3ème partie 3 Du triomphe de l’Homme (et du droit ?) Lutter Le triomphe de l’Homme De longues colonnes, colonnes de robes rayées, de numéros, d'ombres humaines; ce sont les détenues du camp de concentration d'Oswiecim. C'est ainsi que les Allemands nous voyaient probablement, c'est ainsi qu'ils avaient voulu nous voir, bien que parfois ils fussent déçus et leurs poings levés retombaient alors soudain avec peur, paralysés par le regard d'une ombre humaine en vêtements rayés. C'était comme un éclair du feu caché qui flambait sous le couvercle de la fatigue, de l'humanité brisée. Il arrivait plus d'une fois que nos persécuteurs s'arrêtaient stupéfiés, hypnotisés par le regard et parfois par une parole de leur victime désarmée. Je me souviens de la figure d'un agent de la Gestapo frappé par ma réponse méprisante à sa proposition de me sauver la vie au prix d'une lâcheté. J'ai encore devant moi l'image d'une SS-Frau gênée qui contrôlait d'un regard avide un colis de ma camarade Aline, tandis que celle-ci en remettait le contenu à une autre de nos compagnes. Je vois les yeux baissés du commandant du camp lorsque, au cours d'une revue de santé passée au camp des femmes, une jeune fille s'arrêta devant lui toute rouge de honte et de colère. Je n'oublierai jamais les démarches pleines d'humilité d'un SS qui cherchait à passer pour un homme généreux aux yeux des détenus. Je me rappelle la colère impuissante d'un de nos chefs qui, ayant obligé en guise de représailles une détenue à porter plusieurs pelles lourdes, aperçut soudain d'autres détenues entourer la malheureuse et lui enlever toutes les pelles en la laissant les mains libres. Je me souviens également de la rage d'une SS-Frau qui, voulant humilier une jeune détenue, lui a enfoncé un vase de nuit sur la tête, tandis que celle-ci au lieu de pleurer lui a ri au nez. Jamais ne s'effacera de ma mémoire la misérable figure d'un S.S. qui avait battu un prisonnier devant les femmes pour le forcer à crier de douleur, quand ce dernier, bien qu'ensanglanté et tout couvert de la boue dans laquelle on l'avait poussé, se fut levé en regardant droit et avec force devant lui. Le bourreau, sentant sa défaite, cracha derrière l'homme qui s'éloignait en chancelant. Il y avait des jours où les Allemands pompaient de nous toutes les forces dans un travail qui dépassait la mesure d'une résistance humaine. Ça valait la peine de voir alors l'admiration qu'ils ne savaient pas cacher pour les femmes qui, malgré leur fatigue, chantaient d'un air provocateur. Tout en se sentant compromis, ils entraient en fureur lorsqu'une colonne de détenues se taisait malgré l'ordre : « Ein Lied ! » (Un chant !) ou bien entonnait un chant en polonais. Ils se vengeaient en nous forçant à marcher à travers la pire boue, mais même alors, ils ne réussissaient pas à se faire obéir. Je me souviens encore d'une autre défaite allemande. C'était à Pâques 1944, le commandement du camp nous avait ordonné un travail très sale et inutile pour se moquer de nous, le travail qui consistait à transporter d'une place à l'autre dans la grange un tas de son. La poussière nous brûlait la figure, couvrait nos vêtements, coupait la respiration et malgré cela, les femmes, entra vaillant avec une lenteur voulue, chantaient Alléluia et d'autres chants de Pâques. Malgré les terribles tenailles qui nous enserraient, plus d'une fois notre résistance collective et spontanée se manifestait à quelques occasions de moindre importance, explosant comme un feu allumé par une étincelle qui partait de l'œil d'une de nos compagnes de misère; elle se manifestait par la crampe de nos mâchoires, par un geste d'un poing serré. Ces actes de résistance surprenaient tellement les Allemands que souvent ils ne savaient y réagir dans leur rage impuissante qu'en laissant exploser leur colère et distribuant quelques coups à ceux qui leur tombaient sous la main.(…) Ne voulant pas provoquer la bête sans nécessité, nous évitions consciemment de regarder de leur côté, nous arrêtions les sourires sur nos lèvres, nous cessions nos conversations, car les Allemands supposaient toujours être l'objet de nos moqueries. Ils s'approchaient alors de nous et nous demandaient ce que nous leur voulions. Les Allemands faisaient preuve d'une extraordinaire susceptibilité, aussi se sentaient-ils très mal à leur aise lorsque les circonstances les mettaient en présence d'un prisonnier que, pour une raison ou une autre, ils ne pouvaient pas frapper. C'est seulement quand ils battaient les détenus ou procédaient à une « sélection » en vue de l'envoi au four crématoire, qu'ils reprenaient leur assurance et avaient le sentiment d'agir en « race des seigneurs ». Et cependant, malgré l'écrasante terreur physique et morale, une lutte continuelle couvait, le combat se poursuivait contre les violences et pour la dignité humaine, pour le battement honnête du cœur humain, pour la conservation de la vie physique. Cette résistance n'était pas toujours organisée, n'était pas toujours celle de masse, même quand elle était spontanée, mais si la collectivité n'y prenait pas toujours part, elle existait toujours comme une résistance individuelle. Elle n'oubliera probablement jamais, Sala K..., les coups de poings que les SS faisaient tomber sur sa figure pour s'être baladée dans le camp après le couvre-feu, quand elle portait à une camarade habitant une autre baraque une chemise chaude volée au magasin. (…) Sala avait sa propre philosophie de la vie au camp. Elle estimait que les Allemands ne pouvaient jamais nous humilier, nous faire injure, même lorsqu'ils cassaient nos dents à coups de poings; car les êtres humains se considèrent-ils comme insultés par un chien qui les mord ? Suivant Sala, l'honneur d'une détenue n'était vraiment atteint que lorsqu'elle devenait soumise et servile à l'égard des autorités allemandes. Sala serrait rarement ses mâchoires de colère; au contraire, elle rayonnait de sérénité en puisant sa sagesse et son calme dans sa foi profonde en l'homme. Y avait-il dans la baraque 2 B des femmes qui n'eussent pas connu Sala, la blanchisseuse de Cracovie, qui eussent ignoré qu'elles trouveraient toujours auprès d'elle, dans chaque misère, conseils et secours, car Sala n'avait jamais besoin de grand-chose pour elle et elle trouvait toujours quelque chose pour d'autres. Mais elles étaient rares, les femmes que Sala honorait de son amitié. Extrait de Pelagia Lewinska, Vingt mois à Auschwitz, Nagel, 1945, pages 184-189 « Créer un monde à eux, fermé à l'ennemi, un monde humain » À cette époque, la rentrée des Kommandos au camp remplaçait l'appel du soir. Pour qui venait de Buchenwald, c'était une fête véritable. Ne pas avoir à supporter deux ou trois heures d'appel sur la grand-place ! Le maigre morceau de pain était vite avalé et alors, jusqu'à neuf heures du soir, il était possible de se promener sur la place, d'aller d'un Block à l'autre en quête d'amis. Une vie de société s'ébauchait. Les contraintes si cruelles à Buchenwald, se relâchaient ici quelque peu. Le repos était plus grand à ces visites, à ces propos toujours rompus et repris, qu'à s'étendre tout de suite sur sa paillasse dans l'atmosphère empestée et dans le tumulte du Block. J'allai ainsi avec René voir les Belges au [Block] 18. Ils étaient réunis à la même table, des livres ouverts devant eux. Je gardais de cette rencontre une impression saisissante. Ces hommes, qui avaient vécu la misère et l'angoisse incomparables des premiers jours de Neuengamme, qui ne dénombraient plus les cadavres de camarades, qui continuaient à être dans ce monde concentrationnaire sans issue raisonnable, où toutes les chances de destruction demeuraient assemblées, ces hommes avaient réussi à force d'obstination et d'audace, en pariant de toute leur puissance de vie contre le destin, à créer un monde à eux, fermé à l'ennemi, un monde humain. Ils s'écartèrent pour me faire place. Ils étaient aimables, polis. Ils m'offrirent sans plus de m'aider. Cependant, ils parlaient peu, comme avares de mots. Ils écoutaient attentivement, et pourtant je devinais qu'ils écoutaient à peine. Ils s'étaient fait des choses et des gens de la société civile dont je venais une représentation qu'ils ne discutaient plus. Les problèmes et les émotions dont je parlais, qui avaient encore pour moi une fraîcheur, leur paraissaient lointains et souvent insoutenables. Ils avaient monté leur réseau d'informations. Ils portaient leurs jugements posément mais définitivement. Ils vivaient en circuit fermé et avaient perdu l'intérêt des réactions, des malaises et des forces de la société libre. Et c'était précisément le sens de leur résistance profonde que ce repliement sur eux-mêmes et sur leurs moyens stricts. J'étais pour eux un passant. Ils ne me rejetaient point. Ils m'accueillaient au contraire et m'offraient la richesse, leur expérience, non en discours, en actes précis, mais ils ne voulaient point se laisser troubler par moi. Je por-tais encore en moi un oxygène trop fort. Le moindre reflet du monde des hommes était comme une ivresse, et ils refusaient à cette saoulerie, sachant par expérience toutes les impatiences et tous les désespoirs qu'elle dégage et qui sont funestes dans le marais pestilentiel des camps. Pour avoir quelques chances de survivre, il fallait vivre en acceptant seulement l'univers concen-trationnaire. Rien d'autre n'existait plus. Si un jour la délivrance se réalisait, le temps et les moyens de vivre avec les hommes seraient aussi donnés. Quelle leçon, et de quelle importance pour moi, jamais dite, mais mon-trée dans les actes par ce petit groupe de Belges qui affir-mait silencieusement son indestructible volonté de vaincre ! Quelle affirmation contre la mort, calme et nue, faite seulement d'une conscience claire, d'une intelligence lucide de l'événement ! David Rousset, Les jours de notre mort, Editions du Pavois, 1947, (Hachette Littératures, 1993, pages 255-257) 3ème partie 3 Du triomphe de l’Homme (et du droit ?) Malgré des conditions de vie conçues pour empêcher toute solidarité entre détenus, ou les dresser les uns contre les autres, des actes individuels ou collectifs de solidarité ont pu exister. Le Développement des solidarités nationales Les premiers à s’organiser en groupe de résistance sont évidemment les détenus allemands pour qui les camps ont été ouverts. L’efficacité́ des mesures de coercition et la di culté à s’imposer face aux droit commun compliquent l’action clandestine des politiques. Les libérations, encore possibles avantguerre, contribuent également à fragiliser les groupes constitués. Ainsi, à Buchenwald, la résistance intérieure se structure vraiment à partir de septembre 1939 quand arrivent les Allemands considérés comme politiquement suspects arrêtés en masse au début de la guerre. Les SS profitent aussi des dissensions qui persistent entre les détenus allemands. Divisés au moment de la prise de pouvoir par les nazis, les communistes et les sociaux-démocrates allemands le sont souvent encore à la veille de la guerre. A Buchenwald, les communistes se méfient des sociaux-démocrates, à Dachau les communistes ont peu d’influence car ils ont été écartés des postes de responsabilité́ . Dans tous les camps, les dernières réticences sont levées à l’été 1941 et les détenus politiques allemands arrivent à coopérer au nom d’un front antinazi. Avec l’internationalisation des camps, les SS doivent trouver des interlocuteurs capables de transmettre les ordres et de leur rendre compte, donc comprenant l’allemand. Ils nomment aux postes de responsabilité́ des Allemands déportés depuis les pays où ils s’étaient exilés après l’arrivée au pouvoir d’Hitler ou des non-Allemands germano- phones (notamment des Tchèques et des Polonais). Des opportunités se présentent donc pour mettre en place des groupes nationaux en pro tant de l’appui de ces fonctionnaires détenus non-allemands. Evidemment, tous ne sont pas disposés à venir en aide d’une manière ou d’une autre à leurs compatriotes et beaucoup se révèlent aussi durs et détestables que leurs homologues allemands. Les SS savent par les multiples mouchards qu’ils soudoient que les organisations nationales peuvent s’avérer contre-productives pour les détenus. En e et, les SS s’évertuent à monter les nationalités les unes contre les autres comme ils ont poussé les droit commun à prendre le dessus sur les politiques. Les témoignages des déportés rendent compte de ces animosités, voire de ces haines, fondées sur la méconnaissance, le ressentiment ou l’instinct de conservation. Dans un premier temps, la tentation a existé de privilégier les intérêts nationaux et de trouver dans le rapprochement avec des compatriotes la protection indispensable à la survie dans le camp. Pourtant, dans un second temps, la nécessité́ d’unir toutes les forces dans un front commun s’est imposée parmi les détenus les plus lucides, les plus résolus et les plus entreprenants. L'amitié, la solidarité, la survie Tous les témoins insistent sur l'importance du moral et de l'entraide pour "tenir". La solidarité, matérielle et morale, fut bien souvent une victoire sur l'entreprise de déshumanisation engagée par les nazis, et un facteur déterminant de la survie. a/ L'entraide à Dachau Les détenus ont fait de gros efforts pour célébrer les fêtes, qui permettaient de briser le morne enchaînement des jours et d'empêcher l'atonie et le laisser-aller total. De multiples activités clandestines (comme la construction de petits objets ou l'expression artistique) constituèrent autant de résistances symboliques sur le régime concentrationnaire. b/ La fabrication d'objets au camp "Nous avons trouvé une nouvelle occupation. Nous fabriquons de petits objets : croix, croix de Lorraine, étoiles, et nos numéros surmontés du triangle rouge. Ces petits objets sont les cadeaux pour les jours de fête, des témoignages d'affection : nous ne sommes pas encore des bêtes.(...)Le tout, c'est d'arriver à voler le matériel : des boutons en Galalithe (interrupteur), car les manches de brosse à dents sont rares. Il faut surtout faire très attention de ne pas se faire prendre.