Contributions à l’étude des formules de salutations en roumain et en français. Remarques de nature stylistique et pragmatique Lect. univ. dr. Constantin-Ioan MLADIN Universitatea „1 Decembrie 1918” Alba Iulia The author intends to create a parallel presentation of the French and Romanian greeting formulas, more from the perspective of the usage of the formulas, that is, from the pragmatic perspective, rather than the systems of the two languages. The research illustrates that fact that the greeting formulas of both languages are not as standardized as they are thought to be. Compared to French, Romanian is much more creative. 1. Doublées ou non par des symboles gestuels (inclinaison de tête, soulèvement de l’avantbras, poignée de main, frappe/tapotement sur l’épaule, embrassade, bise, coup de chapeau, etc. ), les salutations sont des structures verbales conventionnelles, très figées, des énoncés ritualisés, fortement tributaires aux habitudes langagières d’une culture. Leur fonction est essentiellement relationnelle, en tant que vecteurs de lancement ou d’achèvement de la conversation1. 2. Vaguement discutées dans les codes de politesse, ces énoncés idiomatiques ont bénéficié d’un faible intérêt de la part des linguistes2. C’est ainsi qu’on doit se contenter, dans un domaine qui évolue sans cesse sous la pression de l’affectivité des participants à l’acte communicatif, avec les informations partielles et rigides (ressemblances et dissemblances des structures des deux langues, absences des récommandations pragmatiques), offertes par les ouvrages lexicographiques mono et bilingues et par les méthodes d’apprentissage d’une langue étrangère. Or, il est évident que le manque de parallélisme entre le système des formules de salutations du français et du roumain, ainsi que les différences d’usage constituent une source permanente d’erreurs énonciatives, lors du passage d’une langue à l’autre. 3. Dans les deux langues, selon la situation concrète de la communication et en vertu du statut et des intentions ou de la sensibilité des locuteurs, les formules usuelles de salutations peuvent être utilisées seules ou renforcées par des formants explicits (appellatifs et/ou interjections d’appel), en différentes combinaisons. Le choix de ces formants se déroule selon le bon gré des participants à l’acte conversationnel, mais dans le respect des principes généraux de celui-ci. Pourtant, les contraintes de structure ou d’usage spécifiques à chaque langue ne sont pas à négliger. Par exemple, en français les prénoms ne sont pas utilisés de manière aussi désinvolte qu’en roumain (sous le modèle emprunté à des pays anglophones) et la salutation bonjour doit être suivie presque toujours d’un appellatif notionnel défini (bonjour Monsieur3) ou indéfini (bonjour tout le monde), éventuellement d’un subsitut (prépositionel) (bonjour à toi/à vous, bonjour chez toi – formule de clôture !). Toutes ces „Formulele sunt cuvinte sau construcţii care, printr-o întrebuinţare prea des repetată în condiţiuni asemănătoare, şi-au pierdut aproape orice conţinut afectiv, devenind simple semne sau simboluri ale stărilor sufleteşti respective. Formulele de salutare nu sunt altăceva decât simbolurile care stabilesc relaţiile dintre om şi om potrivit stărilor acestora. Altfel spus, ele sunt semnele contactului social dintre indivizi. ” [1, p. 60-61]. 2 Dans le sens étroit du terme (grammairiens, etc. ) parce qu’autrement, à part les ethnologues, les stylistes, les psycholinguistes, les sociolinguistes et, plus récemment, les pragmaticiens se sont souvent attachés à ce sujet. 3 Ou Madame, Mademoiselle, Messieurs, Mesdames, Messieurs-dames; ± le nom propre du destinataire si l’appellatif est au singulier: bonjour M. Untel, ± le nom de la dignité/fonction dans des échanges transactionnels déférents, indifférement du nombre de l’appellatif notionnel: bonjour Monsieur le docteur (Ministre), bonjour mon capitaine, bonjour mon père „curé” (ma soeur „religieuse”), etc. 1 structures sont repérables aussi en roumain (bună ziua la toată lumea/tuturor/la toţi), mais elles ne représentent que des variantes marquées de l’emploi absolu de buna ziua. En roumain, entre Pâques et Pentecôte les salutations usuelles d’ouverture sont systématiquement remplacées par des formules empruntées au discours religieux: Cristos a înviat (Jésus est ressuscité) (répliqueréponse: adevărat c-a înviat), éventuellement, dans le milieu plus conservateur de la campagne par Cristos s-a înălţat (réplique-réponse: adevărat s-a înălţat) pour les trois jours de Pentecôte. 