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Brevet de Technicien supérieur Commerce international 1ère année
Economie générale L’Etat et le marché
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Qui gouverne le monde ?
Des Etats aux ONG, de l'OMC aux multinationales et aux mafias, tous contribuent à la
gouvernance mondiale. Excepté pour la finance, qui semble échapper à tout contrôle.
La rapidité des transformations du système économique mondial laisse une impression
inquiétante de perte de contrôle. Alors que le monde est censé entrer dans l'ère du "village
global", ce village semble de plus en plus difficile à comprendre, à diriger et à contrôler.
Après les interrogations sur la nature de la mondialisation économique, le débat s'oriente
aujourd'hui vers les moyens d'en maîtriser les effets. La recherche de ce qu'on appelait
hier une régulation politique de la mondialisation, rebaptisée aujourd'hui "gouvernance
mondiale", est désormais au cœur du débat.
Qu'est-ce que la gouvernance mondiale?
On peut définir la gouvernance mondiale comme l'ensemble des processus par lesquels
des règles collectives sont élaborées, décidées, légitimées, mises en œuvre, contrôlées et
placées au service d'une économie mondiale qui serait porteuse d'ordre, de justice, de
liberté et d'efficacité. Quels sont les acteurs à même de produire ces normes? Les
économistes ont une réponse très simple: leur théorie dominante, limitée sur le plan
politique, considère que seuls les Etats sont des acteurs politiques internationaux. Leur
réflexion sur la gouvernance mondiale se concentre alors sur la coopération entre les Etats,
les organisations internationales et la meilleure façon de les rendre efficaces et légitimes.
A l'inverse, ceux qui contestent la mondialisation libérale jugent souvent que celle-ci s'est
traduite par une considérable perte de pouvoir des Etats face à des firmes multinationales
présentées comme apatrides et face à des "forces du marché" considérées comme
incontrôlables. Leur réflexion consiste alors à retrouver les moyens d'un contrôle politique
de ces acteurs privés.
Une troisième approche refuse tout manichéisme sur la force respective des
gouvernements et des multinationales. Elle conclut que les normes internationales sont
plutôt le fruit hybride de compromis. Se réclament de cette approche, en particulier en
France, les partisans de la notion de "décharge", mise en évidence par le sociologue
allemand Max Weber. Selon eux, les Etats ne perdent pas leur influence, mais la font vivre
autrement, de manière plus complexe, en la déléguant en partie à des acteurs privés ou
paraétatiques, ou bien à des autorités de régulation indépendantes.
Le fruit de compromis
Enfin, les études les plus récentes conservent l'idée de normes hybrides, mais élargissent le
champ de l'analyse en cherchant à mesurer l'influence politique d'un ensemble plus vaste
d'acteurs non étatiques. Se limiter aux seules relations entre les entreprises, les marchés
financiers et les gouvernements paraît en effet très insuffisant. Bien d'autres acteurs sont
capables d'influencer les règles du jeu politiques, économiques et sociales de la
mondialisation: les diasporas, les organisations non gouvernementales, les mafias, les
chercheurs, etc.
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Prenons l'exemple du commerce mondial. Pour comprendre les règles qui l'orientent, il est
tout à fait utile de s'interroger sur les compromis que trouvent, ou non, les Etats-Unis avec
l'Europe, et les pays du Nord avec ceux du Sud au sein de l'Organisation mondiale du
commerce (OMC). Il est tout autant nécessaire de considérer la façon dont les
multinationales tentent de se servir des Etats pour gagner des avantages compétitifs. Mais
cela est bien loin d'épuiser le sujet de la gouvernance du commerce international. Dans le
cadre de l’échange, les juges de l'Organe de règlement des différends (ORD) produisent
aussi des normes commerciales, de même que les comités d'arbitrage commerciaux privés
dont les décisions font également jurisprudence, les cartels, le commerce intra firmes (les
échanges de biens entre filiales, dont les prix de transfert sont établis par la multinationale
en dehors de tout marché), sans oublier les mafias qui font travailler, disent les experts, les
meilleurs spécialistes du transport mondial. Tous contribuent à la gouvernance
commerciale mondiale.
Les maîtres du monde
Cette dernière approche paraît donc la plus fructueuse pour comprendre comment
s'établissent les règles qui régentent la mondialisation. Ses partisans vont plus loin que le
simple constat de la diversité des acteurs pour expliquer comment ils sont hiérarchisés:
qui domine qui? Il existe une asymétrie grandissante, au profit des Etats-Unis, entre les
Etats, dans leur capacité à agir sur l'économie et la société (d'où la place importante qu'ils
accordent à l'étude de l'hégémonie américaine). Mais tous les Etats, y compris les Etats-
Unis, ont perdu en autorité au bénéfice des acteurs non étatiques qui exercent un pouvoir
équivalent ou supérieur dans beaucoup de domaines. Et la perte d'autorité des Etats ne se
traduit qu'en partie par une augmentation de celle des autres acteurs, une partie de
l'autorité, en dépit des règles existantes, n'étant plus exercée par personne, d'où le
développement de zones de non-gouvernance (ungovernance).
