L’ALGÉRIE AU PASSÉ LOINTAIN De Carthage à la Régence d’Alger Le CREAC (Centre de Recherches et d'Études sur l'Algérie Contemporaine), entend : - Promouvoir la publication d'ouvrages anciens, tombés dans le domaine public dont la richesse historique semble utile pour l'écriture de l'histoire. - Présenter et éditer des textes et documents produits par des chercheurs, universitaires et syndicalistes français et maghrébins. Dejà parus: La Fédération de France de 1'USTA (Union Syndicale des Travailleurs Algériens. Regroupés en 4 volumes par Jacques SIMON, en 2002). Avec le concours du Fasild-Acsé -L’immigration algérienne en France de 1962 à nos jours (œuvre collective sous la direction de Jacques Simon) - Les couples mixtes chez les enfants de 1’immigration algérienne. B. Laffort. - La Gauche en France et la colonisation de la Tunisie. (1881-1914). Mahmoud Faroua, - L'Étoile Nord-Africaine (1926-l937), Jacques Simon. - Le MTLD /Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (1947-1954) (Algérie. Jacques Simon - La réglementation de l’immigration algérienne en France. S. Tchibindat. - Un Combat laïque en milieu colonial. Discours et œuvre de la fédération de Tunisie de la ligue française de l'enseignement (1891-1955). C. Ben Fradj -Novembre 1954, la révolution commence en Algérie. J Simon -Les socialistes français et la question marocaine (1903-1912) A. Mejri - Les Algériens dans le Nord pendant la guerre d'indépendance. J-R. Genty. - Le logement des Algériens en France. Sylvestre Tchibindat. - Les communautés juives de l’Est algérien de 1865 a 1906. Robert Attal. - Le PPA (Le Parti du Peuple Algérien) J. Simon - Crédit et discrédit de la banque d Algérie (seconde moitié du XIXe siècle) M. L. Gharbi -Militant à 15 ans au Parti du peuple algérien. H. Baghriche -Le massacre de Melouza. Algérie juin 1957. Jacques Simon - Constantine. Le cœur suspendu. Robert Attal - Paroles d'immigrants : Les Maghrébins au Québec. Dounia Benchaâlal - « Libre Algérie ». Textes choisis et présentés par Jacques Simon. - Algérie. Le passé, l’Algérie française, la révolution (1954-1958). Jacques Simon. - Messali avant Messali. Jacques Simon. - Comité de liaison des Trotskystes algériens. Jacques Simon. - Le MNA. Mouvement national algérien. (1954-1956). Nedjib Sidi Moussa–J. Simon - Algérie. L’abandon sans la défaite (1958-1962). Jacques Simon - Constantine. Ombres du passé. Robert Attal - Biographes de Messali Hadj. (C.A. Julien, D.Guérin, M.Kaddache, C.R.Ageron, R.Gallisot… M.harbi, B.Stora). Jacques Simon 2010 - Algérie. Naufrage de la fonction publique et défi syndical. (Entretiens) L. Graïne Jacques SIMON L’ALGÉRIE AU PASSÉ LOINTAIN De Carthage à la Régence d’Alger L’Harmattan Collection CREAC-Histoire © L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-13964-0 EAN : 9782296139640 PRÉSENTATION L’histoire de l’Algérie ne commence pas avec la prise d’Alger le 5 juillet 1830, et l'on ne peut réduire celle de l’Algérie française à la conquête. En effet, dès l’assimilation de l’Algérie à la France, la suppression des barrières douanières (1851), la création de la Banque d’Algérie (août 1851) et d’une Bourse du Commerce (1852), le mode de production capitaliste a été implanté en Algérie pendant le Second Empire. Il s’est développé ensuite sous la IIIe république générant des classes sociales de type moderne : la bourgeoisie, les classes moyennes et le prolétariat. Comme en métropole, le Code civil et le Code du travail ont reçu une application en Algérie, avec des Bourses du travail, des conseils de prud’hommes, des syndicats et des partis ouvriers. Il est significatif que c’est au sein de l’immigration ouvrière algérienne, intégrée dans le procès de production capitaliste que l’Étoile Nord-africaine créée à Paris par le PCF sur