(...)" Marie-José Chombart de Lauwe, Toute une vie de résistance, FNDIRP - éd. Graphein, 1998, p. 96. c/ Sauver les enfants : l'exemple du Block* des nourrissons à Ravensbrück Dans les camps aussi, des enfants naissent ; mais ils sont par avance condamnés. Pour les détenues s'engage alors une terrible et incertaine lutte : les sauver des SS*, les sauver du régime du camp. "En septembre 1944, je suis affectée à la Kinderzimmer (Block* des nourrissons), Block* 11. En effet, maintenant, les enfants naissent au camp. La Kinderzimmer est une pièce tout en longueur avec deux lits de deux étages superposés, une fenêtre au fond, une table, deux corbeilles, une armoire, un poêle, un lavabo... Marie-France, une petite française est née avant terme. Elle a maintenant presque deux mois. On dirait une petite poupée de cire, longue et si mince qu'elle n'a pas l'air d'un bébé. Sa maman fait l'impossible pour la sauver, mais vivra-t-elle ? Peu probable. Presque tous les jours, on amène des nouveau-nés, assez beaux généralement, mais ils prennent rapidement l'aspect de petits vieux(...) La solidarité du camp alertée nous apporte un peu d'aide ; des chiffons pour faire des couches et dix petites bouteilles qui deviendront des biberons quand une infirmière courageuse vole une paire de gants du médecin-chef, dont les dix doigts deviendront dix tétines ..." Marie-José Chombart de Lauwe, Toute une vie de résistance, FNDIRP - éd. Graphein, 1998, p. 113. Conserver son autonomie et sa faculté de choix en situation extrême Les prisonniers qui [...] conservaient leur faculté de sentir et de percevoir, en prenant conscience de leurs réactions intérieures, même quand ils ne pouvaient pas les traduire en actes, survivaient [...]. ils se rendaient également compte de ce qui leur avait échappé tout d’abord, qu’ils conservaient la dernière, sinon la plus grande des libertés : choisir leur attitude dans n’importe quelle circonstance. Les prisonniers qui l’avaient pleinement compris s’apercevaient que c’était cela, et uniquement cela, qui constituait la différence cruciale entre préserver son humanité (et souvent la vie elle-même) et accepter de mourir moralement (ce qui entraînait souvent la mort physique) : conserver la liberté de choisir son attitude dans une situation extrême même si, apparemment, on n’avait aucune possibilité d’agir sur elle. Bruno Bettelheim, Le cœur conscient, Robert Laffont, 1972, pp. 214-215. (NB. Bruno Bettelheim désigne les détenus du système concentrationnaire par le mot « prisonniers ».) Rester des hommes Mais il n’y a pas d’ambiguïté, nous restons des hommes, nous ne finirons qu’en homme. La distance qui nous sépare d’une autre espèce reste intacte, elle n’est pas historique. C’est un rêve ss de croire que nous avons pour mission historique de changer d’espèce, et comme cette mutation se fait trop lentement, ils tuent. [...] C’est parce que nous sommes des hommes comme eux que les ss seront en définitive impuissants devant nous. C’est parce qu’ils auront tenté de mettre en cause l’unité de cette espèce qu’ils seront finalement écrasés. [...] et si nous pensons alors cette chose qui, d’ici, est certainement la chose la plus considérable que l’on puisse penser : « les ss ne sont que des hommes comme nous » ; si, entre le ss et nous – c’est-à-dire dans le moment le plus fort de distance entre les êtres, dans le moment où la limite de l’asservissement des uns et la limite de la puissance des autres semblent devoir se figer dans un rapport surnaturel – nous ne pouvons apercevoir aucune différence substantielle en face de la nature et en face de la mort, nous sommes obligés de dire qu’il n’y a qu’une espèce humaine. [...] tout ce qui place les êtres dans la situation d’exploités, d’asservis et impliquerait, par là-même, l’existence de variétés d’espèces, est faux et fou ; et nous en tenons ici la preuve, et la plus irréfutable preuve, puisque la pire victime ne peut faire autrement que de constater que, dans son pire exercice, la puissance du bourreau ne peut être autre qu’une de celle de l’homme : la puissance du meurtre. il peut tuer un homme, mais il ne peut pas le changer en autre chose. Robert Antelme, L’espèce humaine, Gallimard, 1957, pp. 228-230. En situation extrême, préserver des facultés secrètes La vie dans les camps de concentration était extrêmement complexe. La pression qu’exerçaient les ss pour obtenir l’obéissance, le conformisme, la soumission et les changements de personnalité de comportement était évidente. tous les efforts du prisonnier pour tenter de modifier la vie dans le camp, de lutter contre les changements psychologiques, de pallier les effets d’une adaptation forcée, devaient demeurer secrets. Bruno Bettelheim, Le cœur conscient, Robert Laffont, 1972, p. 235. 3ème partie 3 Du triomphe de l’Homme (et du droit ?) La résistance à la dégradation humaine a revêtu des formes diverses, montrant chez beaucoup de détenus une volonté de rester des êtres pensants et de contrer les plans des bourreaux nazis : refus de collaborer au projet nazi, révoltes, recours à l’art, à la culture, à la spiritualité, etc. Je m'en tiendrai à certains aspects de la résistance au camp de Monowitz (Auschwitz 111) où je suis resté des premiers jours de janvier 1944 au 18 janvier 1945. Je n'ai été à Birkenau que durant 48 heures environ après mon arrivée le 26 juin 1943, d'où je suis parti à Jawischowitz, où j'ai été affecté à la mine. Les principaux faits concernant la résistance dans ce camp sont relatés dans « Jawischowitz, annexe d'Auschwitz ». J'ai été transféré de Jawischowitz à Monowitz grâce à la résistance qui était implantée à la Schreibstube (secrétariat général). Fort heureusement pour moi, en raison de mon état physique, un autre camarade, Victor Malik, arrivé le 15 août 1942, après son internement au camp du Vernet (France), m'accompagnait. Nous étions mutés à Monowitz comme spécialistes électro-mécaniciens! Nous aurions dû transiter par Auschwitz, où nous avions le contact avec le groupe de résistance. Mais nous sommes arrivés directement à Monowitz. En quarantaine! Premier écueil, grain de sable qui aurait pu nous être fatal. Puis-je rappeler que le principe premier dans un mouvement de résistance était de s'informer, afin d'alimenter la réflexion pour pouvoir informer et agir. A Monowitz, comme à Jawischowitz, la résistance était à l'affût de tous mouvements: arrivées ou départs. C'est ainsi qu'un inconnu de nous deux cherchant à s'informer sur et par les nouveaux venus (nous étions une dizaine) demande à Victor d'où il venait: « De France » lui répond-il. « Où étais-tu en France »? « Au camp du Vernet ». C'était le sésame ouvre-toi. « Es-tu seul? » « Non, je suis avec un jeune Français », « Son nom? » « Georges » (mon prénom clandestin lors de mon arrestation). Trois jours plus tard, j'étais alors en état de me déplacer, nous nous rendons dans un bloc après l'appel et nous rencontrons le premier inconnu et un second. Ils me posent deux questions: « Tu es bien Georges le Rouquin? » (c'était ma couleur de cheveux) et ensuite: « Tu avais un frère qui se prénommait Pierre? » (c'était le prénom clandestin de mon jeune frère Maurice, abattu le 10 mars 1943 lors d'une action de son groupe de résistance à Paris). Le 27 mars 1943, j'étais arrêté par la Brigade spéciale avec d'autres camarades de mon groupe dans la première affaire dite des jeunes de la M.O.I. Nos deux inconnus étaient Alfred Besserman et Idel Korman. Ils avaient été arrêtés dans la deuxième affaire M.O.I. de Paris en juillet 1943. La troisième affaire M.O.I. de Paris en novembre 1943 est plus connue par l'inoubliable « Affiche rouge ». Le contact était rétabli. Nous revenions à l'espérance, nous avions rétabli le chaînon manquant. Jusqu'en juin 1944, j'ai été affecté au Kabel Komando (des câbles), puis dans un autre, d'électromécaniciens, et enfin dans un de soudeurs. C'est dans ce dernier que j'ai pris contact avec un jeune Français de Lyon qui travaillait sur le chantier comme requis du S.T.O. Etablir le contact, bien sûr nous parlions la même langue, nous étions du même âge. Mais lui était en civil et moi en rayé. A force de prudence et de ruse, je lui parle et lui fais une demande: « Peux-tu me procurer un crayon? » Etonné il me répond: « Oui, mais c'est bien la première fois qu'un rayé me demande autre chose que de la nourriture ». La glace était rompue, le lendemain il m'apporte un crayon et est d'accord pour prendre un courrier pour la France. Le surlendemain, je suis victime d'un accident sur le chantier de la Buna, encore un fil rompu. Je suis hospitalisé et mes activités prennent un nouveau cours. Je me rétablis et les camarades de la Résistance parviennent à me faire affecter à l'hôpital du camp, qui est devenu un des points où elle est le mieux ancrée. La quasi totalité des médecins sous l'autorité du Pr. Robert Waité (ancien Président du Comité international d'Auschwitz) nous est favorable. Le secrétaire Léo Stasiak, polonais juif arrêté en Pologne en septembre 1939, déporté à Buchenwald, est arrivé en août 42, ainsi que Ludwig Hess, gardien de nuit, allemand juif arrêté en 1935 et d'abord interné à Orianenbourg et Dachau, tous deux témoins au procès d'I.G. Farben en 1947 à Nuremberg. D'autres noms me reviennent peut-être parce que j'ai eu plus de rapport avec eux qu'avec d'autres, ce sont: Le Dr Cuenca, ORL venant de Grèce et qui m'hébergeait dans son bloc où la paillasse de mon châlit était pleine de linge organisé! (volé) dans le local de la désinfection jouxtant les baraques de l'hôpital. Noha Trajster, polonais juif et Karel Minc, tchèque juif travaillant à la cuisine du KB (Krankenbau: hôpital), Eric Markowitch, allemand juif, infirmier... Seuls Léo Stasiak et Noha Trajster sont encore vivants. Et ceux, innombrables, enfouis dans ma mémoire, combien sont-ils? En juin 1944, cela faisait un an de survie, c'était chose peu courante. Mon travail au KB me donnait toute latitude pour circuler dans le camp de jour comme de nuit, car je portais le brassard marqué H.K.B. Cette situation me permettait d'assurer la liaison entre les camarades de tous les blocs. En outre, mon travail officiel consistait à recueillir dans les baraques les rations alimentaires des déportés rentrant au KB au retour des commandos. Je redistribuais les rations des morts ou de ceux qui mourraient avant que celles-ci aient pu leur être remises, parmi ceux connus de nous et aussi à des inconnus lorsque nous avions réussi à récupérer assez de nourriture. Mais la source principale venait de la cuisine du camp dont le Kapo était un communiste allemand Zep, interné depuis 1933. Deux amis venant de Jawischowitz y travaillaient aussi, l'un Héliénitch, que j'avais connu dans ce camps, était un ancien volontaire des Brigades Internationales d'Espagne, l'autre, toujours vivant était arrivé blessé, un doigt arraché dans la mine, Maurice Livartowsky. Outre l'aide matérielle toujours insuffisante, la diffusion de l'information revêtait une importance particulière car elle pouvait être une source d'espoir. Pour l'essentiel cette information était verbale. Pourtant à deux reprises nous avons utilisé l'écrit, la première fois le 6 juin 1944 lors du débarquement en Normandie, la seconde fois après l'annonce de la libération de Paris le 25 août 1944. Nous avons rédigé à l'aide de papier carbone, pour ces deux événements, une feuille manuscrite à une dizaine d'exemplaires en français, allemand et polonais. C'est Ludwig Hess (gardien de nuit) et Léo Stasiak qui assuraient la veille à l'extérieur. La transcription a été assurée par Alfred Besserman pour le texte polonais et par moi pour la version française et allemande. Le rêve de chaque déporté c'était la liberté. Dès août 1942, l'organisation de la Résistance eut pour but de créer les conditions de l'évasion et pour ce faire, de tenter une liaison avec l'extérieur. Cette liaison a pu se réaliser grâce à un camarade polonais: Alfred Panic. Celui-ci était arrivé au camp en janvier 1943. Il était mineur, originaire de la région et avait travaillé à Bielchowice. Son cousin W. Kostka habitait Borowa Wiecz. Les deux Alfred Besserman et Panic furent affectés à un flack commando situé à plusieurs kilomètres à l'extérieur du camp, la garde était assurée par un réserviste âgé de la Wehrmacht. Nos deux camarades parvinrent à le circonvenir, mais il réclamait d'être dédommagé. Nous n'avions pas de valeurs. C'est grâce aux femmes du camp d'Auschwitz que nous avons pu nous en procurer. En juillet 1944, une ambulance avec une dizaine de femmes déportées et malheureusement atteintes de démence venaient pour subir un traitement par électrochoc (non mortels) qu'un médecin SS voulait faire pour sa thèse. Les Résistants avaient neutralisé cet appareil. Deux infirmières déportées les accompagnaient, elles sont encore vivantes, ce sont Rose Besserman, l'épouse d'Alfred, et Siporka Gontrik dont le mari Valdemar était également à Monowitz. Ce sont elles qui transportaient le « trésor de guerre (des bijoux) » et j'étais chargé de le réceptionner pour le remettre à un autre camarade à l'extérieur du K.B. Ce sont, narrés en quelques lignes, deux années d'effort, de ruse, de patience, de ténacité, de chance pour créer une liaison avec l'extérieur. Les événements se sont précipités, et le 18 janvier 1945 c'était l'évacuation. Nous n'avons pu durant le début de la marche de la mort organiser une évasion collective. Il nous fallait donc tenter l'évasion par petits groupes. Jusqu'à l'embarquement à Gleiwitz après 45 kilomètres de marche forcée et meurtrière, seuls huit camarades en quatre groupes de deux ont réussi à rejoindre la cache prévue chez W. Kostka, dont le nom figure dans la liste des Justes. Libres, nous étions libres. Huit survivants dont: un Allemand, Léo Hauser, décédé ; deux Français, Alfred Besserman, décédé, Samuel Radzynski ; cinq Polonais, Musceslaw Manelli, décédé, Alfred Panic, décédé, Roman, disparu, Leo Stasiak, Noha Trajster. Sur la tombe d'Alfred Panic figure cette seule inscription: ALFRED PANIC 19-10-1906 - 23-09-1986 KL. AUSCHWITZ Je ne tiens à glorifier personne ni à embellir aucune situation, mais je crois pouvoir dire que la plupart des résistants dans les camps l'étaient déjà avant d'être arrêtés. Si le fait d'être résistant est un engagement personnel, seul j'aurais succombé, broyé par la machine infernale et inhumaine du nazisme exterminateur. Samuel Radzynski, matricule 126170, La résistance dans les camps d'Auschwitz A partir de 