concurrents est un exemple parlant d'entrave à la transparence du marché, pourtant
conçue comme la clé de l'économie de marché libérale. La notion de « juste prix » (justum
pretium) sur laquelle ont glosé, depuis le Moyen Age, les théologiens et les économistes
semble une vue de l'esprit, et seules certains services publics victimes des échafaudages
rationalisateurs des "prix marginaux" - dans la droite ligne des théories du marginalisme -
se sont trouvés engoncés - au nom de l'intérêt général - dans des systèmes de prix qui les
ont empêchés de connaître la prospérité par le profit - que ce soient les compagnies
ferroviaires privées, soumises aux contrôles tatillons de la Puissance publique dans les
années 1880-1930, ou les entreprises publiques depuis les nationalisations de la
Libération.
b. Spéculer
Dès la renaissance des affaires au Moyen-Age, la fluidité de l'argent le transforme en une
"matière première" sur des marchés de l'argent, où l'on fait "travailler" l'argent
. Tant de
volumes épais ont été écrits, jusqu'à l'orée du XIXe siècle, sur la "production d'argent" ! Le
taux d'intérêt était condamné par l'Eglise - tout comme, encore de nos jours par l'Islam -,
car l'on considérait que le temps, créé par Dieu, ne pouvait se vendre – « on vend ce qui
n'existe pas », confirme Saint-Thomas-d'Aquin ; ou : « pecunia pecuniam non parit »,
affirme le concile de Latran en 1215 en reprenant Saint-Luc ; Dante place dans son enfer
les hommes d'affaires, les marchands, les banquiers et les usuriers, et nombre de tympans
d'églises médiévales ou de chapiteaux de cloîtres dénoncent ensemble lucre et luxure,
condamnés à la même opprobre. Il faut des milliers de pages aux sophistes de l'Eglise pour
tenter de légitimer la base même de l'échange commercial et bancaire, le bénéfice tiré du
risque causé par une opération, par le simple délai entre paiement et livraison, par la
circulation des "lettres de change", au nom de cette prise de risque même, et donc, in fine,
au nom de la "spéculation".
Quelles que soient sa dimension et l'époque où elle agit, l'entreprise a comme principale
caractéristique cette prise de risque ; c'est ce qui la distingue d'ailleurs de la "bureaucratie"
gestionnaire et ce qui en fait une pièce déterminante de l'économie de marché
entrepreneuriale - par rapport aux économies centralisées et dirigistes. Spéculer, c'est
anticiper sur l'avenir, sur l'état futur des marchés des produits et de l'argent. Or, de la
spéculation dite "saine" - le bénéfice à attendre d'un investissement à partir de son utilité
économique ; le profit obtenu d'un placement financier ; la mise à l'abri de liquidités
possédées ou destinées à être récupérées sur un contrat pour les préserver des aléas
monétaires, la gestion des marchés à terme des valeurs mobilières, des matières premières
et denrées alimentaires -, les sociétés glissent, sans franchir de frontière de nature ou de
métier, vers la spéculation "malsaine". Ainsi s'affirme au XXe siècle une espèce nouvelle de
"monstres" - d'ailleurs l'on emploie parfois l'expression d'« hydre capitaliste » ou de
« pieuvre capitaliste » - hors de toute morale, dénués de toute préoccupation des intérêts
nationaux, ce que constate le malheureux ministre des Finances britannique Brown,
lorsqu'il dénonce en 1966-1968, avec une virulence désespérée, « les gnomes de Zurich »
qui orchestreraient la spéculation contre une livre rongée par la mauvaise gestion des
Travaillistes.
Le XXe siècle donne une dimension spectaculaire aux jeux d'argent internationaux, en un
véritable changement de nature
, ce que Keynes surnomme « l'économie de casino » et
qu'on a appelé récemment « la bulle financière », source d'engrenages pervers : sur-
endettement, découplage d'une finance "artificielle" par rapport à une économie "réelle".
L'on parle donc de l'argent « facile », comme on dit qu'une femme est « facile » : les
entreprises qui sombrent alors dans la débauche financière tombent en même temps dans
le péché de cupidité : elles nourrissent des placements spéculatifs qui les éloignent de leurs