Université Hassan II Casablanca Ecole Nationale de Commerce et de Gestion Casablanca Laboratoire d’Analyses Marketing d’Analyses et Stratégiques des organisations (LAMSO), organisent la première édition du CIMSO Colloque International sur le Management et la Stratégie des Organisations Sous le thème : « Les pratiques managériales durables : Quels effets sur la performance et la compétitivité des organisations » 5 & 6 Mai 2017 – ENCG Casablanca COMMENT RÉORGANISER LES ENTREPRISES MAROCAINES POUR UNE TRANSITION INTELLIGENTE COLLECTIVE ? Aicha EL ALAOUI, Professeur Habilitée. Université Sultane My Slimane. Faculté Polydisciplinaire. BP: 591, Av. Ibn Khaldoun, CP: Tél. (+212) 6 63 50 62 11. Email: [email protected] 23000, BeniMellal, Maroc. Version Mars Résumé : Depuis la révolution industrielle, le monde a connu un changement surtout dans le mode de production et dans le style de vie de la population. Le processus de production a engendré des effets négatifs sur l'environnement avec des conséquences irréversibles, à savoir : le trou de la couche d'ozone, le changement imprévu et brutal de température et la perte de biodiversité. Ainsi, plus de la moitié de la population mondiale vit en zone urbaine depuis le début de XXI siècle. Au Maroc, la population des agglomérations urbaines de plus d'un million (% de la population totale) était de 22,65 en 2015, contre 13,98 en 1960 selon les Nations Unies (2016). Cette situation engendre des conséquences considérables sur l’équilibre social, économique et environnemental des territoires. Pour y répondre, une transition intelligente collective est nécessaire où la transition vers une économie circulaire et centrée sur l’humain s’impose, se basant ainsi sur les 3R (réduire, réutiliser et recycler) et sur le développement humain. Dans ce cadre, la stratégie publique et la stratégie privée doivent s’aligner avec cette nouvelle économie en s’organisant et créant une nouvelle manière de gestion chacun à son niveau mais dans un cadre de partenariat et de bonne gouvernance où la participation de citoyen et citoyenne est importante. Plusieurs questions s’imposent telles que : Pourquoi l’économie circulaire axée sur l’humain est une réponse aux limites de l’économie linéaire ? ; Comment les entreprises au Maroc peuvent adapter leurs gestions et leurs organisations pour réussir cette transition ? Quels sont les bénéfices attendus ? Mots clés : Economie circulaire et centrée sur l’humain ; Intelligente collective ; Gouvernance Participative ; Développement Humain. 1 1. Introduction Au niveau mondial, deux constats sont très importants à signaler : (1) l’ensemble des ressources de la terre a tendance à devenir non renouvelables, et (2) plus de la moitié de la population mondiale vit en zone urbaine. Depuis la révolution industrielle, l'environnement a connu de nombreux changements qui peuvent se résumer en trois aspects: le trou de la couche d'ozone, le changement imprévu et brutal de température et la perte de biodiversité où ses conséquences sont plus observées dans les pays en développement et les populations les plus pauvres, comme en Afrique Subsaharienne, en Asie du Sud, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine, (Daniel (1999), Chivian et Bernstein (2010), Khagram, Clark et Raad (2003), Bass Et Zommers (2007), entre autres). En zone urbaine, les risques pour les peuples, les biens, les économies et les écosystèmes ont augmenté, comme la pollution atmosphérique, la sécheresse et la pénurie d'eau (IPCC, 2014, p.15). En zone rurale, les principaux impacts sont sur la disponibilité et l'approvisionnement en eau, la sécurité alimentaire, les infrastructures et les revenus agricoles (IPCC, 2014, p.16). Bass (2006) a signalé que ''the harmful effects of the degradation of the ecosystem services are being borne disproportionately by the poor, are contributing to the growing inequities and disparities across groups of people, and are sometimes the principal factor causing poverty and social conflict''1, (Bass, 2006, page 2). Ajoutons à cette situation inquiétante de l’environnement, la croissance accélérée de la population urbaine. Dans son rapport révisé de 2014, le département des affaires économiques et sociales (DAES) a indiqué que la plus grande croissance urbaine aura lieu en Inde, en Chine et au Nigéria. Ces trois pays représenteront 37 pour cent de la croissance de la population urbaine mondiale prévue entre 2014 et 2050. Au Maroc, la population des agglomérations urbaines de plus d'un million (% de la population totale) était de 22,65 en 2015, contre 13,98 en 