Le travail dans l`univers concentrationnaire nazi

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Le travail dans l’univers concentrationnaire nazi.
Thème 2007
Piste de travail
Oh ! terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Piocher1.
Le camp Nazi est un instrument de répression pour la Gestapo. C’est également un lieu de
productivité, source de profit. Les camps de concentration, puis d’extermination sont devenus
des usines utilisant l’homme comme objet, matière première et esclave.
Les camps font partie intégrante du système SS. Tout en permettant de gagner de l’argent, ils
créent une ambiguïté pour l’économie SS qui devenait alors « dépendante » d’une population
qu’elle était chargée de réprimer et d’exterminer. Dans le cas des Juifs, le travail n’était
qu’une étape dans le processus de destruction. La SS utilise la main d’œuvre pour construire
les camps, pour l’administration et enfin pour les industries SS spécialisées dans les produits
de type primaire (bois, charbon, produits alimentaires, ciment) qui requéraient un
investissement minimal.
La logique du travail dépend aussi de la notion de guerre totale. Or, si l’Allemagne parvenait
à convertir 30 millions de tonnes d’acier et 340 millions de tonnes de charbon en 17000 chars
et 27000 canons lourds, les Soviétiques transformaient 8 millions de tonnes d’acier et 90
millions de tonnes de charbon en 27000 chars et 27000 canons lourds2. L’utilisation massive
de la main d’œuvre comme esclave ne fait donc que mettre en exergue les carences de
l’Allemagne nazie en guerre. En effet, les autorités germaniques commencent à souffrir dès
l’été 1941. Le manque était estimé, par les autorités du Reich, à environ 1,5 millions de
personnes en moyenne. D’ailleurs, dès novembre 1941, Goering décida « l’importation » de
civils soviétiques comme main d’œuvre. Les difficultés à mener de front une guerre totale fait
glisser l’Allemagne d’une logique d’extermination politique et raciale à l’exploitation des
détenus pour des raisons économiques. Oswald Pohl affirme : « La guerre a apporté des
changements structuraux visibles dans les camps de concentration, et a radicalement modifié
leur tâches, en ce qui concerne l’utilisation des détenus. La détention pour les seuls motifs de
sécurité, éducatifs ou préventifs, ne se trouvent plus au premier plan. Le centre de gravité
s’est déplacé vers le côté économique. La mobilisation de toute main d’œuvre des détenus
pour des tâches militaires (augmentation de la production de guerre), et pour la
reconstruction ultérieure en temps de paix, passe de plus en plus au premier plan. De cette
constatation découlent les mesures nécessaires pour faire abandonner aux camps de
concentration leur ancienne forme unilatéralement politique, et pour leur donner une
organisation conforme à leurs tâches économiques ».
Le travail et l’idéologie nazie, « Arbeit macht frei »
1
2
http://www.fndirp.asso.fr/chantdesmarais.htm
Richard Overy, Why the allies won, d’après http://www.delpa.org/article
1
Pour les Nazis, le travail manuel forcé est un moyen pour punir, mais aussi et surtout pour
« rééduquer » afin que les opposants au régime acquièrent une « conscience de race ». Dès
l’hiver 1933, dans les premiers camps de concentration, le travail forcé, souvent inutile et
humiliant, est imposé. A partir de 1938, les « ennemis d’Etat » sont exploités. En 1942,
l’utilisation du travail forcé est systématique à l’intérieur et à l’extérieur des camps. A
Auschwitz-Monowitz, des dizaines de milliers de Juifs sont employés dans l’usine de
caoutchouc synthétique de Buna (IG Farben). De même dans le ghetto de Lodz, les nazis
installèrent 96 usines et ateliers3. Parfois, le travail forcé est devenu une chance de survie.
Ceux qui avait la « chance » d’être déclaré apte au travail pouvait espérer survivre encore un
peu. En d’autres termes, certaines catégories de prisonniers étaient condamnées à mort par
épuisement. Cependant, le système nazi va montrer ses contradictions internes. Lorsque la
situation militaire va exiger l’intensification des productions militaires. Hitler hésitera à
déclencher un processus de guerre totale. Speer sera chargé de l’armement, Sauckel du
recrutement et la Wehrmacht, par l’entremise des régions occupées, de l’approvisionnement
en matières premières. Cependant Himmler vit dans cette situation un moyen pour la SS de
devenir un pouvoir économique majeur à partir de la force de travail des camps. Mais, avec
l’appui des grands industriels et des officiers généraux de la Wehrmacht, Speer réussit à
mettre la main d’œuvre à disposition du grand patronat. Le National-Socialisme dut se plier
aux exigences du pragmatisme économique.
