Sur la télévision Pierre Bourdieu Pierre Bourdieu né en 1930 et mort

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Sur la télévision
Pierre Bourdieu
Pierre Bourdieu né en 1930 et mort en 2002, est considéré comme l’un des sociologues
français les plus importants de la seconde moitié du XXème siècle. Ce fut un intellectuel engagé auprès
des mouvement sociaux qui contribua au renouvellement des sciences humaines et sociales.
D’origine modeste, il effectua de brillantes études et obtint son agrégat de philosophie en
1954. Il enseigna cette discipline en Algérie, avant de se tourner vers une carrière de sociologie. Il
effectua des travaux d’ethnologie avant de devenir en 1964, le directeur de l’Ecole des hautes études
en sciences sociales puis professeur au Collège de France en 1981. Suite à ses recherches
d’anthropologie, il reçut en 2000, la Huxley Memorial Medal du Royal Institute of Anthropology de
Londres.
Sur la télévision est la retranscription d’une émission télévisée réalisée par Gilles l’Hôte en
1996, dans le cadre d’une série de cours du Collège de France. L’ouvrage est divisé en deux parties :
Le plateau et ses coulisses, et La structure invisible et ses effets. Chacun de ces chapitres est
constitué de six sous-parties.
Dans l’Avant-Propos, Pierre Bourdieu présente la télévision comme une menace pour la
politique et la démocratie comme un danger pour la diffusion culturelle, artistique, littéraire,
scientifique, philosophique et juridique. Selon lui, la télévision ainsi qu’une partie de la presse,
accordent trop d’importance à l’audimat, altérant ainsi l’information pour rechercher l’audience la
plus large. Le sociologue déclare également que ses analyses ne doivent pas être reçues comme des
« attaques ». Pour reprendre sa formule, à travers ses recherches, Pierre Bourdieu souhaite « donner
des outils et des armes à tous ceux qui, dans les métiers de l’image même, combattent pour ce qui
aurait pu devenir un extraordinaire instrument de démocratie directe ne se convertisse pas en
instrument d’oppression symbolique ».
1. Le plateau et ses coulisses :
Pierre Bourdieu incite les intellectuels, artistes et écrivains à s’interroger sur la télévision. En
effet, il pense qu’il est important d’accepter une invitation sur un plateau que sous « certaines
conditions » qui sont les suivantes : un temps de parole illimité, un sujet de discours libre ainsi
qu’aucune intervention pour diriger et contrôler la prise de parole. C’est dans ces conditions
respectées par le Collège de France que Pierre Bourdieu peut s’exprimer librement au public. Il
déclare par la suite, que ceux qui acceptent de participer à une émission sans s’interroger sur ces
conditions, ne viennent non pas pour exposer leurs opinions mais pour « se faire voir et être vus ».
L’écran de télévision devient alors un « miroir de Narcisse ».
1.1- Une censure invisible :
L’accès à la télévision fait l’objet d’une censure liée au manque d’autonomie provoqué par
l’assignation du sujet et des conditions de communication, ainsi que la limitation du temps qui
contraint le discours. Cette censure s’exerce sur les invités mais également sur les journalistes qui
doivent la faire respecter. Elle peut être de nature politique par les nominations aux postes de
dirigeants et par l’autocensure provoquée par la précarité de l’emploi dans les professions de
l’audiovisuel qui favorise le conformisme politique. La censure peut également être d’ordre
économique par les mécanismes invisibles, en d’autres termes, par l’influence des propriétaires, des
annonceurs qui financent la publicité et de l’Etat qui donne des subventions.
Le règne de l’audimat a donné une place prépondérante aux faits « omnibus », intéressant
tout le monde, ne les divisant et ne les choquant pas. Ces faits divers autrefois écartés occupent
désormais un temps précieux à l’antenne qui pourrait être utilisé pour des faits moins futiles. Nous
savons aujourd’hui qu’une grande partie de la population ne s’informe que par le biais de la
télévision. Or, l’accent sur les faits « omnibus » et l’omission des informations pertinentes creusent
l’inégalité entre la population qui s’informe par le biais de divers médias comme les journaux
internationaux et les chaînes de radios étrangères, et ceux qui ne possèdent comme bagage politique
que l’information diffusée par la télévision.
1.2- Cacher en montrant :
La télévision cache les informations importantes en en diffusant d’autres, en détourant
leur sens de la réalité ou encore en les rendant impertinentes. Elle procède à la sélection ainsi
qu’à la dramatisation des faits en mettant en scène les images, exagérant la gravité et en
n’employant pas des mots ordinaires. Les journalistes à la recherche du « scoop », de l’exclusivité
transforment alors le quotidien ordinaire en extraordinaire. Néanmoins, la télévision, à travers
ses images, banalise ces faits et les rend vraisemblables.