1960 selon les Nations Unies (2016). Cette croissance démographique avec le changement des modes de consommation vont conduire à une augmenter le volume des déchets solides municipaux. Par exemple, ce volume de déchets dans la région méditerranéenne pourrait atteindre 396 millions de tonnes à l'horizon 2025 au lieu de 174 millions de tonnes en 2000, (ARLEM, 2014, p.3). Au Maroc 5 millions de tonnes sur les 6,5 qui sont produites, sont d'origine urbaine, «dont seulement 15 % sont disposées dans des décharges contrôlées», (ARLEM, 2014, p.5). Cette situation de dégradation environnementale et croissance accélérée des agglomérations urbaines engendre des conséquences considérables sur l’équilibre social, économique et environnemental des territoires. La réponse à une telle situation est une transition intelligente collective où l’ensemble des acteurs sont intelligents puisque on ne peut pas nier la réalité technologique. Chaque acteur a un rôle à jouer dans une collaboration, coordination et complémentarité où l’Etat gardera la synergie et l’équilibre entre les différents acteurs ; les citoyens et citoyennes vivront dans la dignité, l’équité et la transparence, et les partenaires privées produisant le nécessaire avec une offre de service performante : c’est une optimisation globale. 1 «Les effets nocifs de la dégradation des services écosystémiques sont supportés de manière disproportionnée par les pauvres, contribuent aux inégalités et disparités croissantes entre groupes de personnes et sont parfois le principal facteur de pauvreté et de conflit social» (traduction). 2 Cette optimisation globale nécessite ainsi une transition vers une vie plus intelligente qui doit (1) utiliser les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) pour permettre à ses habitants d’avoir une qualité de vie élevée, (2) intégrer l’ensemble de ses acteurs (publiques, privées) et de citoyens et citoyennes dans la prise de décision ; et (3) rejeter le moins de déchets possible de façon à avoir une empreinte écologique neutre. Ces trois points coïncident avec la notion de la ville intelligente ou smart city 2. Giffinger et al. (2007) et Cohen (2012) ont confirmé qu’une ville intelligente ou smart city est basée sur six smart(s) : smart economy, smart people, smart governance, smart mobility, smart environment and smart living3. Chaque intelligence ou smart joue un rôle important dans la construction globale d’une ville intelligente ou d’une vie intelligente. Quel que soit le développement économique et social d’un pays, la transition est donc nécessaire, nécessitant d’une part la convergence entre le social et le numérique et d’autre part une coalition entre le développement économique et la consommation rationnelle et cyclique des ressources naturelles. Parmi les six smart, il y a smart economy ou économie intelligente qui ne peut être que circulaire et centrée sur l’humain. Cette économie propose un changement de paradigme. Il s’agit (1) de passer d’une économie linéaire (extraire, fabriquer, consommer, jeter) qui a atteint ses limites à une économie circulaire fondée sur les 3 R : réduire la consommation de ressources, réutiliser les produits fabriqués et recycler les déchets, et (2) de s’appuyer sur le développement humain, éducation, santé, égalité,… Dans ce cadre, la stratégie publique et la stratégie privée doivent s’aligner avec cette nouvelle économie en s’organisant et créant une nouvelle manière de gestion chacun à son niveau mais dans un cadre de partenariat et de bonne gouvernance où la participation de citoyen et citoyenne est importante. Ce travail est une réflexion pour essayer de répondre à des questions qui sont multiples et complexes, telles que : Pourquoi l’économie circulaire axée sur l’humain est une réponse aux limites de l’économie linéaire ? ; Comment les entreprises au Maroc peuvent adapter leurs gestions et leurs organisations pour réussir la transition vers une économie circulaire et centrée sur l’humain ? Quels sont les bénéfices attendus de cette économie ? 