Pourtant l’Etat Nazi, pris dans une écœurante logique raciale d’extermination et politique
devant « libérer » l’espace vital, ne parvint réellement à exploiter rationnellement cette main
d’œuvre gratuite et son aveuglement idéologique l’a conduite à détruire une main d’œuvre qui
aurait pu lui faire gagner la guerre. Par ailleurs, nombre de nazis trouvaient humiliant d’avoir
à se servir des Juifs considérés comme inférieurs et l’on doit admettre que le taux de mortalité
des Juifs était supérieur à celui des autres peuples. Si bien que souvent, les nazis manquèrent
de main d’œuvre. On peut citer l’opération « fête de la moisson » où les Allemands
massacrèrent 43000 juifs qu’ils ne pouvaient remplacer et qui limita la production4. En fait les
Allemands ne considéraient pas les Juifs comme des travailleurs ordinaires. Daniel Jonah
Goldhagen définit plusieurs points sur les travailleurs juifs pour les Nazis :
1. L’utilité potentielle du travail juif n’entrait pas en ligne de compte aux yeux des
Allemands. Ils l’ont démontré sans cesse par leurs décisions d’anéantir des
communautés juives tout entières, mettant fin brutalement à une production très
importante et irremplaçable.
2. Même quand les Juifs étaient mis « au travail », les Allemands sous-utilisaient
totalement leurs capacités de production ; ils les avaient arrachés à leurs lieux
habituels de travail et à leurs équipements pour les envoyer dans des lieux non
équipés, si bien que, la plupart du temps, ils travaillaient sur du matériel primitif ou en
très mauvais état. De plus, les tâches étaient affectées sans considération des
qualifications des Juifs. La conséquence en était que :
3. Le « travail » des Juifs se caractérisait par son infime productivité, à deux niveaux :
productivité générale des Juifs d’Europe, productivité d’une force de travail donnée
dans un camp donné.
4. Le « travail » des Juifs avait une dimension de « punition » ( sans parler des mauvais
traitements), comme le prouvent les travaux privés de sens.
5. Le « travail » des Juifs avait pour première caractéristique le très mauvais état
physique des travailleurs, conséquence du traitement infligé par les Allemands. Les
cadences étaient inhumaines, insupportables physiquement. S’y ajoutaient la sous3
4
http://memorial-wlc.recette.Ibn.fr/article.php?lang=fr&ModuleId=37
Voir Daniel Jonah Goldhagen, Les bourreaux volontaires de Hitler, SEUIL, 1997.
2
alimentation et l’absence d’hygiène volontaire, ayant pour résultat l’état de santé
catastrophique des prisonniers juifs.
6. Le « travail » des Juifs était caractérisé par son issue mortelle. La seule raison pour
laquelle un plus grand nombre de Juifs ne sont pas morts de faim, d’épuisement
physique et de maladie est que les Allemands les tuaient avant que leur état de santé
ne devint critique. Exténués, les travailleurs juifs marchaient vers leur mort. Tant
qu’ils n’étaient encore qu’à mi-parcours, les Allemands les exploitaient pour en tirer
une certaine production et différentes satisfactions psychologiques dérivées. Toute
infraction imaginaire ou réelle (contre l’ordre inhumain du camp) était une occasion
de tuer les Juifs.
7. Le « travail » des Juifs était caractérisé par la cruauté permanente du personnel
allemand des camps.
8. Même si cela ne fut absolument pas vrai tout le temps ni à tous les points de vue, le
« travail » des Juifs était, par essence, fondamentalement et qualitativement différent
de celui des non juifs soumis eux aussi au travail forcé.
En clair, les Allemands ne considéraient pas les Juifs comme des travailleurs. Alors même
que, pour les travailleurs ou les esclaves, le travail est un moyen de vivre, de se reproduire,
d’acquérir une dignité, pour les Juifs, le travail signifiait la mort. Le véritable sens du travail
pour les Juifs est exposé par Heydrich, lui-même, lors de la conférence de Wannsee, cité plus
bas.
Les camps dans l’économie de guerre nazie
Ainsi, les camps, qui ne sont à l’origine que des instruments de répression mis en place d’une
manière « sauvage », deviennent le fondement de la production de guerre allemande. Ceux-ci
sont confiés à la SS. La réalité exige une organisation nouvelle nécessitant l’utilisation du
travail des détenus pour les tâches quotidiennes. Mais la double fonction des camps va créer
des tensions entre les SS eux-mêmes. Les conflits auront lieu entre le RSHA (office principal
de sécurité de Reich) et le WVHA (office principal d’administration et d’économie du Reich).
