Dominique Guibert, AEDH pour Alliance pour l`année européenne

publicité
Dominique Guibert, AEDH
pour Alliance pour l'année européenne des citoyens - EYCA/
Groupe de liaison
18 mars 2014
Avec l’approfondissement de la crise économique et sociale, la croyance des citoyens dans la
capacité du projet européen à assurer un bien-être collectif a reculé. Particulièrement mais pas
seulement dans les pays où les politiques d’austérité sont supervisées par les institutions
européennes, l’Union européenne est perçue comme responsable du recul singulièrement des droits
sociaux. Avec une conséquence forte pour la démocratie : comment croire à une communauté de
destin ? Comment croire qu'une société européenne pourrait être celle des égaux lorsque le sort des
uns est tellement différent de celui des autres ? Comment se reconnaître dans un projet devant tant
d'inégalités ?
1. – Un bilan critique de la construction économique européenne
1.1 – De quoi l'intégration européenne est-elle le nom ?
Avec l’approfondissement de l’intégration européenne, le contrôle démocratique est mis au défi de
l’opacité du système de gouvernance impliquant de multiples niveaux et institutions. Le fossé
démocratique s’est creusé malgré les dispositions du traité de Lisbonne avec les nouveaux
équilibres entre institutions avec le rôle accru des Parlements européens et nationaux ou les
dispositions de l’article 11 pour mise en place d’un dialogue civil comme principe de gouvernance.
La gestion de la crise en Europe a renforcé la défiance envers les institutions. Pendant des
décennies, les politiques européennes inscrites dans l’économie de marché ont considéré les
citoyens comme étant surtout des individus-consommateurs, privilégiant cela sur les approches
collectives. Dans la crise actuelle, les priorités des politiques publiques s’éloignent de l’accès
universel effectif aux droits fondamentaux avec les mesures d’austérité imposées dans les pays les
plus faibles qui dégradent la situation de millions de personnes.
1.2 – Les inégalités d'avant la crise
Avant la crise, la croissance économique globale des dernières décennies, non seulement n'a pas
servi à combattre les inégalités, mais au contraire on a assisté en Europe à l’accroissement des
inégalités, tant sociales que territoriales, et à une polarisation entre riches et pauvres comme résultat
des politiques menées. L’intégration économique et financière a naturellement profité aux pays les
mieux placés pour bénéficier du grand espace européen aux régulations unifiées, les richesses
produites s’y concentrant. Les conséquences sociales résultant de la concentration territoriale des
richesses restent de la responsabilité de chaque pays, sans que les plus faibles ne bénéficient d’une
redistribution significative de la richesse produite. Ainsi, les pays riches répondent aux
conséquences sociales du développement économique déséquilibré avec leurs moyens, et les pays
rencontrant les difficultés économiques doivent le faire avec les leurs. Dans ce contexte, pour
répondre aux déséquilibres, les politiques publiques reposaient essentiellement sur le dumping fiscal
et le dumping social.
1.3 – Les résultats de l'austérité
La réponse aux dérèglements financiers du secteur privé par des moyens publics puis des politiques
d’austérité ont conduit d’une part à la croissance de la dette publique et d’autre part à de l’exclusion
sociale. Affrontés à des baisses catastrophiques de ressources, à une diminution dramatique des
bienfaits des services d’intérêt commun, à la régression des moyens de la protection sociale, les
citoyens des pays les plus touchés, mais aussi dans les autres perdent confiance en leur propre Etat
comme aux institutions identifiées à la troïka.
À la recherche de réponses concrètes là où l’austérité à les effets les plus violents, ils cherchent à
s’organiser au niveau local pour maintenir dans les faits l’accès aux droits fondamentaux, dans une
volonté de retrouver la pratique de solidarités. Et si ces réponses construites dans la crise sont des
mesures d'urgence, des sortes de circuits courts pour survivre, elles ne peuvent pas, pour l’accès aux
droits pour tous dans les États-membres et dans l’Union elle-même, prendre la place de politiques
publiques capables d’assurer les sécurités et d’accompagner une société réellement inclusive et
solidaire pour tous les résidents sur tout le territoire de l'UE. Cela, c’est le rôle des institutions, et ce
sont les valeurs et les objectifs dont se réclame le traité de Lisbonne.
