Mondialisation et politiques conjoncturelles européennes Dès l’origine, la construction européenne a été conçue comme le cadre dans lequel le passage à un capitalisme de grande envergure devait être assuré. A partir des années 60, la PAC a été mise en œuvre pour permettre la transformation des structures agricoles en limitant la casse sociale : concentrer les terres en même temps que les aides et accroître la productivité, tout en maintenant des revenus minima aux petits agriculteurs. La liberté de circuler pour les capitaux a été accordée au début de la décennie 90. Dès lors, le capitalisme européen s’intègre dans le capitalisme de plus en plus mondialisé. Après une vingtaine d’années d’existence du serpent monétaire et du SME qui avaient été créés pour rendre possible la poursuite de la PAC après l’instauration des changes flottants dans le monde, l’accélération de la constitution de l’UEM avec l’euro et la banque centrale européenne indépendante a pour conséquence d’éloigner le lieu d’exercice du pouvoir de création et de régulation monétaires des lieux où se gère la force de travail qui sont encore largement nationaux. Ainsi, l’Europe est partie prenante de la phase contemporaine du développement du capitalisme financier. En son sein, et de façon générale dans le monde entier, les Etats ont été les artisans de la mondialisation sans pour autant la maîtriser. De ce fait, la mondialisation n’a pas manqué d’avoir des effets sur les politiques économiques, tant conjoncturelles que structurelles. Globalement, les politiques ont eu tendance à être normalisées et donc subordonnées aux nouvelles exigences du capital international. L’exemple européen montre que les lieux de décision économique s’éloignent de plus en plus des lieux où s’expriment la démocratie politique et où peuvent se nouer les compromis sociaux. 1. La globalisation normalise et subordonne les politiques Cette normalisation et cette subordination s’effectuent autour de l’objectif de stabilité des prix par le biais d’une rigueur monétaire et budgétaire. 1.1. La politique monétaire 1.1.1. Rappel des conceptions de la monnaie et des politiques monétaires On dit d’habitude qu’il y a deux conceptions théoriques de la monnaie – les deux premières présentées ci-dessous – parce que c’est entre ces deux que se cristallise le débat en termes de politiques monétaires. Mais en fait il y a deux autres conceptions – les deux dernières ci-dessous – qui permettent de saisir les fonctions sociales de la monnaie. Première interprétation La première interprétation de la monnaie consiste à faire de celle-ci un instrument permettant d’éviter les inconvénients du troc. C’est celle que l’on rencontre le plus souvent quand on met en relief le rôle d’unité de compte et celui d’intermédiaire des échanges. C’est celle qui est sous-jacente à la conception classique 2 et néo-classique selon laquelle la monnaie n’est qu’un voile qui dissimule le fait que les marchandises s’échangent contre des marchandises. Cette interprétation pose un redoutable problème dès qu’il s’agit de prendre en compte le rôle de réserve de valeur que joue la monnaie. Deuxième interprétation Une seconde interprétation se dégage alors pour souligner que la monnaie est désirée pour elle-même et pour remettre en cause la dichotomie entre la sphère réelle et la sphère monétaire. Cette interprétation (que Marx avait en grande partie énoncée) est celle de Keynes qui montre que la thésaurisation peut entraîner un déséquilibre entre les revenus susceptibles d’être réinvestis et la quantité de biens de production disponibles pour être mis en œuvre. Mais cette interprétation soulève la question de la nature du capital sans la résoudre. Troisième interprétation Une troisième interprétation est alors nécessaire pour comprendre que le capital n’est pas seulement une ensemble de biens de production et que la monnaie n’a pas le même sens lorsqu’elle sert à acheter des biens de consommation, des biens de production ou de la force de travail. Cette interprétation est celle de Marx qui montre que la monnaie est l’instrument permettant l’achat