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Le travail dans l’univers concentrationnaire nazi.
Thème 2007
Piste de travail
Oh ! terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Piocher
1
.
Le camp Nazi est un instrument de répression pour la Gestapo. C’est également un lieu de
productivité, source de profit. Les camps de concentration, puis d’extermination sont devenus
des usines utilisant l’homme comme objet, matière première et esclave.
Les camps font partie intégrante du système SS. Tout en permettant de gagner de l’argent, ils
créent une ambiguïté pour l’économie SS qui devenait alors « dépendante » d’une population
qu’elle était chargée de réprimer et d’exterminer. Dans le cas des Juifs, le travail n’était
qu’une étape dans le processus de destruction. La SS utilise la main d’œuvre pour construire
les camps, pour l’administration et enfin pour les industries SS spécialisées dans les produits
de type primaire (bois, charbon, produits alimentaires, ciment) qui requéraient un
investissement minimal.
La logique du travail dépend aussi de la notion de guerre totale. Or, si l’Allemagne parvenait
à convertir 30 millions de tonnes d’acier et 340 millions de tonnes de charbon en 17000 chars
et 27000 canons lourds, les Soviétiques transformaient 8 millions de tonnes d’acier et 90
millions de tonnes de charbon en 27000 chars et 27000 canons lourds
2
. L’utilisation massive
de la main d’œuvre comme esclave ne fait donc que mettre en exergue les carences de
l’Allemagne nazie en guerre. En effet, les autorités germaniques commencent à souffrir dès
l’été 1941. Le manque était estimé, par les autorités du Reich, à environ 1,5 millions de
personnes en moyenne. D’ailleurs, dès novembre 1941, Goering décida « l’importation » de
civils soviétiques comme main d’œuvre. Les difficultés à mener de front une guerre totale fait
glisser l’Allemagne d’une logique d’extermination politique et raciale à l’exploitation des
détenus pour des raisons économiques. Oswald Pohl affirme : « La guerre a apporté des
changements structuraux visibles dans les camps de concentration, et a radicalement modifié
leur tâches, en ce qui concerne l’utilisation des détenus. La détention pour les seuls motifs de
sécurité, éducatifs ou préventifs, ne se trouvent plus au premier plan. Le centre de gravité
s’est déplacé vers le côté économique. La mobilisation de toute main d’œuvre des détenus
pour des tâches militaires (augmentation de la production de guerre), et pour la
reconstruction ultérieure en temps de paix, passe de plus en plus au premier plan. De cette
constatation découlent les mesures nécessaires pour faire abandonner aux camps de
concentration leur ancienne forme unilatéralement politique, et pour leur donner une
organisation conforme à leurs tâches économiques ».
Le travail et l’idéologie nazie, « Arbeit macht frei »
1
http://www.fndirp.asso.fr/chantdesmarais.htm
2
Richard Overy, Why the allies won, d’après http://www.delpa.org/article
2
Pour les Nazis, le travail manuel forcé est un moyen pour punir, mais aussi et surtout pour
« rééduquer » afin que les opposants au régime acquièrent une « conscience de race ». Dès
l’hiver 1933, dans les premiers camps de concentration, le travail forcé, souvent inutile et
humiliant, est imposé. A partir de 1938, les « ennemis d’Etat » sont exploités. En 1942,
l’utilisation du travail forcé est systématique à l’intérieur et à l’extérieur des camps. A
Auschwitz-Monowitz, des dizaines de milliers de Juifs sont employés dans l’usine de
caoutchouc synthétique de Buna (IG Farben). De même dans le ghetto de Lodz, les nazis
installèrent 96 usines et ateliers
3
. Parfois, le travail forcé est devenu une chance de survie.