2. – Les quatre principes d'une ré-orientation de la politique économique de l'Europe
2.1 - Les politiques de cohésion ne se traitent pas à la baisse.
Renforcer l’accès universel à l’emploi, à un revenu décent, à la santé, à l’éducation, au logement, à
l’environnement, aux sécurités sociales, à des politiques communes pour faire face à la crise de
l’endettement implique une redistribution des richesses existantes au travers de politiques
budgétaires, tant du côté des ressources que des dépenses, rouvrant la perspective d’un destin
commun des peuples au sein de l’Union. Pour sa partie européenne, il parait nécessaire de pouvoir
s’appuyer sur un retour à des ressources propres plus élevés et au niveau communautaire à un
renforcement significatif des transferts financiers des pays/territoires riches vers les entités pauvres.
L’inverse du mouvement des dix dernières années.
2.2 – Le social n'est pas un sous-produit de l'économique
L’Europe est confrontée à de tels déséquilibres économiques et sociaux que leur résolution implique
réflexion et profonds changements pour clarifier et redéfinir la nature des politiques européennes
qui sous-tendent le projet européen lui-même. Le « récit » dominant qui affirme que la crise ne
vient pas de la spéculation financière mais de trop d’interventions publiques (via les services
d’intérêts généraux et les dépenses sociales) combinées avec une soi-disant fainéantise des citoyens
des « PIIGS » (Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne) n’est ni juste factuellement, ni acceptable
politiquement tant il s’oppose directement aux fondations, à la philosophie et aux principes de notre
contrat européen.
2.3 – La fin la course au « tout marché »
L’Europe doit passer d’un modèle cherchant à englober toute l’activité humaine dans une logique de
concurrence par le marché à un modèle capable de répondre aux aspirations citoyennes de
solidarité, de respect mutuel et de justice sociale. Un tel modèle devrait reposer sur une définition
du bien-être penser l’économie au service des citoyens et de l’environnement, et pas l’inverse. À
l’opposé de la recherche d’une croissance quantitative, c’est une économie permettant des
conditions de vie décentes pour tous, l’accès à la santé, à l’éducation et au bien-être qu’il nous faut.
2.4 – Les services publics pour l'accès aux biens communs
La volonté d’opposer les services d’intérêts généraux assurant l’accès universel aux biens publics
(comme l’éducation, la santé, les sécurités,…) et la viabilité des marchés doit être rejetée. Parce
qu’il s’agit bien de renforcer la cohésion sociale et de respecter la dignité humaine, les politiques
européennes doivent garantir l’accès universel et égal aux biens publics fondamentaux
indépendamment des moyens financiers de chacun(e). Il convient de prendre la mesure de ce que la
zone monétaire au lieu d'être optimale et de sécurité pour les parties prenantes, s'est révélée être une
zone de concurrence renforcée. La correction de cet effet est indispensable.
3. – Les recommandations de l'Alliance pour une Europe de la solidarité
Depuis plusieurs années la priorité a été donnée par le conseil européen à la consolidation de
l'Union monétaire alors même que les critiques et les faits montraient que cette politique n'est pas
capable seule de réaliser la cohésion de la zone. Cela s'est fait au détriment de la dimension sociale
de l’Europe et a augmenté la concurrence entre les États-membres. Or, la dimension économique et
budgétaire et la dimension sociale sont complémentaires et devraient être articulées plus
équitablement. En effet, répondre aux craintes d’exclusion sociale des citoyens, contrebalancer le
risque de paupérisation et de marginalisation qui croît et assurer leur sécurité à travers la cohésion
sociale exige que l’Union européenne renforce la dimension sociale de ses politiques.
