La mondialisation ne crée pas un village planétaire comme on le pense, mais un systèmemonde beaucoup plus sophistiqué qui s'impose actuellement sans mode d'emploiLe monde est trop vaste, trop divers, trop peuplé et trop traversé par des mutations incontrôlables pour que la mondialisation n'ait qu'un seul maître d'œuvre. La mondialisation que nous subissons présentement n'est pas la première de notre histoire, mais elle est différente à cause de son ampleur. La mondialisation est un phénomène irréversible ; elle est une révolution à ses débuts et sera ce que nous déciderons qu'elle soit. La première phase, de 1995 à 2000, fut sauvage et n'a bénéficié qu'à quelques majors ; elle a diminué le pouvoir des États-nations et appauvri les citoyens parce qu'elle n'avait pas de projet de société. Maintenant qu'une deuxième phase commence, les négociations entre les partenaires socioéconomiques seront beaucoup plus ardues, comme l'indiquent les échauffourées de Seattle, de Davos, de Gênes, de Prague ou de Québec. Afin de développer « un demain plus généreux », tous les acteurs doivent connaître cette force qui propulse le développement de notre société. 1. Quatre courants théoriques dominent la réflexion sur les échanges internationaux. Ils se différencient par le rôle et le pouvoir qu'ils accordent aux Etats et aux firmes. C’est quatre grandes façons de penser la mondialisation chez les économistes. Il y a ceux qui l'appréhendent uniquement du côté du prince, comme les mercantilistes. Les économistes libéraux veulent, à l'inverse, penser le capitalisme indépendamment de l'Etat. Une troisième approche s'intéresse plus particulièrement aux stratégies des firmes. Quant à la dernière, elle donne lieu à des analyses sur le pouvoir respectif des firmes et des Etats 2. 3. Les partisans et les adversaires de la mondialisation + sont au moins d'accord sur un point : avec elle, nos économies se rapprochent de plus en plus de l'idéal libéral. Pour ceux qui s'en félicitent, le rêve de Léon Walras serait enfin en voie de se réaliser : le monde tendrait vers la concurrence pure et parfaite, et nous pourrions bientôt connaître les joies de l'équilibre général. Ceux qui sont (à juste titre) inquiets de cette perspective totalitaire montent sur les barricades et organisent la résistance face à la marchandisation du monde. Pourtant, quelle que soit l'ampleur de la domination du discours libéral, de nombreux signes montrent qu'en pratique, ce n'est pas le chemin que le monde est en train de prendre 4. L'économie mondiale traverse, depuis le milieu des années 70, une phase de mutations structurelles d'une exceptionnelle intensité. Au cœur de ces mutations, se trouvent trois phénomènes majeurs : la révolution des modes de production et de consommation, suscitée par l'explosion des technologies de l'information; la mondialisation de l'espace économique, issue du mouvement général de libéralisation des marchés et des mouvements de capitaux; l'émergence d'un nouveau pôle de croissance s'étendant, au-delà du Japon, à l'ensemble de l'Extrême-Orient, Chine incluse, et qui remet en cause la domination du monde européen, ou d'extraction européenne, sur l'économie mondiale. 5. Parce qu'elles tendent à abolir le temps et l'espace, les technologies de l'information (industries électroniques, informatique, télécommunications) ont partie liée avec le mouvement de mondialisation caractéristique de cette fin de siècle.Que l'information et les capitaux se jouent des frontières et franchissent les continents à la vitesse d'un clic de souris informatique n'est évidemment pas sans conséquence sur la capacité des Etats à contrôler ce qui se passe sur leur territoire, autrement dit sur les attributs classiques de la souveraineté économique 6. A son tour, la mobilité accrue des capitaux et l'ouverture des marchés accélèrent la diffusion des nouvelles technologies, lesquelles, vecteurs d'une information devenue abondante et bon marché, rendent possible la décentralisation du savoir sur une très large échelle. 