Ce dernier est dirigé par Pohl qui crée un Amstgruppe-D dirigé par le SS général Major
Glücks. Himmler entend augmenter la production d’armement pour la Waffen SS, mais les
industriels sont inquiets de voir les sites de production sous le seul contrôle de la SS. L’armée
elle-même n’accepte pas de devoir dépendre de Himmler pour son armement. Cependant,
Himmler est incontournable car il est le seul à disposer de la main d’œuvre nécessaire à
l’effort de guerre. A partir de 1942, il y a des négociations, arbitrées par Hitler, entre Speer et
le Reichfürher SS. Les détenus deviennent des marchandises. Les camps font partis de
l’économie de guerre nazi. Le 20 janvier 1943, Glücks ordonne à tous les commandants de
camps « d’essayer de réduire le taux de mortalité dans les camps. » En fait la SS s’avérera
incapable de contrôler sa propre machine. André Boulanger dit que les moyens SS pour
améliorer les conditions de vie étaient dérisoires. De plus les bombardements alliés
contraignirent les nazis à enterrer les usines et à utiliser la main d’œuvre pour cette tâche.
Plusieurs rapports font état de l’utilisation de la main d’œuvre. Ainsi : « Les camps de
concentration s’attaqueront aux grandes tâches économiques dans les prochaines
semaines5 » (Himmler à Glücks. 25 janvier 1942). Mais encore le SS Oswald Pohl ( chef de
l’Office principal économique et administratif SS) affirme dans un rapport adressé à
5
Cité par Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, Folio, page 795.
3
Himmler : « Le centre de gravité s’est déplacé vers le côté économique. La mobilisation de
toute main-d’œuvre des détenus pour des tâches militaires ( augmentation de la production de
guerre), et pour la reconstruction ultérieure en temps de paix, passe de plus en plus au
premier plan6. (Lettre du 30 avril 1942)».
Dans ce contexte, un règlement productiviste est mis en place. Le commandant du camp
pouvait rendre le travail illimité, réduire les temps de repos et supprimer tout ce qui pouvait
nuire au rendement. Mais le principe économique ne gérait pas tout. Une rationalité
économique, qui aurait exigé des conditions humaines afin de maintenir le rendement, aurait
contredit le sens même du camp dont la finalité était politique et raciale. La direction SS opère
une terrible fusion des deux en mettant en place le principe de l’extermination par le travail.
La force de travail des déportés est utilisée jusqu’à l’extrême limite des forces humaines.
Dans une grande perversité, en mourrant au travail, le déporté contribuait à renforcer le Reich
allemand. La conférence de Wannsee est claire sur la volonté et les raisonnements nazis.
(…) Au cours de la solution finale, les Juifs de l'Est devront être
mobilisés pour le travail avec l'encadrement voulu. En grandes
colonnes de travailleurs, séparés par sexe, les Juifs aptes au travail
seront amenés à construire des routes dans ces territoires, ce qui sans
doute permettra une diminution naturelle de leur nombre.
Pour finir, il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité de
ceux qui resteront car il s'agira évidemment des éléments les plus
résistants, puisque issus d'une sélection naturelle, et qui seraient
susceptibles d'être le germe d'une nouvelle souche juive, pour peu
qu'on les laisse en liberté (voir l'expérience de l'histoire7).
L’économie de guerre allemande restait une économie capitaliste même si les firmes étaient
contrôlées. Les SS avaient tenté d’attirer les capitaux privés dès 1935 en utilisant la main
d’œuvre , mais c’est la guerre qui va accélérer le processus.
Il faut rappeler que la SS disposait de ses propres entreprises. Mais il s’agissait d’activités de
secteur primaire qui nécessitaient peu d’investissement comme les cimenteries, les carrières,
la production de bois, voir de produits alimentaires. La main d’œuvre mourrait rapidement et
n’avait pas le temps d’acquérir les qualifications nécessaires à des productions industrielles
nécessitant un savoir faire. A Sobibor, Himmler dut renoncer à son projet d’usine de
démontage et de recyclage des munitions ennemis. Les SS ne réussirent jamais à constituer un
empire industriel. D’ailleurs, c’est cet échec qui aboutit à se concentrer sur Auschwitz. Si l’on
prend le cas de ce camp, toute la grande industrie allemande était présente. Krupp, Siemens,
Union, Deutsche Ausrüsungswerke, IG Farbenindustrie utilisaient la main d’œuvre
concentrationnaire du camp. A Buna IG Farbenindustrie payait aux SS 6 marks par jour pour
un ouvrier qualifié et 4 pour un ouvrier non qualifié. Le SS Karl Sommer écrit : « D’après
mes souvenirs, on envoyait des détenus de camps de concentration dans toutes les entreprises
industrielles allemandes qui pouvaient en employer massivement. (…) Dans l’ensemble, il y
avait dans toute l’industrie allemande, au plus fort de l’opération, quelques 500.000 détenus
au travail ». Mais la grande réussite reste l’installation de l’usine Buna IV d’IG-Farben à
Auschwitz. L’idée était autant d’utiliser les détenus que d’industrialiser les espaces conquis à
6
7
D’après Léon Poliakov, Auschwitz, collection ARCHIVES, Gallimard, 1964, p 69.
