La gueule de bois des physiciens
Par la suite, les théories supersymétriques et celles faisant intervenir des dimensions spatiales
supplémentaires (celles de Kaluza-Klein et des supercordes) sont venues changer la donne, et
encore plus, à la fin des années 1990 quand Lisa Randall et Raman Sundrum d’un côté et Nima
Arkani-Hamed, Savas Dimopoulos, et Gia Dvali de l’autre, ont montré que la masse de Planck
fondamentale était peut-être plus petite qu’on ne le pensait. En fait, plusieurs problèmes
rencontrés avec le modèle standard disparaissaient naturellement avec des combinaisons de
théories supersymétriques ou de dimensions spatiales supplémentaires, lesquelles prévoyaient un
extraordinaire zoo de nouvelles particules élémentaires visibles dans des collisions à des énergies
de quelques TeV tout au plus. Le plus fascinant aurait été la mise en évidence de la production de
minitrous noirs s'évaporant par effet Hawking.
Mais la première campagne de prise de données par le LHC n’a rien montré de tel et même la
découverte du boson Brout-Englert-Higgs a rapidement montré des signes d’un comportement en
tout point en accord avec le modèle standard, alors que l'on pouvait s'attendre à quelques
différences, trahissant l'influence d'une nouvelle physique. Le cauchemar de l’hypothèse du désert
a donc commencé à faire son retour. Et ce d’autant plus qu’aucune des expériences parties à la
recherche de la matière noire, comme AMS, ou encore des GUT, dans le rayonnement fossile,
comme Planck et Bicep II, n’ont pas non plus montré de signes d’une nouvelle physique.
Il faut donc prendre au sérieux le physicien Adam Falkowski lorsqu’il explique sur son célèbre blog
que les physiciens des hautes énergies sont en train d’émerger d’une période d’euphorie avec une
gueule bois. Pire, que finalement depuis quelques années, ils sont aux prises avec les fameuses
cinq phases de deuil qu’a distinguées la psychiatre helvético-américaine, Elisabeth Kübler-Ross. Car
le début de la seconde campagne de prises de données, avec un LHC toujours plus performant, des
collisions à 13 TeV et une luminosité nominale déjà dépassée, ne fait toujours pas apparaître de
nouvelles particules.
Julien Baglio présentant ses travaux sur le boson de Brout-Englert-Higgs lors de l’Hadron Collider
Physics Symposium (HCP), à Kyoto, en novembre 2012. © HCP 2012 Local Organizing Committee
Un LHC plus performant que jamais
Et pourtant… En décembre 2015, un séminaire du Cern permettait aux membres des collaborations
Atlas et CMS d’annoncer que les deux détecteurs géants du LHC commençaient à voir un signal
pouvant indiquer un nouveau boson qui se désintégrerait en deux photons, avec la même masse
de 750 GeV. Il ne s’agissait pas encore d’une découverte mais on avait un peu l’impression de
revivre les débuts de celle du boson de Brout-Englert-Higgs.
Pour nous éclairer sur la signification de ces mesures, Futura-Sciences avait interrogé le physicien
Julien Baglio, qui nous avait parlé de ses recherches sur le boson de Brout-Englert-Higgs dans le
cadre des théories supersymétriques. Il nous avait déjà mis en garde à l’époque, affirmant que cela
méritait d'y regarder de plus près mais qu'il ne fallait pas s’emballer. Il était tout de même curieux
qu’un même signal ait été observé dans deux détecteurs de conceptions différentes, ce qui rend
moins probable un biais, une erreur systématique dans les mesures. Le chercheur nous avait donc
conseillé d’attendre les premiers résultats de la seconde campagne de prise de donnée au LHC, et
donc l’année 2016. Une date clé allait être l’International conference on high energy physics, ou
Ichep, une biennale où se rassemblent aussi bien les théoriciens que les expérimentateurs. Elle se
tient en ce moment à Chicago (États-Unis), du 3 au 10 août 2016.
Elle a permis d’annoncer officiellement que les signaux vus dans Atlas et CMS n’étaient que des
fluctuations statistiques, soit dit autrement une farce que nous a joué le hasard. La nouvelle est
d’autant plus décevante que la directrice générale du Cern, Fabiola Gianotti, a récemment déclaré
dans un communiqué du Cern que « la superbe performance de l’accélérateur LHC, des
expériences et de l’informatique est d’extrêmement bon augure pour une exploration détaillée et
complète de l’échelle d’énergie de plusieurs TeV, et pour des progrès considérables de notre
compréhension de la physique fondamentale ».
Il n’y a en effet pas de doute que les ingénieurs et les physiciens en charge des accélérateurs, des
détecteurs, de la prise et de l’analyse des données ont fait un travail spectaculaire qui force le
respect à tout point de vue, portant la machine à de nouveaux sommets. Le Cern précise d’ailleurs