1 Combinés, ces deux mouvements facilitent l'entrée de nouveaux venus sur la scène économique mondiale. A condition d'investir suffisamment dans leurs ressources humaines, les pays d’industrialisation+ récente peuvent mobiliser des outils de production dont le coût, en baisse accélérée, est nettement moins prohibitif que celui des immobilisations en capital, caractéristiques des industries motrices d'après-guerre (automobile, sidérurgie, chimie, etc.). 7. Parallèlement, du côté de l'activité marchande, on assiste à une accélération fantastique de la tendance - ancienne dans le capitalisme - à l’oligopole et au monopole. La firme a toujours été l'antithèse du marché : son existence tient au fait qu'elle est plus efficace que le jeu de la concurrence pour organiser la coordination de la production entre les hommes et les femmes qui la constituent. Ironie de l'histoire, l'accélération récente de la concentration des entreprises résulte notamment des efforts réalisés un peu partout en faveur de la dérégulation et de l'ouverture des marchés. 8. Dans un courant apparu dans l'entre-deux-guerres, la mondialisation se comprend d'abord par les choix de stratégie internationale des firmes, dont certaines sont plus puissantes que d'autres. Elles négocient avec les Etats la répartition de leurs activités sur les différents territoires. Les multinationales structurent le marché dans le cadre d'une concurrence imparfaite : certaines disposent d'avantages supérieurs aux autres (technologie, organisation...). Elles jouent sur le double registre du transnational (ensemble des flux qui dépassent les frontières) et de l'international (différences liées aux frontières). 9. Dans l'économie politique internationale de la Britannique Susan Strange, la mondialisation s'organise autour d'une pluralité d'acteurs, et pas seulement dans le cadre de décision des seuls Etats-nations. Dès lors, la mondialisation + se lit autour de plusieurs enjeux : les liens entre firmes (qui définissent la nature de la division internationale du travail +) ; les liens firmes-Etat (les enjeux de la compétitivité + des territoires) et les liens entre Etat (les enjeux de souveraineté). Au total, les réseaux transnationaux des acteurs privés sont au coeur du pouvoir mondial et leur influence dépasse souvent celle des Etats. 10. L'ouvrage que vient de publier Christian Chavagneux traite d'une question fondamentale, celles des liens entre l'économique et le politique dans le champ de l'économie internationale et mondiale. Il présente avec grande clarté les différents courants théoriques de l'économie politique internationale (EPI) et discute les grandes questions d'actualité concernant l'hyperpuissance américaine, le pouvoir des firmes multinationales et des nouveaux acteurs internationaux, le dérèglement des marchés financiers ou les débats concernant la gouvernance + mondiale. 11. L'auteur rappelle comment la science économique occulte le pouvoir et comment les sciences politiques ignorent les nouveaux pouvoirs privés. Il différencie, de manière pertinente, trois grands courants de l'EPI. L'approche américaine réaliste, qui privilégie les Etats comme acteurs majeurs de la scène internationale, en y intégrant les théories de la stabilité hégémonique de Kindleberger, des régimes de Krasner ; l'approche européenne de Strange ou de Palan, mettant en avant la pluralité des acteurs publics et privés, mais également des organisations non gouvernementales ou des mafias et leurs pouvoirs structurels ; l'approche de Cox, qui privilégie les classes sociales et le rôle hégémonique mondial des hauts responsables des Etats et du secteur privé. Enfin, l'auteur positionne les travaux français au regard de ces écoles de pensée anglo-saxonnes et les enjeux de l'EPI dans la recherche et l'université. 