinaisons possibles entre politique budgétaire et politique monétaire. Mais l’usage
de l’expression n’est pas très normalisé : le terme de policy mix désigne-t-il une
simple stratégie croisée (au sens où une politique est expansionniste et l’autre freine)
ou bien l’ensemble des combinaisons possibles des deux (à savoir quatre cas : deux de
convergence et deux croisées). En retenant le second cas, on note une désuétude des
stratégies convergentes au « profit » des stratégies croisées. Cette désuétude peut être
interprétée comme le triomphe des exigences de la rentabilité du capital qui font peser
de lourdes contraintes sur les marges de manœuvre gouvernementales et laisser de côté
toute considération économique et sociale.
1.3.1. Les politiques convergentes
Les politiques budgétaire et monétaire convergentes ont surtout connu une
audience (ce qui ne signifie pas nécessairement succès) au temps où existait un
consensus autour de la régulation du capitalisme. Ce consensus était d’autant plus fort
qu’il s’agissait de soutien.
a) Soutien budgétaire et soutien monétaire
- Principes de base et mécanismes
La coexistence d’un soutien budgétaire et d’un soutien monétaire constitue sans
doute le cas de politique mixte le plus connu, car le plus dans la logique du cadre
IS/LM, puisqu’il s’agit d’éviter une forme d’effet d’éviction1 lié aux variations du taux
d’intérêt et ainsi de retrouver les résultats obtenus dans un modèle keynésien
élémentaire.
Avec ce double soutien, nous obtenons un effet sur le revenu plus élevé que dans
le cas d’une utilisation isolée de chaque instrument et un effet beaucoup plus limité sur
le taux d’intérêt.
Graphiquement le déplacement simultané de IS et de LM vers la droite entraîne
un déplacement plus important du point d’équilibre vers la droite que dans les cas d’un
déplacement isolé de chaque courbe.
Il ressort du modèle que l’on peut toujours augmenter l’efficacité de la politique
budgétaire par une politique monétaire complémentaire sans craindre l’inflation. Cette
vue optimiste résulte de l’hypothèse d’élasticité parfaite de l’offre qui permet la
stabilité des prix. Le nécessaire relâchement de cette hypothèse forte et le choix des
objectifs intermédiaires de stabilité (1979 puis 1983 dans la cas particulier de la
France) permettent de comprendre la désuétude de stratégies expansionnistes
1
. Distinguer :
- le premier « effet d’éviction » qui est en fait le frein monétaire dénoncé par Keynes lorsqu’une
politique budgétaire menée seule augmente la demande de monnaie alors que l’offre est exogène et donc stable :
le taux d’intérêt augmente. Keybes préconiqsait de résoudre ce décalage entre demande et offre de monnaie par
une politique monétaire d’accompagnement.
- l’effet d’éviction financière dénoncé par les classiques dès les années 30 : le déficit budgétaire financé
par appel à l’épargne raréfie l’offre de fonds prêtables.
- l’effet d’éviction non financier dénoncé par les nouveaux classiques qui ne passe pas par le taux
d’intérêt mais par le comportement des agents qui, selon le « théorème » d’équivalence diminuent leurs dépenses
pour épargner davantage en prévision des futurs impôts. A remarquer que ce troisième effet d’éviction est
incompatible avec le second.
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convergentes au profit nous le verrons de politique croisées. Ainsi faut-il aller assez
loin dans l’histoire pour trouver une illustration, un exemple de cette configuration.
- Exemple ancien d’une pratique réussie : la relance américaine du début des
années 60.
On peut avancer ici l’exemple américain du début des années 1960 (1961-1965)
qui combine soutien budgétaire et soutien monétaire (relance Kennedy-Johnson). La
hausse des dépenses publiques en 1961-1962 puis des allègements fiscaux entre 1963
et 1965 vinrent soutenir la demande pendant que des taux d’intérêt à long terme assez
bas venaient dynamiser l’investissement.
Les résultats furent positifs pendant quatre ans permettant à la fois de dynamiser
la croissance (5% de croissance entre 62 et 66 contre 2,4% entre 1953 et 1961) et de
retrouver une situation de quasi plein emploi (taux de chômage inférieur à 4% en
1966). La flexibilité de l’offre et une situation initiale de sous emploi permirent de ne
pas observer de tensions inflationnistes au sein de cette économie. Le début du
renforcement de la guerre du Viet-Nam a renforcé ce regain mais son enlisement a
ensuite grippé la machine. Cet exemple reste l’un des seuls cas de relance keynésienne
parfaitement réussie.
b) Freinage budgétaire et freinage monétaire
- Principes de base et mécanismes
On peut maintenant parler d’une double stratégie de freinage monétaire et de
freinage budgétaire qui s’inscrit dans une quête de stabilisation rapide et drastique de
l’économie sans se préoccuper véritablement des conséquences réelles des mesures à
l’œuvre. L’étude des mécanismes est ici simple, nous sommes dans le cas inverse du
précédent. La contraction de la demande vient abaisser le revenu de manière
importante alors que le freinage monétaire permet de maintenir les taux d’intérêt à un
niveau élevé (le niveau précédent). La baisse de revenu est plus importante que si une
seule des modalités avait été mise en œuvre.