de la force de travail génératrice de plus-value pour grossir le capital au cours des différentes métamorphoses que celui-ci subit : K-argent, K productif, K-argent. La monnaie est alors la représentation du travail vivant créateur de valeur, la monnaie est la valeur par excellence. Mais la monnaie dissimule le rapport social d’exploitation, l’aliénation du travail. Sans monnaie, il n’y a pas possibilité de transformer de la plus-value en profit. Pour cela, le système bancaire anticipe le résultat du processus de production : il prévalide le travail qui sera reconnu comme socialement utile par le marché. La possibilité de la crise réside dans la contradiction entre la nécessité pour le capital d’accomplir jusqu’au bout son cycle et l’impératif de dévaloriser le capital pour pouvoir suivre le progrès technique et surmonter la concurrence. Cependant, cette interprétation, la plus satisfaisante jusqu’ici, a l’inconvénient de laisser supposer que la monnaie est uniquement liée à l’existence d’une société marchande. Quatrième interprétation Une quatrième interprétation permet de prendre en compte ce dernier aspect : les anthropologues soulignent le fait que même les sociétés que nous appelons primitives connaissaient la monnaie dont la fonction était d’assurer le lien social. Avant d’être un outil du marché, la monnaie est un outil de communication sociale. Pour reprendre l’expression de Marcel Mauss, elle est un « fait social total ». Non seulement, elle est le reflet des antagonismes sociaux et des rapports de pouvoir (en cela, cette interprétation rejoint celle de Marx), mais elle exprime la tentative désespérée de l’homme de fuir sa condition ou de lui trouver un exutoire : 3 l’angoisse de la mort, le spectre de celle-ci sont éloignés, exorcisés par la passion de la richesse que permet d’assouvir l’argent. En accumulant biens matériels et symboles que la monnaie permet d’acquérir, on conjure le sort funeste qui nous est promis. La monnaie est alors un moyen de canaliser la violence à l’intérieur des sociétés vers cette soif de richesse, exutoire à l’angoisse morbide le plus accessible, et passion susceptible de dégénérer de façon un peu moins violente que la passion du pouvoir ou le fanatisme religieux. Ceci est l’interprétation de René Girard. A partir de là, cette conception de la monnaie connaît deux variantes. L’une, qui est bien représentée par une partie de l’école des conventions (A. Orléan) rejointe par une partie de l’ex-école de la régulation (M. Aglietta), considère que la monnaie est l’acte fondateur de la société. Elle se démarque donc de la théorie classique qui situait cet acte fondateur dans le seul échange entre individus autonomes hors de tout environnement social et dans le contrat qu’ils nouent. Cette première conception n’a plus besoin de la théorie de la valeur. L’autre variante, que l’on peut rattacher à la problématique marxienne, continue d’adosser la théorie de la monnaie à la théorie de la valeur parce que le travail est l’acte par lequel les hommes vont nouer des rapports sociaux dans lesquels la monnaie joue son rôle (voir plus haut, 2° interprétation). Les troisième et quatrième interprétations n’aident en rien pour savoir s’il faut augmenter ou diminuer les taux d’intérêt mais elles sont précieuses pour comprendre, d’une part, la financiarisation du capitalisme (3° interprétation) à l’époque de la crise financière, d’autre part le rôle social de la monnaie (4° interprétation) à l’époque où l’on parle de dissolution du lien social et où certaines monnaies nationales vont disparaître prochainement. Les deux premières interprétations se disputent le leader-ship au sein de l’orthodoxie et de multiples débats opposent les économistes orthodoxes. Un premier débat oppose ceux qui considèrent la monnaie comme exogène, c’est-à-dire que, en situation d’inconvertibilité, l’offre globale de monnaie dépend des seules autorités monétaires au comportement spontanément laxiste ; et ceux qui considèrent la monnaie comme endogène, c’est-à-dire créée par le système bancaire en réponse aux besoins de l’activité économique (conception de Wicksel, d’I. Fisher en 1933, et de Keynes). Au sein des premiers, un débat partage ceux qui pensent que la monnaie n’a que des effets nominaux sur l’économie (conception de la monnaie-voile qui voit une forte dichotomie entre la sphère réelle et la sphère monétaire : TQM, Currency shool, I. Fisher de 1911, NEC) ; et ceux qui pensent que la monnaie a des effets réels (conception de la monnaie active). Mais au sein de ces derniers, certains pensent que les effets ne sont que transitoires (dichotomie faible : Friedman) ; d’autres pensent que les effets sont durables et dommageables (pas de dichotomie : Hayek, Rueff). 1.1.2. L’objectif principal de la banque centrale A l’époque où les taux d’inflation étaient élevés, l’objectif fut de réduire, voire d’éliminer l’inflation. Une fois cet objectif atteint, l’objectif fut de maintenir l’inflation à un taux très faible. 4 Les justifications de ce choix sont puisées dans la théorie d’inspiration néoclassique, principalement la branche monétariste de M. Friedman et celle des nouveaux classiques travaillant sur l’hypothèse des anticipations rationnelles. - Comme la monnaie est considérée comme neutre pour les variables réelles, sauf à court terme, la masse monétaire doit être contrôlée et il faut éviter d’en faire un instrument d’action sur la conjoncture qui se révèlerait nuisible à long terme pour la stabilité des prix. - Pour les tenants des anticipations rationnelles, la monnaie étant neutre même à court terme, la politique monétaire n’aurait d’effet réel que si elle n’était pas anticipée. Au total, les justifications de la priorité exclusive donnée à la lutte contre l’inflation peuvent se résumer par le concept de crédibilité. La crédibilité de l’ensemble de la politique économique est subordonnée à la rigueur de la gestion monétaire. Le problème est qu’il n’est jamais précisé aux yeux de qui cette crédibilité doit être assurée. Dans le meilleur des cas, il est dit qu’il s’agit de la crédibilité auprès des marchés financiers. C’est mieux que rien mais c’est insuffisant. Parce que les marchés financiers sont ici un euphémisme pour désigner les détenteurs de capitaux dont l’exigence de rentabilité s’est progressivement élevée au cours des dernières années. La lutte contre l’inflation est donc un dispositif central dans le processus de financiarisation de l’économie capitaliste, celle-ci étant elle-même la forme contemporaine revêtue par l’accumulation du capital. Dire que la stratégie de lutte contre l’inflation était la seule possible sans préciser ce qui précède est trompeur. Cette stratégie était la seule compatible avec la nécessité de restaurer la rentabilité du capital. Il faut donc en venir à la possibilité de poursuivre simultanément plusieurs objectifs. Est-il possible d’assurer une croissance équilibrée sans inflation ouverte ni trop rampante accelerando et en même temps avec un plein-emploi, voire un commerce extérieur équilibré ? Bref, tout à la fois : les délices du paradis et les coquineries diablotines et jouissives. Une politique monétaire expansive pour l’emploi oblige à une course non pas entre salaires et inflation comme on le dit, le répète et le lit partout, mais entre les salaires et les profits, avec une résultante sur les prix. Poursuivre plusieurs objectifs pose donc un problème de répartition. Problème qui est nié avec une politique de l’objectif unique parce qu’on fait implicitement le choix de l’austérité salariale et de l’opulence capitaliste. Le taux de chômage naturel (qui n’accélère pas l’inflation) est une fadaise qui permet d’éviter un autre concept : celui de taux de chômage qui laisse inchangé le rapport de forces capital/travail. Voici le schéma suggéré par P. Artus, pourtant néoclassique bon teint. 