12. Le développement international des firmes prend deux formes distinctes : la création de nouveaux établissements de production ou de distribution à l'étranger (croissance interne) ; le rachat d'entreprises ou l'alliance avec des concurrents (croissance externe par fusions, acquisitions ou mise en oeuvre de joint-ventures, c'est-à-dire de filiales communes à deux entreprises dont les maisons mères demeurent distinctes). Les statistiques d’investissement direct à l'étranger, publiées par les organismes économiques internationaux, distinguent mal 2 ces deux dimensions. Isoler spécifiquement les opérations de croissance externe permet de mieux faire apparaître dans quels secteurs et dans quelles régions s'opère la recomposition actuelle du capitalisme + mondial. Nous nous sommes ici appuyés sur la base de données établie par la société d’audit + et de conseil KPMG. 13. Les Etats les plus riches - Etats-Unis, Europe et Japon - réalisent à eux seuls 65 % des exportations mondiales (7 300 milliards de dollars). En ajoutant la Chine et les pays émergents d'Asie, on atteint 80 % ! Les multinationales, en quasi-totalité originaires de ces Etats, jouent un rôle dominant dans l'organisation de ces échanges, puisque les 500 premières contrôlent 70 % du commerce mondial. Une telle expansion n'aurait pu se produire sans le soutien de ces mêmes Etats, qui n'ont eu de cesse, au cours des dernières décennies, de libéraliser les échanges, les investissements internationaux et les mouvements de capitaux. 14. Le développement de la transnationalisation des entreprises est un des traits majeurs de la mondialisation de l'économie. Le bilan des principales opérations de fusions et acquisitions opérées ces deux dernières années fournit une bonne illustration des évolutions des structures du capitalisme au niveau mondial : internationalisation des activités de services et poids plus que jamais dominant des firmes issues des grandes économies développées. 15. La mondialisation est bien un processus contradictoire. C'est la résultante de stratégies d'acteurs privés et d'acteurs publics qui imposent leurs intérêts. Les économistes nous aident encore peu à décrypter ce processus, dont l'économie politique internationale s'est saisie. 16. 17. D'un côté, la libéralisation financière a apporté de nouveaux risques liés à la montée de l'instabilité financière et à la possibilité de propagation des crises à travers tout le système. Mais d'un autre côté, on a l'impression que le système est devenu tellement large qu'il a la capacité d'absorber tous les chocs, de les diluer. Quand un raz de marée se produit près des côtes, il peut faire des ravages. Quand il se situe au milieu d'un vaste océan, il ne produit plus que des vaguelettes. Il y a bien eu augmentation de l'instabilité financière, mais cela n'a pas dégénéré, jusqu'ici, dans une grande crise internationale comme en 1929. 18. Un commerce intrarégional La proximité joue un grand rôle, puisque le commerce intrarégional représente à lui seul un quart du commerce mondial. Ainsi, plus de 60 % du commerce des pays européens s'effectuent au sein de l'Union. De même, le développement de l'Asie s'accompagne d'une régionalisation des échanges : la région devient moins dépendante du reste du monde, que ce soit pour ses achats ou pour ses débouchés. Le commerce interne à la zone Asie a ainsi doublé au cours des années 90, après avoir triplé pendant les années 80. Cette évolution est largement portée par les multinationales japonaises : elles ont organisé une spécialisation verticale( a ) régionale qui explique, selon le Fonds monétaire international ( FMI +), 75 % de la croissance des échanges de la zone sur la période 1996-2000 (contre un tiers en Amérique latine et un quart pour la région MoyenOrient-Afrique du Nord 19. La bulle spéculative + qui s'est formée sur les Bourses mondiales a illustré, jusqu'à la caricature, la myopie persistante des acteurs financiers et leur incapacité à discipliner les entreprises. L'affaire Enron, en particulier, a achevé de montrer combien la dictature des actionnaires était une illusion. Le capitalisme + est en fait devenu, durant toute cette période, plutôt plus managérial encore qu'au cours des années 60 et 70. Ce qu'a traduit d'ailleurs la hausse fantastique des revenus des dirigeants d'entreprise. 