1940, les camps de concentration s’internationalisent. Jusque-là̀ , ont été internés des détenus allemands ou autrichiens (que les nazis considèrent comme allemands). L’invasion de la Tchécoslovaquie, de la Pologne puis d’une grande partie de l’Europe amène la création de nouveaux camps (Gross-Rosen, Stutthof, Auschwitz, etc.) où sont envoyés les ressortissants des territoires occupés considérés comme des opposants ou des résistants. La part des Allemands ne cesse de diminuer pour atteindre moins de 10 % des détenus en 1944. A partir de 1942, la guerre se prolonge et ne tourne plus à l’avantage de l’Allemagne. Celle-ci est contrainte de mobiliser toute sa population masculine en état de combattre, ce qui provoque une pénurie de main d’œuvre alors que ses besoins en armements et en équipements ne cessent d’augmenter. Pour faire face, elle recrute des travailleurs volontaires ou impose le travail obligatoire dans les territoires occupés. Les camps de concentration deviennent à leur tour des réservoirs de maind’œuvre. Les Kommandos de travail se multiplient. Des camps secondaires, plus ou moins grands, sont ouverts à proximité́ d’usines ou de chantiers de construction. Dans toute l’Europe, la Gestapo arrête et dé- porte vers les camps de concentration afin de répondre aux besoins de main-d’œuvre. Les effectifs des camps gonflent très rapidement : 25 000 détenus en septembre 1939, 88 000 en décembre 1942, 224 000 en août 1944, 750 000 en janvier 1945. La création de l’Office principal d’administration et de gestion économique de la SS (ou WVHA) en février 1942 témoigne de cette évolution. Le 30 avril 1942, Oswald Pohl, chef du WVHA, écrit dans une lettre adressée au SS Reichsführer Himmler : « La détention des personnes pour des motifs uniquement liés à la sécurité́ , à l’éducation ou à la prévention n’est plus prioritaire. Le centre de gravité s’est déplacé́ vers l’aspect économique. ». Le WVHA demande que les détenus soient en état de travailler et que la mortalité́ diminue. Quelques améliorations sont apportées entre l’été 1943 et l’été 1944 (notamment en matière de nourriture et de soins). Cependant, la fonction répressive des camps ne disparaît pas. La violence reste une pratique ordinaire pour l’encadre- ment SS. Par ailleurs, parce que les impératifs de production sont devenus essentiels, le sabotage, réel ou supposé, doit être sévèrement réprimé́ . Le WVHA demande en avril 1944 le remplacement de la bastonnade par la pendaison a n de dissuader toute action des détenus contre l’effort de guerre. Le besoin de combattants de l’Allemagne se traduit également par le remplacement des SS allemands les plus jeunes par de plus âgés ou par des SS d’autres nationalités, voire par des gardiens non SS. Souvent, les remplaçants adoptent les méthodes de leurs prédécesseurs, mais parfois ils manifestent un peu de compassion envers les détenus et se montrent plus cléments. En mai 1944, Hitler interdit que les hommes en mesure de combattre soient affectés à la surveillance des camps de concentration. A partir de l’été 1944, la situation se dégrade dans les camps de concentration. La pression s’accroît sur les déportés à mesure que progressent les armées alliées et que la de- mande d’armements et d’équipements pour l’armée allemande se tend. Alors que des conditions de travail de plus en plus éprouvantes sont imposées, les rations diminuent. Au printemps 1945, la situation est aggravée par l’arrivée des détenus des camps évacués devant l’avancée des armées alliées. Dans des camps à présent surpeuplés, l’insuffisance alimentaire et l’épuisement des organismes favorisent le déclenchement d’épidémies, en premier lieu de typhus, tandis que dans les territoires encore sous le contrôle des armées allemandes des convois de déportés errent en tous sens. Dans ce contexte catastrophique, des ordres contradictoires sont donnés : les déportés sont des otages qui peuvent servir de monnaie d’échange pour les uns, aucun détenu ne doit être retrouvé vivant pour les autres. Les gardiens adoptent des comportements imprévisibles. Certains se montrent plus ou moins bienveillants, espérant pouvoir compter sur le témoignage de détenus au moment de devoir rendre des comptes, d’autres font payer aux déportés la défaite de l’Allemagne nazie qui s’annonce. Lorsque les troupes alliées entrent en contact avec le système concentrationnaire, elles découvrent un univers chaotique où les survivants se distinguent souvent à peine des morts. Musique à l’initiative des prisonniers : création et clandestinité 1. Hymnes. Si certains hymnes résultaient de commandes de l’administration des camps (le commandant, un kapo), d’autres naquirent en revanche dans la clandestinité. Les auteurs du Chant de Dachau, le compositeur viennois juif et communiste Herbert Zipper et l’écrivain Jura Soyfer, composèrent ce chant de marche antifasciste en août 1938 dans le camp où ils avaient été déportés. Risquant la peine de mort en cas de découverte, les deux auteurs ne pouvaient le coucher sur le papier. Sa transmission aux autres détenus se t donc de bouche à oreille. Zipper ne put le noter qu’en 1939, après sa libération de Buchenwald, où il avait été transféré, et son émigration à Paris. Grâce à des prisonniers libérés, le Chant de Dachau fut également transcrit à Marseille par le compositeur viennois Marcel Rubin, luimême sur le chemin de l’exil. Jura Soyfer mourut du typhus à Buchenwald en février 1939. Le Moorsoldatenlied (Chant des Soldats du marécage), chanté dès l’été 1933 par les détenus politiques du camp de Börgermoor en Basse-Saxe, est l’exemple le plus connu de ces chants voulant rendre compte de la réalité de la vie des camps. Les paroles sont de Johann Esser, mineur, et de l’acteur et metteur en scène Wolfgang Langhoff, la musique de Rudi Goguel. Bien qu’interdit à plusieurs reprises par les SA, cet hymne se répandit dans les autres camps au fur et à mesure des transferts de prisonniers. La libération de certains déportés et leur exil permirent de le faire connaître en Grande-Bretagne. En 1937, il t l’objet d’une adaptation de Hanns Eisler et Bertolt Brecht pour le chanteur Ernst Busch. Si le répertoire chanté dans les camps est rarement original, mais se caractérise plutôt par la reprise de mélodies connues par les détenus avec un changement de paroles, il n’en demeure pas moins vrai que les circonstances de leur internement poussèrent certains déportés à composer eux-mêmes leur propre musique. Le violoniste polonais Jozef Kropinski (1913-1970) laissa ainsi plusieurs centaines de pièces, tangos, chansons, écrites à Auschwitz et Buchenwald. Le réconfort vint pour certains de la religion : dans le camp roumain de Targoviste, Zdenko Karol Rund composa une messe pour les détenus catholiques. Arrêté en 1943 par la Gestapo, le Père bénédictin Gregor Schwake (1892-1967), fervent critique du nazisme, fut déporté à Dachau. Il y composa en 1944 la Messe de Dachau qui fut exécutée pour la première fois dans le Block KZ26 (Block des prêtres) dont il tenait l’orgue de la chapelle. Josef Pinkhof écrivit à Bergen-Belsen des chants religieux hébraïques. Soucieux de soutenir le moral de leurs camarades, plusieurs compositeurs furent particulièrement prolixes pour entretenir en chanson un esprit de résistance. L’un des plus symptomatiques, Alexander Kulisiewicz (1918-1982), interné à Sachsenhausen, fut non seulement compositeur de centaines de chansons, sur ses propres textes ou sur ceux d’autres détenus, mais également parolier. « Dans le camp, dira-t-il, j’essayais en toute circonstance de créer des vers qui serviraient de reportage poétique direct. J’utilisais ma mémoire comme des archives vivantes. Des amis venaient à moi et me dictaient leurs chansons. » Après la guerre, Kulisiewicz dictera 374 chansons qu’il avait mémorisées, puis entama à partir des années soixante un monumental travail encyclopédique sur la vie culturelle des camps. 3. L’exemple du Verfügbar aux enfers à Ravensbrück. Le Verfügbar aux enfers, est une « opérette-revue » écrite par Germaine Tillion (1907-2008) au camp de Ravensbrück. Arrêtée en 1942, cette ethnologue et résistante y avait été déportée en 1943 dans un convoi Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard), destinée ainsi à disparaître sans laisser de traces. A partir de 1944, Germaine Tillion, cachée dans une caisse d’emballage, écrivit une satire sur les conditions de vie dans le camp, lisant tous les soirs à ses codétenues les scènes hilarantes racontant comment le Verfügbar - détenu sans affectation de travail et donc disponible à tout moment pour prêter main forte à un Kommando ou participer à des corvées – cherche par tous les moyens à échapper à ces dernières. Germaine Tillion poursuivait dans cet ouvrage un double but : soulager ses camarades de déportation et dresser un tableau de la société qu’avaient fabriquée les Nazis dans le camp. Le Verfügbar aux Enfers est un livret. Pour la musique, Tillion fait appel, outre à l’Orphée aux Enfers de Jacques Offenbach, à de nombreuses chansons et airs à la mode connus par les déportées. On retrouve pêlemêle Au clair de la lune, Les bateliers de la Volga, La Fille de Madame Angot, Mon légionnaire, des airs de Reynaldo Hahn, Norbert Glanzberg, Bruno Coquatrix... L’œuvre ne fut jamais présentée à Ravensbrück. A la libération du camp, le livret fut sauvé par une codétenue de Germaine Tillion et rendu à sa créatrice. La musique dans le système concentrationnaire nazi, Amaury du Closel La Marseillaise des Françaises à l'arrivée à Auschwitz Le convoi qui arrive le 27 janvier 1943 aux portes d'Auschwitz-Birkenau est composé de 230 résistantes françaises dont des responsables communistes comme Marie-Claude Vaillant Couturier et Danielle Casanova. Le voyage a duré trois jours. "Le train s'est arrêté dans le crissement de ses freins usés. Les portes à glissière ont été tirées. Des SS* accompagnés de chiens grondants escaladent les wagons, hurlant des "los ! los ! schnell ! schnell !". Les matraques volent tandis que les femmes, traînant leurs maigres bagages, sont rassemblées par rang de cinq. Le jour se lève à peine sur une plaine désolée qui fait immédiatement penser à Marie-Claude Vaillant Couturier, au chant des camps de concentration que ses amis allemands lui avaient décrits avant-guerre ... Des êtres humains aux cheveux coupés à la diable, très courts, avec des crêtes bizarres, apparaissent, vêtus de robes rayées bleu et gris. Quelqu'un murmure : - mais c'est un bagne ! Où sontelles donc ? Elles ont peur. Danielle Casanova regarde ses compagnes(...) Dans un souffle, elle dit : Raymonde , la Marseillaise ... Et Raymonde, de sa voix claire, entonne l'hymne de la liberté, aussitôt suivie par ses compagnes qui chantent à tue-tête. Les SS* sont médusés. Les Françaises passent la porte du camp. Manca Svalbova, médecin tchèque, était doctoresse au Revier*, l'infirmerie du camp. Un convoi de quelques 300 Zugänge (nouveaux venus), des femmes, était annoncé. D'où venaientelles ? On ne savait pas. Manca et ses camarades attendent. Tout à coup, elles n'en croient pas leurs oreilles : une Marseillaise puissante s'élève. C'est inouï au sens propre du terme : "Pour la première fois, nous respirons profondément, avec un goût de liberté", raconte Manca. "A Auschwitz - Birkenau, le chant des Françaises a eu un tabac. C'était une première. Il n'y aura pas de seconde fois"." Pierre Durand, Danielle Casanova L'indomptable, Paris, Messidor, 1990, pp. 167- 168. 3ème partie 4 Du triomphe de l’Homme (et du droit ?) Monuments et mémoriaux à la mémoire des victimes des génocides et de la déportation. Les mois qui suivent la libération sont décisifs pour la construction des premières strates d’une mémoire de la déportation. Différents acteurs y contribuent. Les institutions et partis politiques tentent de faire valoir l’unicité des crimes de guerre perpétrés par les nazis et des souffrances de l’ensemble des déportés, prisonniers et internés. Les commémorations, manifestations, expositions sont des temps forts de ce processus. Les associations de déportés tentent surtout d’apporter une aide aux rescapés. Passé le moment de la libération et du retour caractérisé par une véritable pulsion de témoignage et la publication des premiers récits, les survivants sont amenés à se taire pendant deux décennies. Les images diffusées par les Alliés pendant la guerre Premier maillon de la construction de la mémoire de la Shoah, la médiatisation de la libération des camps, à l’Ouest comme à l’Est, relève de la propagande de guerre. Les images et les informations produites visent davantage à accuser qu’à informer. Les rares clichés qui parviennent à la presse occidentale ne permettent donc guère de comprendre ce qu’a été la Shoah. LA STRATÉGIE DE MÉDIATISATION À L’OUEST Les journalistes sont invités à venir juger sur place de l’horreur concentrationnaire. Dans les camps où la résistance joua un rôle important, des comités de presse ont été créés par les déportés après la libération. En France, tant que la guerre se poursuit, l’information est soumise à la censure pour toutes les nouvelles concernant le sort des Français en Allemagne. Le gouvernement ne souhaite pas inquiéter l'opinion qui attend le retour de plus de 2 millions de personnes. Au printemps 1945, les informations en provenance d’Allemagne affluent soudain alors que rentrent les premiers déportés. Les médias, et notamment la presse, y consacrent une large part et contribuent à fixer une première image de la déportation. Au rythme de l’actualité, la presse révèle à l’opinion l’existence des camps dans des articles mêlant émotion et révolte. L’information, rarement précise, ne distingue guère les différentes catégories de déportés tandis que les camps sont assimilés les uns aux autres. Les photographies permettant de les illustrer sont souvent considérées comme interchangeables. LA STRATÉGIE DE MÉDIATISATION À L’EST Après avoir médiatisé la découverte de Majdanek sans rien taire de l’origine juive des victimes, la communication relative à la libération du camp d’Auschwitz occulte cette dimension essentielle des massacres. La volonté d’informer cède donc le pas aux exigences de propagande : glorification de l’Armée rouge, dénonciation du fascisme, valorisation du martyre de l’Union