Implicitement cette stratégie s’attaquerait à une inflation dont l’origine se situe
du coté de la demande et non du coté de l’offre de monnaie même si en maintenant les
taux à leur ancien niveau on souhaite toujours une rigueur en la matière.
1.3.2. Les politiques croisées
Les politiques budgétaire et monétaire croisées ont supplanté les autres à partir
du moment où la libéralisation complète du capitalisme a été projetée.
a) Soutien budgétaire et freinage monétaire
-Explications des mécanismes de base
La coexistence d’une relance budgétaire et d’un freinage monétaire entraîne une
forte hausse des taux d’intérêt et un effet limité sur le revenu. Les deux instruments
cumulent leurs effets pour pousser le taux d’intérêt à la hausse puisque l’offre de
monnaie est réduite par la politique de rigueur monétaire alors que dans le même
temps la demande de monnaie augmente du fait de la politique budgétaire
expansionniste.
10
Graphiquement nous avons un déplacement de IS vers la droite et un
déplacement de LM vers la gauche, il y a donc toujours une hausse du taux d’intérêt
mais l’impact sur la croissance est indéterminé, il dépend des paramètres et de
l’ampleur de chacune des mesures monétaire et budgétaire.
-Exemple : la politique Reagan du début des années 1980.
L’économie américaine du début des années 1980 nous fournit un assez bon
exemple de ce type de politique mixte. Le soutien budgétaire délibéré lié surtout aux
allégements fiscaux a été très important (baisse continue du solde structurel des
administrations publiques de -0,5% du PIB en 1981 à -3,3% en 1986). Dans le même
temps, à la suite du retournement de 1979 (G5) la politique monétaire a été restrictive
(taux d’intérêt élevé entre 1982 et 1984 : les taux courts oscillent entre 8,5 et 10,5%,
les taux longs entre 11 et 13%).
Au total, l’effet de relance budgétaire l’a emporté sur la rigueur monétaire,
d’autant que l’afflux de capitaux a facilité le financement des déficits. La croissance
du PIB de 5,2% (a) entre 1983 et 1985 a été entraînée par la demande sous l’effet de la
politique budgétaire. Les mécanismes keynésiens ont été visiblement à l’œuvre au sein
de cette économie peu ouverte. Au départ cette politique avait pourtant été pensée par
des économistes de l’offre.
La stratégie allemande de 1990-1991 – pour répondre au choc de la réunification
– constitue un autre exemple de ce type de politique mixte.
b) Soutien monétaire et freinage budgétaire
- Principes et mécanismes.
La coexistence d’un freinage budgétaire et d’un soutien monétaire entraîne une baisse
du taux d’intérêt et un effet limité sur le revenu. Les deux politiques cumulent leur
effets pour réduire le taux car l’offre de monnaie est augmentée par le soutien
monétaire alors que la demande de monnaie est diminuée par la rigueur budgétaire.
Graphiquement la courbe LM est déplacée vers la droite alors que IS revient vers la
gauche. Si le taux d’intérêt baisse bel et bien l’effet sur le revenu est a priori
indéterminé et dépend comme dans le cas précédent des paramètres et de l’ampleur
des mesures.
-Exemple.
Peut-être la politique européenne menée pendant un temps par la BCE Elle
paraissait combiner soutien monétaire (baisse des taux du printemps 1999) et freinage
monétaire de par les termes du pacte de stabilité et la tendance à un abaissement dans
l’UEM du rapport déficit budgétaire sur PIB.
Cependant, la décision de remonter les taux directeurs ensuite et le refus de les
baisser devant le risque de ralentissement provoqué par la récession américaine
introduisent un doute quant à la volonté de la BCE. Ou alors y aurait-il un retour à des
politiques convergentes dans le sens de l’austérité ?
11
La mixité des politiques est de règle. Mais le fait qu’elles soient convergentes
ou divergentes dépend des formes de l’accumulation du capital et des rapports de
forces qui se nouent ou se dénouent autour de ces formes.