5 Croissance du salaire rée l Pour une croissance de la produc tivité donnée Augmentation de la part des sa laire s dans la VA (1) Augmentation de la part des p rofits dans la VA (2) Chômage de ? (3) Chô mage (1) Accé lérat ion de l’inflation ? oui, si les profits veu lent reprend re leur pa rt (2) Ra lentissement de l’inflation ? non, s i les salaires veu lent rep rend re leur pa rt (3) Chômage d’équilibre ? d’équilibre de quoi ? - chômage nature l ? NAIRU? - chômage laissant inchangé le rapp ort de forc es ca pital/trava il ? Au cours des dernières décennies, plusieurs configurations ont été constatées : - après guerre : pluralité d’objectifs dans des économies encore assez fermées. - Etats-Unis : politique adaptable aux fluctuations de la conjoncture. L’inflation est jugée par rapport à l’objectif de long terme et par rapport à l’écart PIB-PIB potentiel. S’il y a un gros écart négatif, on favorisera la croissance et l’emploi ; s’il est faible, on sera plus vigilant en matière d’inflation. - Dans la période récente, notamment depuis la multiplication des risques d’instabilité financière, les banques centrales ont ajouté un objectif : pour éviter que tout dégénère, jouer le rôle de prêteur en dernier ressort international Reste une question : l’inflation est-elle un mal en soi ? un mal pour certains groupes sociaux ? un mal nécessaire ? L’inflation réduit le pouvoir d’achat de la monnaie à revenus nominaux constants. Mais comme les revenus nominaux ne restent jamais constants et qu’ils ne se modifient jamais de manière homothétique pour tous les individus et tous les groupes sociaux, alors l’inflation provoque une modification de la répartition des revenus. Le problème est de savoir au profit et au détriment de qui. Si c’est à l’avantage de ceux qui ont la propension marginale à consommer la plus forte, alors cela tire la consommation, la production et/ou les importations vers le haut. Pendant les 30 Glorieuses, la progression des salaires parallèle à celle de la productivité et leur indexation sur l’inflation rampante étaient vertueuses. En 1981-82, la hausse du pouvoir d’achat s’est traduite par des importations supplémentaires. Aujourd’hui, le blocage des salaires et l’inflation financière nourrissent les revenus du capital. 6 Dans le cas de l’inflation traditionnelle portant sur les prix des biens et services, elle pénalise ceux qui ont des revenus faiblement indexés ou les créanciers qui ont prêté de l’argent à taux fixe. Toux ceux-là ont intérêt à la plus faible inflation possible. Dans le cas de l’inflation portant sur les actifs financiers qui a remplacé l’inflation traditionnelle, les gagnants sont les détenteurs de capitaux, les perdants sont les salariés puisque la valorisation des titres s’obtient par captation supplémentaire de la valeur ajoutée (compression de l’emploi, stagnation des salaires alors que la productivité augmente, flexibilité, précarisation, …). Quelle que soit la forme revêtue (par les prix des biens ou par ceux des actifs financiers), l’inflation reflète l’état des rapports de forces dans la société. La politique monétaire étant la traduction institutionnelle au niveau monétaire de ce rapport de forces et du choix opéré par les instances dirigeantes de pérenniser ce rapport de forces (c’est le choix sanctionné par les divers traités de l’UEM) ou bien de le faire évoluer (c’était ce qui avait été annoncé par M. Jospin avant qu’il devienne Premier Ministre…). Il est évident que pour analyser ainsi l’inflation et la politique monétaire, il faut sortir du cadre réducteur et insipide de l’opposition entre seulement deux conceptions de la monnaie. 1.2. La politique budgétaire D’autant plus encadrée par le traité de Maastricht puis par celui d’Amsterdam que les déficits publics avaient eu tendance à s’aggraver au cours de la décennie 90. 1.2.1. La politique budgétaire pourrait être revalorisée par l’UEM a) Un facteur d’autonomie accrue des politiques budgétaires Relâchement de la contrainte extérieure commerciale intra-UEM. b) Un facteur d’efficacité accrue des politiques budgétaires. - Dilution de l’effet d’éviction financière par les taux d’intérêt car ceux-ci sont déterminés au niveau communautaire. - Dilution de l’influence des budgets sur le taux de change euro-autres monnaies. c) Un facteur de renforcement des effets entre politiques budgétaires nationales - Effets négatifs Les politiques budgétaires nationales déficitaires provoquent : augmentation des tx d’i en Europe affectant les autres pays ; diminution de l’euro pouvant gêner les autres pays. - Effets positifs D’autant plus que les liaisons commerciales sont fortes. 