http://perso.orange.fr/d-d.natanson/wannsee.htm
4
l’Est. Il y avait de l’eau, du charbon, de la chaux, des voies de communication et des détenus
à mettre dans les mines et les usines. Auschwitz devient un complexe industriel qui intègre
des cités ouvrières allemandes (les civils polonais ont été chassés), une usine et un camp
fournissant les détenus. IG Farben qui a investi près de 500 millions de Reichsmarks crée une
police d’usine qui fusille au besoins les détenus récalcitrants. Seule une « soupe Buna »
distingue le détenu travailleur de celui qui est resté au camp. Cependant cette soupe n’était
donnée que dans un souci de productivité. D’ailleurs en 1944, on nomme l’usine camp de
concentration IG-Farbeninsdustrie. On prévient les détenus : ils ne sont pas là pour vivre mais
« pour périr dans le béton8 ».
Auschwitz n’est pas le seul exemple. Au Struthof par exemple, selon Roger Boulanger, « à
700 mètres du camp proprement dit, une douzaine de baraquements furent érigés et servirent
d’ateliers de démontage de moteurs d’avions. Mais la main d’œuvre concentrationnaire fut
surtout utilisée pour construire les 165 camps extérieurs disséminés sur le territoire du Reich
à proximité immédiate d’usines d’armement9. »
Il faut rappeler que dans tous les cas les déportés étaient encadrés par des centaines
d’ingénieurs, contremaîtres et ouvriers allemands. Seule la productivité intéressait les
industriels. Les conditions de vie, les crématoires, les chambre à gaz ne les concernaient pas.
Dans le cas de la main d’œuvre, les différents procès démontrent, qu’hormis quelques cas
particuliers, elles n’ont pas favoriser des traitements inhumains et fournissaient parfois soupes
chaudes et vêtements. Mais elles conservent une entière responsabilité dans l’utilisation des
hommes soumis au régime concentrationnaire. Elles fonctionnaient comme des monstres
froids insensibles au bien et au mal et il est nécessaire de rappeler que selon Raul Hilberg et
des dépositions de déportés (dans La destruction des Juifs d’Europe) près de 25.000 détenus
sur 35.000 moururent dans l’usine de Buna d’IG-Farben. Plusieurs hauts responsables de ces
usines ne furent jamais inquiétés. On peut citer Werner Von Braun à Dora (1912-1977) qui fut
l’inventeur de la fusée V2, mais aussi le père de la fusée américaine Saturn V. D’autres ne
regrettèrent rien : « La nation tout entière a adhéré aux principes fondamentaux suivis par
Hitler. Nous les Krupp, nous ne nous sommes jamais préoccupés de la vie. Nous voulions
seulement un système qui fonctionne bien et qui nous donne l’occasion de travailler sans être
dérangés. La politique ne nous concerne pas (… ). Quand on achète un bon cheval, il faut
aussi prendre en compte quelques défauts » (Alfred Krupp Von Bohlen und Halbach-1945).
Chaque camp a son Kommando.
Il y a plusieurs types de Kommandos, à savoir : ceux qui effectuent les tâches ordinaires liées
à la vie quotidienne (cuisine, infirmerie, etc) et ceux qui sont affectés aux tâches
d’anéantissement, de « nettoyage ( transportkommandos), ceux qui travaillent dans les
crématoires ( Sonderkommandos) et ceux qui trient les objets récupérés (effektenkammer).
Un Kommando est aussi un groupe de travail qui sort du camp pour y accomplir des tâches.
Parfois un Kommando devient un camp à part entière, comme celui de Dora. C’est à Dora que
l’on fabriquait les V1 et les V2.
Le 15 juin 1943 est constitué au sein du ministère Speer
une « Commission spécial A4 » sous la présidence de
l’un des principaux dirigeants de la firme DEMAG,
8
9
Citer dans Raul Hilberg.
Roger Boulanger, La déportation racontée à des jeunes, SCEREN-CRDP Champagne-Ardenne. 2004
5
Gerhard Degenkolb. Elle aura la haute main sur la partie
métallurgie de la production des fusées. Le directeur
berlinois de l’AEG est chargé du secteur électrique. Il
s’appelle Waldemar Petersen. Des centaines d’autres
firmes, directement ou en sous-traitance, participent au
projet qui est décrété prioritaire, sous la dénomination
codée DE 12 (A4), le 2 juillet 1943. Le 25 juillet, Hitler
signe un décret concernant la fabrication des engins A4.