décision de la Troisième Internationale a placé à sa direction Hadj Ali, membre du comité central puis Messali Hadj, permanent du PCF. Il est aussi significatif que l’acte fondateur du nationalisme algérien soit le discours prononcé par Messali Hadj au Congrès international de Bruxelles en février 1927, et non pas à Alger. Il n’existe donc pas une continuité, mais une rupture radicale entre le combat de l’Étoile pour fonder la nation algérienne à l’issue d’un processus constituant sur le modèle de la Révolution française et la Régence turque plaquée sur le pays réel. Pour rendre intelligible l’histoire de l’Algérie contemporaine, il semble indispensable de l’inscrire dans une histoire de longue durée qui commence avec le millénaire de Carthage. L’objet de ce travail ne consiste pas à écrire une histoire du Maghreb central – celle écrite par Charles-André Julien reste encore une synthèse inégalée, d mais à essayer de montrer, comment, à travers ses différentes métamorphoses, une identité algérienne s’est forgée dans le creuset originel berbère. Avec cette démarche, nous répondons à l’invitation faite aux historiens par Jacques Berque qui écrivait dans Dépossession du monde : « En ce qui concerne l’Afrique du Nord, la violence des conflits d’émancipation nourrit une littérature acharnée à dénoncer, jusqu’au délire, la lésion subie. Elle ne retient, en somme, de la dialectique coloniale, que la couche extérieure, et de celle-ci que les destructions. Mais cette carence dans l’analyse laisse de côté ce qui, statistiquement et logiquement, comptait sans doute le plus : à savoir la permanence ou mutation propre, dirais-je, de l’inviolé. » Pendant l’Algérie française, la préhistoire et l’Antiquité ont fait l’objet d’études nombreuses et savantes, avec une focalisation sur l’Afrique romaine et le christianisme africain, un intérêt moindre pour Carthage, une diabolisation de la période vandale et un « regard colonial », malgré l’importance des publications faites, sur « les siècles obscurs » (E. F. Gautier) du Maghreb central, de la conquête arabe à 1830. À l’assimilation faite par la majorité des historiens de l’Antiquité entre colonisation romaine et colonisation française, a répondu, presque mécaniquement une école fustigeant l’impérialisme romain et rendant la France responsable de la misère, de l’oppression et de l’aliénation du peuple algérien, résistant à la romanisation (Benabou) avec l’éternel Jugurtha (Amrouche) et avec le FLN contre la colonisation française (l’histoire officielle algérienne). Le cinquantenaire de la signature des Accords d’Évian sera l’occasion de l’ouverture d’un large débat des deux côtés de la Méditerranée sur le bilan de l’Algérie française et celui de l’Algérie indépendante. Pour éviter que le débat ne se focalise sur le choc des armes pendant la séquence de la conquête et celle de la guerre d’Algérie, nous avons estimé utile pour rendre productif ce débat, de déchiffrer le passé lointain de l’Algérie, en le replaçant dans son cadre nord-africain et en posant une série de questions : ` Quelle fut l’influence du millénaire de Carthage et des Phéniciens sur les Berbères en Afrique du Nord ? Comment se sont établies les relations entre les deux populations ? Peut-on parler de syncrétisme et d’acculturation ? ` La romanisation fut-elle une colonisation de la Berbérie suscitant une résistance de tout un peuple jusqu’à son élimination ? Comment expliquer la déchirure du cadre unitaire de la Méditerranée occidentale, maintenu encore par les invasions barbares (les Vandales en Afrique du Nord) jusqu’à la conquête arabe ? 