Contrôle immunitaire des cellules souches leucémiques

ACTUEL 419
Lauréats du Prix Otto Naegeli 2016
Contle immunitaire des cellules
souches leumiques
Adrian F. Ochsenbein
Universitsklinik für Medizinische Onkologie, Inselspital, Universität Bern
Notre sysme immunitaire est capable de reconnaître
spéciquement des cellules cancéreuses exprimant un
antine. Pour cette raison, des immunotrapies qui
activent spéciquement le sysme immunitaire contre
les cellules cancéreuses sont teses depuis de nom-
breuses années. Bon nombre de ces immunotrapies
ont certes entraî une activation mesurable du sys-
me immunitaire, mais un eet clinique, au sens d’une
duction de la tumeur, a rarement été obtenu. Grâce au
perfectionnement des méthodes moléculaires et à une
meilleure compréhension des canismes moléculaires
entre les cellules T et les cellules tumorales, de nouvelles
immunothérapies ont éveloppées au cours de ces
dernres années. La cellule T reconnaît la cellule psen-
tatrice d’antine au moyen de son récepteur (récepteur
des cellules T). En outre, les deux cellules interagissent
par le biais de diérents couples ligand/cepteur im-
muno-activateurs et immunosuppresseurs
(points de
contle immunitaires ou immune checkpoints).
Les voies
de signalisation qui inhibent les cellules T peuvent être
bloqes de manière cibe par des anticorps mono-
clonaux (inhibition de points de contle immunitai-
res). Les premres études ont été alisées avec des anti-
corps anti-CTLA- dans le cadre des lanomes. Le
bloca g e du CTLA-entraîne une activation accrue de cel-
lules T. Par rapport à la chimiothérapie standard, l’im-
munothérapie a entraî un allongement consirable
de la survie globale. Des études suppmentaires ont
éval l’ecacité d’un blocage de l’interaction entre la
molécule PD-(exprie sur les cellules T) et son ligan d
PD-L (exprimé sur les cellules tumorales). Les anti corps
anti-PD-et anti-PD-L montrent une bonne ecaci
dans diérents cancers, tels que le lanome, les can-
cers bronchiques non à petites cellules, les carcinomes à
cellules rénales, etc. Typiquement, les patients chez les-
quels une duction de la tumeur est obtenue en re-
tirent des néces à long terme, avec une évolution
sans récidive sur une riode allant jusqu’àans chez
les patients avec mélanomes métastatiques.
Cellules souches cancéreuses
Le concept selon lequel le cancer émane d’une diéren-
ciation hiérarchique de cellules souches cancéreuses a
été initialement documen pour les leucémies et il est
sormais également accepté pour diérentes tumeurs
solides. Les cellules souches cancéreuses sont capables
de s’auto-renouveler. D’une part, elles peuvent se divi-
ser de façon sytrique en deux nouvelles cellules
souches; d’autre part, elles peuvent se diviser de façon
asymétrique en une cellule souche et en une cellule
cancéreuse diérenciée (g.). D’un point de vue cli-
nique, les cellules souches cancéreuses psentent un
inrêt car elles sont sistantes à la plupart des traite-
ments disponibles, tels que les chimiotrapies, la
radiothérapie ou les médicaments cibs tels que les
inhibiteurs de tyrosine kinase. Le fait que les immuno-
thérapies puissent entraîner une stabilisation à long
terme voire une guérison chez les patients atteints de
lanomes tastatiques laisse supposer que le sys-
me immunitaire est capable d’éliminer les cellules
souches cancéreuses chez une partie des patients. La
compréhension des interactions moléculaires entre les
cellules souches cancéreuses et les cellules T cyto-
toxiques peut s lors aboutir à de nouvelles approches
thérapeutiques cibes contre les cellules souches can-
reuses.