4. La typologie des salutations est fondée sur différents critères4: 4. 1. La nature illocutoire de l’intervention verbale. Généralement on distingue entre: a. les salutations proprement dites: bonjour – bună ziua, au revoir – la revedere etc. ; b. les formules exprimant un vœu: bon voyage – calatorie plăcută (bună, frumoasă, uşoară), bonne nuit – noapte bună, bonne journée – o zi bună, etc. Cette distinction nous paraît assez fragile5. D’abord, parce qu’en fait la structure profonde de la plupart des salutations (proprement dites) suppose l’existence d’un verbe désidératif: bonjour („je vous souhaite une bonne journée”) – bună ziua („vă doresc (urez) ca ziua să vă fie bună”). Puis, parce que les formules de salutations et celles de souhait peuvent facilement se neutraliser: noroc et sănătate correspondent en français également à bonjour, à au revoir et à votre santé (à la votre), à à vos souhaits (amours). Bonne chance, bonne route, bon vent, bon courage – succes (baftă), (să ne vedem) cu bine, allez en paix – mergi cu bine (sănătos), umblă (umblaţi) sănătos (sănătoşi), peuvent être utilisées aussi comme encouragement (souhait), dans le cas d’une personne qui part pour longtemps ou définitivement, ou bien encore qui change d’activité, eventuellement, qui va passer une épreuve dificille. À cette dichotomie corresponderaient seules les formules de salutation actualisées dans la structure superficielle: a. par un verbe performatif6 (± un complément pronominal): (vă/te) salut(ăm); b. par un dérivé nominal de celui-ci (ou de la même famille sémantique), qui suppose lui aussi une structure performative: bise (bisous) < baiser – „je vous fais une grosse bise”, salut – „vă spun salut”, un pupic (< a pupa) (dulce)/pupici (dulci) – „vă fac (trimit, transmit) un pupic (dulce)/pupici (dulci)”, mes hommages – omagiile (respectele) mele „je vous rends (transmets) mes hommages – „vă trimit (transmit) omagiile (respectele) mele)”, etc. ; c. par la forme longue de l’infinitif du verbe performatif de la structure profonde: salutare – vă spun salutare; d. par une construction verbale declarative (locution) qui precede le verbe performatif de la structure profonde: j’ai l’honneur (de vous saluer) – am onoarea (să vă salut); e. par un mot expressif emprunté du langage des enfants (baby talk) dans une structure construite à l’aide d’un verbe déclaratif à valeur performative: tai-tai, pa7 (şi pusi) – „vă spun pa (şi pusi)”. Cette distinction usuelle n’étant pas du tout conforme à la réalité énonciative, il serait plus convenable de distinguer plutôt entre les formules (de salutations/souhait) pures et les formules bivalentes (bifonctionnelles). Il nous paraît plus utile d’attribuer le terme de salut proprement dit à la première réplique dans l’échange communicationel, et appeller la seconde (symétrique et identique ou non-identique) salut (réplique)-réponse. La dificulté d’établir une classification suivant un ordre rationel a été déjà saisie par Ch. Nyrop [p. 16]. Il faut ajouter à cela le fait que, dans certaines circonstances, en roumain surtout (să trăieşti, sărut mâna, etc. ), quelques formules de salutations peuvent facilement se substituer à des formules de remerciement [voir 1, p. 66]. 6 Le roumain peut augmenter la force illocutionnaire de la structure complète en mettant le verbe au passé composé: team pupat (salutat, sărutat). 4 5 Cette interjection existe, avec la même valeur en d’autres langues (allemand, hongrois). L’impératif du verbe français aller (allez, mon vieux) pourrait accomplir, dans certains contextes, la fonction du roumain pa. 7 4. 2. Le code (la modalité) de la communication: oral ou écrit8, celui-ci étant toujours plus, parfois très cérémonieux (cordialement, amicalement/cu stimă, cu respect, etc. ). 4. 