Les Etats-Unis exercent une influence prépondérante, aussi bien sur le plan économique
que militaire, technologique et financier. Les exemples abondent de cette domination: sur
les dix premières multinationales, cinq sont américaines, le dollar reste la monnaie de
référence internationale (voir page 56), 71% des actifs des investisseurs institutionnels sont
détenus aux Etats-Unis, les Américains sont les premiers utilisateurs d'Internet, etc. Plus
généralement, le gouvernement américain est capable de relayer plus efficacement que les
autres Etats les demandes de ses entreprises nationales. Les lobbies pétroliers, par exemple,
ont obtenu l'abandon de la participation américaine au protocole de Kyoto organisant la
réduction des émissions de gaz à effet de serre.
anmoins, la mondialisation ne subit pas seulement l'influence des Etats, fût-il le
premier d'entre eux. Tous partagent leur pouvoir avec un ensemble d'acteurs privés. Par
exemple, les cinq grands cabinets de conseils américains, les fameux "Big Five"
(PricewaterhouseCoopers, KPMG, Ernst&Young, Deloitte Touche Tohmatsu et Arthur
Andersen), ont réussi à imposer l'adoption de normes comptables internationales
communes. Une évolution qui va leur permettre de standardiser leurs interventions, donc
d'en réduire le coût et de les rendre ainsi plus rentables, sans avoir à tenir compte des
disparités comptables nationales. Conséquences: toutes les entreprises vont devoir
s'adapter à une nouvelle norme de présentation de leurs comptes et les autorités de
surveillance des Bourses ont perdu la possibilité de pouvoir modifier les règles du jeu en
matière comptable pour des raisons de sécurité.
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Les organisations non gouvernementales ont également fait leur retour sur la scène
internationale au cours des années 90. Elles ont réussi à s'imposer comme des
interlocuteurs des Etats, des institutions économiques internationales et des firmes les plus
puissantes. Il leur reste maintenant à trouver les moyens pour transformer cette première
réussite en influence durable. Comme l'a montré le juriste Steve Charnovitz (1), les
premières mobilisations des ONG datent du XVIIIe siècle et elles ont su prendre une place
politique déterminante dans les années 20. Elles ont ainsi gagné leur légitimihistorique
en œuvrant, souvent de manière déterminante, pour la défense des droits humains
(abolition de l'esclavage, développement des droits des femmes, des minorités…).
Les mafias semblent également exercer leur influence sur le contenu de la mondialisation
contemporaine. D'après les experts, leur puissance financière n'a jamais été aussi grande.
Les accords internationaux entre réseaux mafieux semblent plus importants que jamais,
les organisations criminelles partageant de plus en plus d'informations et favorisant leur
accès mutuel à différents marchés. La mondialisation se nourrit aussi de la diversification
des activités de chacun des réseaux (les trafiquants de drogue colombiens font de la
contrefaçon, les russes ont investi le marché de la prostitution…).
La non-gouvernance
Le pouvoir d'influence sur la mondialisation semble donc diffus, partagé par une
multitude d'acteurs aux objectifs différents. Mais la route suivie par la mondialisation n'est
pas toujours le fruit des affrontements et des compromis issus de la confrontation des
stratégies rationnelles de tous ces acteurs. La finance mondialisée apparaît aujourd'hui
comme une zone de non-gouvernance internationale, un secteur que nul ne maîtrise.
Pourtant, personne n'a souhaité en faire un endroit si risqué que ses dérèglements
puissent emporter le système financier et la croissance mondiale
Les détails de la quasi-faillite du fonds spéculatif LTCM en 1998 et celle, effective, du
courtier en énergie Enron au début de l'année ont montré que ni les autorités de
surveillance des marchés financiers ni les banques, qui avaient largement prêté à ces
établissements, ne pouvaient mesurer les risques pris. Les comportements illicites y ont
contribué puisque Arthur Andersen, chargé de contrôler les comptes d'Enron, a accepté de
cacher la véritable situation de l'entreprise, détruisant même des documents
compromettants, tandis que les paradis fiscaux étaient utilisés dans des proportions
énormes (881 filiales) pour masquer la comptabilité de l'entreprise et échapper au fisc.
Dans la mondialisation contemporaine, les frontières entre le licite et l'illicite, le public et
le privé, le national et l'international apparaissent extrêmement poreuses. Il est
aujourd'hui très difficile de raisonner sur la régulation politique de la mondialisation à
partir d'une distinction entre espace public et espace privé, les deux s'enchevêtrant, tout
en flirtant quelquefois avec ce que le juge Jean de Maillard (2) appelle le "marché de
l'immoralité".
(1) Voir L'économie politique n° 13, 1er trimestre 2002.
(2) Le marché fait sa loi, éd. Mille et une nuits, 2001.
Source : Christian CHAVAGNEUX | Alternatives Economiques Hors-série n° 052 - avril 2002
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