Pour le troisième trimestre, une main d’œuvre forte de
10.000 travailleurs lui est affectée. Mais l’affaire était
déjà en cours. Le quartier général de l’opération avait été
installé à Peenemunde, que Himmler visita le 16 avril et
le 28 juin 194310.
Dora était un complexe où la violence régnait en maître. C’est un Arbeitskommando du KZ
de Buchenwald. Du fait des bombardements alliés, Hitler décida d’implanter des usines
souterraines. Après le bombardement de Peenemünde (17-18 août 1943), on déplace la
fabrication des armes secrètes dans les galeries du Kolnstein. Les travaux sont effectués par
l’usine Mittelwerke. Les détenus présentent un avantage évident pour les Nazis ; ils coûtent
peu et surtout leur extermination permet de conserver le secret militaire. Les premiers détenus
arrivent le 25 août 1943. Dora-Mittelbau devient un camp autonome le 28 octobre 1944. On
distingue trois situations à Dora. La première période se déroule d’août 1943 à avril 1944 où
les conditions de vie sont terribles. Les déportés creusent les galeries, ne voient jamais le jour
et meurent de faim, de soif et de violence. Cependant entre mai à octobre 1944, les besoins
croissant de production nécessitent l’amélioration des conditions de vie et de nourriture. Mais
après octobre 1944, l’Allemagne ne nourrit plus les déportés et les conditions de vie sont
extrêmement difficiles. Charles Sadron raconte : « Nous avons douze heures de travail par
jour, de 9 heures au soir, avec trois quarts d’heure de pause dans l’après midi. Nous dormons
au tunnel, le réveil est à 4heures 30. Deux heures plus tard nous sortons et nous montons vers
le camp où nous mangeons la soupe ». L’autre particularité de Dora est que les SS sont
dépendants des détenus pour un travail vital et stratégique. Les armes nouvelles constituent
les seules chances militaires de nazis. Il faut donc surveiller, contrôler et faire régner la terreur
pour éviter les sabotages. Ainsi Dora est d’une extrême violence ; les rythmes sont durs et la
brutalité des SS et des Kapos dépasse l’entendement.
Certes les nazis maintinrent le secret, mais le manque d’expérience des détenus et les
mauvaises conditions de vie ne pouvait garantir un travail de qualité, d’autant que les
témoignages concordent pour dire que le sabotage passif était devenu une activité fréquente à
la fin de 1944.
Pour le détenu, le travail rime avec « mort lente »
Dans la majorité des camps situés à l’Est de l’Europe, il n’y a aucune sélection à l’arrivée des
trains. Mais à tous moments les prisonniers étaient susceptibles d’être envoyés à une mort par
gaz ou faire l’objet d’expériences. Après une première nuit (blanche), on mettait les
10
Buchenwald /Dora, Le serment, 1995.
6
survivants au travail. Dans d’autres camps, la sélection s’effectue rapidement dans des
conditions différentes selon les camps. Les survivants des premières sélections entraient dans
une mort « programmée ». Le détenu est soumis à un travail exterminateur dans un vaste
espace clos où le moindre sentiment de compassion était exclu.
« Certains sont déjà condamnés à mort : ils seront pendus prochainement. Ils resteront au
camp et devront travailler en attendant leur exécution. Tous les autres devront également
travailler soit au camp, soit dans les Kommandos extérieurs. Sachez qu’ici ce n’est pas un
sanatorium ; le maximum de survie est de trois mois ». Il a parlé lentement en nous
dévisageant pour apprécier l’effet produit. Cet ange de la mort, dans son uniforme de colonel,
s’appelle Turman. Il est le chef du camp.( Roger Joly -31422 à Neuengamme- dans jusqu’au
bout la Résistance, stock, grasset)
Face au dilemme de rendement et d’élimination,les nazis tranchent par une solution simple.
L’extermination par le travail. Au deuxième trimestre 1942 sur 95.000 détenus, 57.603
périssent, soit 60% en trois mois.