3. Le moment communicatif: a. ouverture du dialogue (bonjour/bună ziua, etc. ); b. clôture du dialogue (au revoir/la revedere, etc. )9. 4. 4. Le statut des locuteurs qui établit le modèle de l’interaction verbale: a. à statuts égaux correspondent des échanges personnels (entre les membres de la famille, entre amis, entre collègues, entre interlocuteurs de la même génération, même si ceux-ci ne se connaissent pas); b. à statuts inégaux correspondent des échanges transactionnels, plus formels et cérémonieux – d’un locuteur supérieur vers un interlocuteur inférieur – condescendence (employeur–employé, docteur–patient, professeur–élève/étudiant, vendeur–client etc. ), d’un locuteur inférieur vers un locuteur supérieur – déférence (employé – employeur, patient–docteur, élève/étudiant–professeur, client–vendeur etc.)10. 4. 5. Le contexte situationnel qui vise principalement: 4. 5. 1. Le rapport entre le statut socio-professionnel des interlocuteurs (différents degrés sur l’échelle sociale) et le milieu où la conversation a lieu (cadre privé/cadre officiel); 4. 5. 2. Les circonstances temporelles de l’acte conversationnel, en fonction desquelles on peut distinguer entre: a. les salutations quotidiennes, diferenciées elles aussi selon les divisions: matin, midi, aprèsmidi, soir, nuit; b. les salutations annuelles: bonne année – sărbători fericite, la mulţi ani, etc. ; c. les salutations occasionnelles, liées à des de circonstances précises: – à l'occasion d'un deuil (avant, pendant ou après l’enterrement): que Dieu lui pardonne (ait son âme) – Dumnezeu să-l (s-o) ierte (odihnească), (mes) condoléances – condoleanţe (mele), etc. ; – pendant que l’interlocuteur travaille: bon travail – bun lucru, spor la lucru (muncă, treabă), bon service – servici uşor, gardă uşoară, etc. ; – avant un depart: bon voyage – drum bun, cale bună, du-te sănătos, mergi cu bine, etc. ; – pendant que l’interlocuteur est en train de manger: bon appétit – poftă bună (mare), etc. ; 4. 5. 3. L’intérêt manifesté par le locuteur envers l’interlocuteur, le salut étant, avant tout, un acte expressif à valeur relationnelle. Ce mouvement conversationnel suppose une planification linguistique de la part du locuteur, qui consiste dans le meilleur choix stratégique qu’il peut faire, sous le signe du principe de la politesse positive ou négative, selon son intention comunicative (le locuteur veut s’approcher de l’interlocuteur ou il veut garder la distance, le locuteur veut gagner la sympathie de l’interlocuteur ou il veut mettre fin à la conversation, etc. ). Ces distinctions (et toutes les autres qu’on pourrait ajouter) ne sont que relatives. Le jeu des variables de l’acte de communication (le statut des interlocuteurs, l’intérêt de ceux-ci, le contexte situationnel, etc. ) peut décider du choix des formules de salutations. Par exemple, deux interlocuteurs très proches peuvent utiliser des formules différentes si la conversation a lieu dans un cadre privé ou dans un cadre officiel et avec témoins; par exemple, le syntagme să traiţi (très cérémonieux) peut être utilisée aussi entre amis pour mimer une condescendance exagerée. Le transfert entre les codes est assez fréquent – voir les salutations pseudogestuelles dans les énoncés épistolaires: bisoux – te sărut (îmbrăţişez), etc. [8, p. 59-60]. 9 Le formant-interjection hourra – ura peut exprimer simultanément les deux valeurs (ouverture et clôture du dialogue). D’autres moyens, expressifs, sont susceptibles d’accomplir cette fonction. 10 D’autres distinctions ayant comme critère le statut des locuteurs sont à envisager: formules sprécifiques aux enfants (sărut mâna), aux jeunes (salut), au milieu masculin (să trăiţi). 8 5. Notre attention a été retenue seulement par les échanges conversationneles contenant des formules de salutations pures ou bivalentes appartenant au code oral et sans références aux appelatifs (déixis social) qui peuvent (doivent) les accompagner. Les exemples et les commentaires ne visent que la conversation positive binaire11 (échange conversationnel), dans le sens que la réplique (mouvement conversationnel) émise par l’émetteur déclenche automatiquement une réplique de la part du récepteur, et ignore les éléments métapragmatiques lexicaux (marques discursives utilisées pour nuancer la force illocutionnaire). Les „nonsalutations”12, ainsi que les salutations „plaisantes”13 n’ont pas fait l’objet de cette recherche. 