20. Après guerre, la régulation publique s'appuyait sur une réglementation stricte. Dans les années 80, elle a évolué vers le contrôle prudentiel, en imposant des règles de bonne gestion aux établissements financiers, et vers la surveillance, c'est-à-dire la vérification a posteriori 3 que les règles étaient bien appliquées. Aujourd'hui elle demande aux banques de se surveiller elles-mêmes, les autorités publiques se contentant de surveiller cette surveillance. Est-ce suffisant ? On peut en douter. Il faudrait maintenir un élément de régulation + financière globale qui passe par la coordination des activités de régulation nationales. On en est loin. 21. La structure du commerce mondial reflète donc largement les choix des lieux d'implantation des multinationales. Les investissements se concentrent aujourd'hui sur un nombre limité de pays (Corée du Sud, Taiwan, Singapour, Hongkong, Malaisie, Thaïlande, Indonésie), auxquels on peut ajouter quelques pays latino-américains (Brésil, Argentine...) et d'Afrique du Nord (Tunisie, Maroc). Les multinationales se dirigent en effet vers des pays dont la législation est accueillante à leur égard et surtout qui disposent des infrastructures, de la main-d'oeuvre qualifiée et de l'environnement juridique nécessaires pour produire efficacement. Des conditions qui favorisent également l'émergence de producteurs locaux. L'exemple de la Corée du Sud, dont les multinationales jouent désormais un rôle croissant dans de nombreux secteurs, en témoigne. Et on voit maintenant émerger des multinationales chinoises 22. Dans un monde où la concurrence classique joue un rôle de plus en plus secondaire, les formes politiques de direction de l'activité économique prennent de l'importance. La meilleure preuve se lit dans le débat récurrent autour du gouvernement d'entreprise. La discussion porte sur les moyens de l'influence politique de décideurs extérieurs à l'entreprise. Il a été lancé par des acteurs financiers qui constataient ne plus pouvoir influencer suffisamment les entreprises en jouant simplement sur les outils marchands classiques d'achat et de vente de titres. Il se nourrit aujourd'hui de l'intense contestation politique dont fait l'objet le poids croissant des multinationales. 23. 24. Le raisonnement des économistes – qui se rattachent généralement à l’école néo-classique – s’inscrit dans un monde virtuel où la concurrence est pure et parfaite, l’environnement stable, le chômage uniquement volontaire et où l’individu responsable et organisé peut se mettre à l’abri de l’incertitude. On sait que le monde réel ne fonctionne pas comme cela. 25. les modèles mathématiques sur lesquels se fondent les attaques contre les politiques du bien-être ne prennent pas en compte la qualité des politiques et des institutions : l’accès aux prestations chômage est soumis à des conditions qui sont définies par le législateur et ces conditions peuvent être incitatives ou désincitatives. 26. Pour qualifier l'impact d'une politique publique, il faut avant tout que les objectifs politiques aient été clarifiés en amont. Cela soulève des questions éthiques et politiques fondamentales, celles du choix de société, et l’approche d’Amartya Sen est ici fondamentale en proposant comme critère ultime celui de capacité. Pour Sen « les revenus et les biens matériels sont la base de notre bien-être. Mais l’usage que chacun peut tirer d’un ensemble donné de biens matériels, ou, plus généralement, d’un niveau donné de revenus, dépend, pour l’essentiel, de toute une série de circonstances contingentes, aussi bien personnelles que sociales ». Les individus sont différents, certains sont handicapés physiquement ou socialement, et évoluent dans des contextes différents. 27. Ce critère est beaucoup plus pertinent que celui, habituellement retenu en économie, de "l'optimum de Pareto » qui est le point au-delà duquel l’enrichissement de l’un ne peut plus se faire qu’au détriment d’un autre. Pour Sen, on peut dépasser ce critère et définir l’efficacité économique comme le point au-delà duquel « on ne peut plus augmenter la capacité de personne en maintenant celle de tous les autres au niveau existant au moins». 