soviétique moyennant l’assimilation des différents types de victimes. De fait, en janvier 1945, l’attitude du pouvoir soviétique à l’égard des Juifs a changé. Le soutien des communautés juives occidentales apparaît comme moins nécessaire tandis que l’Union soviétique entend faire valoir son propre sacrifice à la table des négociations. La pédagogie de l’horreur Dans de très nombreux camps des visites furent organisées par les Alliés à l’intention des civils allemands et autrichiens. La volonté d’informer, voire de rééduquer, s’accompagnait souvent d’une pulsion de vengeance. Certains charniers furent laissés délibérément en l’état. Des rescapés furent mis à contribution pour témoigner. La volonté punitive conduisit souvent les Alliés à exiger des Allemands de participer à l’exhumation ou à la mise en bière de restes humains. Les scènes de « pédagogie de l’horreur » furent photographiées et publiées par la presse, avec des commentaires accusateurs aux accents parfois vengeurs. LE FILM COMME PREUVE Dans la « pédagogie de l’horreur », les images animées occupent une place très importante. Chez les Américains, des unités spéciales sont organisées au sein des forces armées, comme la SPECOU (Special Coverage Unit), afin de couvrir les différents épisodes de la guerre, et notamment la libération du Vieux Continent. Ces unités ont aussi pour mission de recueillir des preuves des crimes commis par les nazis, mission qui va devenir prépondérante après la découverte des premiers camps de concentration. Des hommes comme Samuel Fuller, George Stevens aux États-Unis, ou Sidney Bernstein en Angleterre, vont réaliser les premiers documentaires qui seront notamment utilisés à Nuremberg ou dans le cadre de la rééducation politique des pays occupés. Du côté soviétique, les réalisateurs de l’armée rouge, chargés d’alimenter en images les actualités de guerre, ont été confrontés de manière encore plus précoce à la mort de masse : d’abord celle de la « Shoah par balle » puis dans la découverte des camps d’extermination, presque entièrement vidés de leurs occupants. Si l’objectif n’est pas exactement le même, dominé d’abord par le souci de mobiliser la nation contre les exactions nazies, ces documents progressivement mis au jour depuis l’ouverture des archives soviétiques au début des années 1990 contribuent à renouveler et à enrichir les recherches sur l’épisode des libérations. 3ème partie 4 Du triomphe de l’Homme (et du droit ?) Charte des Nations unies, déclaration universelle des droits de l’Homme. Après avoir débattu depuis le mois d'avril du projet de texte, les cinquante États présents à la Conférence de San Francisco signèrent, le 26 juin 1945, la Charte des Nations unies. La Pologne se joindra à eux, devenant ainsi le cinquante et unième membre fondateur de l'O.N.U. Mais, avant cette ultime Conférence, les grandes lignes de la future charte avaient été adoptées par les États-Unis, l'U.R.S.S., la Chine et le Royaume-Uni. Ces puissances avaient proclamé leur intention de créer une organisation internationale chargée de préserver la paix dans la Déclaration de Moscou du 30 octobre 1943 ; elles en avaient esquissé le schéma d'août à octobre 1944, réunies à Dumbarton Oaks, et elles avaient réglé les derniers points litigieux à Yalta (3-11 févr. 1945). C'est au cours de ces négociations, dont la France était absente, que fut réellement élaboré le texte de la Charte, même s'il ne devait être formellement adopté qu'à San Francisco. Encore fallait-il que la Charte recueillît un certain nombre de ratifications pour entrer en vigueur : cette formalité sera accomplie le 24 octobre 1945. Formellement, la Charte des Nations unies est un simple traité international ; mais celui-ci contient deux types très distincts de dispositions. D'une part, la Charte forme la « constitution » de l'Organisation des Nations unies ; elle décrit ses principaux organes et leurs règles de fonctionnement. D'autre part, elle énonce un certain nombre de règles de conduite dont le respect par les États membres assurera la paix et la sécurité internationales. Théoriquement, ces règles ne lient que les membres de l'O.N.U. ; mais la vocation universaliste de l'Organisation devait assurer leur respect par toutes les entités formant la Communauté internationale. Encyclopedia Universalis Texte fondateur de l'Organisation des Nations unies, signé le 26 juin 1945 à San Francisco et entré en vigueur le 24 octobre 1945. 1. Origines Le texte de la Charte des Nations unies est le fruit d'un long processus. Ses grandes lignes ont été esquissées par les représentants de la Chine, des États-Unis, de la Grande Bretagne et de l'Union soviétique lors de la conférence de Dumbarton Oaks, du 21 août au 7 octobre 1944, afin d'organiser la sécurité collective après la Seconde Guerre mondiale. Les derniers points litigieux ont été réglés à la conférence de Yalta (4-11 février 1945) : c'est au cours de ces négociations, dont la France était absente, que le texte de la Charte fut réellement élaboré. Il est formellement adopté par les 50 États présents à la conférence de San Francisco (25 avril-26 juin 1945). La Pologne, non représentée à la conférence, signera la Charte plus tard, mais est néanmoins devenue l'un des 51 membres originels. 2. Composition La Charte est l'instrument constitutif de l'Organisation des Nations unies (ONU). Elle décrit ses principaux organes et leurs règles de fonctionnement : Assemblée générale, Conseil économique et social, Conseil de sécurité, Conseil de tutelle, Cour internationale de justice (CIJ), Secrétariat. Elle fixe les droits et les obligations des États membres. Elle comprend 111 articles regroupés en 19 chapitres auxquels se rajoute le statut de la Cour internationale de justice (CIJ). 3. Buts et principes Les buts et les principes de l'ONU, définis dans les premiers chapitres, sont les suivants : – le maintien de la paix et de la sécurité internationale ; – le développement des relations amicales entre les nations ; – la coopération internationale et le développement des droits fondamentaux de l'homme. À cet égard, la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par l'Assemblée générale réunie à Paris le 10 décembre 1948, demeure le texte de référence. L'attachement aux libertés fondamentales, aussi bien de l'homme (« respect universel et effectif des droits de l'homme, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ») que des peuples (égalité des droits et droit à disposer d'eux-mêmes), est explicitement proclamé. Le principe de base qui est affirmé dans la Charte est l'égalité souveraine de tous les membres. Néanmoins, un droit de veto est reconnu de fait à chacun des cinq membres du Conseil de sécurité. Toutefois, pour préserver la souveraineté des États membres, la Charte proclame le principe de noningérence et interdit à l'Organisation d'intervenir dans des affaires qui ressortissent à la compétence nationale d'un État. Lorsque leurs intérêts seront en jeu, les États ne manqueront jamais d'invoquer avec vigueur cette notion de « compétence réservée », dénonçant l'interventionnisme de l'Organisation (par exemple, lors de la décolonisation ou des guerres de libération nationale). Aussi, il appartient à l'Assemblée générale ou au Conseil de sécurité de définir cas par cas les situations justifiant une intervention internationale. Depuis les années 1990, le droit d'ingérence à finalité humanitaire est officiellement reconnu. Les membres s'engagent « à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ». Aussi affirment-ils la nécessité d'une coopération internationale appelée à résoudre les problèmes d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire. C'est ainsi que se fait jour l'idée d'un droit social international. Le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi, les conditions de progrès et de développement figurent parmi les objectifs de l'Organisation. On estime que le renforcement de la solidarité entre les États permettra de doter la communauté internationale des moyens destinés à assurer à chacun de ses membres le bien-être économique et social, remédiant ainsi aux inégalités de développement. La Charte ne se limite donc pas à une déclaration abstraite de principes politiques ou humanitaires, mais elle met également l'accent sur le contexte nécessaire à leur épanouissement, d'où la création d'un système économique et social de l'ONU, sans équivalent dans le pacte de la SDN. 4. Admission Selon la Charte peuvent devenir membres de l'ONU tous les États pacifiques qui acceptent les obligations de la Charte, et qui sont jugés capables de les remplir par l'Organisation elle-même. 5. Langues La Charte mentionne la liste des langues officielles de l'Organisation : l'anglais, le chinois, l'espagnol, le français et le russe. L'arabe a été rajouté à la liste des langues officielles de l'Assemblée générale, du Conseil de sécurité et du Conseil économique et social. 6. Révisions La Charte peut être amendée à la suite d'un vote à la majorité des deux tiers des membres de l'Assemblée générale, avec ratification par les deux tiers des membres de l'Organisation, y compris les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. La Charte n'a guère évolué depuis 1945 : seules trois révisions mineures sont intervenues en 1963, en 1965 et en 1971 pour tenir compte de l'élargissement du nombre des États membres. Larousse 3ème partie 4 Du triomphe de l’Homme (et du droit ?) La désappartenance Après la guerre, l’urgence de la cause commune a, semble-t-il, occulté pour longtemps encore, la singularité de l’événement génocidaire. A l’idéologie nazie va répondre une autre idéologie, celle de la lutte contre le fascisme. On sait que le recours à l’idéologie survient quand un groupe, naturel ou social, est dans une situation de crise ou de souffrance, due à l’effondrement catastrophique d’une certitude fondamentale. Pour René Kaës, en se soumettant à l’idéologie proposée comme Moi idéal, le sujet s’assure d’un étayage qui ne lui fasse plus jamais défaut, et qui le protège d’un nouvel effondrement. Il conclut avec son groupe – restreint ou élargi – un pacte inconscient et implicite, pacte dénégatif fondé sur un renoncement à la pensée élaborative et à l’individuation. Ce pacte autour de l’idéologie et des objets idéaux fonctionne alors comme un objet total, garant de la cohésion du groupe, et réducteur d’une différence ressentie par le sujet comme menaçante. On comprend mieux pourquoi la période d’après la seconde guerre mondiale a donné naissance à tant d’idéologies réparatrices. La catastrophe psychique dont la Shoah demeure le paradigme a réactivé un besoin en formations intermédiaires, créatrices de liens. C’est ainsi qu’au nom de l’universalisme, – idéologie du lien par excellence –, les survivants se sont vus proposer une sorte de pacte dénégatif : leur réintégration complète à la communauté humaine en échange du silence sur des événements que cette même communauté ne pouvait encore affronter. Ainsi, pendant les longues années de latence qui ont suivi le retour des survivants, la société s’est-elle organisée autour d’un pacte dénégatif, indispensable à son recouvrement. Dans le même temps, ce contrat laissait dans l’ombre tout un pan de l’histoire, reste « intraitable » que les parties contractantes s’engageaient tacitement à ne pas évoquer. Quel est ce reste intraitable, sinon la honte de la Shoah, que la société européenne ne pouvait élaborer ? Comme tous les rescapés, Antelme aura du mal à se faire entendre, et plusieurs années passeront avant que son livre ne trouve le public auquel il s’adresse; cependant, tous ses écrits témoignent d’une aptitude remarquable à conserver le lien identificatoire à l’autre, sous la forme de l’ami, du compagnon de détention ou de lutte. Pour lui, le retour ne signifie pas la continuation de la désappartenance : au contraire, il marque le retour à soi-même via le groupe dont il partage les valeurs, la langue et même l’espace géographique. Le partage d’un idéal qui lui a permis de survivre au camp continue de lui assurer une survie psychique et soutient son écriture. Il s’agit là d’un étayage idéologique fondé sur l’ideal du Moi, objet narcissisant qui protège le sujet des menaces de désintégration éprouvées suite à la défaillance de l’environnement. Pour Améry, l’étayage sur l’idéologie n’a pu remplir sa fonction d’intermédiaire dans le rétablissement d’un contenant de pensée. Pourtant, pendant les vingt années qui ont suivi sa libération, Améry adhère lui aussi à un idéal qu’il croit salvateur. Lui aussi trouve dans la philosophie et la lutte politique une façon de vivre qui, croit-il, lui permet de réintégrer le groupe de ses semblables. Mais l’illusion d’avoir surmonté l’insurmontable cesse au moment où il se penche à nouveau sur son passé, et commence sa réflexion sur Auschwitz, rompant ainsi avec la stratégie d’évitement qui avait été la sienne jusque-là. Le Améry de Par-delà le crime et le châtiment croyait encore aux possibilités du sens et de la raison. La rencontre avec Sartre et l’existentialisme lui avait fait entrevoir une façon supportable d’être luimême après Auschwitz, en lui rendant sa liberté perdue. Pour lui, l’exercice méthodique de la pensée pouvait prétendre rendre compte de la démolition subie par la victime, et la langue était encore cet outil clair et précis capable d’éclairer la sombre expérience du camp. Mais cette foi dans le pouvoir rédempteur de la pensée s’est effritée au fil des années : lui qui croyait en l’existence d’un moi souverain, maître du sens et du langage, s’est heurté à l’aporie de la mise en mots, mais surtout, à l’impossibilité de retrouver le chemin du groupe. Le groupe auquel s’adresse Améry, c’est le groupe des Allemands, dont il est issu, et avec qui il veut entamer un dialogue dont il espère qu’il aboutira à une demande de pardon, par un examen rigoureux des responsabilités. Or, écrit-il, « aucune lumière véritable n’est faite sur l’éruption du mal radical en Allemagne », et son espoir de voir l’histoire se moraliser s’éteint chaque jour un peu plus, devant les résurgences de la violence d’état dont il est le témoin impuissant. Le peuple allemand reste sourd à ses appels, et Améry se mure dans la solitude. Comme Lefeu, le héros de son dernier roman, Améry