6 ` Pourquoi l’Église d’Afrique, massivement implantée au IIIe siècle et triomphante avec Saint Augustin au IVe siècle a-t-elle disparue après la conquête arabe alors que le judaïsme s’est maintenu, malgré les persécutions et la condition dégradée des Juifs ? ` Sur quelle bases s’est effectuée la « renaissance » du Xe-XIe siècle ? Et pourquoi le commerce et l’or africain n’ont-ils pas donné naissance à une bourgeoisie indigène capable de développer les forces productives et de jeter les bases d’un ou de plusieurs États en Espagne musulmane et au Maghreb analogues à ceux créés par les Carolingiens et les Capétiens ? ` Le mode de production du Maghreb central qui a fait l’objet d’un large débat fut-il féodal, seigneurial ou archaïque et comment expliquer ce retard ? ` La Régence d’Alger était-elle un État véritable et peut-on parler de nationalisme algérien avant 1830 ? Dans ce cas, pourquoi la Régence d’Alger s’est-elle effondrée et a disparu après une seule bataille ? Je ne prétends pas apporter une réponse définitive à ces questions, dont certaines sont plus fouillées que d’autres, voire négligées dla vie quotidienne, littéraire et artistique d mais pour comprendre ce passé lointain de l’Algérie et vérifier qu’elle fut toujours malgré les fluctuations de ses frontières vers les royaumes plus structurés de la Tunisie et du Maroc, une région de la Berbérie. J’ai voulu chercher aussi à comprendre le rôle que mes ancêtres juifs berbères avaient joué dans la construction de la Berbérie, Tamazgha aujourd’hui. Pour mener ce travail, j’ai repris mes bouquins d’histoire et de littérature latine étudiés au lycée, mes cours de Sorbonne pour la préparation de mes certificats d’histoire ancienne, médiévale et contemporaine. J’ai ressorti d’un tiroir, les notes prises, pendant les longues discussions passées pendant les dix-huit mois de mon service militaire à Colomb Béchar, avec un Père Blanc, féru d’histoire sur le christianisme africain, surtout sur St. Augustin. J’ai utilisé aussi les notes prises à Béchar avec un rabbin qui m’a beaucoup appris sur le judaïsme du Sud marocain, du Tafilalet, des « royaumes juifs » du Touat, et de Sijilmassa et du trafic de l’or entre l’Afrique noire et le Maghreb. 7 N’étant pas un spécialiste de l’histoire passée de l’Afrique du Nord, et tout à fait conscient de mes lacunes, je réclame selon la tradition le droit à l’erreur et l’indulgence du lecteur. 8 LE PASSÉ DE L’ALGÉRIE L’état civil de l’Afrique du Nord a beaucoup varié. Les Grecs appelèrent Libye, une partie du nord de l’Afrique du Nord. Les Romains appelèrent Africa la partie correspondant à la Tunisie. Les Arabes qui venaient de l’Est nommèrent l’Afrique du Nord Maghreb el-Aqça, « l’île de l’Occident », par opposition à l’Orient, Machreck. La Berbérie nous semble la définition la plus pertinente, car elle est restée depuis les origines le creuset où se sont fondues des populations et des identités plurielles. L’histoire des premiers Berbères a fait l’objet d’études nombreuses et savantes, mais c’est avec la colonisation phénicienne que la Berbérie entre dans l’histoire. PREMIÈRE PARTIE L’AFRIQUE DU NORD DANS SA PREMIÈRE GRANDEUR LE CADRE GÉOGRAPHIQUE DE L’HISTOIRE Les trois pays d’Afrique du Nord sont, malgré des différences profondes, des entités d’un seul et même pays, par sa structure, son climat et sa population. C’est la région la plus naturelle et la mieux délimitée qui soit, due au système montagneux de l’Atlas. Deux facteurs jouent un rôle important : le relief et le climat. À l’examen d’une carte, quatre zones de relief apparaissent : d Au nord, le Tell ou Atlas Tellien, un bourrelet montagneux dont les altitudes varient, de 1 000 à 2 308 mètres dans le Djurdjura, qui encadre quelques plaines côtières ; d Au pied de ce massif, les Hautes Plaines, terres allongées et étroites, d’une altitude moyenne de 900 à 1 000 m ; d Plus au sud, l’Atlas saharien divisé en blocs séparés par des vallées et