MANIFESTATIONS DE PARLEMENTAIRES OU DE
VISITEURS EN SÉANCE PUBLIQUE ET RÈGLES DE
MAINTIEN DE L’ORDRE
Débat animé par Ulrich SCHÖLER,
Secrétaire général adjoint du Bundestag (Allemagne)
À maintes reprises au cours de son histoire, le Bundestag a été le théâtre au même
titre, j’en suis sûr, que les parlements des autres secrétaires généraux ici présents de
troubles causés dans l’hémicycle par des membres de l’Assemblée, mais aussi,
périodiquement, de désordres provoqués par des manifestations de visiteurs, soit dans
l’hémicycle, soit dans d’autres locaux du Parlement.
Je voudrais consacrer mon intervention à un examen attentif de ces deux types de
manifestations et des réactions du Bundestag à leur égard.
Mesures de maintien de l’ordre en cas de manifestations de parlementaires
Débat sur la refonte du règlement consécutive à des manifestations de parlementaires
Le 17 janvier 2008, le Comité des doyens s’est saisi de troubles intervenus durant la
séance plénière de la veille et a chargé la commission de validation des élections, des
immunités et du Règlement (également appelée « 1ère commission ») d’évaluer l’efficacité
des mesures de maintien de l’ordre prévues par le Règlement.
Cette demande faisait suite à l’action de plusieurs membres d’un groupe parlementaire,
qui avaient arboré un masque à l’effigie du ministre-président d’un Land allemand,
affublé d’un nez de Pinocchio (compte rendu sténographique, p. 14242 S). Le président de
séance avait invité les parlementaires concernés à ôter leurs masques ou à quitter la salle.
Un autre cas de trouble de l’ordre s’est produit lors de la séance plénière du 26 mars
2009, quand plusieurs membres du même groupe déployèrent banderoles et bannières
durant un débat (compte rendu sténographique, p. 23131 D).
Lors des discussions sur ces incidents, les membres du Comité des doyens ont tout
particulièrement déploré l’insuffisance des options d’exclusion alors prévues par l’article
38 du Règlement , dès lors que l’exclusion en question devait être prononcée durant la
séance en cours. Or, dans le premier cas, l’identification des auteurs des troubles était tout
bonnement impossible, puisqu’ils se dissimulaient derrière un masque. Qui plus est, les
membres du Comité ont regretté que le rappel à l’ordre formulé en lespèce épuisait de
facto toute autre voie de sanction, comme par exemple l’exclusion pour la durée de la
séance.
Les différentes mesures administratives
Le Règlement du Bundestag allemand offre au président de séance différentes mesures
de rétablissement de l’ordre en cas de manifestations durant les séances plénières. Au rang
des mesures disciplinaires susceptibles d’être prononcées contre des députés dont le
président doit citer le nom figurent :
le rappel à l’objet du débat 36, première phrase, Règlement du Bundestag (ci-après
RBT) : Le président peut rappeler à l'objet du débat l'orateur qui s'en écarte).
le rappel à l’ordre 36, phrases 2 et 3, RBT : Le président peut rappeler à l'ordre, en
citant leur nom, les membres du Bundestag qui troublent l'ordre. Une intervention qui a
échappé au président mais se trouve reprise dans le compte rendu sténographique de la
séance peut encore faire l’objet d’un rappel à l’ordre lors de la séance suivante ( § 119, al. 2,
RBT).
Le retrait de la parole 37 RBT : Lorsqu'un orateur a été rappelé trois fois à l'objet du
débat ou trois fois à l'ordre au cours d'un même discours et qu'à la deuxième fois son
attention a été attirée sur les conséquences d'un troisième rappel à l'ordre ou à l'objet du
débat, le président doit lui retirer la parole. Lorsqu'un membre du Bundestag dépasse son
temps de parole, le président lui retire en principe la parole après un seul avertissement (§
35, al. 3, RBT).
