DEJJ - La notion de la Responsabilité - Extrait de Encyclopédia Universalis SA - Page 2
veut responsable devant d'autres lois que celles du tyran. La situation qui s'établit entre eux ne présente en rien les
caractères d'une situation de responsabilité. Anfigone n'a pas à répondre de son acte devant Créon, parce qu'elle ne se
reconnaît pas responsable devant lui. L'obligation vraie compose une situation dialectique à l'intérieur de laquelle cc
obligateur » et « obligé » se déterminent réciproquement. L'obligateur peut contraindre; il n'a pas le moyen d'établir à
lui seul le système des relations qui créent le champ éthique de la responsabilité.
L'obligation n'a donc de sens que par l'attitude qu'adopte à l'égard de l'obligateur un obligé qui se fait obligateur de soi.
A partir du moment où le sujet accepte qu'on le fasse responsable, le mouvement par lequel il s'oblige inaugure le jeu
dans lequel obligateur et obligé se trouvent conjointement engagés. S'il dénie à l'autorité le droit de lui demander
raison de ses actes, nulle coercition ne parviendra à fonder sa responsabilité dans l'ordre éthique. II n'est responsable
que s'il se veut tel.
Sa réponse marque d'abord !e consentement à la parole. Prenant la parole, il accepte d'entrer en communication avec
l'autre. A l'opposé, le « démoniaque » kierkegaïardien nefum de répondre: niant le bien-fondé de la question, le
questionné s'enferme dans le silence.
Mais la parole prise n'est pas seulement ouverture, volonté de communiquer. Elle satisfait à une interrogation
déterminée : celle qui porte sur l'identité de l'auteur de l'acte. À 1a question « qui ? » le sujet répond en se désignant~
Réponse minimale qui met au jour la face subjective d'une déclaration d'être dont la désignation par autrui forme le
revers objectif. Le champ de la responsabilité ne s'établit que par l'équilibre de cette double affirmation. C'est
pourquoi, de la part du sue la prise de responsabilité revêt souvent l'aspect d'une revendication, voire d'un défi.
Ainsi le sujet prend-il la parole pour se désigner. Mais devant qui ?
Sa réponse ne s'adresse en principe qu'à cet Autre dont il découvre l'existence et reconnaît !a valeur. Autorité suppose
altérité. Même si l'on parvient à concevoir l'idée d'une responsabilité devant soi-même, ce ne peut être qu'à la
condition d'admettre l'hypothèse d'une scission provoquée par l'intériorisation de l'obligateur. Cette dualité par laquelle
le conflit se reproduit et se joue dans l'intimité du sujet caractérise, selon Freud, la conscience morale. Sans doute faut-
il distinguer de la culpabilité névrotique qu'engendre l'action du surmoi la forme d'obligation réfléchie par laquelle le
sujet s'impose de faire ce qu'il croit devoir faire pour être tel qu'il croit devoir être : responsabilité propre à l'ego, que
Freud a négligée, occupé qu'il était à ruiner les prétentions de l'impératif catégorique. Elle semble requérir, elle aussi,
la présence à soi d'un être que ne dissocie jamais totalement la fissure de la réflexivité, mais dont le langage au moins
trahit le dédoublement partiel.
Le responsable répond au juge qu'il se donne. De quoi répond-Il ?
Alors que l'engagement porte sur l'avenir, la responsabilité concerne le passé (et le présent, mais dans la seule mesure
où le présent passe et où l'acte en cours prend consistance de fait accompli). S'engager, c'est décider à l'avance de se
faire responsable de ce que l'on aura fait. L'engagement est une responsabilité au futur antérieur. La responsabilité
actuelle porte sur ce qui a été fait Mais il ne suffit pas d'en souligner l'intentionnalité rétroversive : il faut inclure le
sujet dans son acte. La responsabilité ne met pas seulement en jeu l'avoir fait; elle vise encore et surtout le fait, pour
quelqu'un, de l'avoir fait. Elle soude l'acte à l'agent.
Ainsi l'analyse de l'attitude de responsabilité découvre-t-elle la singularité du sujet concret. Dans la syntaxe de
l'éthique, responsabilité et exercice de la fonction sujet ne font qu'un. Au déroulement d'un processus impersonnel ne
s'applique nul jugement de responsabilité, à moins que l'on
n'imagine, au principe de ce qui deviendrait alors acte de faire et d'avoir fait, une quelconque intention, providentielle
ou diabolique. La réponse ne peut être le fait que d'un être capable de faire.
L'idée de responsabilité
Est-ce une forme d'ordre que défend le théoricien lorsqu'il met en avant le principe de responsabilité ? Dans ce cas, ne
se rend-il pas complice de ceux à qui la morale sert de caution ? Voilà qui aiderait à comprendre, outre le sens des
tentatives de <c démystification » de la notion de responsabilité, les aspects multiples sous lesquels se présente la
tentation de l'irresponsabilité. L'irresponsabilité se découpe à l'horizon du champ dont les limites viennent d'être
tracées. D'un
côté, l'établissement d'une pseudo=responsabilité purement objective, s'appliquant du dehors, aliène l'individu objet, le
rendant inapte à l'exercice d'un authentique droit de réponse. De l'autre, l'exaltation d'une pseudo responsabilité
entièrement subjective, manifestant la liberté d'un vouloir qui se déploie dans le vide, proclame à la fois la toute-
puissance et la solitude de l'Unique. N'y a-t-il pas quelque illogisme à introduire l'idée d'une responsabilité totale dans
un univers métaphysiquement neutre et pour une conscience délivrée de l'obligatoire ? Comment puis-je être «
intégralement responsable » si Dieu n'existe pas, si nulle autorité n'offre à mes yeux le prestige de la respectabilité, si
tout pour moi revient « au même » ? Une fois démasqué le surmoi, que reste-t-il ? Le dédoublement réflexif ne suffit
pas à provoquer l'apparition de deux personnes qui se feraient face et dialogueraient en moi. Comment concevoir une
responsabilité du sujet pris dans son état de pure subjectivité ?