des dépressions. Le plus important de ces blocs : l’Aurès culmine à 2 326 m au Djebel Chelia. Enfin, plus au sud, l’immense désert du Sahara. Les difficultés liées à la direction générale des chaînes en zones parallèles au rivage sont aggravées par celles qui viennent du climat. On distingue trois zones grossièrement parallèles. Au nord, le Tell qui couvre un tiers du territoire reçoit plus de 400 mm d’eau. Dans cette zone, et en particulier dans les plaines littorales, la culture sans irrigation est possible. La steppe au sud qui recueille entre 200 et 400 mm par an et permet l’élevage et des cultures sèches. Plus au sud, avec moins de 200 mm par an, la vie sédentaire laisse place au semi-nomadisme. Trois facteurs aggravent la rareté de l’eau : le petit nombre de fleuves, mal orientés et de faible débit, l’irrégularité interannuelle des précipitations et leur caractère souvent excessif. C’est ainsi que la totalité annuelle peut tomber en quelques jours, provoquant la crue des oueds, le ruissellement, l’évaporation et l’infiltration. L’orientation des chaînes a facilité les communications entre l’est et l’ouest, mais multiplié les obstacles entre la côte et l’intérieur. Par ailleurs, le morcellement en compartiments autonomes a contrarié l’unification de l’Afrique du Nord et favorisé dans des régions comme les Aurès ou la Kabylie des groupements humains particuliers. Importance et dispositions des montagnes, plaines étroites de l’intérieur formant des bassins fermés entre l’Atlas tellien au nord 13 et l’Atlas saharien, autant de caractères marquants des conditions naturelles qui ont déterminé l’histoire de l’Algérie. Schéma du relief algérien. (D’après Henri Boucau et Jean Petit, L’Union française, Coll. Jean Brunhes) 14 CHAPITRE I CARTHAGE Vers 1100 av. J.-C., Tyr a créé ses premiers comptoirs en Occident à Utique et Hadrumète en Tunisie, à Lixus et à Gadès, de part et d’autre du détroit de Gibraltar1 héritière de Tyr, Carthage dont le nom phénicien « Quart hadasht » (la ville nouvelle) fut selon la légende fondée en 814 av. J.-C.2 Le site de la Carthage antique était assez étendu pour contenir le tracé d’une grande cité, offrant toutes les garanties de sécurité. Carthage entre dans l’histoire en tant que puissance autonome au cours du VIIe siècle. Elle possède au siècle suivant un État parfaitement organisé doté de toutes les instances nécessaires à son bon fonctionnement (administration, économie, armée, finances), sous la direction de la puissante famille des Magonides, installée au pouvoir entre 475 et 450 av. J.-C. et l’exerçant pendant trois générations. L’empire carthaginois C’est à cette époque que Carthage prend à son compte les intérêts des différents comptoirs phéniciens de la Méditerranée occidentale et renforce son emprise dans les îles de la mer Tyrrhénienne : Malte, Pantelleria, Sicile, Sardaigne, Corse et Baléares. En Espagne du Sud, elle prend le contrôle des mines d’argent de Tartessos et des mines d’or de la Bétique. En Afrique du Nord, elle établit des relations plus étroites avec les comptoirs phéniciens échelonnés sur la côte, isolés les uns des autres par la même origine, la même langue sémitique et la même religion : Hippo Régius (Bône), Rusicade (Philippeville), Igilgili (Djidjeli), Saldae (Bougie), Icosium (Alger), Iol (Cherchel), Cartennae (Tenes). Ces cités se rattachèrent à Carthage dont elles partageaient la même civilisation, par le commerce, la défense et la politique, mais à la différence des colonies grecques, tôt affranchies de leur métropole, elles conservèrent dans cet empire naissant leur autonomie municipale. Affranchie du tribut payé aux Africains pour le sol occupé, Carthage se dota d’une flotte puissante, instrument de sa puissance économique et politique. Elle investit