L’exclusion (en cas d'atteinte grave à l'ordre, le président peut expulser de la salle un
membre du Bundestag pour la durée de la séance, même sans rappel à l'ordre préalable.
Le président doit faire connaître avant la clôture de la séance pour combien de jours
l'intéressé sera exclu (30 jours maximum, § 38, al. 1, RBT). En 2009, peu avant la fin de la
législature précédente, décision a été prise d’étendre le droit d’exclusion : l’exclusion peut
désormais être prononcée a posteriori, avant la fin de la séance suivante, si le président a
constaté l’atteinte à l’ordre de la séance mais s’est réservé le droit de prononcer l’exclusion
(§ 38, al. 2, RBT) et ce, même en cas de rappel à l’ordre préalable.).
En deçà des mesures disciplinaires susmentionnées existent par ailleurs deux mesures
issues de la coutume parlementaire et absentes du RBT, auxquelles peut recourir le
président en cas de troubles mineurs au bon déroulement des séances :
le rejet d’une déclaration contraire aux usages parlementaires
la censure
En vertu de ces règles, le président peut rejeter ou censurer une déclaration ou un
comportement lui apparaissant contraire aux usages parlementaires.
Enfin, dans les cas le président ne peut identifier les auteurs des troubles et ne peut
donc prendre les mesures disciplinaires qui s’imposent, il dispose encore d’un instrument :
la suspension de la ance (§ 40 RBT : En cas de tumulte risquant d'entraver la
poursuite des débats, le président peut suspendre la séance pour un temps déterminé ou
la lever).
L'intéressé peut faire opposition au rappel à l'ordre et à l'exclusion. L'opposition doit
être inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance. Le Bundestag statue sans débat (§ 39
RBT).
Si une manifestation revêt un caractère contraire aux règlements de police, le président
peut, en plus des mesures évoquées, prendre les mesures de police qui s’imposent, y
compris à l’encontre des membres du Bundestag. C’est ainsi qu’un député exclu au titre de
l’article 38 RBT qui ne donne pas suite à l’invitation du président de quitter l’hémicycle ou
réintègre celui-ci avant la fin de l’exclusion prononcée commet une violation de domicile
punissable au sens de l’article 123 du Code pénal.
Exemples de mise en œuvre des mesures de maintien de l’ordre
Des cas de membres du Bundestag ayant troublé l’ordre des séances ont été relevés dès
la première législature, entre 1949 et 1953. Bien qu’ils n’aient donlieu à aucun blâme
informel, on a prononcé, pour cette seule législature, 58 rappels à l’objet du débat, 156
rappels à l’ordre, 40 retraits de la parole, 17 exclusions de la séance et 2 interruptions de
séance. Le recours aux mesures de maintien de l’ordre a été infiniment plus parcimonieux
durant les législatures suivantes : au cours des 57 années entre 1953 et aujourd’hui, on n’a
par exemple recensé que 6 exclusions de la séance (la dernière remonte à la 11e législature,
entre 1987 et 1990) et, en tout et pour tout, 2 interruptions de séance (aussi, la dernière
remonte à la 11e législature). Les autres mesures de maintien de l’ordre ont elles aussi été
beaucoup plus rares : on note par exemple une moyenne de 20 rappels à l’ordre entre la 2e
et la 9e législature (ce chiffre a par contre dépassé la centaine durant les 10e et 11e
législatures).
Le président est habilité, en conformité avec ses obligations, à rappeler l’orateur à
l’objet du débat durant son intervention, dès lors que les propos que ce dernier tient ne
sont plus en rapport avec le point de l’ordre du jour abordé. De même, toute redite
persistante ou flibusterie peut justifier un rappel à l’objet du débat.
Les rappels à l’ordre peuvent être prononcés par le président, en conformité avec ses
obligations, en cas de remarques offensantes ou méprisantes, d’insultes et autres attitudes
vexatoires ou punissables, ou de tout autre comportement inconvenant (exemples :
hypocrite, sale menteur, gouvernement fantoche, imbécile / pressions, menaces / chants
ou sifflements). Toute critique de la façon dont le président conduit la séance constitue
également une violation de l’ordre. Cela vaut aussi pour la remise en question de décisions
disciplinaires.