2. Pourquoi l’économie circulaire axée sur l’humain est une réponse aux limites de l’économie linéaire ? Pour produire, les entreprises dans une économie linéaire a le processus suivant : extraction des matières premières ou/et achats des produits, utilisation de ces matières ou produits dans la production, commercialisation, consommation, déchets et gaspillage. L’économie linéaire a créé une économie de consommation ; des milliers sinon des millions de produits de consommation ont été fabriqués, engendrant des effets néfastes à plusieurs niveaux, nous pouvons citer par exemple : La perte de la valeur des produits : la volatilité des prix, la diminution de la qualité des produits ; 2 Plusieurs définitions ont été données à ce nouveau concept, voir Boulton, Brunn, et Devriend (2011). Économie intelligente, personnes intelligentes, gouvernance intelligente, mobilité intelligente, environnement intelligent et vie intelligente 3 3 La pénurie des ressources : utilisation massif des ressources ce qui a engendré leurs destructions, même pour certaines ressources qui ont été considérées comme renouvelables sont devenues non renouvelables ; Les amplifications des déchets : la dégradation de l'environnement et les changements climatiques. Selon l’étude de la gestion des flux à travers des concepts et bilans des déchets (PGPE, 2008), les gisements des déchets industriels dangereux et hospitaliers ont été estimés en 2000 à environ 120 000 et 11 000 t/an respectivement, (PGPE, 2008, p.13). La répartition sectorielle et régionale des déchets industriels dangereux se présente entre 1997-1998 comme suit : Secteur Déchets générés % de déchets globaux Dans le Maroc Industrie chimique et parachimique 88 640 tonnes 75% Industrie de textile et de cuire 7 400 tonnes 6% Dans la région 42 % dans la région de Casablanca ; 41 % dans la région de Doukkala-Abda (El Jadida). 65 % dans la région de Casablanca ; 9 % dans la région de TangerTétouan ; 7% dans la région de Rabat ; 7 % dans la région de Fès. 42% dans la région de Casablanca ; 44 % dans la région de l’oriental ; 40 % dans la région de Casablanca Industries métalliques et 12 300 10% mécaniques tonnes Industrie agroalimentaire 9 630 8% Industrie de l’électrotechnique et 930 1% 76 % dans la région de Casablanca de l’électronique tonnes Source : Elaboré à partir du rapport de PGPE (2008), p.14. Avec l’accélération de la dégradation de l’environnement, la rareté des ressources et la flambée des prix des matières premières surtout pour les pays qui dépendent fortement des importations de ces matières, l'économie circulaire devient la solution pour revaloriser les produits, les matériaux et les ressources, donnant la plus longue vie possible. Ainsi, ce mode de production sera une solution pour minimiser la production de déchets. Ajoutons à cette recette, le rôle de l’humain pour garder l’équilibre et réussir ce nouveau mode. Depuis les premiers travaux des années 60 surtout les travaux de Becker (1962), Schultz (1961, 1962), Mincer (1958, 1962), Kiker (1966) et Blaug (1976), le capital humain est considéré comme un facteur important pour réduire la pauvreté et la migration, et pour améliorer la qualité des institutions et les conditions sociales des citoyens. A ce niveau, l’organisation des entreprises doit intégrer l’humain dans sa gestion, sa stratégie, son développement et dans sa culture. Les valeurs humaines dans une organisation ne peuvent que réussir le développement durable d’un pays ou d’une région. Une économie qui ne tient pas compte de ces aspects dans sa structure de développement et de croissance ne peut être qu’une économie handicapée où l’expérience de plus de deux siècles a montré ses limites, impliquant la dominance de la vision politico-économique unipolaire des Etats-Unis, la mauvaise répartition de la richesse planétaire et son monopolisation par un nombre restreint des lobbies 4 financiers, les conflits et les évènements inhumains/terrorismes propagés dans plusieurs pays arabes et dans ceux dits démocratiques, les migrations, … . 3. Comment les entreprises au Maroc peuvent réussir cette transition ? La transition vers un nouveau modèle économique passera par une modification de nos modes de production et de consommation. Les entreprises doivent inscrire le développement d’une économie circulaire comme axe de travail prioritaire dans leurs feuilles de route. Elles doivent gérer plus efficacement tout au long de la chaîne de valeur. Figure 1. Economie linéaire Déchets Extraction ou Approvisionnement en ressources (interne et/ou importé) Fabrication/ transformation / Production Commercialisation Consommation Déchets Figure 2. Economie circulaire Revalorisation/ Recyclage des ressources utilisées Déchets Fabrication/ transformation / Production Commercialisation Consommation Dans sa gestion, l’entreprise doit prendre en compte des impacts environnementaux sur l’ensemble du cycle de vie d’un produit (par l’analyse du cycle de vie, ACV) et les intégrer dès sa conception (par l’écoconception), favoriser le réemploi (filières de seconde main), la réparation des produits (disponibilité des pièces de rechange, allongement de la durée de garantie légale), lutter contre l’obsolescence programmée, privilégier l’usage sur la possession ou un service plutôt qu’un bien (économie de la fonctionnalité), recycler les matières issues des déchets, lutter contre le gaspillage, mettre en place des symbioses industrielles (écologie industrielle et territoriale) ou mutualiser des services sur un territoire. 