Ceux qui avait la « chance » d’être déclaré apte au travail pouvait espérer survivre encore un
peu. En d’autres termes, certaines catégories de prisonniers étaient condamnées à mort par
épuisement. Cependant, le système nazi va montrer ses contradictions internes. Lorsque la
situation militaire va exiger l’intensification des productions militaires. Hitler hésitera à
déclencher un processus de guerre totale. Speer sera chargé de l’armement, Sauckel du
recrutement et la Wehrmacht, par l’entremise des régions occupées, de l’approvisionnement
en matières premières. Cependant Himmler vit dans cette situation un moyen pour la SS de
devenir un pouvoir économique majeur à partir de la force de travail des camps. Mais, avec
l’appui des grands industriels et des officiers généraux de la Wehrmacht, Speer réussit à
mettre la main d’œuvre à disposition du grand patronat. Le National-Socialisme dut se plier
aux exigences du pragmatisme économique.
Pourtant l’Etat Nazi, pris dans une écœurante logique raciale d’extermination et politique
devant « libérer » l’espace vital, ne parvint réellement à exploiter rationnellement cette main
d’œuvre gratuite et son aveuglement idéologique l’a conduite à détruire une main d’œuvre qui
aurait pu lui faire gagner la guerre. Par ailleurs, nombre de nazis trouvaient humiliant d’avoir
à se servir des Juifs considérés comme inférieurs et l’on doit admettre que le taux de mortalité
des Juifs était supérieur à celui des autres peuples. Si bien que souvent, les nazis manquèrent
de main d’œuvre. On peut citer l’opération « fête de la moisson » les Allemands
massacrèrent 43000 juifs qu’ils ne pouvaient remplacer et qui limita la production
4
. En fait les
Allemands ne considéraient pas les Juifs comme des travailleurs ordinaires. Daniel Jonah
Goldhagen définit plusieurs points sur les travailleurs juifs pour les Nazis :
1. L’utilité potentielle du travail juif n’entrait pas en ligne de compte aux yeux des
Allemands. Ils l’ont démontré sans cesse par leurs décisions d’anéantir des
communautés juives tout entières, mettant fin brutalement à une production très
importante et irremplaçable.
2. Même quand les Juifs étaient mis « au travail », les Allemands sous-utilisaient
totalement leurs capacités de production ; ils les avaient arrachés à leurs lieux
habituels de travail et à leurs équipements pour les envoyer dans des lieux non
équipés, si bien que, la plupart du temps, ils travaillaient sur du matériel primitif ou en
très mauvais état. De plus, les tâches étaient affectées sans considération des
qualifications des Juifs. La conséquence en était que :
3. Le « travail » des Juifs se caractérisait par son infime productivité, à deux niveaux :
productivité générale des Juifs d’Europe, productivité d’une force de travail donnée
dans un camp donné.
4. Le « travail » des Juifs avait une dimension de « punition » ( sans parler des mauvais
traitements), comme le prouvent les travaux privés de sens.
5. Le « travail » des Juifs avait pour première caractéristique le très mauvais état
physique des travailleurs, conséquence du traitement infligé par les Allemands. Les
cadences étaient inhumaines, insupportables physiquement. S’y ajoutaient la sous-
3
http://memorial-wlc.recette.Ibn.fr/article.php?lang=fr&ModuleId=37
4
Voir Daniel Jonah Goldhagen, Les bourreaux volontaires de Hitler, SEUIL, 1997.
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alimentation et l’absence d’hygiène volontaire, ayant pour résultat l’état de santé
catastrophique des prisonniers juifs.
6. Le « travail » des Juifs était caractérisé par son issue mortelle. La seule raison pour
laquelle un plus grand nombre de Juifs ne sont pas morts de faim, d’épuisement
physique et de maladie est que les Allemands les tuaient avant que leur état de santé
ne devint critique. Exténués, les travailleurs juifs marchaient vers leur mort. Tant
qu’ils n’étaient encore qu’à mi-parcours, les Allemands les exploitaient pour en tirer
une certaine production et différentes satisfactions psychologiques dérivées. Toute
infraction imaginaire ou réelle (contre l’ordre inhumain du camp) était une occasion
de tuer les Juifs.
7. Le « travail » des Juifs était caractérisé par la cruauté permanente du personnel
allemand des camps.
8. Même si cela ne fut absolument pas vrai tout le temps ni à tous les points de vue, le
« travail » des Juifs était, par essence, fondamentalement et qualitativement différent
de celui des non juifs soumis eux aussi au travail forcé.
