« Délocalisations et inégalités entre TQ et TNQ dans les pays du Nord
Evaluation à l’aide d’un MEGC pour le cas de la France-PECO »
Radouane RAOUF
Enseignant-chercheur en sciences économiques : FSJES, université Mohammed V, Souisssi, Rabat, Maroc.
Tel : 002126 67 42 57 65, [email protected] , [email protected].ma
Résumé: Dans ce papier, nous tacherons à analyser l’impact des délocalisations sur
l’emploi en France. Dans l’analyse économique, on associe souvent le phénomène de
délocalisations au problème de chômage. Il s’agit ici de simuler, à l’aide d’un modèle
d’équilibre général calculable (MEGC), les liens entre les délocalisations vers les PECO et le
creusement des inégalités entre les travailleurs qualifiés (TQ) et les travailleurs non qualifiés
(TNQ) en France.
Pour ce faire, nous aborderons dans un premier temps les apports théoriques et
empiriques dans l’explication de la relation délocalisation-emploi. Dans un deuxième temps,
nous élaborerons un MEGC pour le cas de la France afin de tester l’impact des
délocalisations, vers les PECO, sur la rémunération et le taux de chômage des travailleurs
TQ et des TNQ. La simulation dans ce modèle, dans une logique prospective, passe par
l’augmentation des IDE sortants à destination des PECO qui sont considérés comme des
délocalisations.
Mots-clefs : Délocalisation, IDE, TQ-TNQ, inégalités, MEGC.
Abstract: In this paper, we will try to analyze the impact of offshoring on employment
in France. In economic analysis, is often associated the phenomenon of relocation to the
problem of unemployment. Using a computable general equilibrium model (CGE), we
simulate the relationship between offshoring to the CEECs and the rising inequality between
skilled and unskilled workers in France.
In order to study this impact, we will initially talk about theoretical and empirical
contributions explaining the relation relocation-employment. In a second step, we will
develop a CGE model for the case of France to test the impact of offshoring to the CEECs, on
wage and unemployment rate for skilled and unskilled workers. The simulation in this
model, in a prospective sense, through the increase in outward FDI destination in the
CEECs that are considered as relocation.
Keywords: Relocation, FDI, Skilled and Unskilled workers, inequality, CGEM.
JEL: F12, F16, F21
2
Introduction
L’ampleur des inégalités salariales ou du chômage que connaissent de nombreux pays
industrialisés, notamment la France, a fait resurgir l’inquiétude qui régnait dans les années
90, liée à la concurrence menée par les pays en développement ou pays à bas salaires (PBS).
Cette menace se conjugue en deux séries de phénomènes qui ont, a priori, des effets négatifs
sur l’emploi. Il s’agit, d’une part, de la montée en puissance de nouveaux pays émergents
(Chine, Inde…) et l’élargissement de l’Europe avec l’adhésion des pays de l’Europe Centrale
et Orientale (PECO) qui constituent une ressource inépuisable en main-d’œuvre non
qualifiée et qualifiée qui peut se substituer à celle de la France et des autres pays
industrialisés. D’autre part, le second phénomène est la multiplication des transferts des
capitaux et surtout des unités de production à travers les délocalisations
1
.
Ces mouvements ne passent pas sans effet. L'ampleur de l'impact du commerce
international et des délocalisations des activités productives sur le marc du travail, sur
l’augmentation du niveau de chômage et des inégalités, alimente une controverse dans les
pays industrialisés et au sein même de la discipline de l'économie internationale que chez
les économistes. En France comme dans de nombreux autres pays développés, la question
des délocalisations suscite un vif débat. Les pays émergents et les PECO
2
constituent les
pays qui reçoivent le plus de délocalisations au sens strict.
En ce qui concerne l’impact sur l’emploi, les points de vue et les résultats divergent
entre les économistes, même sur le plan empirique. Pour beaucoup d’économistes, les
délocalisations ne sont pas un problème pour les pays industrialisés : le jeu du marché
permet d’atteindre une situation optimale ; toute mesure interventionniste de protection
porte une atteinte à l’équilibre du marché et à la croissance des pays en développement.
D’autres pensent, cependant, que la question des délocalisations soulève des problèmes de
croissance et d’emplois dans les pays d’origines.