5. 1. Les formants neutres (non-marqués) d’usage dont disposent les deux langues pour engager la conversation (mouvement conversationnel d’ouverture) par une salutation sont: bonjour – bună dimineaţa (pour le matin), bonjour – bună ziua (pour le midi et l’après midi), bonsoir – bună seara (pour le soir et la nuit). 5. 2. Pour mettre fin à la conversation (mouvement conversationnel de clôture) par une salutation, dans les deux langues les suivants formants neutres (non-marqués) sont possibles, en dehors des oppositions temporelles (matin/midi/après midi/soir/nuit): au revoir – la revedere. 5. 3. Ces formules non-marquées sont vivement concurencées par d’autres, capables de rendre avec plus de finesse un bon nombre de nuances de toutes sortes (les salutations forment, dans les deux langues, des systèmes qui évoluent sans cesse en revalorisant leurs patrimoines et leurs ressources internes ou en empruntant des formules nouvelles des autres langues). 5. 3. 1. La référence temporelle: a. à l’aide d’un déixis temporel défini: à cet après-midi, pe după-masă, à ce soir – pe deseară, à demain (soir) – pe mâine (seară), à lundi (soir), à mardi, etc. – pe luni (seară), pe marţi, etc. , à la (semaine) prochaine – pe săptămâna viitoare14; b. à l’aide d’un déixis indéfini, quand on se quitte et qu’on sait (on espère) se revoir prochainement (à bientôt – pe curând, à tantôt – pe curând, à tout à l’heure – pe curând, à plus15 (tard) – pe curând) ou on aprécie la séparation comme définitive (adieu– adio16). Le français est plus subtil, en faisant la distinction entre les déixis temporels momentanés et les déixis temporels duratifs: bonsoir/bonne soirée – bună seara/, au revoir/bon(ne) aprèsmidi – la revedere/o zi bună. En roumain, les syntagmes o dimineaţă (zi, seară) bună sont très récentes et insuffisament acceptées par le système des formules de salutations, leur origine anglaise étant encore trop évidente pour les locuteurs. D’autre part, si le français ne possède pas de structures distinctes en fonction de l’opposition matin/(après-)midi17, il s’avère très soucieux d’indiquer le moment du coucher (bonne nuit – seulement avant de se coucher, emploi différent du roumain noapte bună). 5. 3. 2. La nature de l’interaction verbale, en fonction du statut des locuteurs. 5. 3. 2. 1. Les échanges personnels entre des locuteurs à statuts égaux favorisent les salutations familières et populaires ayant des différentes forces illocutionnaires: a. formules d’ouverture: salut – salut18, par rapport avec bonjour – bună ziua, etc. ; 11 Les séquences complémentaires de la transaction conversationnelle ont été délibérément éliminées (Comment allez vous ? – Ce mai faceţi ?, Quoi de neuf ? – Ce mai e nou ?, Ça gaze ? – Ceva nou ?, Ça va ? – Cum e ?, etc. 12 Călătorie sprâncenată, drum bun şi cale bătută, etc. [8, p. 137-144]. 13 Bună dimineaţa – roade gheţa, etc. (ibidem). 14 L’assertion: „Seul dans le cas des formules où l’indicateur temporel est le nom «semaine» (à la semaine prochaine) le roumain doit expliciter l’information par l’introduction du verbe a vedea (= voir): Ne vedem săptămâna viitoare (On se voit à la semaine prochaine) . ” [9, p. 17] nous paraît inexacte. 15 A + dans les mails. 16 Adieu (< à Dieu soyez) est une formule devenue très littéraire. Elle est aussi utilisé pour les morts, à qui l’on peut aussi dire bon voyage. 17 Il est à remarquer que dans des stades plus anciens du français, bonjour a été utilisé pour clore le dialogue. b. formules de clôture: salut – salut, à la revoyure (très familier) – la bună vedere, à tantôt – pe curând, bise(s), bisou(x) – te pup (dulce), pupici (dulci)19, pa (şi pusi), par rapport avec au revoir – la revedere, etc. ; 5. 3. 2. 2. Les échanges personnels entre des locuteurs à statuts inégaux peuvent se servir des salutations familières et populaires avec une grande force illocutionnaire pour marquer la déférence (due à la différence de statut socio-professionnel ou à la différence d’âge): sărut(ăm)20 mâna (mâinile – plus courtois, mânuşiţele – pédant, précieux, dreapta – archaïque, picioarele – archaïque), modalité courante par laquelle les hommes (les enfants) saluent les femmes et, rarement, d’autres hommes21, par rapport à buna ziuă, la revedere, etc. 5. 