4 28. Dani Rodrik, montre que dans l'enchevêtrement de ces déterminants, c'est la qualité des institutions publiques qui est le facteur essentiel du développement dans un papier essentiel "INSTITUTIONS RULE: THE PRIMACY OF INSTITUTIONS OVER GEOGRAPHY AND INTEGRATION IN ECONOMIC DEVELOPMENT". 29. « Aujourd’hui, ce sont les fanatiques du marché qui dominent le FMI. Ils sont persuadés que le marché, très généralement, çà marche et que l’Etat, très généralement, çà ne marche pas. (…). Dans les cinquantes dernières années, la science économique a expliqué quand et pourquoi les marchés fonctionnent bien, et quand ils ne le font pas. Elle a montré pour quelles raisons ils peuvent abourit à sous-produire certains facteurs – comme la recherche fondamentale – et à en surproduire d’autres – comme la pollution. Leurs échecs les plus dramatiques sont les crises périodiques, les récessions et les dépressions qui ternissent le blason du capitalisme depuis deux cents ans : elles laissent un grand nombre de travailleurs sans emploi et une grosse partie du stock de capital sous-utilisé. (…)Joseph Stiglitz « La grande désillusion », 2002. 30. Au sens des théoriciens du libéralisme intégral, basé sur la théorie néo-classique, l'Etatnation n'est qu'un coût qu'il faut rentabiliser par les infrastructures qu'il réalise. Il ne représenterait que des "frais généraux" à réduire au maximum, le marché étant capable de s'autoréguler seul. 31. Adam Smith était bien plus conscient des limites du marché – notamment des menaces de la concurrence imparfaite – que ceux qui s’en disent aujourd’hui les disciples. Il était aussi beaucoup plus conscient du contexte social et politique dans lequel toute économie doit opérer. Pour qu’une économie fonctionne, la cohésion sociale compte. » 32. il faut se garder de confondre ces limites évidentes de l'intégration de l'Afrique à l'économie capitaliste mondiale et la déconnexion de l'Afrique par rapport au système international. " L'Afrique reste en phase avec celui-ci par l'intermédiaire de toute une série d'échanges ", que ce soit l' aide au développement +, ses exportations + de produits primaires, ses importations + de biens de consommation + ou d'investissements, sa dette extérieure, son émigration. 33. Un des rôles de ces institutions consiste à veiller sur la santé de l'économie mondiale. Elles l'ont joué, à l'évidence, dans l'immédiat après-guerre. A l'époque, le FMI veillait à ce que les comportements monétaires non coopératifs de l'entre-deux-guerres (dévaluations compétitives et protectionnisme) ne se reproduisent pas. La Banque mondiale proposait des financements sains pour le développement, censés éviter une crise de la dette. Quant au Gatt, il permettait d'organiser les concessions commerciales qu'étaient prêts à s'octroyer les différents pays et veillait à empêcher le retour au protectionnisme. L'Organisation européenne de coopération économique a aidé à la reconstruction des pays européens en gérant l'aide américaine. 34. L'entrée progressive dans les Trente glorieuses a diminué le besoin d'un médecin international, dont le rôle est mis en sommeil jusqu'aux années 80. A ce moment-là, la libéralisation croissante de l'économie engendre en effet de nouveaux troubles. Le FMI et la Banque mondiale s'occupent de gérer la crise de la dette des pays en développement et aident les pays de l'Est à passer du socialisme + au capitalisme +. Aujourd'hui, le FMI tente de gérer la crise asiatique en appliquant ses traitements de choc. La Banque des règlements internationaux (BRI) délivre ses ordonnances aux banques internationales pour éviter qu'elles ne prennent trop de risques. Enfin, la nouvelle Organisation mondiale du commerce ( OMC+) veille à ce que la température du commerce mondial ne monte pas. 5 35. Des professeurs et des gendarmes sévères. A côté de ce rôle de médecin, les institutions internationales sont toujours prêtes à jouer le rôle de guides pédagogiques. Vous voulez réformer votre système bancaire ou construire un port en eaux profondes ? La Banque mondiale vous envoie ses ingénieurs spécialisés. Vous voulez introduire un nouvel impôt ou mieux maîtriser vos dépenses budgétaires ? Le FMI vous conseille. Vous ne savez pas comment assurer la sécurité de votre système financier ? La BRI est là pour cela. Vous voulez savoir ce que vous valez par rapport à vos petits camarades ? Nous avons tous les chiffres à votre disposition. 