Les faits révèlent une distorsion et un écart qui se creuse en termes de salaire et des
inégalités entre TQ et TNQ. On assiste à une forme de désindustrialisation des pays riches
et une monté en puissance des exportations de biens manufacturés de la part des pays en
voie de développement (PVD) et des pays émergents. Or, depuis un certain temps, les
délocalisations concernent aussi des secteurs qui sont technologiquement plus intensifs
1
Les délocalisations concernent toute fermeture partielle ou nérale d’unités de production dans le territoire
national et la réouverture concomitante d’une unité productive à l’étranger, ou le recours à la sous-traitance sans
changer la destination des produits ou les services. En revanche, toute création de nouvelles entités (ex-nihilo ou
greenfield) à l'étranger ne peut être considérée comme une délocalisation lorsque ni l’emploi ni les exportations ne
sont touchés. Il s’agit ici plutôt d’une logique d'IDE.
2
Pour la France, Les PECO bénéficient d’un avantage en termes de proximité géographique auquel s’ajoute, avec
l’entrée dans l’UE, un avantage institutionnel en termes de sécurité juridique, ainsi qu’une stabilité politique et
sociale. Ces avantages constituent des déterminants importants pour attirer les délocalisations et les IDE.
3
[Artus (2006)], comme l’automobile et l’électronique. Elles concernent aussi de plus en plus
les services aux entreprises via le développement des NTIC (centres d’appels, services de
comptabilité, informatique).
Nous essayerons dans ce papier de savoir quelles sont les parts de responsabilité des
délocalisations dans l’accroissement du chômage et des inégalités salariales en France. Il ne
s’agit pas de faire un modèle de prévision, mais plutôt un modèle de simulation de l’impact
des délocalisations sur l’emploi. Nous nous intéressons plus aux interactions entre les
sorties d’IDE, l’augmentation des importations et l’emploi en France. Précisément, Il s’agit
ici de simuler, à l’aide d’un modèle d’équilibre général calculable (MEGC), l’impact des
délocalisations vers les PECO sur le TQ et le TNQ en France, pour évaluer un éventuel
creusement des inégalités entre les deux facteurs selon l’effet « Stolper-Samuelson ». Le
choix de la France et des PECO répond à l’exigence de travailler sur les délocalisations de
type Nord-Sud. Les PECO considérés comme des PBS.
Pour ce faire, nous aborderons dans un premier temps les apports théoriques et
empiriques dans l’explication de la relation délocalisation-emploi. Dans un deuxième temps,
nous élaborerons un MEGC pour le cas de la France afin de tester l’impact des
délocalisations vers les PECO sur la rémunération et le taux de chômage des TQ et des TNQ.
La simulation dans ce modèle, dans une logique prospective, passe par l’augmentation des
IDE sortants à destination des PECO qui sont considérés comme des délocalisations
3
.
I- Les analyses théoriques et les résultats empiriques de la relation
délocalisation-emploi.
I.1- Délocalisation-emploi : l’absence d’un consensus théorique
La délocalisation est le résultat d’interaction entre les IDE, la sous-traitance à
l’étranger et le commerce international. Elle résulte de la relation de substitution entre les
IDE sortants et le commerce (les exportations). La dynamique de ces interactions peut
engendrer des effets positifs ou négatifs sur l’emploi de manière directe ou indirecte. Les
effets peuvent changer de nature selon qu’on se place à court terme ou à long terme. En
général, on accorde une relation étroite entre délocalisation et emploi, délocalisation et
chômage. Dans ce sens, les délocalisations sont considérées comme un redoutable facteur
de destruction de l'emploi dans les pays du Nord.
4 Markusen (1995) considère que les mouvements des IDE de type Nord-Sud peuvent être considérés comme des
délocalisations. Point de vue soutenue par d’autres économistes comme Brainard.
4
Jusqu’à présent, il n’y a aucune base théorique solide qui traite d’une manière directe
la question de l’impact des délocalisations sur l’emploi dans les pays d’origines. La majorité
des études a examiné la relation délocalisation-emploi en se référant indirectement à la
relation entre les IDE et les échanges. Elles partent de l’idée selon laquelle une relation de
substitution entre les IDE et les échanges agit négativement sur l’emploi, alors qu’une
relation de complémentarité agit positivement sur l’emploi. La littérature a communément
traité la relation IDE-emploi comme une résultante des relations substitution-
complémentarité entre les IDE et le commerce.
Même si l'impact des délocalisations reste modeste, voire négligeable au niveau
national du fait du processus de création/destruction, l'impact local sur un bassin
d'emplois touché par les délocalisations peut être important. Cela nécessite des mécanismes
de redistribution entre ceux qui bénéficient des implantations à l'étranger, et ceux qui en
souffrent [Mucchielli et alii (2005)].