1.2.2. Mais la politique budgétaire risque d’être neutralisée par le pacte de stabilité a) Le contenu du pacte de stabilité - Caractéristiques Le 1er critère de Maastricht est pérennisé. Si son déficit public dépasse 3% du PIB, un pays est sanctionné financièrement. Un dépôt sans intérêt est transformé en 7 amende : 0,2% du PIB augmenté de 0,01% du PIB par tranche de dépassement de 0,1% du PIB avec un plafond à 0,5% du PIB. Toutefois, l’application des sanctions dépend de la gravité de la récession que subirait ce pays : * application automatique si la récession est faible (moins de 0,75%) ; * application à discuter si la récession est assez forte (entre 0,75 et 2%) ; * application supprimée si la récession est très forte (plus de 2%). - Fondement théorique * influence de la conception néoclassique de la politique budgétaire ; * prise en compte exclusive des externalités négatives ; * méfiance vis-à-vis du pouvoir politique. b) Les effets neutralisateurs - L’obstacle à la fonction de stabilisation conjoncturelle * Si les conditions actuelles de déficit se perpétuent : perte de l’outil conjoncturel à cause du pacte et augmentation des risques en cas de choc symétrique conjoncturel. * Si les conditions de déficit tendanciel disparaissent : possibilité de recouvrer la fonction de stabilisation, ce qui suppose des « réformes structurelles ». - Le difficile traitement des chocs conjoncturels asymétriques (concernant un pays ou quelques pays) * Eventualités de chocs nationaux spécifiques (dans un petit pays ou pays à X spécialisées, ou pays avec mouvements sociaux). * La pénurie d’instruments utilisables au niveau national : pas de politique monétaire + neutralisation de la politique budgétaire. Que reste-t-il ? Fédéralisme budgétaire européen ? Ou bien… c) Dérégulation sociale - Flexibilité accrue du « marché du travail » * Austérité salariale (progression des salaires < celle de la productivité) ; * Flexibilité de l’emploi et des conditions d’emploi. - « Refondation sociale » = régression sociale * Remise en cause de l’indemnisation du chômage ; * Remise en cause de la protection sociale (santé, retraites) ; * Réduction des services publics. Finalement, les contraintes imposées aux politiques budgétaires dans l’UEM pourraient conduire à arbitrer entre plus de flexibilité et plus de solidarité. Les recommandations les plus récentes viseraient même à remettre entre les mains de la BCE non seulement la politique monétaire mais aussi la politique budgétaire qui, suffisamment corsetée n’aurait plus d’autonomie réelle. Il ne resterait plus aux Etats que le soin d’ajuster le marché du travail aux impératifs financiers. 8 1.3. La policy mix Le concept de policy mix est entendu au sens large à savoir l’ensemble des combinaisons possibles entre politique budgétaire et politique monétaire. Mais l’usage de l’expression n’est pas très normalisé : le terme de policy mix désigne-t-il une simple stratégie croisée (au sens où une politique est expansionniste et l’autre freine) ou bien l’ensemble des combinaisons possibles des deux (à savoir quatre cas : deux de convergence et deux croisées). En retenant le second cas, on note une désuétude des stratégies convergentes au « profit » des stratégies croisées. Cette désuétude peut être interprétée comme le triomphe des exigences de la rentabilité du capital qui font peser de lourdes contraintes sur les marges de manœuvre gouvernementales et laisser de côté toute considération économique et sociale. 