Phil d`or n° 4 240910

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« Les soirées Phil’d’or »
Quatrième rencontre (24/09/2010) :
« Savoir, comprendre, interpréter
+
Qu’est-ce que savoir ? selon la philosophie empiriste (Hume) »
L’intérêt de ces petits « bilans », à la suite de chaque rencontre, c’est que vous puissiez, si
vous le souhaitez, vous constituer un petit livret, rassemblant, au fil des séances, nos
réflexions partagées. Je vous invite en tout cas à vous constituer une petite boîte à outils
progressive (les outils de la pensée sont les concepts, lesquels sont l’éclaircissement des
notions) ; ils seront mis en évidence en bleu à chaque fois. Vous ne retrouverez certes pas
tout ce que nous avons « remué » mais ce qui, selon mon estimation (qui peut toujours être
mauvaise, certes !), a fait le socle de nos réflexions.
*
L’invitation à proposer des aphorismes a été l’occasion de distinguer entre la connaissance,
la compréhension et l’interprétation. La connaissance est affaire de vérité : il y a une vérité
(universelle par définition) et elle est à connaître. 2+2 = 4 est valable pour tout esprit et de la
même façon. La compréhension porte, quant à elle, moins sur la vérité que sur le sens. Un
sens est exprimé, qui est à comprendre : ce que l’autre veut dire, j’y accède si j’ai compris
son propos que je peux alors faire mien. Nous pouvons aussi ne pas être d’accord mais nous
nous comprenons et pouvons ensemble aller plus loin en matière de sens (affaire de
philosophie précisément). Enfin, l’interprétation ne peut concerner que les « objets » (objets
d’art dont textes poétiques ou de littérature) dont le sens ne peut pas être totalement rendu,
de telle sorte qu’il ne reste plus, par rapport à cet objet, que formuler des sens possibles. Je
vous ai cité, à cette occasion, la belle phrase de « la danseuse aux pieds nus », Isadora
Duncan : « Si je pouvais vous dire pourquoi je danse, je ne danserais pas ». Ainsi ne nous
reste-t-il qu’à interpréter les prestations de la danseuse. Etc.
A partir de là, nous pouvons mieux saisir la spécificité de l’aphorisme. Il ne doit pas être
confondu avec la citation, laquelle étant une proposition tirée de son contexte (qui lui donne
sens), est toujours problématique : je peux lui faire dire bien des choses que son auteur ne
voulait pas dire. Ainsi une citation est-elle tirée d’un texte qui reste à comprendre.
L’aphorisme, par contre, se veut suffisant par lui-même : il énonce brièvement (sans creuser
les raisons qui le fondent) un principe. Toutefois, cette suffisance est ambivalente car le
propos étant bref et peu fondé, il prête davantage à l’interprétation qu’à la compréhension.
C’est ainsi que, conformément à sa « nature », il est utilisé en philosophie par des auteurs qui
critiquent la pensée systématique, la jugeant ambitieuse et fondée sur l’illusion d’une unité
de sens : on ne pourrait, selon les penseurs par aphorismes, que proposer des perspectives sur
le réel et non de véritables énoncés de sens à comprendre. Tels Montaigne, Pascal d’un
certain point de vue, Kierkegaard, Nietzsche, Cioran (contemporain)… Ces penseurs ont
pour intérêt certain de remuer les certitudes qui pourraient s’installer trop rigidement dans
l’histoire de la philosophie. Ce sont toujours des penseurs plus ou moins provocateurs de
mouvement pour la pensée (remises en question).
J’ai précisément proposé à votre compréhension, lors de cette séance, un texte du
philosophe anglais du XVIII e siècle, David Hume ; et ce, dans la perspective de remplacer
l’exercice direct de la dissertation autour du sujet La vérité est-elle indiscutable ? par la
réflexion autour de trois textes dont les deux premiers sont en rapport d’antithèse, le dernier
opérant par rapport aux deux premiers une synthèse de dépassement (et de réconciliation).
L’extrait proposé de Enquête sur l’entendement humain de David Hume traite précisément
de la question de savoir comment nous passons de l’ignorance au savoir (cas particulier de la
connaissance : connaissance d’un lien de causalité). Hume a commencé par pointer que nous
ne connaissons rien par science infuse ni par pur raisonnement mais que l’expérience
scientifique (expérimentation) est nécessaire. Il soutient donc que la connaissance vient de
l’expérience. Or il note que par une sorte de prudence apparente, nous répétons plusieurs fois
la même expérience avant de dégager une formule nécessaire et universelle : à chaque fois
que, alors… Pourquoi ne pas trancher dès la première expérience puisque la énième
n’apporte rien de plus que la première ? La raison à cela n’est pas objective mais bien
subjective, nous fait remarquer Hume. Ce qu’il y a d’objectif, c’est la répétition du même
phénomène autant de fois que nous l’avons expérimenté. Mais ce qui est subjectif, c’est que
cette répétition crée chez nous une accoutumance : nous finissons par nous attendre à ce que
ce qui s’est passé plusieurs fois de la même manière se reproduise encore et encore de la
même manière. C’est pourquoi nous finissons par extrapoler et par parier sur l’avenir : ça se
passera toujours comme ça (un corps, à la surface de la terre, chute, etc.). Mais nous entrons
par là en contradiction avec notre considération de départ, à savoir que la connaissance
vient de l’expérience ! Si tel est bien le cas, je suis autorisé à dire simplement : j’ai remarqué
100 fois la chute du stylo, lâché sur la table. Concernant les fois prochaines, je ne suis
autorisé à dire que cela : je suis porté à croire, du fait des répétitions et du fait de ma
capacité d’accoutumance, qu’il en sera toujours ainsi.
Le scientifique croit donc en la constance de l’ordre du monde, contre ses propres
exigences. Pour conclure très rigoureusement, il faut reconnaître qu’on ne peut que décrire
des cas mais pas connaître à proprement parler (des lois, des relations constantes entre les
phénomènes, des vérités… on dira comme on voudra). La science ne serait donc qu’une
croyance particulière à côté des autres
N. Abécassis
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