plus fortement qu’à ses 15 débuts son arrière-pays africain qui s’étendait au cinquième de la superficie de la Tunisie actuelle. Elle se transforma alors en une grande cité avec ses faubourgs et ses dépendances. Expansion phénicienne et punique en Méditerranée occidentale. F. Decret. « Carthage ou l’Empire de la mer » 16 La cité Installée sur une presqu’île en forme de flèche, elle était reliée à la terre ferme par un isthme de 4 400 mètres. Dès la fin du IVe siècle, la région de Carthage avait été transformée en un camp retranché, avec une vaste enceinte de 33 km qui protégeait la ville et son arrière-pays rural de Megara, identifié à la Gamarth actuelle, ville parsemée de vergers, de champs cultivés et de jardins potagers très bien entretenus. À l’intérieur de la cité, un vaste système de fortifications assurait la sécurité de deux ports décrits avec beaucoup de précisions par les auteurs anciens : Appien, Strabon et Polybe. Le port marchand donnait abri à des navires de passage. Le port militaire protégeait avec un double mur les chantiers maritimes, les arsenaux, des dépôts de matériel militaire, des écuries pouvant accueillir quatre mille chevaux, des magasins de fourrage et d’orge, ainsi que des casernes pour 20 000 fantassins, 4 000 cavaliers et 300 éléphants. Près des ports, se trouvait la place principale, l’agora entourée de portiques et reliée par trois routes à l’acropole, Byrsa avec une citadelle dominée par le temple d’Eschmoun qui servit d’ultime refuge pour les derniers défenseurs de Carthage. Byrsa protégeait la ville haute au flanc des collines où l’habitat était très concentré : les maisons étaient petites, mais très soignées, l’alimentation en eau douce se faisait à l’aide de puits et de citernes. Elle couvrait aussi la ville basse qui s’étendait le long de la plaine littorale. Là se concentrait la vie commerciale, administrative, culturelle et religieuse de la ville3. Organisation sociale et politique La population carthaginoise, héritière des sociétés procheOrientales était fortement hiérarchisée. Elle était répartie en quatre classes sociales : 9 L’aristocratie. Elle était constituée par les riches armateurs puis par les grands propriétaires fonciers. Les chefs issus des grandes familles (Magonides, Hannonides, Barcides) cumulèrent tous les pouvoirs politiques et religieux qu’ils transmirent à leurs enfants de façon quasi héréditaire. 9 Les citoyens de plein droit (boutiquiers, artisans, pêcheurs, agriculteurs) formaient une classe équivalente à la plèbe dans le monde romain ; 17 9 Les affranchis formaient une classe intermédiaire sur le plan juridique ; 9 Les esclaves, nombreux et en majorité d’origine africaine, avaient, comme en Grèce ou à Rome, des statuts différents (publics ou privés). En ville, ils accomplissaient des tâches domestiques ou exerçaient diverses activités au profit de leurs maîtres. Leur mariage était reconnu par la loi et ils disposaient de ressources et d’une certaine indépendance. La condition des esclaves occupés dans les exploitations agricoles, les carrières et les mines était par contre épouvantable ; 9 Les étrangers, très nombreux, étaient originaires de tout le bassin méditerranéen : Étrusques, Siciliens, Maltais, Grecs, Chypriotes, Orientaux. Les Numides étaient mieux intégrés dans la cité comme artisans, agriculteurs, ouvriers, mercenaires. Au début du Ve siècle, la politique expansionniste de Carthage connut un arrêt quand après une longue guerre menée contre les Grecs en Sicile une armée punique dirigée par Hamilcar fut écrasée à Himère (480). Après cette défaite, Carthage se dota d’une constitution qui selon Aristote (Politique, Livre II, chap. XI), relu et précisé par Picard (Carthage), comprenait trois rouages principaux : d L’Assemblée du peuple dont