5 Les programmes de recherches et de développement de technologies sont très coûteux pour les entreprises indépendamment de leurs tailles. Mais, la création d’un lieu attractif qui réunit les chercheurs, les universitaires, les scientifiques et les entrepreneurs dans une approche de co-création permet d’encourager le développement de start-up et entreprises innovantes au lieu d’un bottom-up. 4. Quels sont les bénéfices attendus ? Le développement de l’économie circulaire et centrée sur l’humain doit permettre de diminuer le prélèvement des ressources, de réduire la production de déchets et de restreindre la consommation d’énergie. C’est ainsi, un nouveau mode de production et de consommation ami de l’environnement sera installé. Outre les bénéfices écologiques, cette activité émergente est créatrice de richesse et d’emplois (y compris ceux relevant du champ de l’économie sociale et solidaire) sur l’ensemble du territoire et son développement doit permettre au Maroc d’en tirer un avantage compétitif dans le contexte de la mondialisation. 5. Que peut-on conclure ? Dans un contexte du développement industriel, de la pression démographique et de l'évolution des modes de consommation, le changement de mode de production, les styles de consommation et la répartition de la richesse planétaire est une nécessite car l’absence d’un tel changement renforcera la dégradation environnemental, la santé humaine, la qualité de vie et l'économie. La transition vers une économie circulaire et centrée sur l’humain offrirait des possibilités pour la préservation des ressources naturelles, la création d'emplois, l'amélioration de la qualité de vie et assurer un avenir durable. C’est une méthode de développement durable qui permet ainsi de surmonter les défis liés au changement climatique, à la pollution atmosphérique et de l'eau et de promouvoir le développement humain. Ceci exige la participation de l'ensemble des niveaux de décision en une action conjointe, car les objectifs ne peuvent être atteints qu'à travers un engagement commun et dans le cadre d'une vision partagée. 6. Références ARLEM, Assemblée de l'UE des représentants régionaux et locaux, (2014). "Rapport sur la gestion des déchets aux niveaux local et régional en Méditerranée", COR-2014-01462-00-02TCD-TRA (FR) 1/21. Bass, S. (2006). "Making poverty reduction irreversible: development implications of the Millennium Ecosystem Assessment". IIED Environment for the MDGs’ Briefing Paper. International Institute on Environment and Development, London. Boulton, A., Brunn, S.D., & Devriendt, L. (2011). ''Cyber infrastructures and “smart” world cities: Physical, human, and soft infrastructures''. In Taylor, P., Derudder, B., Hoyler, M., & Witlox, F. (Eds.), International Handbook of Globalization and World Cities. Cheltenham, UK: Edward Elgar. Available from http://www.neogeographies.com/documents/cyberinfrastructure_ smart_ world_cities.pdf. 6 Chivian E and Bernstein A. (2010). "How Our Health Depends on Biodiversity". Boston, MA: Center of Health and the Global Environment, Harvard Medical School. Cohen, B. (2012). What Exactly Is A Smart City? Co.Exist. http://www.fastcoexist.com/ 1680538/what-exactly-is-a-smart-city Daniel J. Jacob. (1999). "Introduction to atmospheric chemistry". Published by Princeton University Press Princeton, New Jersey. Giffinger R. et al (2007). Smart Cities: Ranking of European Medium-Sized Cities, Vienna, Austria: Centre of Regional Science (SRF), Vienna University of Technology. www.smartcities.eu/download/smart_cities_final_report.pdf Khagram, S., Clark, W. C., and Raad, D. F. (2003). "From the Environment and Human Security to Sustainable Security and Development", Journal of Human Development 4(2): 289-313. IPCC, Intergovernmental Panel on Climate Change, (2014). "Climate Change 2014: Synthesis Report". Contribution of Working Groups I, II and III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Core Writing Team, R. K. Pachauri and L. A. Meyer (eds.)]. IPCC, Geneva, Switzerland, 151 page. Martino, D. and Zommers, Z. (2007). "Environment for Development", Chapter 1 of report of Global Environment Outlook, GEO4, United Nations Environment Programme (UNEP). 7