La leucémie est un exemple paradigmatique de cancer
clenché par des cellules souches. Au même titre
queles cellules souches hématopétiques, les cellules
souches leucémiques se trouvent au début de la dié-
renciation hiérarchique. Il est admis que les altérations
Adrian F. Ochsenbein
Prix Otto Naegeli pour la recherche
dicale
Le «Prix Otto Naegeli pour la recherche médicale»
fut crée 1960 en l’honneur et au souvenir du
grand scientifique et enseignant de médecine
interne à l’Université de Zurich, le Professeur
Otto Naegeli.
Le prix est considéré comme un des prix scienti-
fiques les plus prestigieux en Suisse et sur le
plan international.
Le «Prix Otto Naegeli» a pour but la promotion de la recherche
médicale et biomédicale. Il est décerné tous les deux ans à des
chercheurs travaillant en Suisse. La somme du prix est actuel-
lement à 200 000 CHF. Un des buts du prix vise à encourager de
jeunes chercheurs dans leur parcours.
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tiques qui conduisent à la leucémie surviennent
au niveau des cellules souches hématopétiques, qui
se transforment alors en cellules souches leucémiques.
Les cellules souches leucémiques se situent dans la
moelle osseuse, dans un environnement spéciali
(mi-
cro-environnement)
appelé «niche de cellules souche.
De nombreuses fonctions des cellules souches leucé-
miques, telles que la quiescence (phase de repos), la
prolifération ou la diérenciation (division cellulaire
asymétrique vs symétrique,g. ), sont régulées par in-
teraction avec la niche. Les résultats obtenus par dié-
rents groupes de chercheurs au cours de ces dernres
années montrent que les cellules souches leucémiques
et hématopétiques utilisent des canismes simi-
laires pour interagir avec la niche. Les cellules souches
se situent dans la moelle osseuse, dans la zone de l’os
trabéculaire, à proximi immédiate des sinusoïdes et
d’autres vaisseaux sanguins. Les cellules endothéliales et
les cellules périvasculaires produisent des chimiokines
et des facteurs de cellules souches, qui sont responsables
du maintien et de la régulation des cellules souches. En
outre, les cellules souches leucémiques et hématopé-
tiques sont gues par le système nerveux sympa-
thique, par les adipocytes et par les macrophages.
Les cellules immunitaires en tant que
composante de la niche
Outre sa fonction d’organe hématopétique, la moelle
osseuse constitue également un organe lymphoïde pri-
maire et secondaire. Dès lors, la moelle osseuse abrite
un nombre substantiel de cellules T et B diérenciées,
de plasmocytes, de cellules dendritiques, de neutro-
philes et de macrophages. Ces cellules immunitaires
Cellule leucémique
difrenciée
Cellule souche
leucémique
Cellule souche
leucémique
Cellule T
cytotoxique
Cellule souche
leucémique
Cellule souche
leucémique
CD70
CD27
Division cellulaire asymétrique
Division cellulaire symétrique
Phénotype différencié
Maladie moins agressive
Pronostic plus favorable
Phénotype indifférencié
Maladie agressive
Pronostic défavorable
Figure 1: Division cellulaire symétrique vs asymétrique d’une cellule souche leumique. En raison de l’orientation variable du
fuseau mitotique durant la division cellulaire, les molécules associées à la différenciation des cellules (cell fate determinants)
sont distribes de manière variable sur les cellules filles. Le rapport entre division cellulaire symétrique vs asymétrique d’une
cellule souche leumique détermine dès lors la différenciation de la leumie, ainsi que son agressivité.
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font ainsi partie de la niche de cellules souches et for-
ment une sorte de «niche immunitair. Les lympho-
cytes représentent la majeure partie des cellules mo-
nonucléaires dans la moelle osseuse. Ils sont répartis
dans l’ensemble du parenchyme dullaire et forment
en partie des agrégats lymphoïdes organis. Des don-
es cliniques et expérimentales indiquent que les
cellules T CD+ jouent un rôle majeur dans la régula-
tion de l’hématopèse. Ces cellules produisent des
cytokines qui sont essentielles à la gulation de l’hé-
matopoïèse, telles que l’interleukine-et le GM-CSF. Les
cellules T régulatrices CD+CD+ repsentent un tiers
de l’ensemble des cellules T CD+ dans la moelle os-
seuse, une proportion qui est nettement plus élee
que par ex. dans d’autres organes lymphdes comme
les ganglions lymphatiques ou la rate. Des données ex-
rimentales montrent que les cellules T régulatrices
participent à la quiescence des cellules souches héma-
topoïétiques et inhibent la diérenciation myélde.