les pouvoirs effectifs étaient très étendus. À partir du IIIe siècle, elle choisissait les généraux et les suffètes et intervenait sur toutes les questions politiques. d Le Conseil des Anciens ou Sénat dont le fonctionnement reposait sur des commissions chargées de toutes les questions. Au cœur du système, un conseil restreint disposait d’un large pouvoir judiciaire et politique, mais pas militaire, la conduite de la guerre étant une charge confiée à des généraux élus par le peuple. d Un collège de magistrats éponymes élus annuellement, (les suffètes) qui, à partir d’une certaine époque, furent les magistrats suprêmes de Carthage4. L’armée Carthage, qu’il s’agisse du Sénat ou des simples citoyens, n’avait pas comme à Sparte ou à Rome de vocation militaire. La défense était assurée par une armée qui n’était pas permanente, mais constituée à l’occasion des guerres et licenciée une fois la paix signée. 18 L’armée était formée d De citoyens, dont le recrutement était fondé sur le volontariat ; d De soldats levés par conscription soit parmi les sujets, soit dans les cités libo-phéniciennes du territoire africain punique et de l’empire : Africains, Sardes et Ibères ; d Des contingents alliés et auxiliaires avec un encadrement d’officiers fournis par les Étrusques, les Élymes de Sicile, les Numides, les Macédoniens, les Gaulois et les Ligures. Enfin, l’usage était de recruter des mercenaires : Étrusques, Grecs, Sardes, Corses, Gaulois, Ibères et Italiotes du sud de la péninsule. L’armée reposait principalement sur l’infanterie, puis à partir du IIIe siècle sur les éléphants et la cavalerie numide. Elle était organisée en phalanges serrées, la cavalerie étant placée aux ailes. L’artillerie, utilisée pendant les sièges des villes, comprenait des tours à plusieurs étages et des catapultes qui lançaient des boulets de pierre ou de fer5. La marine n’était pas seulement un secteur d’activité économique, elle était aussi l’instrument de sa puissance politique et militaire, même si son intervention dans les guerres ne fut jamais décisive. Malgré son recrutement hétéroclite et des mercenaires mal payés, l’armée de Carthage conquit l’Espagne et remporta plusieurs victoires contre les Grecs en Sicile et les légions romaines pendant la Deuxième Guerre punique. La vie économique À partir du Ve siècle, Carthage renforce son implantation dans les îles et en Espagne et s’assure avec le contrôle de la route atlantique, le commerce de l’étain en Bretagne et en Angleterre. Vers 450 av. J.-C., Hannon, un petit-fils de Magon, organisa un périple qui l’amena jusque sur les côtes du Soudan pays producteur d’or6. L’arrière-pays devint désormais l’objet d’une grande attention. Carthage annexa les terroirs les plus riches de la Tunisie actuelle : plaines de la moyenne Medjerda et du cap Bon. Sur ces terres fertiles et humides, les Carthaginois développèrent une agriculture diversifiée et de qualité, laissant aux Numides la culture des céréales en échange d’un quart de la production et de certaines 19 prestations. La plupart des exploitations carthaginoises étaient des fermes fortifiées, entourées de jardins, de vignobles, d’oliveraies et de pâturages. Le cap Bon était le véritable jardin de Carthage : jardins et vergers arrosés par des ruisseaux et des canaux, arbres fruitiers, plaines où l’on élevait du bétail et des chevaux. Les droits de douane, prélevés sur les marchandises transitant par les ports soumis à Carthage constituaient, avec les redevances et les tributs imposés aux cités rurales de l’intérieur demeurées libres, la pêche, les ressources agricoles et minières des territoires qu’elle contrôlait, l’industrie (salaisons, tissus et pourpre, bois, céramique, métallurgie) et le commerce, les principaux revenus de la cité punique. 20