est un être que le souvenir travaille, et qui a choisi de ne pas guérir de son mal, mais au contraire de s’y abandonner. Lefeu, de son vrai nom Feuermann, est un peintre allemand, installé à Paris, dans un immeuble promis à la démolition, Il s’acharne à demeurer dans cet immeuble, situé rue Roquentin, en référence au héros sartrien de la Nausée. Dans l’attitude nihiliste qui le caractérise, on reconnaît aisément, poussée à l’extrême, la devise personnelle d’Améry : le direnon, qui le fait se terrer dans son antre, révolté par le climat d’hypocrisie culturelle et politique de son époque qu’il appelle « la décadence clinquante ». Alors que tout le presse d’oublier, Améry, comme sa créature, se mue en gardien de la mémoire, Shylock pathétique, éternellement frustré de sa livre de chair. Cette culture du ressentiment va le conduire à s’épuiser, seul, hors du groupe, quand d’autres choisissent de pardonner et ainsi, de recommencer à vivre. Car le ressentiment est aussi refus de l’avenir : en disant non au pardon, en devenant, selon ses propres termes, « esclave de ce ressentiment », Améry sait qu’il dit non à la vie. L’idéologie du ressentiment est devenue l’allégeance destructrice à un Moi Idéal féroce. Pressé par tous ses morts de parler, Améry continue donc à témoigner, mais s’englue petit à petit dans les contradictions de l’écriture testimoniale. Ecriture sous conditions, elle oblige l’écrivain à des torsions du langage et de la raison chaque fois plus difficiles. Faute d’être contenue par le groupe, la pensée du négatif se déchaîne ici, faisant retour sur le sujet, livré seul à la honte qui l’enveloppe, telle une tunique de Nessus. Le meurtre sans passion qui a fondé le projet nazi l’avait anéanti : l’indifférence des Allemands d’après la Shoah a achevé de le détruire. Le ressentiment était encore une façon de sentir lié à l’autre, et la vindicte un moyen de maintenir le lien objectal. L’absence de réponse du peuple allemand est vécue comme un ultime abandon, qui vient redoubler le sentiment d’abandon ressenti pendant la persécution : « ainsi suis-je seul, comme jadis dans la torture », écrit-il, marquant par là son impossibilité à retrouver la confiance dans le monde. Même son appartenance juive ne peut lui fournir de contenant : cette appartenance, qui a signifié pour lui la mort et l’exclusion, continue d’être vécue sur le mode de la désappartenance. Né à Vienne dans une famille assimilée, il ne se considérait pas comme juif avant que les lois raciales ne le désignent comme tel. Dès lors, revendiquer son judaïsme devient pour lui un impératif moral, un de ces actes de dignité sans lesquels il ne peut continuer à vivre. Puisque les nazis l’ont défini comme non-Aryen, il sera donc un « Juif non non-Juif », selon sa formule où l’ironie le dispute à la douleur. Plus rien ne fait obstacle à la déliaison, à laquelle le travail de la pensée ajoute son poids de négativité : l’effort pour penser le négatif est un effort désobjectalisant, réfractaire à toute liaison, qui se retourne contre le sujet. Chez Améry, on rencontre un intellect pur, privé de la part affective, amputé de lui-même. Cela se rapproche tout à fait de ce que Ferenczi décrit comme la forme particulière d’intellect résultant du traumatisme extrême, « phénomène secondaire, compensation à la paralysie psychique née de la sidération ». Le Feu signe donc l’aboutissement du processus de mélancolisation de la pensée dont l’œuvre d’Améry témoigne. A défaut d’avoir pu expulser hors de lui les signifiants empoisonnés, Améry les a retournés contre lui, avec toute la violence qui était la sienne. Améry pensait contre la société, la mode, les convenances, mais il s’agissait toujours d’un appel à l’autre, d’abord l’Allemand, mais aussi l’intellectuel, l’honnête homme de son temps. Désormais, il pense contre lui : son moi observateur s’est mué en un moi persécuteur implacable et l’idéal romantique d’auto-observation a laissé place à une entreprise de démolition systématique. Le héros de son livre a raté son suicide : Améry réussira le sien, réalisant par là ce qu’il avait annoncé maintes fois. Des lumières à l’obscurité … Robert Antelme et Jean Améry, deux itinéraires par Régine Waintrerer, Paris La violence de l’héritage et du témoignage est soulignée par Philippe Bouchereau qui voit dans l’acte de témoigner la possibilité d’un retour à l’humanité, en se réappropriant sa propre mort et en passant outre la désappartenance génocidaire : « Le rescapé souffre d’une éternelle déliaison avec la mort. Sa mort ne lui appartient pas. La mort est, pour lui, un impossible. La mort a cessé d’avoir un sens existentiel. D’où la mort volontaire, le silence et le témoignage comme reprise de l’existence sur la négation de la mort. Cette reprise constitue aussi bien l’émergence du désespoir. » À la condition de survivant est liée cette désappartenance, « l’intranquillité désespérante d’être un être revenu. Le retour, ce possible impossible bien que réel, demeure éternellement impossible en l’esprit. » Le rescapé est en marge de l’humanité et son retour exige une réappartenance qui se manifeste, d’après Philippe Bouchereau, « sous la forme du silence du moi ou de la mort volontaire ou du témoignage. » Ce n’est pas l’événement génocidaire qui est source de désespoir mais le témoignage qui transforme l’événement en phénomène. Le retour à l’humanité se lit dans le témoignage et peut être interprété dans le même temps comme un retour à la violence. Il faut penser le génocide comme événement et le méditer comme phénomène parce que la méditation «du témoignage témoignant de l’incompréhensible univers de la désappartenance », la méditation de ces « récits porteurs de sens, le sens du retour à l’humanité » constitue la seule réponse possible, et par conséquent la responsabilité de l’héritier : « Tel est, au fond, le sens terrifiant du témoignage : transmission de l’angoissant désespoir. L’enjeu décisif du témoignage correspond à une réalité profonde qui ne se manifeste pas. De la sorte, nous comprenons le sens hermétique du récit comme ressouvenir du désespoir pour le rescapé et comme reprise du sens du ressouvenir pour l’héritier. » Le retour doit être médité dans le témoignage : La méditation a pour objet le sens du récit du retour à l’humanité de l’humain. Le sens que nous comprenons dans le témoignage n’est pas le processus de désappartenance, mais le retour, par la parole donnée, de l’humanité de l’humain. Le témoignage est réappartenance. Il fait venir au jour la réappropriation par l’individu de son humanité. Fait sens pour la réappartenance quand la désappartenance demeure toujours, et de façon non-énigmatique, un non-sens, un anti-sens. Pour nous, nous qui sommes les héritiers, l’expérience que nous pouvons faire est celle du récit. Reste que le retour du rescapé ne donne rien d’avance. Le rescapé peut garder le silence. Nous sommes suspendus au retour de la parole possible. La représentation de l’écrivain face à l’Histoire dans les récits d’Antonio Tabucchi et d’Imre Kertész : une littérature responsable, Gabrielle Napoli, 2010 Tournant testimonial, tournant moral Un des traits de singularité du génocide des Juifs est d’avoir donné lieu à un nombre immense de témoignages, pendant l’événement et après, mais aussi d’avoir produit une grande quantité de documents, et donc d’archives utilisables par les juristes et les historiens. La destruction du témoignage épistémique a donc pu être « compensée » par le recours à d’autres sources, tandis que les autres dimensions du témoignage s’exprimaient, entre autres, à travers les récits personnels de victimes et de rescapés. Le mythe d’un prétendu « silence » des rescapés a longtemps servi de paravent à la volonté de ne pas savoir, qui prospère notamment dans les écarts entre la mémoire « interne » de la communauté atteinte et la mémoire de ceux qui n’ont pas été directement touchés, d’une part, et entre la mémoire « communicative », immédiate, de la génération des acteurs de l’événement, et la mémoire « collective », s’inscrivant sur une plus longue durée. Si l’on en croit la lecture d’Annette Wieviorka dans L’Ère du témoin, ce n’est que le détour du droit, à travers la tenue d’un procès hautement médiatique (celui d’Adolf Eichmann en 1961) qui permet que soient véritablement entendues les voix des témoins en place publique et donc à l’extérieur de la communauté atteinte, y compris les voix de ceux qui, déjà bien avant le procès, se sont fait entendre par le témoignage écrit, littéraire ou non. Mais c’est sous l’impulsion conjointe de la publication d’un grand nombre de textes testimoniaux – issus de la Shoah et des camps nazis –, de certains films documentaires donnant à voir les témoins et à entendre leur parole, et de la lecture qu’en ont proposé la philosophie dite « postmoderne » et la critique littéraire américaine et française, qu’on assiste à un double phénomène au cours des années 19801990 : la prise de conscience de la « crise du témoignage » à un moment où, parallèlement, le silence – même mythique – est enfin brisé et le témoignage entendu, à la faveur d’un « avènement du témoin » en grande partie préparé par les procédures judiciaires enclenchées dans les années 1960, ouvrant sur une « ère » ou un « âge du témoignage », une « ère du témoin » ou un « temps des témoins » et, plus largement, une « ère de la mémoire ». D’un savoir en crise à un savoir indiscipliné, Le statut du savoir de la victime de violence de masse dans les pratiques judiciaires et historiographiques, Aurélia Kalisky, 2015 3ème partie 4 Du triomphe de l’Homme (et du droit ?) Procès de Nuremberg et procès des médecins : leurs conséquences pour l’événement d’une justice internationale et d’une éthique médicale universelle. LE RÔLE DES PROCÈS La justice contribue également à la mise en place de jalons mémoriels. En août 1945, les alliés se sont accordés sur le principe d'un tribunal international militaire. Celui-ci jugera trois types de crimes : les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Les crimes contre l’humanité sont une innovation juridique importante. Ils caractérisent « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre pour des motifs politiques, raciaux ou religieux ». Le procès de Nuremberg, du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946, est une nouvelle occasion de revenir, dans les médias, sur les crimes perpétrés par les nazis et sur l’univers concentrationnaire. Plusieurs procès ont lieu aussi pour juger les responsables des camps. Ainsi, le procès de Belsen se déroule à l’automne 1945 dans la ville de Lüneburg. En Pologne, lors des procès d’après-guerre, deux concernent plus spécifiquement Auschwitz, en particulier celui contre Rudolf Höss, le commandant du camp. En France, la justice est passée lors d’une importante épuration judiciaire, mais deux lois d'amnistie votées en 1951 et 1953 vident les prisons des collaborateurs. L’heure est à l'oubli des fractures provoquées par la guerre. Cependant, en 1964, une loi déclare imprescriptibles les crimes contre l’humanité. Elle permettra l’organisation ultérieure de grands procès dans le contexte d’un réveil de la mémoire de la Shoah. Conformément aux engagements pris par les Alliés pendant la guerre, les principaux dignitaires du régime nazi sont jugés lors du procès de Nuremberg, du 18 octobre 1945 au 1er octobre 1946, par un Tribunal militaire international (TMI). À côté des notions de crime de guerre et de crimes contre la paix, le Tribunal définit un nouveau motif d’accusation : celui de crime contre l’humanité. Il n’y eut qu’un seul Tribunal militaire international tenu en vertu du statut de Londres et il ne connut qu’un seul procès : le procès de Nuremberg. Au terme des dix mois d’audience durant lesquels aucun des 21 accusés n’a plaidé coupable, onze sont néanmoins condamnés à mort et trois acquittés. Les autres subissent des peines d’emprisonnement allant de 10 ans à la perpétuité. Le génocide juif, pourtant évoqué tout au long du procès, est dilué dans la masse des crimes nazis. Le 20 décembre 1945, le Conseil de contrôle Allié adopte la Loi n° 10, qui permet de tenir des procès dans chaque zone de contrôle Allié sur les bases du Statut de Londres et de créer en Allemagne une base juridique uniforme pour les poursuites judiciaires contre les criminels de guerre autres que ceux jugés par le TMI. Seuls les Américains utilisent cette opportunité. Du 9 décembre 1946 au 14 avril 1949, douze procès sont instruits et conduits devant un Tribunal américain par le général Telford Taylor dans les locaux du palais de justice de Nuremberg. Ces procès sont connus comme « les procès de Nuremberg ». Le procès des médecins (premier procès), celui des Einsatzgruppen et celui de l’IG Farben ont particulièrement retenu l’attention des médias. Le procès des médecins nazis donne naissance à la définition d’une éthique médicale à travers le code de Nuremberg. La loi n° 10 est également appliquée pour les juridictions allemandes en RFA, qui font preuve d’une relative clémence. Le procès de Tokyo (12 novembre 1946-12 novembre 1948) est institué selon le Statut de Londres ; il est conduit contre les principaux criminels de guerre japonais par un Tribunal militaire international dominé par les Américains ; son jugement confirme et développe le droit de Nuremberg. La guerre et le droit de Nuremberg font naître l’espoir de la création d’un droit international. La convention pour la prévention et la répression du crime de génocide est adoptée le 9 décembre 1948 par l’ONU. L’Assemblée générale des Nations-Unies adopte à l’unanimité le 10 décembre 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme. Pourtant Nuremberg constitue une parenthèse juridique. Aucun moyen concret ne définit ces droits et la cour internationale chargée de juger les criminels ne voit pas le jour avant la création du Tribunal Pénal International en 1998. Des milliers de responsables du génocide passent à travers les mailles du filet de la justice, effet favorisé par la guerre froide. Le procès d’Adolf Eichmann qui se déroule en 1961 en Israël fait avancer la prise de conscience de l’importance du génocide et initie d’autres procès en Allemagne, en Pologne et en France. Mémorial de la Shoah Que furent les procès de Nuremberg ? Il n’y eut pas, après la guerre, un procès de Nuremberg mais deux séries de procès qui jugèrent les criminels nazis. Le Tribunal de Nuremberg fut créé le 8 août 1945 par l'Accord quadripartite de Londres (Royaume-Uni, URSS, Etats-Unis et France). La première série de procès s’ouvrit le 20 novembre 1945 et dura jusqu’au 1er octobre 1946. Il se tint devant le Tribunal Militaire International composé de représentants français, britanniques, soviétiques et américains. Furent alors jugés 22 responsables du parti nazi, de l’armée et de l’Etat qui avaient pu être capturés par les Alliés. Ces hommes devaient répondre de quatre chefs d’accusation : « plan concerté et complot » ; « crimes contre la paix », c'est-à-dire avoir décidé, préparé, organisé la guerre ; « crimes de guerre » c'est-à-dire avoir violé les règles de la guerre, en ayant par exemple exécuté des prisonniers de guerre, en n’ayant pas respecté les Conventions de Genève ; « crimes contre l’humanité » c'est-à-dire avoir organisé la déportation et le massacre systématique de populations désarmées, en particulier dans les camps de concentration et d'extermination. Douze des accusés furent condamnés à mort le 1er octobre 1946, dont Martin Bormann condamné par contumace, et Hermann Goering qui se suicida dans sa cellule le 15 octobre. Les dix autres condamnés furent pendus le 16 octobre. Il s’agissait de Hans Frank, Wilhelm Frick, Alfred Jodl, Ernst Kaltenbrunner, Wilhelm Keitel, Alfred Rosenberg, Fritz Sauckel, Arthur Seyss-Inquart, Julius Streicher, Joachim von Ribbentrop. Les autres condamnations furent les suivantes : Karl Doenitz : 10 ans Hans Fritzsche : acquitté Walter Funk : prison à vie Rudolf Hess : prison à vie, se suicida en 1987 à 92 ans. Erich Raeder : prison à vie Hjalmar Schacht : acquitté Albert Speer : 20 ans Konstantin Von Neurath : 15 ans Franz von Papen : acquitté Baldur von Schirach : 20 ans Furent également jugées 4 organisations déclarées criminelles : le NSDAP (le parti nazi), la SS, le SD (le service de sécurité du Reich), la Gestapo. La seconde série de procès, 11 au total, fut instruite entre le 9 décembre 1946 et le 13 avril 1949, devant le Tribunal Militaire de Nuremberg, établi par la Bureau du Gouvernement des Etats-Unis pour l’Allemagne. Les juges étaient américains mais le tribunal se considéra comme international. Cent quatre-vingt-cinq personnes environ furent inculpées, parmi lesquelles des médecins qui se livrèrent à des expériences médicales dans les camps de concentration, sur la personne de détenus et de prisonniers de guerre ; des juges qui commirent des meurtres et autres crimes sous les apparences d'une procédure judiciaire ; des industriels qui prirent part au pillage des pays occupés et au programme de travail forcé ; des officiers supérieurs SS ayant dirigé des camps de concentration, fait appliquer les lois raciales des nazis et mis en œuvre l'extermination des juifs et d'autres groupes dans les territoires de l'Europe de l'Est ; enfin, des hauts fonctionnaires civils et militaires qui prirent part à la politique du IIIème Reich. Un certain nombre de médecins et de dirigeants SS furent condamnés à la mort par pendaison. Cent vingt personnes furent condamnées à des peines de prison et trente- cinq accusés furent acquittés. Mémorial de la Shoah Les accusés : Premier rang, de gauche à droite : Hermann Göring , Rudolf Hess , Joachim von Ribbentrop , Wilhelm Keitel , Ernst Kaltenbrunner , Alfred Rosenberg , Hans Frank , Wilhelm Frick , Julius Streicher , Walther Funk , Hjalmar Schacht . Deuxième rang, de gauche à droite : Karl Dönitz , Erich Raeder , Baldur von Schirach , Fritz Sauckel , Alfred Jodl , Franz von Papen , Arthur SeyssInquart , Albert Speer , Konstantin van Neurath , Hans Fritzsche . l s'agit d'un procès organisé par les vainqueurs de l'Allemagne nazie, du 20 novembre 1945 au 10 octobre 1946. Le tribunal a été créé à Londres, le 8 août 1945. 24 personnalités nazies sont jugées. Ces hommes sont accusés de : « crimes contre la paix », c'est-à-dire d'avoir décidé, préparé, organisé la guerre, « crimes de guerre », c'est-à-dire d'avoir violé les règles de la guerre, en exécutant des prisonniers de guerre, par exemple, en ne respectant pas les Conventions de Genève, « crimes contre l'humanité », c'est-à-dire d'avoir organisé la déportation et le massacre systématique de populations désarmées, en particulier dans les camps de concentration et d'extermination. Les juges sont des Français, des Américains, des Anglais et des Soviétiques. Français Américains Anglais Soviétiques Lord Justice Henri Donnedieu Francis Général Geoffrey Juges de Vabres Biddle Nikitchenko Lawrence Colonel Assesseurs André Falco John Parker Sir Norman Birket Volchkov François de Sir David Menthon, Robert Maxwell-Fyfe, Général Procureurs puis Champetier Jackson puis Sir Hartley Rudenko de Ribes Shawcross Au cours de ce procès, 4 organisations sont déclarées criminelles (c'est-à-dire que le simple fait d'en avoir fait partie est un crime). Il s'agit des organisations suivantes : • le NSDAP (le parti nazi) • la S.S • le S.D. (Service de Sécurité) • la Gestapo (Police politique). Les avocats : Chaque accusé a choisi un avocat sur une liste où, en principe, ne figure aucun nazi. Les organisations criminelles ont eu des avocats commis d'office. Quelques noms : Le Dr. Alfred Seidl fut l'avocat de Rudolf Hess et de Hans Frank. L'avocat de Bormann était le Dr. Bergold et le Dr. Marx.l'avocat de Streicher. L'avocat de la défense de la S. S. était le Dr. Babel. Certains étaient des avocats de renom comme l'avocat de Schacht, le Dr Rudolf Dix, ancien bâtonnier de Berlin, ou Otto Stahmer, avocat réputé de Hambourh qui défendait Göring ou encore Hermann Jahrreis, professeur de droit international. Il furent écoutés et le président Lawrence les respectait, faisant preuve à leur égard d'impartialité. On peut dire qu'ils ont eu la parole dans des conditions de dignité et de justice, même si leur tâche n'était pas très facile. Le choix du lieu Les Alliés choisissent Nuremberg, car la ville a été un haut lieu du nazisme. C'est là que se réunissaient les Congrès du Parti nazi. C'est là que, dans de grandes mises en scène, les nazis paradaient dans le stade (voir photo ci dessous). C'est là que furent annoncées les lois racistes de 1935 appelées "Lois de Nuremberg". Par ailleurs, la ville avait conservé des locaux suffisamment en bon état pour permettre l'organisation du procès. Déclaration du procureur américain à l’ouverture du procès de Nuremberg Date: 21 novembre 1945 Cette déclaration d'ouverture du procureur général américain Robert H. Jackson a été prononcée le 21 novembre 1945, au moment où commençaient les travaux du procès de Nuremberg. Instauré après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, celui-ci avait pour but de juger les dirigeants nazis. Il aura des conséquences sur l'émergence progressive d'un droit international. Le privilège d'ouvrir la première audience du procès des crimes contre la paix mondiale entraîne une lourde responsabilité. Les méfaits que nous avons à condamner et à punir font preuve d'une telle vilenie et ont été si nuisibles que la civilisation ne pouvait se permettre de passer outre, parce qu'elle ne pourrait continuer à exister si jamais ils devaient se répéter. Que quatre grandes nations victorieuses mais lésées n'exercent point de vengeance envers leurs ennemis prisonniers, c'est là un des tributs les plus importants qu'une puissance ait jamais payé à la raison. Messieurs de la Haute Cour, Cette procédure, quoique nouvelle et expérimentale, n'est pas le produit de spéculations arbitraires. Elle n'a pas, non plus, été instituée pour justifier certaines théories juridiques. Ce procès est un essai pratique de quatre des plus puissantes nations, soutenues par quinze autres, d'employer le droit des gens pour faire face à la plus grande menace de notre époque : la guerre d'agression. La raison humaine demande que la loi ne réprime pas seulement les crimes commis par des sous-ordres, mais qu'elle atteigne aussi et surtout les chefs qui disposaient du pouvoir et l'ont employé délibérément à des fins de destruction et d'asservissement. Au banc des accusés ne figurent pas seulement ces vingt hommes accablés et accusés autant par l'humiliation de ceux qu'ils dirigeaient que par la misère de ceux qu'ils ont attaqués. Leur pouvoir personnel de faire le mal est à jamais écarté. A voir ces tristes personnages au banc des accusés, il est difficile de se les représenter au temps où, dirigeant le parti nazi, ils régnaient sur une grande partie du monde et en menaçaient le reste. En tant qu'individus, ils intéressent peu. Le procès des médecins de Nuremberg Aussitôt achevé le procès des grands criminels de guerre, c’est dans les mêmes lieux que la juridiction américaine entreprend de juger d’autres accusés, regroupés par professions ou fonctions : hommes politiques, industriels, médecins. Douze procès succèdent ainsi à celui des grands criminels de guerre. Le premier est celui des médecins, administrateurs et personnels des différents services de santé et de recherche allemands, impliqués dans les expérimentations médicales pratiquées sur les détenus dans les camps de concentration, comme les inoculations de virus ou d’agents bactériens, tests d’endurance au froid ou aux variations brutales de pression, stérilisations d’hommes, de femmes et d’enfants, prélèvements d’organes à des fins d’études en laboratoires d’anatomie, etc. Du 15 novembre 1946 au 21 août 1947, vingt-trois médecins nazis comparaissent devant un tribunal militaire américain, dont la compétence et la mission relèvent de la Loi n° 10 du Conseil de contrôle de l’Allemagne. À travers ce procès, c’est le principe des expérimentations médicales criminelles qui est jugé. en effet, la révélation de pseudo-expériences scientifiques pratiquées sur des déportés et de l’implication de nombreux médecins a profondément choqué l’opinion publique. Au moment de rédiger son jugement, le tribunal éprouve donc le besoin de rassembler et de formaliser des principes éthiques jusqu’ici épars, dans un prologue connu sous la dénomination de code de Nuremberg. 3ème partie 3 Du triomphe de l’Homme (et du droit ?) Le crime contre l’humanité. En 1945,: le tribunal de Nuremberg, chargé de juger les chefs nazis, définit ainsi le crime contre l'humanité: "assassinat, extermination, réduction en esclavage, déportation et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du tribunal". Le tribunal précise qu'il est compétent pour "juger et punir toutes personnes qui, agissant, pour le compte des pays européens de l'axe, auront commis individuellement ou a titre de membres d'organisations" des "crimes contre l'humanité". Et aujourd'hui ? La loi française a désormais intégré la notion de crime contre l'humanité.Cela se trouve dans le livre II du nouveau Code pénal, entré en vigueur en mars 1994. Le procureur général Pierre Truche définit cette nouvelle notion juridique dans un article de la revue "Esprit" : Sont incontestablement crimes contre l'humanité ceux commis contre les Juifs et les Tsiganes. [... ] Les Juifs furent arrachés à leur milieu de vie, à leur famille, à leur travail, pour être déportés dans les camps situés principalement en Europe de l'Est où, comme il fut convenu à la Conférence de Wannsee, ils devaient être mis au travail «avec l'encadrement voulu et des méthodes appropriées», de telle sorte que «sans aucun doute, une grande partie disparaîtra par décroissance naturelle» et qu'aux autres il faudra appliquer «un traitement approprié », d'où les exterminations qui s'ajoutaient aux assassinats commis aussitôt après les arrestations dans le pays d'origine. Ce fut le sort de millions de Juifs. Chacun d'eux fut d'abord atteint individuellement. Ce n'est pas le nombre qui fait le crime contre l'humanité, même si l'indignation qu'il a déclenchée est à l'origine de l'élaboration du texte, conséquence des protestations des gouvernements alliés des 13 janvier et 18 décembre 1942 et de la déclaration de Moscou. Il faut donc aller chercher ailleurs la raison pour laquelle il a paru indispensable de dépasser les qualifications de droit commun. Le crime contre l'humanité est la négation de l'humanité contre des membres d'un groupe d'hommes en application d'une doctrine. Ce n'est pas un crime commis d'homme à homme, mais la mise à exécution d'un plan concerté pour écarter des hommes de la communauté des hommes. [... 1 On distingue ce qui singularise le crime contre l'humanité des autres crimes: il est commis systématiquement en application d'une idéologie refusant par la contrainte à un groupe d'hommes le droit de vivre sa différence, qu'elle soit originelle ou acquise, atteignant par là même la dignité de chacun de ses membres et ce qui est de l'essence du genre humain. Traitée sans humanité, comme dans tout crime, la victime se voit en plus contestée dans sa nature humaine et rejetée de la communauté des hommes. [... 