C'est la délocalisation des entreprises au sens large qui peut avoir un impact négatif
sur l'emploi. La délocalisation peut revêtir les deux formes d'investissements: les IDE
verticaux et les IDE horizontaux. Dans le cas d'un IDE vertical, on parle d'une relation de
complémentarité, ce qui veut dire que l'effet sur l'emploi doit être positif. En revanche, si
l'IDE est considéré comme une stratégie de délocalisation qui permet d'exploiter les
avantages comparatifs du pays hôte en terme de coût de main d'ouvre, l'IDE peut avoir un
effet négatif sur l'emploi du pays investisseur.
Les effets des délocalisations sur l’emploi peuvent être : des effets directs (positifs ou
négatifs) et/ou des effets indirects (positifs ou négatifs).
I.1.1- Les effets directs
Effets directs négatifs : Les effets directs négatifs apparaissent dans le cas
l’entreprise qui délocalise partiellement ou totalement ses activités à l’étranger
importe les produits ou les services délocalisés de cette nouvelle implantation pour
satisfaire le marché local. L’impact sur l’emploi est direct, et peut être ressenti de
manière très forte au niveau régional et local. On assiste alors à une parfaite substitution
entre la main d’œuvre locale et étrangère. La même chose se produit lorsqu’une
entreprise décide d’arrêter son activité et a recours à la sous-traitance internationale.
Effets directs positifs : La délocalisation peut être considérée comme
bénéfique, lorsqu’elle est utilisée comme une stratégie de redressement ou de
restructuration et qu’elle permet de sauver une partie de l’emploi menacé (l’entreprise
garde par exemple des commerciaux, les équipes de R&D). Elle peut être la seule issue
pour sauvegarder la pérennité de l’entreprise en termes de rentabilité. Il s’agit alors de
5
répondre à la question : que passerait-il si les entreprises ne délocalisaient pas ? Pour
répondre à cette question, une rie d’études menées sur le cas de l’Italie apportent des
résultats intéressants. Il s’agit des travaux de Navaretti, Bruno, Castellani et Flazoni
(2002) ; de Navaretti et Castellani (2003)
4
. Au cours de la période 1994-1998, ces auteurs
constatent que les firmes qui investissent à l’étranger sont celles qui emploient le plus
sur le marché domestique. La délocalisation peut être perçue comme une solution pour
les entreprises menacées de faillites et de licenciements.
I.1.2- Les effets indirects
Effets indirects négatifs : Il s’agit des effets de la délocalisation sur l’emploi
des autres secteurs ou autres entreprises qui ont des liens avec les secteurs ou les
entreprises qui délocalisent. Cette situation est souvent présente dans le cas des sous-
traitants qui se retrouvent obligés à leur tour de délocaliser leurs activités pour
accompagner leurs donneurs d’ordre (exemple du secteur de l’automobile et ses
équipementiers).
Un autre effet indirect qui pourrait être néfaste pour l’industrie du pays d’origine
réside dans le fait que les entreprises qui délocalisent (par IDE) participent d’une manière
importante au transfert des technologies à l’étranger. Ce transfert de technologie peut se
transformer en menace de concurrence des PBS, surtout s’il prend la forme de
délocalisation des centres de recherche et développement.
Effets indirects positifs : C’est le côté qui est rarement traité des
délocalisations. L’ensemble des analyses effectuées sur ce sujet ignorent les avantages et
le côté bénéfique des délocalisations. Il s’agit des emplois créés d’une manière indirecte
par la délocalisation. Lorsqu’un secteur délocalise très fortement, comme dans le cas du
textile, de la métallurgie et de l’automobile, d’autres secteurs tirent profit de cette
situation. Les emplois détruits directement dans un secteur sont créés d’une manière
indirecte dans d’autres secteurs. Cela correspond au concept schumpétérien de la
destruction-créatrice. Lorsque les entreprises du textile délocalisent, d’autres entreprises
se développent pour exporter des biens d’équipements, des services aux entreprises
comme l’expertise et des biens intermédiaires.
Théoriquement, la délocalisation profite aux TQ, car les entreprises qui délocalisent se
concentrent sur l’activité à haute valeur ajoutée, ce qui permet d’embaucher plus de main-
d’œuvre qualifié. Cette tendance s’accélère lorsque le pays industrialisé est contraint
4
Barba Navaretti .G et D. Castellani (2003), « Investments Abroad and Performance at Home evidence from Italian
Multinationals », Centro studi Luca D’Aglino Development Studies working paper N° 180.
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