En clair, les Allemands ne considéraient pas les Juifs comme des travailleurs. Alors même
que, pour les travailleurs ou les esclaves, le travail est un moyen de vivre, de se reproduire,
d’acquérir une dignité, pour les Juifs, le travail signifiait la mort. Le véritable sens du travail
pour les Juifs est exposé par Heydrich, lui-même, lors de la conférence de Wannsee, cité plus
bas.
Les camps dans l’économie de guerre nazie
Ainsi, les camps, qui ne sont à l’origine que des instruments de répression mis en place d’une
manière « sauvage », deviennent le fondement de la production de guerre allemande. Ceux-ci
sont confiés à la SS. La réalité exige une organisation nouvelle nécessitant l’utilisation du
travail des détenus pour les tâches quotidiennes. Mais la double fonction des camps va créer
des tensions entre les SS eux-mêmes. Les conflits auront lieu entre le RSHA (office principal
de sécurité de Reich) et le WVHA (office principal d’administration et d’économie du Reich).
Ce dernier est dirigé par Pohl qui crée un Amstgruppe-D dirigé par le SS général Major
Glücks. Himmler entend augmenter la production d’armement pour la Waffen SS, mais les
industriels sont inquiets de voir les sites de production sous le seul contrôle de la SS. L’armée
elle-même n’accepte pas de devoir dépendre de Himmler pour son armement. Cependant,
Himmler est incontournable car il est le seul à disposer de la main d’œuvre nécessaire à
l’effort de guerre. A partir de 1942, il y a des négociations, arbitrées par Hitler, entre Speer et
le Reichfürher SS. Les détenus deviennent des marchandises. Les camps font partis de
l’économie de guerre nazi. Le 20 janvier 1943, Glücks ordonne à tous les commandants de
camps « d’essayer de réduire le taux de mortalité dans les camps. » En fait la SS s’avérera
incapable de contrôler sa propre machine. André Boulanger dit que les moyens SS pour
améliorer les conditions de vie étaient dérisoires. De plus les bombardements alliés
contraignirent les nazis à enterrer les usines et à utiliser la main d’œuvre pour cette tâche.
Plusieurs rapports font état de l’utilisation de la main d’œuvre. Ainsi : « Les camps de
concentration s’attaqueront aux grandes tâches économiques dans les prochaines
semaines
5
» (Himmler à Glücks. 25 janvier 1942). Mais encore le SS Oswald Pohl ( chef de
l’Office principal économique et administratif SS) affirme dans un rapport adressé à
5
Cité par Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, Folio, page 795.
4
Himmler : « Le centre de gravité s’est déplacé vers le côté économique. La mobilisation de
toute main-d’œuvre des détenus pour des tâches militaires ( augmentation de la production de
guerre), et pour la reconstruction ultérieure en temps de paix, passe de plus en plus au
premier plan
6
. (Lettre du 30 avril 1942)».
Dans ce contexte, un règlement productiviste est mis en place. Le commandant du camp
pouvait rendre le travail illimité, réduire les temps de repos et supprimer tout ce qui pouvait
nuire au rendement. Mais le principe économique ne gérait pas tout. Une rationalité
économique, qui aurait exigé des conditions humaines afin de maintenir le rendement, aurait
contredit le sens même du camp dont la finalité était politique et raciale. La direction SS opère
une terrible fusion des deux en mettant en place le principe de l’extermination par le travail.
La force de travail des déportés est utilisée jusqu’à l’extrême limite des forces humaines.
Dans une grande perversité, en mourrant au travail, le déporté contribuait à renforcer le Reich
allemand. La conférence de Wannsee est claire sur la volonté et les raisonnements nazis.
(…) Au cours de la solution finale, les Juifs de l'Est devront être
mobilisés pour le travail avec l'encadrement voulu. En grandes
colonnes de travailleurs, séparés par sexe, les Juifs aptes au travail
seront amenés à construire des routes dans ces territoires, ce qui sans
doute permettra une diminution naturelle de leur nombre.
Pour finir, il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité de
ceux qui resteront car il s'agira évidemment des éléments les plus
résistants, puisque issus d'une sélection naturelle, et qui seraient
susceptibles d'être le germe d'une nouvelle souche juive, pour peu
qu'on les laisse en liberté (voir l'expérience de l'histoire7).