3.1 – Renforcer la solidarité entre les États-membres
Pour assurer la solidarité entre les États-membres de l’UE, nous recommandons aux institutions
européennes de se diriger vers un modèle de croissance fondé sur les citoyens tout en répondant au
besoin de consolidation budgétaire en liant les performances économiques à la réalisation du
progrès social vers plus d’inclusion active et de responsabilisation. L’Alliance soutient également
toutes les mesures promues par l'UE et ses États-membres permettant aux citoyens européens de
mieux contrôler le monde économique et financier et de créer un environnement où les marchés se
conforment aux règles démocratiques, et non l'inverse, en introduisant par exemple une taxe sur le
capital et en luttant contre les paradis fiscaux.
3.2 – Renforcer la solidarité entre les citoyens européens
Pour restaurer la confiance des citoyens dans une Union qui aspire à et qui a les capacités de
répondre à leurs besoins, l’Alliance demande aux institutions européennes d’assurer un accès égal
aux droits économiques et sociaux.
L’Alliance appelle notamment les institutions européennes et les États-membres à instaurer une
politique fiscale redistributive fondée sur les revenus, le capital et les taxes environnementales.
De même, les États-membres doivent garder, maintenir et développer un système de protection
sociale adéquat comprenant un revenu minimum, et notamment un salaire minimum, une protection
sociale, une assurance chômage et des retraites appropriées.
L'accès au marché du travail est considéré comme un élément clé des stratégies européennes pour
lutter contre la pauvreté et renforcer l'inclusion sociale. L’Alliance demande donc instamment aux
institutions européennes de promouvoir les valeurs de coopération, d’inclusion, de confiance, de
légitimité démocratique et d'égalité dans le secteur économique.
Étant donné ses principes en tant que modèle économique servant le bien public et la cohésion
sociale, sa résilience face à la crise et son intérêt pour répondre aux changements actuels auxquels
nos sociétés font face, les institutions européennes doivent promouvoir et soutenir le développement
du secteur de l’économie sociale et solidaire.
3.3 – Assurer le bien-être de tous en Europe
L’accès aux services sociaux est fondamental pour autonomiser et responsabiliser les individus et
leur donner les moyens d’être en mesure d'exercer leurs droits économiques et sociaux ainsi que de
s’impliquer dans la vie de la société.
L’Alliance exhorte les institutions européennes à promouvoir l'idée d'un accès universel aux
prestations sociales comme prérequis à la lutte contre la pauvreté, à l'égalité et à la pleine garantie
de l'accès des populations aux droits fondamentaux prévus dans la Charte des droits fondamentaux
de l'Union européenne, notamment en ce qui concerne le droit à l'éducation (art.14) et le droit à la
santé (art.35).
Les États-membres sont également invités à garantir un accès universel aux services de santé et
d'éducation de bonne qualité, comme prévu par la Charte des droits fondamentaux, par exemple en
supprimant les obstacles engendrés par la privatisation et la concurrence déloyale dans le secteur
sanitaire et social et en soutenant les organisations de la société civile qui apportent des services sociaux
et de santé.
En guise de conclusion...
Dans sa communication du 2 octobre 2013 au Parlement et au conseil européens, intitulée « Renforcer
la dimension sociale de l'Union économique et monétaire », la commission propose d'intéressantes
perspectives avec un choix d'indicateurs pertinents, d'ouverture du dialogue social, et de recueil des
bonnes pratiques. Fort bien , mais indicateurs pour faire quoi ? Dialogue social sur quoi ? Bonnes
pratiques dans quel but ? Il manque à cette panoplie une vision. Cela fait que la démonstration au fond
tourne à vide. On attend encore le passage à une politique publique de lutte contre les inégalités. De
réglementations sociales, il n'en est pas question. De normes sociales, pas plus. D'objectifs sociaux, non
plus. Sur de telles bases, on peut craindre que l'affirmation de l'encastrement du social dans les
indicateurs macro-économiques ne soit qu’une phrase sans concrétisation. Nos recommandations vont à
l’inverse, pour que le social soit structurel et substantiel, et pas procédural ou uniquement
proclamatoire.
Téléchargement