Ila pu être montré par microscopie
in vivo
que les cel-
lules T régulatrices entouraient les cellules souches
matopoïétiques. Il est s lors admis que ces cel-
lulesT régulatrices forment une niche immunoprivi-
giée dans la moelle osseuse, qui protège les cellules
souches matopoïétiques d’une destruction par les
cellules immunitaires. Cette niche peut également être
utilisée par les cellules souches leucémiques pour
échapper à l’élimination par les cellules du système
immunitaire.
La régulation des cellules souches et
précurseurs hématopoïétiques durant
une activation immunitaire
La moelle osseuse doit non seulement assurer le re-
nouvellement continu des cellules sanguines durant
l’hémostase, mais elle doit également réagir à un
besoin accru durant une situation de stress, par ex.
durant une infection ou une chimiotrapie ma to-
poïèse d’urgence»). La gestion de ce besoin accru en cel-
lules immunitaires au cours d’infections s’eectue par
reconnaissance de produits microbiens consers au
moyen des récepteurs Toll-like et de facteurs solubles
tels que les interrons (IFN) de type I et de type II ou
lefacteur de nécrose tumorale alpha (TNF-α). En outre,
les interactions cellule-cellule entre les cellules
souches matopoïétiques et les cellules immunitaires
jouent un le dans la régulation de l’hématopèse
d’urgence. La mocule CD, qui est un membre de la
superfamille des récepteurs du facteur de nécrose
tumorale (TNFR), est exprie sur les lymphocytes et
les cellules souches hématopétiques. Le CD, le seul
ligand connu du CD, est exprimé par les cellules lym-
phatiques acties. L’interaction entre le CDet le
CD sur les cellules souches hématopoïétiques durant
une infection induit la diérenciation accrue des cellules
souches, se traduisant par une production de cellules
immunitaires adaptée aux besoins.
Plusieurs des mécanismes immunitaires qui contrôlent
les cellules souches hématopétiques durant une
matopoïèse adaptée aux besoins ont également une
inuence sur les cellules souches leucémiques. Bien que
ces canismes se soient mis en place avec l’évolution
an de pondre au besoin accru de cellules immuni-
taires en cas d’infection aiguë, ces mêmes mécanismes
peuvent être à l’origine d’une progression de la mala-
die en cas de leucémie. L’IF provoque l’activation des
cellules souches hématopétiques au repos, ainsi que
leur proliration et leur mobilisation. Le même eet
CD
A
CMH-I/RCT
PD-L1/PD1
IFN!
CD70/CD27
TNF-"
Cellule souche
leucémique
Cellule T
cytotoxique
B
Figure 2: Interactions des cellules T cytotoxiques avec les cellules souches leumiques.
Par le biais de son récepteur (cepteur des cellules T), la cellule T cytotoxique peut
reconnaître la cellule souche présentatrice d’antigène et l’éliminer (A). Une cellule T
cytotoxique activée sécte l’interron gamma (IFNγ) (B) et le facteur de nécrose tumo-
rale alpha (TNF-α) (C). Les deux cytokines entraînent une proliration des cellules
souches leumiques. L’IFNγ provoque en outre une expression accrue de PD-L1 sur
lescellules souches leumiques et ainsi, une inhibition des cellules T cytotoxiques.
L’inter action du CD70 avec le CD27 sur les cellules souches leumiques provoque éga-
lement une proliration et elle est responsable d’une proportion accrue de cellules
soumis e s à une division cellulaire symétrique (D).