36. Mais il arrive que le professeur perde patience ou, pire, que le médecin n'accepte de vous soigner que si vous lui montrez que vous avez de quoi le payer. Car tout cela n'est pas gratuit. Pour en bénéficier, il faut accepter les règles du jeu des institutions internationales, qui fixent les normes de comportement acceptables. Toutes font ainsi la promotion d'un ordre libéral mondial orienté vers l'ouverture maximale des économies, avec la rentabilité + comme critère premier de performance. 37. Toutes les institutions qui ont refusé de jouer le jeu du respect de la volonté de leurs membres les plus puissants ont été marginalisées : le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), créé en 1964 et en charge des questions de développement, ou la Commission des Nations unies pour le commerce et le développement ( Cnuced+), créée en 1965 et censée faire entendre la voie du Sud dans l'organisation du commerce mondial, en sont des exemples connus. Quant à l' OMC+, sachant que les Américains se sont gardés la possibilité d'en refuser les décisions, on peut se demander si elle saura rester impartiale dans un conflit mettant en jeu des intérêts considérés comme vitaux par les Etats-Unis. 38. Médecins, professeurs et gendarmes, les trois rôles sont en fait indissociables. Ils fournissent finalement l'image d'organisations économiques internationales jouant aujourd'hui essentiellement un rôle de gestion des risques liés à la mondialisation libérale du capitalisme. Réfléchir à la régulation de l'économie mondiale demande ainsi de mieux appréhender les rapports de forces qui s'y expriment, entre les différents acteurs étatiques, mais également entre ceux-ci et les acteurs privés (entreprises, banques, fonds d'investissement, etc.), dont l'influence sur l'évolution économique et sociale du monde n'a cessé de croître ces dernières décennies. 39. Pékin a rendu public les chiffres revus de son PIB (produit intérieur brut) 2004, suscitant ainsi un vif émoi au sein de la communauté internationale et renvoyant sans attendre les économistes à leurs feuilles de calcul afin qu’ils reconsidèrent les prévisions concernant la date à laquelle la Chine dépassera les Etats-Unis pour devenir la première économie mondiale. Il existe un écart de 17% entre le revenu national brut tel qu’il a été annoncé par le gouvernement chinois, soit 1 650 milliards de dollars, et le nouveau, dont le montant s’élève à 2 000 milliards de dollars. 40. La Chine est devenue membre de l’OMC en décembre 2001. Depuis lors elle a amendé plus de 2 500 lois et règlements et en a abrogé 800 pour se conformer aux règles de l’Organisation. Jusqu’à aujourd’hui, aucune étude précise n’est venue mettre en évidence les conséquences que ces modifications ont entraînées pour les individus. Les secteurs de l’agriculture, de l’automobile, des machines et équipement semblent rencontrer un ralentissement voire un recul de l’emploi, qui a en revanche progressé dans les secteurs des fibres végétales, de la viande et du bétail, de l’habillement, de la fabrication d’appareils d’éclairage et de l’électronique. 41. Avant la libéralisation effective du régime de commerce extérieur, les partisans de l’OMC au sein du gouvernement faisaient valoir que son accession aiderait la Chine à développer ses 6 42. 43. 44. 45. 46. 