2. Quid d’une régulation financière : une taxe Tobin ?
Plus le capitalisme se mondialise, plus les transactions sur les titres financiers
nécessitent au préalable des transactions sur les devises.
Aujourd’hui, 1500 milliards $ par jour de transactions de change (450 000 par
an) pour 5000 milliards $ par an de transactions commerciales et un produit mondial
annuel de 30 000 milliards.
2.1. Le principe d’une taxation des transactions de change
En 1972, James Tobin proposa de taxer de 0,1% à 1% les transactions de
change pour limiter les fluctuations qui sont liées aux transactions à court terme : 80%
des transactions constituent des aller-retours inférieurs à une semaine, ce qui veut dire
104 fois par an. Au taux de 0,1%, cela représente 10,4% de pénalité sur l’année, un
taux assez dissuasif.
2.2. Avantages
Outre la stabilisation des mouvements erratiques spéculatifs, une taxe Tobin
présenterait deux séries d’avantages.
2.2.1. Par rapport à la politique monétaire
Pour éviter une crise de change, la banque centrale du pays potentiellement
victime d’une spéculation est obligée de pratiquer des taux d’intérêt plus élevés que
ceux pratiqués à l’étranger.
Pour des placements à la semaine, une taxe Tobin de 0,1% permet d’éviter un
écart de taux d’intérêt de 1,00152 = 1,0533, c’est-à-dire de 5,33%.
Le taux de la taxe pourrait être variable en fonction de l’importance de l’attaque
spéculative.
2.2.2. Comme source de financement
Le produit de la taxe pourrait être utilisé pour l’aide au développement. Mais les
estimations de ce produit éventuel sont fragiles à cause de deux incertitudes. Sur le
taux appliqué. Et sur l’ampleur de la dissuasion de la spéculation.
2.3. Les critiques et les réponses aux critiques
2.3.1. Expropriation ?
Certains ont avancé qu’une taxe Tobin constituerait une expropriation du
capital2. Si 1 $ sert à échanger des marchandises et s’il est changé 1000 fois et taxé
1000 fois à 0,1%, 1 $ de taxe est prélevé. Mais il y a eu 1000 $ de marchandises
produites et échangées.
2.3.2. Ralentissement du mouvement des capitaux ?
2
. D. Cohen, « Les mirages de la "Tobin Tax" », Libération, 29 juin 1998.
12
D’autres ont dit que la liberté de circuler pour les capitaux risquerait d’être
freinée 3 . C’est précisément le but recherché. La multiplication des couvertures en
chaîne serait ralentie mais certainement pas supprimée.
2.3.3. Pénalisation de l’investissement ?
L’ingéniosité de la taxe Tobin est qu’il n’y a pas besoin de différencier les
capitaux spéculatifs à court terme et les investissements productifs de long terme. Les
allers et venues incessantes des capitaux volatils les désignent comme spéculatifs.
2.3.4. Accord de tous les pays nécessaires ?
La taxe serait difficile, voire impossible, à mettre en place car elle supposerait
l’accord de la majorité sinon la totalité des pays.
Or, 80% des transactions de change concernent les 8 premiers pays au monde.
Et 88% des transactions de change se font en 5 monnaies : le dollar, le yen, l’euro, la
livre sterling et le franc suisse.
La zone euro pourrait très bien être une zone Tobin avec un taux interne et un
taux externe.
2.4. Un ensemble de mesures
- Fiscalité rééquilibrée entre capital et travail.
- Taxe unitaire sur les bénéfices.
- Fin de l’indépendance des banques centrales.
- Fin des paradis fiscaux qui donnent des avantages discaux pour les déposants
non résidents protégés par le secret bancaire, et qui facilitent le blanchiment d’argent
sale estimé à 1000 milliards $ par an. L’OCDE a établi une liste de 35 pays concernés
et le Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux a retenu 15 pays.
- Annulation de la dette du tiers-monde.
Conclusion : la finance détruit le lien social
3
. O. Davanne, « Instabilité du système financier international », Rapport du Conseil d’analyse
économique, n° 14, 1998, p. 42.
Le capitalisme financier rompt le lien social
Recul des services publics
Recul de l’intervention publique dans l’économie
Marchandisation
du monde
orthodoxie budgétaire
Recul de la
politique
économique
politique monétaire confisquée
par des banques centrales indépendantes
dépolitisation
de la monnaie
échanges
négation de
la dualité de
la monnaie
bien privé
accumulation
bien social
Le seul « lien social » envisagé est celui construit autour de la garantie de la valeur
des actifs financiers privés, c’est-à-dire des intérêts de ceux qui possèdent
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