On peut définir une journée-type du détenu. A 4h30 du matin,la cloche sonne et les personnes
entassées dans les chambrées doivent s’habiller, faire un semblant de toilettes et avaler un
maigre repas en moins de 10 minutes. Puis c’est l’appel, souvent interminable. Puis
commence une journée de plus de 10h. Cependant, en fonction des camps cela pouvait être
différent. Madeleine Perrin raconte : « Toutes les corvées du camp étaient exécutées par les
prisonnières. A Ravensbruck, en 1943, nous devions sortir à 3H30 pour l’appel du matin qui
durait environ deux heures, par n’importe quel temps. Nous partions cinq par cinq, nous
serrant pour avoir moins froid et ne pas tomber sur le verglas ou la neige (…) Après l’appel
généra, avait lieu sur l’avenue centrale du camp un second appel, celui du travail : les
travailleuses en colonnes pour l’extérieur du camp, forêt, sable, charbon, etc., et les autres
pour les ateliers de confection à l’intérieur du camp, rangées par atelier…11 »
La sélection ne décide pas entre la vie et la mort, mais retarde simplement le rendez-vous avec
la mort « Un commando de 100 hommes perdait environ 10 détenus par jours. Les détenus
mouraient d’inanition, des suites d’accidents du travail, etc… La nourriture et les soins
étaient mauvais et il n’y avait pas assez de vêtements propres. Le linge que je distribuais
provenait des gazés de Birkenau 12». La vie quotidienne rime avec sous-alimentation, manque
de vêtements et conditions hygiéniques catastrophiques. Les appels durent des heures, les
privations sont fréquentes. Après trois ou au maximum six mois, l’homme est à bout de force
et s’il est déclaré inapte, c’est la mort.
« Depuis ce matin nous sommes dans la boue, les jambes écartées et les pieds vissés dans le
sol gluant. Je suis à mi-hauteur du fossé, Kraus et Clausner sont au fond, Gounan est audessus de moi, au niveau du sol. Il regarde autour de lui et, par monosyllabes, avertit Kraus
de presser le rythme ou de se reposer, selon les gens qui passent sur la route. Clausner
pioche, Kraus me passe des pelletées de terre et, à mon tour, je soulève cette terre jusqu’à
Gounan qui l’entasse à côté de lui. Des prisonniers font la navette avec leur brouette et
portent la terre je ne sais où ; d’ailleurs cela ne nous intéresse pas, aujourd’hui notre univers
se réduit à ce trou boueux13. »
FNDIRP/ UNADIF, Jusqu’au bout la Résistance, STOCK, 1997
Noack Treister, détenu à Auschwitz.
13
D’après Léon Poliakov, Auschwitz, collection ARCHIVES, Gallimard, 1964, p
11
12
7
« … Et je peux dire que, considérant que c’était la première fois de ma vie que je tenais une
fourche dans les mains, aussi bien notre gardien, qui jetait un coup d’œil de temps en temps,
qu’un homme à l’allure de contremaître, sûrement quelqu’un de l’usine, avaient l’air plutôt
satisfaits, ce qui nous mettait du cœur au ventre, naturellement. Mais quand au bout d’un
certain temps, ressentant une brûlure dans mes mains, je vis que la base de mes doigts était
tout ensanglantée, quand notre gardien eus dit : »Was ist denn los ? et que je lui eus montré
en riant mes paumes, quand alors, soudain très grave, tirant même sur la bretelle de son fusil
il m’eut ordonné : « Arbeiten ! Aber los ! »- alors finalement, il était bien naturel que mon
intérêt se portât ailleurs. A partir de là, je n’eus plus qu’une idée en tête : comment, quand il
ne me regardait pas, prendre à la dérobée quelques courts instants de repos, comment
charger le moins possible ma bêche, ma fourche. Je peux dire que, par la suite, je fis
d’énormes progrès dans ce genre de ruse et en tout cas j’acquis dans ce domaine plus de
compétence, de savoir et de pratique que dans aucun travail que j’aie jamais effectué14 ».
Les règlements édités par Oswald Pohl ne sont guère différents des témoignages des déportés.
Ainsi : « Toutes les circonstances qui peuvent limiter la durée du travail ( repas, appels, etc.)
sont donc à réduire à un strict minimum. Les longues marches et les pauses pour les repas de
midi sont interdites… ».
D’une manière générale, dans tous les camps, on meurt au travail dans des conditions
épouvantables. A Mauthausen, les détenus devaient gravir un escalier de 186 marches en
portant de lourdes pierres. Ces marches étaient connues sous le nom de « marche de la mort ».
Les Nazis avaient constitué le camp à partir de prisonniers venus de Dachau, puis le camp
devient réservé à ceux dont la rééducation était considérée comme improbable. Dans ce camp,
les détenus étaient systématiquement utilisés comme travailleurs. Au début, on les employait
pour la construction du camp, mais avec la guerre les nazis installent une usine d’armement
alimentée en main d’œuvre par les sous-camps de Gusen, Gunskirchen, Melk, Ebensee et
Amstetten.