1.3- La circulation circulaire de l’information :
Selon Pierre Bourdieu, le journaliste est une entité abstraite représentée par des
journalistes d’âge, de sexe et de nationalité différentes. C’est un monde divisé qui, malgré
l’appartenance de chaque journal à un parti politique, présente une certaine homogénéité. En
effet, les contraintes liées à la concurrence uniformisent les journaux télévisés et radiophoniques.
Les titres et contenus sont identiques, seul l’ordre des informations diffère. Chacun doit savoir ce
qu’a fait l’autre pour traiter chaque sujet. Chaque rédaction, maison d’édition est soumise à la
contrainte de l’audimat, c’est-à-dire ce qui permet de mesurer le taux d’audience dont
bénéficient les différentes chaînes. On pense désormais en termes de succès commercial en non à
la production culturelle.
1.4- L’urgence et la fast-thinking :
L’audimat exerce une pression d’urgence qui se traduit par la concurrence entre les
différents médias. Cette concurrence temporelle due à la nécessité d’être le premier à obtenir un
« scoop » s’impose aux différents producteurs ainsi qu’à l’audience. Pierre Bourdieu déclare que
la télévision n’est pas favorable à l’expression des pensées car les notions de pensées, temps et
vitesse sont étroitement liées. En effet, pour pouvoir réfléchir, s’atteler à la réflexion, il faut
abandonner les contraintes temporelles. En donnant la parole à des individus qui doivent
s’exprimer dans l’urgence et dans un temps limité, la télévision a créé et impose à l’audience des
« fast-thinkers » qui alimentent l’audience de « fast-food » culturel.
1.5- Des débats vraiment faux ou faussement vrai :
Les débats télévisés sont factices car tous les invités forment un cercle clos de
connaissances, chacun se connait personnellement et intimement. Chaque personne s’oppose
alors de manière convenue et procède même à une « répétition » avant la diffusion en direct. Ces
types de débats sont appelés les débats vraiment faux. La seconde catégorie qui est celle des
débats faussement vrais, se caractérise entre autres par le rôle du présentateur qui exerce une
certaine censure en imposant le sujet et la problématique, en distribuant la parole ainsi qu’en
effectuant des interventions contraignantes. Cela pose problème au niveau de la démocratie car
tout le monde n’est pas égal sur le plateau.
1.6- Contradictions et tensions :
La télévision est un instrument de communication très peu autonome car il est soumis à
différentes contraintes comme les « relations de concurrence » ou encore les « relations de
connivence ». Lors de son apparition, la télévision était censée homogénéisé et massifier les
téléspectateurs. Elle a cependant eu un effet inattendu qu’est l’influence sur les productions
culturelles, scientifiques et artistiques. Elle subit une pression commerciale à travers l’audimat. Le
métier de journaliste n’est plus ce qu’il était et ceux qui travaillent pour la télévision ne sont que
des « marionnettes » à son service.
2. La structure invisible et ses effets :
Pour comprendre ce qui se déroule sur un plateau de télévision, Pierre Bourdieu introduit
la notion de champ journalistique. Le journaliste est un microcosme, c’est-à-dire un petit monde
ayant ses propres lois. Un champ est un espace social structuré constitué de dominants et de
dominés.
2.1- Parts de marché et concurrence :
Dans le monde du journalisme, les parts de marchés, le poids auprès des annonceurs et le
capital collectif sont des indicateurs des rapports de forces et d’interactions invisibles. Pour
comprendre une entreprise, il est nécessaire de connaître sa place du champ journalistique. Plus
la place occupée est importante, plus l’espace économique sera modifié. Par exemple, une
entreprise très puissante, en réduisant les prix peu interdire l’entrée à de nouvelles entreprises en
créant des barrières à l’entrée du marché. Dans un espace de dominants et de dominés, l’arrivée
de la télévision marque la crise des journaux en raison de la plus grande richesse et variété
d’informations proposées.
2.2- Une force de banalisation :
Grace à sa large diffusion d’informations variées, la télévision défavorise les journaux
écrits. En effet, le journal de 20H réunit à lui-seul plus de téléspectateurs que tous les quotidiens
du matin et du soir. Comme nous l’avons vu précédemment, pour atteindre une audience la plus
large possible, la télévision traite les faits « omnibus ». Encore une fois, on procède à la censure
puis à la banalisation des faits susceptibles d’intéresser une grande majorité.