1 Une seule disposition lui confère [au crime contre l'humanité] un régime [légal] particulier: il est imprescriptible, c'est-à-dire que ses auteurs peuvent être poursuivis jusqu'au dernier jour de leur vie. Pierre Truche La Notion de crime contre l'humanité, in Esprit, n' 181,1992 Les crimes nazis L’idée de juger les crimes nazis est apparue rapidement au cours de la guerre. Dans la Déclaration de Saint-James signée à Londres, le 13 janvier 1942, les Alliés (neuf signataires) prévoient de réprimer les forfaits contre les populations civiles « qui n’ont rien de commun ni avec la notion d’actes de guerre, ni avec celle de crimes politiques telles que les conçoivent les nations civilisées. » La Déclaration de Moscou du 30 octobre 1943 signée par Churchill, Staline et Roosevelt indique que « les trois puissances alliées les poursuivront [les Allemands qui auront trempé leurs mains dans le sang innocent] jusqu’au bout de la terre et les remettront aux mains de leurs accusateurs pour que justice soit faite. » À la fin de la guerre, la découverte des camps de concentration et d’extermination, dont l’existence était connue depuis 1942, a conduit les Alliés à la mise en place d’un tribunal international pour le jugement des criminels nazis. C’est l’Accord de Londres du 8 août 1945 qui fixe le statut du tribunal de Nuremberg et la première définition juridique du crime contre l’humanité. Les crimes contre l’humanité apparaissent à la suite des crimes d’agression et des crimes de guerre et sont donc situés à un second plan par rapport à ce qui concerne la guerre et son déclenchement. L’inculpation de « crimes contre l’humanité » est nouvelle, contrairement aux deux autres ; est neuve également l’institution d’un tribunal international jugeant des crimes d’État. Tous les projets étaient, depuis la Première Guerre mondiale, restés lettre morte, notamment celui, présent dans le Traité de Versailles, de jugement de l’Empereur Guillaume II pour « offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités. » De même, le Traité de Sèvres (1920) prévoyait l’extradition par la Turquie des responsables du génocide arménien. Le problème de la coopération internationale était déterminant : la Hollande qui avait donné refuge au Kaiser, refusait de l’extrader et la Turquie a toujours refusé de reconnaître le génocide des Arméniens. Le sens de l’inculpation de Nuremberg Article 6-c : Les Crimes contre l’Humanité : c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime. L’inculpation de Nuremberg ne fait pas référence à des crimes commis individuellement pour des motifs classiques liés à l’intérêt ou au désir de puissance. Il s’agit de crimes collectifs, commis « pour des motifs politiques, raciaux ou religieux. » L’inculpation fait donc référence à une dimension discriminatoire, puisqu’elle parle de « motifs politiques, raciaux ou religieux », ce qui signifie que les assassinats, les déportations, les persécutions jugés dans le cadre du crime contre l’humanité sont commis contre des populations en raison de leur appartenance à un groupe racial, politique ou religieux. Tombent donc sous cette inculpation les actes de génocide contre les Juifs (religion, race), contre les Tsiganes (race), les persécutions contre les communistes allemands, contre les Témoins de Jéhovah. L’assassinat de masse des prisonniers russes (pourtant présentés par les nazis comme appartenant à un plan de guerre raciale) sera au contraire qualifié de « crime de guerre ». L’élargissement de l’inculpation La notion de crime contre l’humanité est en évolution depuis son origine. Dès la loi du Conseil de contrôle allié pour l’Allemagne de décembre 1945, sa définition le sépare des crimes de guerre et d’agression. « Crimes contre l’humanité. Atrocités et délits comprenant, sans que cette énumération soit limitative, l’assassinat, l’extermination, l’asservissement, la déportation, l’emprisonnement, la torture, le viol ou tous autres actes inhumains commis contre toute population civile et les persécutions, pour des motifs d’ordre politique, racial ou religieux, que lesdits crimes aient constitué ou non une violation de la loi nationale dans le pays où ils ont été perpétrés. » L’évolution de la notion est importante jusqu’au Statut de Rome (1998) qui institue la Cour pénale internationale (CPI). Les législations nationales ont généralement adopté la définition de Nuremberg, mais le statut de ce crime varie. Il est le seul crime imprescriptible pour le droit pénal français contrairement au droit international qui soumet également les crimes de guerre au régime de l’imprescriptibilité (Convention de 1968 non ratifiée par la France). La CPI a élargi la définition de l’inculpation d’une manière adéquate à la multiplicité des crimes qui visent l’humanité des hommes. Article 7 Crimes contre l’humanité : 1. Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque : a) Meurtre b) Extermination c) Réduction en esclavage d) Déportation ou transfert forcé de population e) Emprisonnement f) Torture g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international i) Disparitions forcées de personnes j) Crime d’apartheid k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. Les crimes poursuivis ne renvoient apparemment pas tous à une discrimination, puisque les motifs discriminatoires (h) ne concernent que les persécutions, lesquelles sont toutefois très élargies. Pourtant, il faut toujours que le crime soit commis « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque », pour être défini comme un crime contre l’humanité. Le terme « généralisé » fait référence au caractère massif de l’acte. Le terme « systématique » à un plan méthodique. L’alternative « ou » semble toutefois indiquer qu’un meurtre massif pourrait être, en tant que tel, un crime contre l’humanité. Mais le paragraphe 2 a) précise que « par “attaque lancée contre une population civile” on entend le comportement qui consiste en la commission multiple d’actes à l’encontre d’une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque. » Cela signifie qu’est visée une population civile pour ce qu’elle est. On retrouve, de ce fait, la discrimination qui semblait avoir disparu dans le paragraphe 1. Parce que si une population est attaquée pour elle-même, c’est pour des raisons discriminatoires. Cette discrimination relève de la politique d’un État et correspond donc nécessairement à une planification systématique. Par ailleurs, les formes de la discrimination ont considérablement évolué depuis Nuremberg. Elles sont « d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste. » (1. h) Dans ce cadre, la persécution par les talibans des femmes afghanes constitue un crime contre l’humanité. L’élargissement est potentiellement indéfini, le texte ajoutant « ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international. » L’inculpation peut ainsi inclure des discriminations d’ordre intellectuel, idéologique, social ou culturel. Le sens du crime contre l’humanité Les changements dans la définition ne permettent toutefois pas de dire qu’il y a un bouleversement. Il y a au contraire une continuité entre Nuremberg et la CPI. Seule véritable parenthèse dans cette continuité, le statut du TPIY (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie) qui parle d’actes « dirigés contre une population civile quelle qu’elle soit. » On assiste à une banalisation de la notion. La condition discriminatoire disparaît, on n’a plus affaire à une politique systématique de persécution ou d’extermination. Yann Jurovics dit même que c’est la condition politique qui est alors occultée, le crime contre l’humanité n’étant plus nécessairement un crime d’État. C’est en effet d’abord le motif discriminatoire, qui est incriminé par le « crime contre l’humanité », parce qu’il signifie que quelqu’un est persécuté ou tué pour son appartenance à un groupe humain, lequel est considéré comme n’étant pas digne de vivre ou de vivre dans des conditions dignes. On persécute pour persécuter, on tue pour tuer. Et non pas d’abord par intérêt ou pour des raisons territoriales. C’est ensuite le motif politique, parce qu’il signifie que la discrimination a une application systématique, une signification universelle. Ce double motif est indiqué dans la précision de la CPI : « en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque. » (2. a) André Frossard formule cela d’une manière limpide : « Le crime contre l’humanité, c’est tuer quelqu’un sous prétexte qu’il est né. » Le fait d’être né renvoie, au sens strict, à la race, à l’ethnie, à ce qui est naturel en l’homme. Toutefois, l’idée de naissance permet d’inclure tout ce qui est acquis, mais relève d’un héritage et ne saurait par conséquent procéder d’un choix : classe sociale, instruction, religion, jusqu’aux convictions politiques. « Le motif politique rejoint totalement les autres motifs en ce qu’ils impliquent tous une inexorabilité. En effet, comme si elle était fautive, la victime mise en cause par le criminel ne peut s’exonérer de sa haine. » Le motif politique doit être compris avec précision. La Cour de cassation française a qualifié, en 1985, la persécution des résistants de crimes contre l’humanité, en en banalisant le sens ; leur persécution ou leur meurtre appartiennent plutôt aux crimes de guerre. En revanche, les persécutions contre les communistes et les socialistes peuvent être considérées comme des crimes contre l’humanité, puisque ce n’est pas contre des activités de guerre qu’elles étaient dirigées, mais contre des options idéologiques, indépendamment de tout engagement dans une action. « Il importe de souligner que la protection consacrée par la notion ne s’exerce qu’à l’égard de l’opposition politique et non à celui de l’activisme. » Dans la victime, c’est son appartenance à l’humanité en tant que membre d’un groupe qui est visée dans le cadre d’une attaque massive et planifiée contre ce dernier. Appartenance qui n’est pas contingente, mais constitutive de l’être de l’individu, au regard du criminel du moins. La condition discriminatoire présente dans la définition de Nuremberg et de la CPI est centrale, puisqu’elle permet de faire la différence entre le crime contre l’humanité et les autres crimes. Le crime contre l’humanité vise l’humanité de l’individu et du groupe auquel il appartient ou auquel le criminel le rattache. La déchéance de la victime, la négation de sa dignité et de ses droits ne sont pas seulement les conséquences de ce crime, comme c’est le cas pour les autres crimes, mais ses mobiles. Le criminel contre l’humanité est animé par une conception déshumanisante de sa victime, laquelle permet le crime (les résistances sont écartées) et le suscite (ravaler la victime hors de l’humanité à laquelle il est censé n’appartenir que par une manipulation). Le crime contre l’humanité se distingue donc des autres formes de crime, par son caractère massif et systématique et par son mobile qui n’est pas extérieur au crime, mais réside dans le crime lui-même. Les violences anonymes et en quelque sorte impersonnelles de la guerre [...] à proprement parler, c’étaient des atrocités sans intention ; l’aviateur inconscient qui lâchait aveuglément sa bombe audessus d’Hiroshima ne triait pas le bétail humain, et il n’a pas non plus détruit Hiroshima par méchanceté ; il ne déniait pas aux Japonais le droit de vivre ; il ne cherchait pas à humilier, à piétiner, à dégrader longuement sa victime avant de la tuer : son propos n’était pas d’exterminer la race japonaise ni d’avilir tout un peuple, mais de hâter, fût-ce par la terreur, la fin du conflit. L’inculpation doit, de ce fait, pour faire la preuve de l’intention de déshumanisation et de la politique systématique qui y préside, faire apparaître des pratiques politiques de discrimination.(…) Le crime contre l’humanité et la condition politique de l’homme Le crime contre l’humanité est un crime motivé idéologiquement. La définition de la CPI parle d’attaque massive ou systématique contre une population civile. Elle peut paraître restrictive, parce qu’elle ne permet pas d’incriminer des actes individuels graves qui privent l’homme de sa dignité, comme des actes de barbarie. Mais il ne faut pas oublier que cette notion appartient d’abord au droit international, qu’elle concerne des actes d’origine étatique qui ne peuvent être jugés que dans le cadre des relations entre États, qu’elle vise une série d’actions dont la portée concerne la communauté des nations et dont la sanction demande une coopération internationale. L’idéologie qui préside au crime contre l’humanité est fondée sur le refus de la pluralité (extermination), de l’égalité (exploitation), de la dignité (torture) des hommes. Le crime s’attaque, de ce fait, à la condition politique de l’homme, en détruisant toutes les garanties que fournissent aux membres d’une communauté les règles de droit en vigueur. Il prive une partie de l’humanité de toute existence politique et réduit l’homme à son impuissance individuelle et naturelle. Ainsi avec les lois de Nuremberg. Ainsi avec l’Apartheid. Le crime contre l’humanité, une étude critique, Florent BUSSY 3ème partie 3 Du triomphe de l’Homme (et du droit ?) Gestes ou discours politiques de haute portée mémorielle et historique. Qui sont les "Justes parmi les nations" ? "Les Justes parmi les nations" sont les non-Juifs qui aidèrent les Juifs durant la Shoah. Ces personnes choisirent de sauver des Juifs, parfois en risquant leur propre vie et celle de leur famille. Alors que la majorité́ des Européens gardèrent le silence sans intervenir et que quelques-uns collaborèrent avec les Nazis, quelques personnes choisirent de tendre la main à des Juifs en détresse. Il y eut des "Justes parmi les nations" dans chaque pays où les Juifs furent menacés. L’Etat d’Israël (créé́ en 1948) et Yad Vashem, le mémorial national de la Shoah en Israël, créèrent, dans le cadre d'un projet créé́ par une loi de 1963, une distinction particulière données aux personnes ayant porté secours à des Juifs menacés par le nazisme. Un hommage leur est également rendu. Chaque cas présenté́ à Yad Vashem par des rescapés ayant été́ sauvé par des non-Juifs est scrupuleusement étudié́ avant que ne soit accordé la distinction de "Juste parmi les nations". Ce titre n’est décerné́ que sur la foi de témoignages des personnes sauvées ou de témoins oculaires et de documents fiables. Aujourd’hui, l’Institut Yad Vashem a décoré́ de la médaille des Justes plus de 20 000 personnes (20757 justes au 1er janvier 2005). Les personnes reconnues comme telles reçoivent la médaille des Justes et un certificat honorifique (remis au plus proche parent en cas de reconnaissance posthume). Leurs noms sont inscrits sur le Mur d'honneur du Jardin des Justes à Yad Vashem. C'est la distinction suprême décernée à des non-Juifs par l'Etat d'Israël, au nom du peuple juif. Deux communes européennes ont été́ faites Justes parmi les nations : Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire et Niewlande (Pays-Bas). La Pologne est le pays qui compte le plus de Justes, les Pays-Bas étant celui qui en compte le plus en proportion de la population totale. Ce total de 20757 personnes prend en compte les personnes ayant sauvé des Juifs. Il est sûrement loin de la réalité́ car beaucoup ne se sont jamais fait connaître ou ne furent jamais révélés du fait de la disparition de ceux qui avaient été aidés. Selon le gouvernement israélien, les critères de reconnaissance d'un Juste sont les suivants: Avoir apporté une aide dans des situations où les juifs étaient impuissants et menacés de mort ou de déportation