La vie quotidienne à Auschwitz
La vie quotidienne à Auschwitz 1 en juin 1944: l'arrivée et la quarantaine, puis le logement,
la nourriture, le travail, le Revier...
Témoignage de Marc Klein15 :
“ Nous avions déjà été délestés de tous nos bagages, puis dès l'arrivée au Stammlager, nous
fûmes privés de tous les objets que nous portions sur nous, y compris nos papiers d'identité,
montres, portefeuilles, stylos, lunettes, bagues, tous les menus objets qu'un homme peut
porter sur lui furent jetés, selon les espèces, sur des tas séparés. Puis nous fûmes privés de
nos vêtements, rasés sur tout le corps, passés à la douche et nous fûmes affublés du fameux
habit rayé bleu et blanc. Dès notre entrée dans le camp, tous nos papiers d'identité furent
détruits. Nous étions tombés au rang d'un objet numéroté, ce fameux numéro matricule qu'on
n'allait pas tarder à nous tatouer sur l'avant-bras gauche, lors des formalités de
l'enregistrement. La paperasserie occupait à Auschwitz 1 une place éminente. ”
Marc Klein explique alors les conditions de vie et de travail que les déportés devaient subir.
14
15
Imre Kertész, Etre sans destin, Actes sud, P.199
http://www.phdn.org/histgen/auschwitz/klein-obs46.html
8
“ Chaque Block comportait un sous-sol surélevé, un rez-de-chaussée, un étage et des
combles. En revanche, aucun Block ne possédait de réfectoire (Tagesraum) ; au rez-dechaussée de chaque Block se trouvaient de petits dortoirs, réservés à des détenus privilégiés,
des WC, des lavoirs spacieux. Au premier étage des Blocks se trouvaient des dortoirs
spacieux qui pouvaient loger jusqu'à 1000 détenus. La propreté des lits et de leurs
confections lors du lever constituait un gros tracas de notre vie de détenus : un lit mal fait,
repéré lors de l'inspection journalière des dortoirs par le Block führer SS, pouvait entraîner
les pires sévices corporels ou le déclassement vers le mauvais kommando avec son issue
souvent fatale.
La nourriture du camp comportait trois repas. Le matin, on distribuait un liquide chaud, café
ou tisane, qui théoriquement devait être sucré trois fois par semaine. Le repas de midi
représentait le plat de résistance, un litre de soupe bouillie dans laquelle entraient les
ingrédients les plus divers. Le fond en était toujours constitué par des choux ; il s'y ajoutait
des farines, des graines, des légumes, des pommes de terre, des débris de viande. Au repas
du soir avait lieu la distribution d'un liquide chaud, de la ration journalière de pain de 375
grammes.
A Auschwitz 1 tout le monde était soumis à l'obligation du travail effectif. Il n'y avait pas
d'invalides ni de vieux, ils étaient supprimés à l'arrivée et aux sélections »
L’incorporation dans le Sonderkommando :
« …Le troisième jour arriva en civil dans notre partie du camp le
SS-Hauptscharführer Moll, accompagné d'autres SS. Nous dûmes tous nous présenter à
l'appel et Moll choisit les plus forts d'entre nous, exactement 250 au total. On nous amena
sur la route qui traversait le camp. Nous devions y prendre des pelles et d'autres outils. On
nous amena à proximité des crématoires III et IV, où nous fûmes accueillis par des SS armés.
Nous dûmes nous mettre en rang et cent d'entre nous furent détachés et amenés au crématoire
111. Les autres durent continuer la marche en direction du bunker V (une maison de paysans
où il était également procédé à des gazages). C'est là que le SS-Hauptscharführer Moll,
arrivé à motocyclette, nous reçut dans son uniforme blanc. Il nous accueillit avec ces mots :
« Ici vous aurez à bouffer, mais il vous faudra travailler. » On nous mena de l'autre côté du
bunker V, la façade de ce bunker ne nous révélait rien de particulier, mais l'arrière nous fit
voir à quoi il servait. »
La découverte du "travail"
« …Il y était entassé un amas de cadavres nus : ces cadavres étaient tout gonflés et on nous
commanda de les porter jusque dans une fosse de six mètres de largeur et de trente mètres de
longueur environ, où se trouvaient déjà des cadavres en train de brûler. Nous fîmes tous nos
efforts pour amener ces cadavres au lieu indiqué. Mais les SS nous trouvaient trop lents. On
nous battit terriblement et un SS nous ordonna : « Un seul homme par cadavre. » Ne sachant
comment exécuter cet ordre, nous fûmes encore battus et un SS alors nous montra qu'il fallait
que nous prenions le cadavre par le cou avec la partie recourbée de la canne et l'amener
ainsi de l'autre côté. Nous devions nous livrer à ce travail jusqu'à 18 heures. A midi, nous
avions une demi-heure d'interruption. On nous apporta à manger. »
Les femmes aussi…
9
Malvina Schalkova (internée à Theresienstadt,) réalisa des centaines de peintures. Au moment de cet autoportrait, elle était
âgée de 49 ans. Elle fut alors déportée vers Auschwitz où elle fut assassinée.
http://perso.orange.fr/d-d.natanson/art_et_camps.htm
Les femmes sont soumises aux mêmes conditions de vie et de travail que les hommes.