47. marchés, à accélérer la restructuration de ses industries et à améliorer son système judiciaire. Le rapport du ministère du commerce du deuxième trimestre 2005 indique que le volume total des échanges internationaux en 2004 est supérieur à 1 000 milliards de dollars, la Chine occupant désormais le troisième rang mondial. Ce rapport indique également que pour cette même année les investissements étrangers ont atteint 53,51 milliards de dollars et qu’ils devraient dépasser les 60 milliards pour l’année 2005. Le rapport du quatrième trimestre 2005 montre que 450 des 500 premières entreprises mondiales ont effectué des investissements en Chine L’entrée de la Chine à l’OMC a sans doute permis d’accroître la transparence sur les questions intéressant tout particulièrement les multinationales soit les contrats, la réglementation sur les investissements étrangers et les droits de propriété intellectuelle, entre autre. En revanche la responsabilité sociale d’entreprise est encore loin d’être irréprochable, et le risque de répression accrue des tentatives de regroupement des ouvriers chinois en organisations indépendantes demeure bien réel. L'économiste américain Andrew K. Rose, de l'université de Berkeley, vient de publier un article qui provoque beaucoup de remous : il y montre que l'Organisation mondiale du commerce (OMC ) n'a absolument aucune influence sur le commerce international. Pas plus que n'en avait son prédécesseur, l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt). Le résultat est d'autant plus provoquant que la libéralisation du commerce international (baisse des tarifs douaniers et des barrières non tarifaires) est présentée par presque tous les économistes comme l'une des raisons essentielles de sa formidable progression au cours des cinquante dernières années (+ 6 % par an en moyenne), les exportations mondiales étant vingt-deux fois plus élevées en 2000 qu'en 1950. Pour en arriver à cette conclusion, Andrew Rose cherche à expliquer les déterminants du commerce entre les pays ( 1 ). Il part d'une approche - celle des " modèles gravitaires ", traditionnelle maintenant chez les économistes - qui tient compte de la distance entre les pays et de la taille de leur économie. Il y ajoute d'autres variables explicatives, de type culturel (langue commune ou pas), géographique (pays enclavés ou pas) et historique (un pays a colonisé l'autre ou pas). Ce genre d'analyse permet d'expliquer pratiquement 70 % du commerce bilatéral entre les pays. Le problème est d'arriver à comprendre les 30 % restants. n'est pourtant pas le premier à être arrivé à cette conclusion. Il y a d'abord eu les travaux d'Arthur Lewis et de Charles Kindleberger : ils montraient que les politiques protectionnistes expliquaient peu le ralentissement des échanges dans les années 30 (une analyse que partageait même l'économiste néoclassique américain et partisan du libre-échange Frank Taussig). De même, la spécialiste d'économie politique internationale Susan Strange montrait, il y a plus de quinze ans, la difficulté de passer de la corrélation à la causalité dans la concomitance entre la progression du commerce mondial et les politiques de libéralisation + postérieures à la Seconde Guerre mondiale. Le débat sur la gouvernance mondiale, c'est-à-dire sur la régulation politique de la mondialisation + économique, s'enferme souvent dans deux caricatures. Il y a ceux qui pensent que les firmes multinationales et les marchés financiers sont devenus les rois maudits de la planète... et l'ennemi à abattre. En face, d'autres estiment que les Etats restent les principaux producteurs des règles et qu'il suffit de chercher à rendre les institutions internationales plus efficaces et plus légitimes Les règles politiques de la mondialisation sont le fruit de cette gouvernance + hybride, où les frontières entre le privé et le public, le national et l'international, le licite et l'illicite, tendent à disparaître. 48. De nombreuses typologies concernant la protection sociale +, les clauses sociales dans le commerce international, les outils de l' Europe sociale + ou les trajectoires possibles de l' Etat-providence + aident à mieux penser une réalité éminemment 7 complexe. On découvre avec plaisir que trois contributions proposent un système de taxation (similaire ou non à la taxe + Tobin) afin d'impulser davantage de justice dans les relations internationales. 8