4. Il est assez fréquent que des séquences expressives empruntés à des sociolectes bien délimités soyent utilisées comme formules de salutations22: bonne route – drum bun (routiers), bon vent – vânt din pupa (marins)23, – noroc bun (gueules noires), – Doamne-ajută (milieu du clergé), – să trăiţi (milieu militaire), bonne continuation – continuaţi (milieu militaire). 5. 5. Quelques formules neutres à l’intérieur d’une communauté linguistique, peuvent devenir (consciemment ou non) des marques identitaires (dialectales), une fois franchies les limites de ces communautés: kenavo (en Bretagne, parfois ailleurs), à tantôt (d’origine canadienne et très localisée, non utilisée sur tout le territoire francophone), adieu „bonjour” ou „au revoir” (dans le sud de la France), servus24 (en Transylvanie et en Banat). 5. 6. Dans le même but, les deux langues peuvent facilement recourir à des formules étrangères25: salaam aleďkum (en français, parfois utilisé dans la fréquentation avec les Nord africains ou par les Pieds noirs), hello (en français et en roumain), ciao (écrit et prononcé à la française: tchao, respectivement prononcé à la roumaine: tchaou), hola (en français), et bye (bye) (en français et en roumain). 5. 7. Puis, à l’origine de quelques formules de salutation à la mode il y a quelques clichés verbalisés des vedettes (notament celles de la télé et de la radio) ou de la pub: arrivée d’air chaud, au lieu d’arivederci (Coluche), à chao bonsoir (formule lancée par Pépédé, marionette de Canal +, Formule de salut devenue très répandue, dans les deux langues, au début des années ‘70 (il est de même pour ciao). Formules très courantes dans les SMS. 20 Doublet étimologique de salut (< lat. sclavus). 21 Usage archaïque: sărut mâna Măria Ta (votre Majesté), boierule (seigneur), stăpâne (maître), et populaire: ~ părinte (mon père „prêtre”), don’ doctor (docteur). La formule était courante dans l’espace de l’Europe moyenâgeuse – (le) bacio le mani (it. ), le beso la mano (esp. ), je vous baise la main/les mains (fr. ) [5, p. 18-26; 8, p. 71-73]. 22 En fait, un bon nombre de salutations usuelles représentent des formules conventionnelles correspondant au passage d’un fait social réel à un support analogue [8, p. 71]. La remarque peut être illustrée par la salutation sărut mâna, ainsi que par les salutations qui ont franchi le cadre restreint des micro ou macrogroups professionnels tels que ceux mentionés ci-dessus. D’autres expressions continuent à rester spécifiques à quelques usages restreints: bon service – gardă uşoară (milieu hospitalier et militaire), bonne vente – vânzare bună, târg bun (milieu du commerce). Un processus inverse est aussi plausible: „... noroc bun, ca salut de lucru, este foarte frecvent în Moldova nu în Crişana şi în Maramureş, cum ne-am fi aşteptat şi cum se presupune de obicei, plecându-se de la ideea că noroc bun este prin excelenţă salutul minerilor. ” [8, p. 123]. 23 Les deux premiers couples sont utilisés comme encouragement, dans le cas d’une personne qui part définitivement ou change d’activité. 24 (Votre obéissant/très humble) serviteur (familier) n’a pas de correspondant en roumain contemporain. Le syntagme français n’est pas l’équivalent de servus, mais de l’archaïque sluga dumitale (dumneavoastră) – XVII-ème-XVIII-ème siècle [8, p. 80-81; voir aussi 5, p. 41]. 25 Notons qu’à la fin du XVIII-ème et au début du XIX-ème siècle des formules de salutations d’origine française étaient employées en roumain, souvent avec une forme (orale ou écrite) corrompue: alivoar (au revoir), bonsoar (bonsoir). Leur usage n’est pas exclu aujourd’hui, les utilisateurs de ces salutations voulant toujours conférer au dialogue un caractère très convivial et plutôt dérisoire par référence presque explicite à l’ idiolecte des personages littéraires bien fixés dans la conscience colective (cf. I. L. Caragiale). Au début du siècle dernier, le succès enregistré par les formants d’origine française était tellement important que même des gens de la campagne se’en servaient parfois [1, p. 68]. 