2.3- Des luttes arbitrées par l’audimat :
Pour comprendre les duels et débats entre les différents journalistes, il est important de
connaître la position des organes de presse qu’ils représentent ainsi que leur position au sein de
ces propres organes. Chacun d’entre eux est soumis à la contrainte éthique. La lutte entre la
presse écrite et la presse télévisée se caractérise avec les discours polémiques tenus, ainsi que les
propos stéréotypés pour qualifier son rival. Poussés par la concurrence pour les parts de marché,
les télévisions ont recours à des faits « à sensations » voués aux faits divers et au sport. Les
journaux écrits s’interrogent sur leur stratégie et sont amenés à considérer la différentiation de
produit. Pierre Bourdieu se demande également où sont les sanctions négatives et positives dans
le journalisme.
2.4- L’emprise de la télévision :
Le journalisme est contraint aux champs économiques et commerciaux, entre autres par
l’intermédiaire de l’audimat. Le champ journalistique exerce lui-même des contraintes à d’autres
champs, par exemple les productions culturelles, en tant que structure. De plus en plus dominés
par la logique commerciale, chaque champ impose de plus en plus ses contraintes sur les autres
univers qui subissent en plus la pression de l’audimat et le poids de l’économie. La présence des
intellectuels-journalistes défavorise les productions culturelles, comme par exemple les œuvres
de jeunes auteurs.
2.5- La collaboration :
Pour que les médias puissent s’imposer et dominer des univers comme le scientifique, des
complicités au sein de ce dernier sont nécessaires. Au contraire de la science, le domaine des
mathématiques est autonome. Selon Pierre Bourdieu, l’autonomie se construit en se jugeant, en
se critiquant avec des outils, des techniques et méthodes. La loi de Jdanov décrit ces
comportements : plus un producteur culturel est autonome, tourné vers un marché restreint, plus
il est enclin à la résistance. Plus, au contraire, il destine ses produits au marché de grande
production, plus il est enclin à collaborer avec les pouvoirs externes comme l’Eglise, l’Etat, un
Parti aujourd’hui avec les journaux et la télévision, en se soumettant à leurs demandes.
Selon Pierre Bourdieu, il faut combattre les intellectuels hétéronomes qui permettent aux
lois du commerce et de l’économie de s’introduire dans le champ.
2.6- Droit d’entrée et devoir de sortie :
La télévision produit deux effets. D’une part, elle abaisse le droit d’entrée dans un certain
nombre de champ et d’autre part elle peut atteindre le plus grand nombre. Pour échapper à
l’élitisme et démagogie, il faut maintenir voire élever le « droit d’entrée » dans les champs de
production et renforcer le « devoir de sortie ». Il faut défendre les conditions de production pour
faire progresser l’universel, et en même temps tout en généralisant les conditions d’accès à
l’universel afin d’élever le niveau culturel des citoyens. Nous devons lutter contre l’audimat qui est
en réalité la sanction de l’économie. La télévision dominée par l’audimat ne contribue qu’à faire
peser les contraintes du marché. La télévision ne permet pas l’expression de la démocratie, ni
l’opinion collective ou la raison publique.
Pour conclure, nous pouvons dire que la télévision n’est pas un moyen de communication
favorable à la démocratie car elle fait l’objet d’instrumentalisation. De plus, elle est soumise à de
nombreuses contraintes économiques, commerciales ou encore liées à l’audimat, qui limitent
l’expression. Enfin, elle ne doit pas être utilisée comme seul moyen d’informations car elle ne
transmet pas toute la vérité, ni le fondamental, mais distrait et occupe l’audience.
La lecture de cet ouvrage m’a beaucoup intéressée et enrichie. De nos jours, les médias sont
très influents et occupent une grande importance dans la communication. A la première approche,
j’ai trouvé le langage ainsi que le vocabulaire employé assez complexes. Pierre Bourdieu suit un
raisonnement qui m’a paru compliqué et j’ai dut à plusieurs reprises, effectuer une relecture.
Cependant, l’étude de cette œuvre m’a permis d’apprendre de nouvelles notions et considérer la
télévision sous un autre angle. Les manières de s’informer dans un cadre personnel ou encore pour
des raisons professionnelles sont importantes et Sur la télévision m’a éclairée sur certains points.
Cette première lecture d’un ouvrage de Pierre Bourdieu m’incite à approfondir le sujet et étudier
autres de ses ouvrages.
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