1.3.1. Les politiques convergentes Les politiques budgétaire et monétaire convergentes ont surtout connu une audience (ce qui ne signifie pas nécessairement succès) au temps où existait un consensus autour de la régulation du capitalisme. Ce consensus était d’autant plus fort qu’il s’agissait de soutien. a) Soutien budgétaire et soutien monétaire - Principes de base et mécanismes La coexistence d’un soutien budgétaire et d’un soutien monétaire constitue sans doute le cas de politique mixte le plus connu, car le plus dans la logique du cadre IS/LM, puisqu’il s’agit d’éviter une forme d’effet d’éviction1 lié aux variations du taux d’intérêt et ainsi de retrouver les résultats obtenus dans un modèle keynésien élémentaire. Avec ce double soutien, nous obtenons un effet sur le revenu plus élevé que dans le cas d’une utilisation isolée de chaque instrument et un effet beaucoup plus limité sur le taux d’intérêt. Graphiquement le déplacement simultané de IS et de LM vers la droite entraîne un déplacement plus important du point d’équilibre vers la droite que dans les cas d’un déplacement isolé de chaque courbe. Il ressort du modèle que l’on peut toujours augmenter l’efficacité de la politique budgétaire par une politique monétaire complémentaire sans craindre l’inflation. Cette vue optimiste résulte de l’hypothèse d’élasticité parfaite de l’offre qui permet la stabilité des prix. Le nécessaire relâchement de cette hypothèse forte et le choix des objectifs intermédiaires de stabilité (1979 puis 1983 dans la cas particulier de la France) permettent de comprendre la désuétude de stratégies expansionnistes 1 . Distinguer : - le premier « effet d’éviction » qui est en fait le frein monétaire dénoncé par Keynes lorsqu’une politique budgétaire menée seule augmente la demande de monnaie alors que l’offre est exogène et donc stable : le taux d’intérêt augmente. Keybes préconiqsait de résoudre ce décalage entre demande et offre de monnaie par une politique monétaire d’accompagnement. - l’effet d’éviction financière dénoncé par les classiques dès les années 30 : le déficit budgétaire financé par appel à l’épargne raréfie l’offre de fonds prêtables. - l’effet d’éviction non financier dénoncé par les nouveaux classiques qui ne passe pas par le taux d’intérêt mais par le comportement des agents qui, selon le « théorème » d’équivalence diminuent leurs dépenses pour épargner davantage en prévision des futurs impôts. A remarquer que ce troisième effet d’éviction est incompatible avec le second. 9 convergentes au profit nous le verrons de politique croisées. Ainsi faut-il aller assez loin dans l’histoire pour trouver une illustration, un exemple de cette configuration. - Exemple ancien d’une pratique réussie : la relance américaine du début des années 60. On peut avancer ici l’exemple américain du début des années 1960 (1961-1965) qui combine soutien budgétaire et soutien monétaire (relance Kennedy-Johnson). La hausse des dépenses publiques en 1961-1962 puis des allègements fiscaux entre 1963 et 1965 vinrent soutenir la demande pendant que des taux d’intérêt à long terme assez bas venaient dynamiser l’investissement. Les résultats furent positifs pendant quatre ans permettant à la fois de dynamiser la croissance (5% de croissance entre 62 et 66 contre 2,4% entre 1953 et 1961) et de retrouver une situation de quasi plein emploi (taux de chômage inférieur à 4% en 1966). La flexibilité de l’offre et une situation initiale de sous emploi permirent de ne pas observer de tensions inflationnistes au sein de cette économie. Le début du renforcement de la guerre du Viet-Nam a renforcé ce regain mais son enlisement a ensuite grippé la machine. Cet exemple reste l’un des seuls cas de relance keynésienne parfaitement réussie. b) Freinage budgétaire et freinage monétaire - Principes de base et mécanismes On peut maintenant parler d’une double stratégie de freinage monétaire et de freinage budgétaire qui s’inscrit dans une quête de stabilisation rapide et drastique de l’économie sans se préoccuper véritablement des conséquences réelles des mesures à l’œuvre. L’étude des mécanismes est ici simple, nous sommes dans le cas inverse du précédent. La contraction de la demande vient abaisser le revenu de manière importante alors que le freinage monétaire permet de maintenir les taux d’intérêt à un niveau élevé (le niveau précédent). La baisse de revenu est plus importante que si une seule des modalités avait été mise en œuvre. Implicitement cette stratégie s’attaquerait à une inflation dont l’origine se situe du coté de la demande et non du coté de l’offre de monnaie même si en maintenant les taux à leur ancien niveau on souhaite toujours une rigueur en la matière. 