Madeleine Perrin16 raconte : « …réfection des blocks, enlèvement des ordures ménagère par
tombereaux traînés par des femmes, déchargement du pain, du charbon, par voitures tirées
également par des femmes, mâchefer amené par des wagonnets pour la réfection des chemins
du camp, nivellement de ces chemins fait à l’aide d’un énorme rouleau de pierre tiré par une
vingtaine de femmes, ainsi que le service d’arrosage nécessaire pour ce travail ; tout ceci
était exécuté à bras de femmes. Il en était de même pour la nourriture nécessaire pour
l’ensemble des blocks, nous étions désignés à tour de rôle pour aller à la cuisine, chercher
les cuves de soupe ou de café » (…)
A Ravensbrück, des prisonnières, principalement des Allemandes appelées –asociales- ( filles
de mœurs ), venaient avec une charrette à bras pour emmener les mortes. Ces cadavres, que
l’on déshabillait préalablement, étaient chargés, en les lançant après avoir compté : « 1…
2… et 3… hop ! là ! Elles invectivaient le pauvre cadavre si, par malheur, il glissait de
l’autre côté… et en route pour la morgue. Si celle-ci était comble, on emmenait le
chargement directement au crématoire… »
Image en lien
David Olère, Arrivée d'un convoi et charrette transportant des cadavres retirés d'un précédent convoi, après 1945.
http://perso.orange.fr/d-d.natanson/art_et_camps.htm
Christian Lambart
Docteur en histoire
Président de l’AFMD-DT 10.
ANNEXES
Lexique concernant le travail dans les camps17
Arbeitseinsatz : Utilisation et exploitation de la main d’œuvre dans le Reich et les pays
occupés.
Arbeitsstatistik : Bureau du travail d’un camp. Il organise le travail au sein du camp et dans
les Kommandos.
Arbeitslager : Camp de travail. Ce terme ne désigne pas nécessairement un camp de
concentration.
DWB : Deutsche Wirtschaftsbetriebe GmbH : entreprises économiques allemandes SARL :
holding entre les mains de la SS
16
17
Dans jusqu’au bout la Résistance, FNDIRP, UNADIF.
D’après Roger Boulanger, La déportation racontée à des jeunes, Scéren, CRDP Champagne-Ardenne, 2003.
10
IG Farben : Société industrielle qui installa des unités de production dans les camps pour
bénéficier de la main d’œuvre fournie par les détenus.
Kapo (Vorarbeiter en allemand) : Déporté généralement de droit commun chargé par les
nazis d’encadrer les équipes de déportés dans les camps de concentration.
Kommando (allemand) : Détachement de déportés en formation de travail envoyés à
l’extérieur d’un camp de concentration. Par extension, désigne le lieu de travail d’une équipe
de Déportés.
Sonderkommandos (allemand) : Equipe de détenus chargée de tâches liées à l’extermination
des Juifs comme le transport des cadavres.
Wirtschaftsverwaltungshauptamt : WVHA, Office Central SS de gestion économique
Les signes
Politique allemand
Politique juif
Politique français
Asocial
Tzigane
Chrétien
Apatride
Droit commun
Homosexuel
Cible sur certains
détenus pour attirer
l'attention des SS
Etoile jaune portée
par les juifs
Le coût économique de la main d’œuvre ( d’après ISBM. 3-87490-529-2. Catalogue 1979.
Comité internationale à Dachau. Extrait de documents trouvés au secrétariat SS à Dachau)
-
location journalière pour le travail
6,00 reichmark Prix de revient
11
-
nourriture quotidienne
amortissement des vêtements
amortissement des installations
Reste
Durée probable de survie
9 mois soit 270 jours à 5,30 RM. !
0,70 × 270
0,60
0,10
p.m
5,30
0,60
0,10
0,70
1431,00
190 RM.
Récupération éventuelle des cadavres
1. Dents en or
2. Vêtements à l’arrivée
3. Hardes
4. Argent à l’arrivée du camps
Déduire 2 RM. Pour frais de crémation
200,00 RM.
Bénéfice au terme de 9 mois
1631,00
Non compris l’utilisation des os et des cendres
12
-190,00
1440 RM.
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