vers les camps de concentration. Le sauveteur était conscient du fait qu'en apportant cette aide, il risquait sa vie, sa sécurité́ et sa liberté́ personnelle (les nazis considéraient l'assistance aux Juifs comme un délit majeur). Le sauveteur n'a exigé aucune récompense ou compensation matérielle en contrepartie de l'aide apportée, Le sauvetage ou l'aide est confirmé par les personnes sauvées ou attesté par des témoins directs et, lorsque c'est possible, par des documents d'archives authentiques. L'aide apportée aux Juifs par des non-Juifs a revêtu des formes très diverses ; elles peuvent être regroupées comme suit: Héberger un juif chez soi, ou dans des institutions laïques ou religieuses, à l'abri du monde extérieur et de façon invisible pour le public. Aider un juif à se faire passer pour un non-Juif en lui procurant des faux papiers d'identité́ ou des certificats de baptême (délivrés par le clergé́ afin d'obtenir des papiers authentiques). Aider les Juifs à gagner un lieu sûr ou à traverser une frontière vers un pays plus en sécurité́ , notamment accompagner des adultes et des enfants dans des périples clandestins dans des territoires occupés et aménager le passage des frontières. Adoption temporaire d'enfants juifs (pour la durée de la guerre). On ignore le nombre exact de Juifs sauvés grâce à l'aide de non- Juifs, mais il s'agit de plusieurs dizaines de milliers. En France, le nombre de Justes honorés est de 2500 environ. Mémorial de la Shoah Le 16 mai 1945, Émile Valley, responsable du Comité international de Mauthausen, monte à la tribune dressée sur la place d'appel et fait lecture du "serment de Mauthausen" : un appel à la solidarité internationale. "Voici ouvertes les portes d'un des camps les plus durs et les plus sanglants, celui de Mauthausen. Dans toutes les directions de l'horizon, nous retournons dans des pays libres et affranchis du fascisme. Les prisonniers libérés, hier encore menacés de mort par la main des bourreaux du monstrueux nazisme, remercient du fond de leur cœur les armées alliées victorieuses, pour leur libération et saluent tous les peuples à l'appel de leur liberté retrouvée. Le séjour de longues années dans les camps nous a convaincus de la valeur de la fraternité humaine. Fidèles à cet idéal, nous faisons le serment solidaire et d'un commun accord, de continuer la lutte contre l'impérialisme et les excitations nationalistes. Ainsi que par l'effort commun de tous les peuples, le monde fut libéré de la menace de la suprématie hitlérienne, ainsi il nous faut considérer cette liberté reconquise, comme un bien commun à tous les peuples. La paix et la liberté sont la garantie du bonheur des peuples et l'édification du monde sur de nouvelles bases de justice sociale et nationale est le seul chemin pour la collaboration pacifique des États et des peuples. Nous voulons, après avoir obtenu notre liberté et celle de notre nation, garder le souvenir de la solidarité internationale du camp et en tirer la leçon suivante : nous suivons un chemin commun, le chemin de la compréhension réciproque, le chemin de la collaboration à la grande œuvre de l'édification d'un monde nouveau, libre et juste pour tous. Nous nous souviendrons toujours des immenses sacrifices sanglants de toutes les nations qui ont permis de gagner ce monde nouveau. En souvenir de tout le sang répandu par tous les peuples, en souvenir des millions de nos frères assassinés par le fascisme nazi, nous jurons de ne jamais quitter ce chemin. Sur les bases sûres de la fraternité internationale, nous voulons construire le plus beau monument qu'il nous sera possible d'ériger aux soldats tombés pour la liberté : le Monde de l'Homme libre ! Nous nous adressons au monde entier par cet appel : aidez-nous en cette tâche. Vive la Solidarité internationale ! Vive la Liberté ! " Des souvenirs divisés Le rôle joué par le souvenir et la commémoration d’Auschwitz et de l’Holocauste varie considérablement en fonction des cultures nationales. Il ne fait pas de doute que l’importance de la commémoration de l’Holocauste à travers le monde s’est considérablement accrue depuis les années 1980 et que l’on observe actuellement certaines tendances à la standardisation dues à des événements médiatiques internationaux, tels que le film La liste de Schindler. Le Musée du Mémorial de l’Holocauste de Washington, ouvert en 1993 et qui est devenu l’un des principaux centres de recherche sur l’histoire de l’Holocauste, joue également un rôle majeur dans ce phénomène d’internationalisation de sa commémoration. Bien que Daniel Levy et Natan Sznaider confirment l’émergence d’une mémoire mondialisée de l’Holocauste dans laquelle Auschwitz occupe une place centrale (Levy/Sznaider 2001), on peut penser que des points de vue nationaux spécifiques sur cet événement continuent également à exercer une influence déterminante. Après la libération du camp, le complexe d’Auschwitz servit à la fois d’hôpital destiné à accueillir d’anciens détenus et de camp de prisonniers de guerre allemands. Les autorités soviétiques transférèrent l’essentiel des installations à l’administration polonaise au début de 1946. À partir de mars 1946, des organisations d’anciens détenus commencèrent à réclamer de plus en plus bruyamment la création d’un musée sur le site du camp. Cette proposition ayant été approuvée par l’État polonais, le Parlement polonais vota la création du Mémorial national d’Auschwitz-Birkenau le 2 juillet 1947. La création d’un bâtiment voué aux expositions, d’un service d’archives et d’une bibliothèque fut décidée et réalisée dans les années suivantes. Avant 1989, le contenu des salles d’exposition reflétait en priorité la volonté de présenter Auschwitz comme un lieu de martyre de la nation polonaise. L’histoire de la résistance polonaise contre l’Allemagne, le terrible sort infligé aux combattants de la résistance détenus à Auschwitz et, enfin, la victoire communiste sur l’Allemagne étaient particulièrement mis en valeur. Il a fallu attendre les années 1970 pour que soit inaugurée une exposition annexe intitulée « Martyrologie et lutte des Juifs », qui a réussi alors à attirer l’attention sur Auschwitz en tant que lieu central de l’extermination des Juifs d’Europe. L’ancien complexe concentrationnaire a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco en 1979 et, afin d’éviter l’identification du camp avec sa situation géographique sur le territoire polonais, le Comité du Patrimoine mondial a décidé en 2007 de modifier la désignation officielle du camp, devenue désormais Auschwitz-Birkenau, Camp allemand nazi de concentration et d’extermination (1940-1945). La fin du régime communiste en Pologne entraîna dans tout le pays une libération de la parole qui a elle-même été à l’origine d’âpres luttes pour la prérogative d’interprétation. Les autorités polonaises postcommunistes modifièrent ou retirèrent assez rapidement du site tous les éléments qui commémoraient le rôle de l’Armée rouge. Des conflits acharnés entre les chrétiens polonais et les organisations juives firent rage tout au long des années 1990, atteignant un point culminant lors de l’installation de carmélites dans un bâtiment de l’ancien camp, suivie de l’érection d’une croix de huit mètres de haut ; de nombreux Juifs jugèrent inacceptable la présence de ce symbole chrétien dans ce qui constitue le plus grand cimetière juif du monde. Ces conflits se sont légèrement apaisés au cours des années 2000 et l’on se concentre désormais sur les efforts pour empêcher la détérioration progressive de certains lieux essentiels de l’ancien complexe concentrationnaire (Szurek 1992 ; Reichel 2005). En Israël, le souvenir d’Auschwitz et de l’Holocauste a été, d’emblée, étroitement lié au sionisme et a été un argument majeur dans la légitimation de la fondation de l’État juif. Le Mémorial de Yad Vashem a été créé en 1953 pour commémorer l’Holocauste à la suite du vote de la loi sur la commémoration des martyrs et des héros. Pas plus la mémoire nationale israélienne que la conception des expositions de Yad Vashem n’accordait une grande place à la diaspora juive et aux victimes juives, considérées comme passives. La résistance armée était présentée comme la seule réaction légitime au national-socialisme. Les victimes d’Auschwitz se voyaient implicitement, et même parfois explicitement, reprocher d’avoir marché à la mort comme des moutons qu’on conduit à l’abattoir. Cette attitude a été particulièrement saillante lors du procès Kastner en 1954, au cours duquel on reprocha à des Conseils juifs de l’Europe occupée d’avoir collaboré avec les nazis et, en définitive, d’avoir aidé et encouragé leur campagne d’extermination. Rudolf Kastner, ancien membre du Comité d’Aide et de Secours juif de Hongrie, fut assassiné à Tel-Aviv en 1957. La politique israélienne de commémoration a cependant connu une évolution manifeste à la suite du procès Eichmann en 1961. C’était en effet la première fois que l’on abordait publiquement la réalité de la politique d’extermination, et la compassion à l’égard des victimes en a été grandement accrue. Ce sentiment s’est encore accentué dans les années suivantes à la suite de l’expérience israélienne de la guerre au Proche-Orient. L’Holocauste est souvent devenu un jeu didactique pour la politique du jour, les communiqués publics établissant fréquemment un lien entre la mémoire de l’Holocauste et le sionisme. Plus récemment, cependant, la politique de commémoration de l’Holocauste en Israël s’est ouverte à un plus grand pluralisme (Segev 1995 ; Friedländer 1987 ; Hass, 2002). Si, en qualité d’État antifasciste, la République Démocratique Allemande (RDA) rejeta toute part de responsabilité dans les crimes nazis, la République Fédérale d’Allemagne s’engagea dans un processus, d’abord hésitant puis très intense, de prise de conscience et d’Aufarbeitung, c’est-à-dire de volonté d’assumer le passé. Auschwitz et l’Holocauste représentaient cependant un défi constant, qu’il n’était pas facile de relever. Ce souvenir négatif posait inlassablement la question de la culpabilité des Allemands. Les forces conservatrices, notamment, cherchèrent à donner du national-socialisme le visage d’un régime totalitaire et à présenter la fondation d’une démocratie comme la seule leçon sensée à tirer de l’histoire. Cette volonté de se concentrer essentiellement sur l’avenir se rencontrait pourtant aussi sur la gauche de l’échiquier politique. La reconnaissance d’une culpabilité historique resta le plus souvent une position marginale, d’où des frictions à répétition chaque fois qu’Auschwitz revint au centre de l’attention générale, par exemple au début des années 1950 lors des négociations avec Israël sur les réparations et pendant le Procès d’Auschwitz (1963-1965). La diffusion à la télévision allemande en 1979 de la série « Holocauste » a largement contribué à mieux faire comprendre la réalité d’Auschwitz à l’opinion publique d’Allemagne de l’Ouest. Avec d’autres facteurs, cette diffusion a été à l’origine de la création dans plusieurs régions d’Allemagne Fédérale d’ateliers historiques qui abordaient différentes questions concernant le national-socialisme dans la localité en question, accordant souvent une place centrale à la déportation de la population juive locale. Grâce à l’émergence de ce public critique, les années 1980 ont été une décennie d’étude plus approfondie de l’Holocauste, la politique historique du gouvernement chrétien-démocrate du pays se trouvant au centre du débat. En effet, en 1983, le secrétaire général de la CDU, Heiner Geissler, affirma publiquement que c’était le pacifisme des années 1930 qui avait fait le lit d’Auschwitz. Le chancelier fédéral Helmut Kohl, inventeur du concept de la Gnade der späten Geburt (la « grâce d’une naissance tardive ») est allé le 5 mai 1985 déposer des couronnes en compagnie du président américain Ronald Reagan au cimetière militaire de Bitburg où sont également inhumés des membres de la Waffen-SS. Enfin, Philipp Jenninger, président du Bundestag allemand, prononça devant le Parlement le 9 novembre 1988 un discours d’une rhétorique pour le moins ambiguë, dont l’empathie apparente à l’égard des auteurs des crimes nazis le força à démissionner. En même temps, la question de l’unicité de l’Holocauste fut abordée dans le contexte de l’Historikerstreit, la querelle des historiens. Enfin, dans un discours prononcé le 8 mai 1985, le président chrétien-démocrate Richard Weiszäcker s’affirma comme le premier haut dirigeant politique ouest-allemand à reconnaître la responsabilité des Allemands dans les crimes nazis. Aussi ce discours est-il considéré tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger comme une percée majeure dans l’aveu de culpabilité de la République fédérale. Ces débats ont été à l’origine d’une évolution de la politique de commémoration de l’Allemagne fédérale. La reconnaissance de la culpabilité allemande faisant désormais l’objet d’un consensus au sein des partis, le déni de l’Holocauste et d’Auschwitz est devenu d’abord inacceptable, et enfin criminel. En 1996, le 27 janvier, date de la libération d’Auschwitz, a été déclaré journée nationale du souvenir tandis qu’un Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe était érigé en un lieu central de Berlin en 2005. Cette reconnaissance de la culpabilité allemande a pu être exploitée dans un autre contexte pour justifier une guerre, comme en témoigne l’attaque de l’OTAN contre la Yougoslavie en 1999, défendue par le ministre allemand des Affaires étrangères Joschka Fischer par ces mots « Nie wieder Auschwitz » (« Plus jamais Auschwitz »). (Reichel 2005 ; Dubiel 1999 ; Berg 2003). Depuis les années 1990 au plus tard, le souvenir de l’Holocauste et d’Auschwitz a visiblement commencé à jouer un rôle dans la politique commémorative de plusieurs pays. C’est ainsi que le 27 janvier, journée de commémoration des victimes du national-socialisme instaurée par la République Fédérale d’Allemagne en 1996, a été officiellement proclamée Journée internationale à la mémoire des victimes de l’Holocauste par l’Assemblée générale des Nations unies le 1er novembre 2005. Désormais, cette journée fait également l’objet de commémorations officielles en Israël, en Italie et en Grande-Bretagne. Auschwitz, Marc Bugglein, 2014, Sciences Po