1.3.2. Les politiques croisées Les politiques budgétaire et monétaire croisées ont supplanté les autres à partir du moment où la libéralisation complète du capitalisme a été projetée. a) Soutien budgétaire et freinage monétaire -Explications des mécanismes de base La coexistence d’une relance budgétaire et d’un freinage monétaire entraîne une forte hausse des taux d’intérêt et un effet limité sur le revenu. Les deux instruments cumulent leurs effets pour pousser le taux d’intérêt à la hausse puisque l’offre de monnaie est réduite par la politique de rigueur monétaire alors que dans le même temps la demande de monnaie augmente du fait de la politique budgétaire expansionniste. 10 Graphiquement nous avons un déplacement de IS vers la droite et un déplacement de LM vers la gauche, il y a donc toujours une hausse du taux d’intérêt mais l’impact sur la croissance est indéterminé, il dépend des paramètres et de l’ampleur de chacune des mesures monétaire et budgétaire. -Exemple : la politique Reagan du début des années 1980. L’économie américaine du début des années 1980 nous fournit un assez bon exemple de ce type de politique mixte. Le soutien budgétaire délibéré lié surtout aux allégements fiscaux a été très important (baisse continue du solde structurel des administrations publiques de -0,5% du PIB en 1981 à -3,3% en 1986). Dans le même temps, à la suite du retournement de 1979 (G5) la politique monétaire a été restrictive (taux d’intérêt élevé entre 1982 et 1984 : les taux courts oscillent entre 8,5 et 10,5%, les taux longs entre 11 et 13%). Au total, l’effet de relance budgétaire l’a emporté sur la rigueur monétaire, d’autant que l’afflux de capitaux a facilité le financement des déficits. La croissance du PIB de 5,2% (a) entre 1983 et 1985 a été entraînée par la demande sous l’effet de la politique budgétaire. Les mécanismes keynésiens ont été visiblement à l’œuvre au sein de cette économie peu ouverte. Au départ cette politique avait pourtant été pensée par des économistes de l’offre. La stratégie allemande de 1990-1991 – pour répondre au choc de la réunification – constitue un autre exemple de ce type de politique mixte. b) Soutien monétaire et freinage budgétaire - Principes et mécanismes. La coexistence d’un freinage budgétaire et d’un soutien monétaire entraîne une baisse du taux d’intérêt et un effet limité sur le revenu. Les deux politiques cumulent leur effets pour réduire le taux car l’offre de monnaie est augmentée par le soutien monétaire alors que la demande de monnaie est diminuée par la rigueur budgétaire. Graphiquement la courbe LM est déplacée vers la droite alors que IS revient vers la gauche. Si le taux d’intérêt baisse bel et bien l’effet sur le revenu est a priori indéterminé et dépend comme dans le cas précédent des paramètres et de l’ampleur des mesures. -Exemple. Peut-être la politique européenne menée pendant un temps par la BCE Elle paraissait combiner soutien monétaire (baisse des taux du printemps 1999) et freinage monétaire de par les termes du pacte de stabilité et la tendance à un abaissement dans l’UEM du rapport déficit budgétaire sur PIB. Cependant, la décision de remonter les taux directeurs ensuite et le refus de les baisser devant le risque de ralentissement provoqué par la récession américaine introduisent un doute quant à la volonté de la BCE. Ou alors y aurait-il un retour à des politiques convergentes dans le sens de l’austérité ? 11 La mixité des politiques est de règle. Mais le fait qu’elles soient convergentes ou divergentes dépend des formes de l’accumulation du capital et des rapports de forces qui se nouent ou se dénouent autour de ces formes. 2. Quid d’une régulation financière : une taxe Tobin ? Plus le capitalisme se mondialise, plus les transactions sur les titres financiers nécessitent au préalable des transactions sur les devises. Aujourd’hui, 1500 milliards $ par jour de transactions de change (450 000 par an) pour 5000 milliards $ par an de transactions commerciales et un produit mondial annuel de 30 000 milliards. 