L’exclusion de la séance constitue la mesure de maintien de l’ordre la plus sévère et la
plus controversée, compte tenu des restrictions qu’elle entraîne dans l’exercice des droits
constitutionnels du député concerné. Elle peut résulter d’entraves à l’exercice du mandat
du président (1ère législature : par inobservance ; 3e législature : vociférations), d’atteintes
au droit de parole d’un orateur via des interruptions répétées de son intervention, de voies
de fait (1ère législature : refus de quitter l’hémicycle), d’insultes graves proférées à
l’adresse du président ou des députés (1ère législature : député qualifié de « crapule » ;
accusations d’espionnage proférées à l’adresse de l’Assemblée), d’offenses graves à des
organes fédéraux (1ère législature : le Chancelier fédéral Adenauer fut qualifié de
« Chancelier des alliés » ; 10e législature : le Chancelier fédéral Kohl accusé « d’être
parvenu au sommet grâce à l’argent de Flick ») ou d’autres troubles majeurs de l’ordre
(11e législature : déploiement de banderoles). Le président doit faire connaître le nombre
de jours d’exclusion. Cette exclusion vise également les réunions des commissions et
restreint donc le droit du député à prendre part aux réunions et aux votes, mais aussi son
droit de parole et son droit de vote. Il peut toutefois assister aux séances plénières depuis
la tribune des visiteurs, participer aux réunions publiques des commissions et prendre
part à des initiatives (motions, questions, initiatives législatives).
Conséquences des nouveaux cas de trouble prévues par le Règlement
La 1ère commission a débattu de cette thématique durant plusieurs réunions et
examiné, dans ce contexte, les mesures de maintien de l’ordre prévues par les règlements
des parlements régionaux des Länder allemands et, surtout, ceux d’autres parlements
européens, qu’il s’agisse de la privation d’une partie de l’indemnité parlementaire
(France), de l’exclusion pour plusieurs mois des commissions dont l’intéressé est membre
(Suisse) ou de la perte du droit à l’indemnité de séjour (Parlement européen).
[Tableau synoptique en annexe]
Durant les discussions, le groupe chrétien-démocrate a fait valoir que l’extension des
mesures de maintien de l’ordre était nécessaire pour préserver la dignité et le prestige du
Bundestag et ne pas l’exposer au ridicule, soulignant que l’histoire de la république de
Weimar avait montré qu’il fallait noyer dans l’œuf tout dénigrement de la démocratie et
de ses institutions.
Il faudrait dès lors permettre de prononcer une exclusion des séances suivantes même
après la fin de la séance concernée. Une telle disposition permettrait de disposer du temps
nécessaire pour procéder à une évaluation approfondie des faits et s’assurer d’éventuels
précédents dont se serait rendu coupable le parlementaire incriminé.
Les représentants des groupes social-démocrate et libéral préconisaient quant à eux
l’introduction d’une sanction pécuniaire, qui constituerait une atteinte moins importante
aux droits dont jouit le député, dès lors qu’elle ne l’empêcherait pas de prendre part aux
votes. Ils ont néanmoins approuvé l’option de l’exclusion de la séance à posteriori.
Les groupes La Gauche et Alliance 90/Les Verts se sont prononcés contre l’extension
des mesures de maintien de l’ordre, jugeant que les événements dépeints ne le justifiaient
pas et que la nouvelle réglementation s’assimilerait à une atteinte plus prononcée aux
droits du député, contestable d’un point de vue constitutionnel.
Dans sa recommandation à l’assemblée plénière (impression 16/13492 du 18 juin 2009),
la 1ère commission a recommandé, à la majorité de ses membres, de modifier l’article 38
du Règlement de manière à permettre à l’avenir qu’une exclusion soit prononcée jusqu’au
début de la séance suivante, pour autant que le président ait explicitement constaté le
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