18 19 qui parodiait un journaliste en prenant congé), salutare taică şi noroc (Vasile Tomazian), să fiţi iubiţi (Mircea Radu), ţineţi aproape (Marius Tucă), ‘nă seara (Vacanţa Mare), bună (pub). 5. 8. Les modalités expressives pour marquer le dynamisme communicationnel sont assez nombreuses (des différences entre les salutations proprement dites et les salutations-réponses étant toujours posssibles): 5. 8. 1. La répétition symétrique et identique des séquences: bonjour, bonjour – bună ziua, bună ziua, etc. 5. 8. 2. La répétition symétrique mais non-identique des séquences, la réponse (souvent rimée ou rythmée) étant amplifiée par rapport à la réplique initiale: să traiţi – să trăim sănătoşi, să trăiţi – să trăim că trebuim, bine ai venit – bine v-am găsit, bună ziua – bună să-ţi fie inima, au revoir – porte-toi bien. 5. 8. 3. L’ordre des constituants: bună ziua – ziua bună, bună s(e)ara – s(e)ara bună. 5. 8. 4. Le cumul des constituants: au revoir – au revoir et bon voyage, au revoir et sans adieux, adieu et au revoir, multă sănătate – multă sănătate, (şi) toate cele bune, să trăiţi – să trăim că trebuim, drum bun – drum bun şi cale bătută. 5. 8. 5. Des altérations phonétiques: a. L’allongement des voyelles: bonjouur – bună ziiua (ziuaa), saalut (saluut) ou des consonnes: ‘nnă ziua, ‘nneaţa, sall’tare; b. La syncope et l’élision: b’jour – ‘zi’a, ‘nă ziua (‘neaţa, ‘nă dimineaţa, (vă) sal’t, sal’tare), aur’voir – la r’vedere, à ç’t’aprèm, ‘nă seara, săr’t mâna, să’rna; c. Autres transformations, souvent avec une intention ludique: serbus (dissimilation), siarbus(diphtongaison), saluti. 5. 8. 6. L’ellypse: (mergeţi/rămâneţi) cu bine, bună (ziua, dimineaţa, seara), (vă doresc/spun) numai bine (cele bune). Les fonctions de ces modalités métapragmatiques sont multiples (parfois antagoniques): ziua bună peut avoir une force illocutionnaire supérieure (plus familier) par raport à bună ziua, les séquences à constituents cumulés garantit la redondance du message, mais peut aussi fournir au locuteur la possibilité d’éviter une conversation non-souhaitée, l’allongement phonétique peut suggérer une hésitation (l’émmetteur veut établir par empathie une relation juste avec son interlocuteur), etc. 6. Les quelques faits que nous venons d’examiner prouvent, à part les convergences et les divergences de deux systèmes langagiers, que les formules de salutations ne doivent plus être considerées des simples clichés linguistiques, des structures verbales définitivement figées26. Les intentions illocutionnaires et les possibilités, théoriquement infinies, de varier le contexte communicationnel, peuvent déterminer dans les deux langues, en proportions inégales, une tendance très évidente de relâchement de l’usage des formules consacrées, d’une part, et une autre tendance, aussi importante, d’enrichissement de l’inventaire des unités (par une ouverture vers les moyens expressifs du langage). Sous cet aspect le roumain contemporain fait preuve d’une créativité nettement supérieure au français. „Formulele de salutare reprezintă partea cea mai mecanizată a vorbirii umane. Dar, cum nimic nu poate să înăbuşe libertatea spiritului, aceste forme mecanizate se influenţează de căldura sufletului vorbitorului şi atunci devin ceva personal, un joc al libertăţii de manifestare, realizat prin mijloace care să fie înţelese totuşi de comunitatea ce şi le-a fixat drept simboluri. ” [1, p. 76]; „formulele de salut, chiar dacă au aspectul unor clişee lingvistice «împietrite» într-o anume structură, pot primi din partea vorbitorilor diverse întrebuinţări. Ele sunt foarte adesea colorate de afectivitate, care diminuează caracterul lor convenţional. ” [8, p. 12]; „Domeniul formulelor de salut e probabil mai dinamic decât se crede de obicei, dar vorbitorii înşişi îi percep mai greu transformările: pentru că elementele de bază se conservă, iar cele care nu mai sunt la modă nu dispar imediat. ” [11]. 26 BIBLIOGRAPHIE: 1. Caragaţă, G., Formulele de salutare în limba română, dans „Buletinul Institutului de Filologie română «Alexandru Philippide»”, vol. VI (1939), p. 60-76 2. 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