2.1. Le principe d’une taxation des transactions de change En 1972, James Tobin proposa de taxer de 0,1% à 1% les transactions de change pour limiter les fluctuations qui sont liées aux transactions à court terme : 80% des transactions constituent des aller-retours inférieurs à une semaine, ce qui veut dire 104 fois par an. Au taux de 0,1%, cela représente 10,4% de pénalité sur l’année, un taux assez dissuasif. 2.2. Avantages Outre la stabilisation des mouvements erratiques spéculatifs, une taxe Tobin présenterait deux séries d’avantages. 2.2.1. Par rapport à la politique monétaire Pour éviter une crise de change, la banque centrale du pays potentiellement victime d’une spéculation est obligée de pratiquer des taux d’intérêt plus élevés que ceux pratiqués à l’étranger. Pour des placements à la semaine, une taxe Tobin de 0,1% permet d’éviter un écart de taux d’intérêt de 1,00152 = 1,0533, c’est-à-dire de 5,33%. Le taux de la taxe pourrait être variable en fonction de l’importance de l’attaque spéculative. 2.2.2. Comme source de financement Le produit de la taxe pourrait être utilisé pour l’aide au développement. Mais les estimations de ce produit éventuel sont fragiles à cause de deux incertitudes. Sur le taux appliqué. Et sur l’ampleur de la dissuasion de la spéculation. 2.3. Les critiques et les réponses aux critiques 2.3.1. Expropriation ? Certains ont avancé qu’une taxe Tobin constituerait une expropriation du capital2. Si 1 $ sert à échanger des marchandises et s’il est changé 1000 fois et taxé 1000 fois à 0,1%, 1 $ de taxe est prélevé. Mais il y a eu 1000 $ de marchandises produites et échangées. 2.3.2. Ralentissement du mouvement des capitaux ? 2 . D. Cohen, « Les mirages de la "Tobin Tax" », Libération, 29 juin 1998. 12 D’autres ont dit que la liberté de circuler pour les capitaux risquerait d’être freinée 3 . C’est précisément le but recherché. La multiplication des couvertures en chaîne serait ralentie mais certainement pas supprimée. 2.3.3. Pénalisation de l’investissement ? L’ingéniosité de la taxe Tobin est qu’il n’y a pas besoin de différencier les capitaux spéculatifs à court terme et les investissements productifs de long terme. Les allers et venues incessantes des capitaux volatils les désignent comme spéculatifs. 2.3.4. Accord de tous les pays nécessaires ? La taxe serait difficile, voire impossible, à mettre en place car elle supposerait l’accord de la majorité sinon la totalité des pays. Or, 80% des transactions de change concernent les 8 premiers pays au monde. Et 88% des transactions de change se font en 5 monnaies : le dollar, le yen, l’euro, la livre sterling et le franc suisse. La zone euro pourrait très bien être une zone Tobin avec un taux interne et un taux externe. 2.4. Un ensemble de mesures - Fiscalité rééquilibrée entre capital et travail. - Taxe unitaire sur les bénéfices. - Fin de l’indépendance des banques centrales. - Fin des paradis fiscaux qui donnent des avantages discaux pour les déposants non résidents protégés par le secret bancaire, et qui facilitent le blanchiment d’argent sale estimé à 1000 milliards $ par an. L’OCDE a établi une liste de 35 pays concernés et le Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux a retenu 15 pays. - Annulation de la dette du tiers-monde. Conclusion : la finance détruit le lien social 3 . O. Davanne, « Instabilité du système financier international », Rapport du Conseil d’analyse économique, n° 14, 1998, p. 42. Le capitalisme financier rompt le lien social Recul des services publics Recul de l’intervention publique dans l’économie Marchandisation du monde orthodoxie budgétaire Recul de la politique économique politique monétaire confisquée par des banques centrales indépendantes dépolitisation de la monnaie échanges négation de la dualité de la monnaie bien privé accumulation bien social Le seul « lien social » envisagé est celui construit autour de la garantie de la valeur des actifs financiers privés, c’est-à-dire des intérêts de ceux qui possèdent 14