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s’observe sur les cellules souches leucémiques impli-
quées dans la leucémie mloïde chronique. L’IF a
été utilisé durant des décennies pour le traitement de
la leucémie mloïde chronique, avant l’introduction
des inhibiteurs de tyrosine kinase. Des eets simi-
laires ont également été documentés pour l’inter ron
gamma (IFNγ), une cytokine eectrice produite par les
cellules T (g.). L’IFNγ peut être à l’origine d’une pro-
lifération accrue aussi bien dans les cellules souches
matopoïétiques que leucémiques, et il peut être res-
ponsable d’une progression de la maladie en cas de leu-
mie. En outre, l’IF entraîne une régulation à la
hausse de la molécule immunosuppressive PD-L sur
les cellules souches leucémiques, évitant ainsi à ces
dernres d’être éliminées par les cellules T cytotoxi-
ques. Le TNF-α induit également une prolifé ration
accr u e et une expansion des cellules souches héma to -
poïétiques et leucémiques, ce qui est à l’origine d’une
progression de la maladie en cas de leucémie.
Les interactions cellule-cellule entre les cellules T et les
cellules souches leucémiques, qui peuvent être blo-
quées à desns trapeutiques, psentent un intérêt
particulier. Nous sommes récemment parvenus à dé-
montrer que l’interaction entre le CDet le CD en-
traînait une multiplication des cellules souches leucé-
miques dans la leucémie mloïde chronique et aiguë.
La multiplication est induite par une division cellulaire
accrue et avant tout par une division cellulaire sy-
trique augmentée (g.). Il en résulte une proportion
accrue de cellules leucémiques indiérenciées présen-
tant une forte agressivi. Les cellules souches leucé-
miques de la leucémie mloïde chronique expriment
le CD, mais pas son ligand CD. La voie de signali-
sation du CDest clenchée par interaction avec le
CD, qui est expri sur les cellules T acties. Il est
inressant de constater que les cellules souches agres-
sives de la leucémie myéloïde aiguë expriment à la fois
le CDet le CD. Cela signie que les cellules souches
de la leumie myélde aiguë peuvent directement
maintenir leur malignité par une prolifération accrue
et une division cellulaire sytrique. Dans des modèles
murins pcliniques, l’interaction CD/CD a pu être
bloqe par des anticorps monoclonaux, se traduisant
par un développement retar de la maladie et par un
allongement de la survie.
Conclusions et perspectives
Les canismes immunitaires qui ont progressive-
ment vu le jour an de contler les cellules souches
matopoïétiques durant une infection donnent nais-
sance, en cas de transformation maligne de ces cellules
souches matopoïétiques, à des cellules souches leu-
miques, et entraînent leur expansion, ainsi que la
progression de la maladie. Plusieurs de ces interactions
peuvent être cibes trapeutiquement an d’élimi-
ner les cellules souches leucémiques. Bien que la leu-
mie soit consie comme le parfait exemple de
cance r induit par les cellules souches, l’hypotse des
cellules souches canreuses est désormais également
acceptée pour diérentes tumeurs solides. La dé ni-
tion des interactions moléculaires entre le système
immu nitaire et les cellules souches cancéreuses per-
mettra dès lors de développer de nouvelles options
thérapeutiques ciblant directement la cancérogese à
ses origines.
Remerciements
Je remercie le Fonds national suisse, la Ligue suisse contre le cancer,
laLigue bernoise contre le cancer, ainsi que la Fondation Werner und
Hedy Berger-Janser pour le soutien appor aux projets décrits dans
cet article durant de nombreuses années. Par ailleurs, je remercie
Carsten Riether pour sa participation à la rédaction de cet article.
Disclosure statement
L’auteur ne déclare aucun conit d’intérêtsnancier ou personnel
enrapport avec cet article.
Portrait
© KEYSTONE | Alessandro della Valle
Correspondance:
Prof. Adrian Ochsenbein
Chefarzt
INSELSPITAL
Universitsspital Bern
Universitsklinik für
Medizinische Onkologie
Freiburgstrasse
CH- Bern
adrian.ochsenbein
[at]insel.ch
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