L’économie de guerre allemande restait une économie capitaliste même si les firmes étaient
contrôlées. Les SS avaient tenté d’attirer les capitaux privés dès 1935 en utilisant la main
d’œuvre , mais c’est la guerre qui va accélérer le processus.
Il faut rappeler que la SS disposait de ses propres entreprises. Mais il s’agissait d’activités de
secteur primaire qui nécessitaient peu d’investissement comme les cimenteries, les carrières,
la production de bois, voir de produits alimentaires. La main d’œuvre mourrait rapidement et
n’avait pas le temps d’acquérir les qualifications nécessaires à des productions industrielles
nécessitant un savoir faire. A Sobibor, Himmler dut renoncer à son projet d’usine de
démontage et de recyclage des munitions ennemis. Les SS ne réussirent jamais à constituer un
empire industriel. D’ailleurs, c’est cet échec qui aboutit à se concentrer sur Auschwitz. Si l’on
prend le cas de ce camp, toute la grande industrie allemande était présente. Krupp, Siemens,
Union, Deutsche Ausrüsungswerke, IG Farbenindustrie utilisaient la main d’œuvre
concentrationnaire du camp. A Buna IG Farbenindustrie payait aux SS 6 marks par jour pour
un ouvrier qualifié et 4 pour un ouvrier non qualifié. Le SS Karl Sommer écrit : « D’après
mes souvenirs, on envoyait des détenus de camps de concentration dans toutes les entreprises
industrielles allemandes qui pouvaient en employer massivement. (…) Dans l’ensemble, il y
avait dans toute l’industrie allemande, au plus fort de l’opération, quelques 500.000 détenus
au travail ». Mais la grande réussite reste l’installation de l’usine Buna IV d’IG-Farben à
Auschwitz. L’idée était autant d’utiliser les détenus que d’industrialiser les espaces conquis à
6
D’après Léon Poliakov, Auschwitz, collection ARCHIVES, Gallimard, 1964, p 69.
7
http://perso.orange.fr/d-d.natanson/wannsee.htm
5
l’Est. Il y avait de l’eau, du charbon, de la chaux, des voies de communication et des détenus
à mettre dans les mines et les usines. Auschwitz devient un complexe industriel qui intègre
des cités ouvrières allemandes (les civils polonais ont été chassés), une usine et un camp
fournissant les détenus. IG Farben qui a investi près de 500 millions de Reichsmarks crée une
police d’usine qui fusille au besoins les détenus récalcitrants. Seule une « soupe Buna »
distingue le détenu travailleur de celui qui est resté au camp. Cependant cette soupe n’était
donnée que dans un souci de productivité. D’ailleurs en 1944, on nomme l’usine camp de
concentration IG-Farbeninsdustrie. On prévient les détenus : ils ne sont pas là pour vivre mais
« pour périr dans le béton
8
».
Auschwitz n’est pas le seul exemple. Au Struthof par exemple, selon Roger Boulanger, « à
700 mètres du camp proprement dit, une douzaine de baraquements furent érigés et servirent
d’ateliers de démontage de moteurs d’avions. Mais la main d’œuvre concentrationnaire fut
surtout utilisée pour construire les 165 camps extérieurs disséminés sur le territoire du Reich
à proximité immédiate d’usines d’armement
9
. »
Il faut rappeler que dans tous les cas les déportés étaient encadrés par des centaines
d’ingénieurs, contremaîtres et ouvriers allemands. Seule la productivité intéressait les
industriels. Les conditions de vie, les crématoires, les chambre à gaz ne les concernaient pas.
Dans le cas de la main d’œuvre, les différents procès démontrent, qu’hormis quelques cas
particuliers, elles n’ont pas favoriser des traitements inhumains et fournissaient parfois soupes
chaudes et vêtements. Mais elles conservent une entière responsabilité dans l’utilisation des
hommes soumis au régime concentrationnaire. Elles fonctionnaient comme des monstres
froids insensibles au bien et au mal et il est nécessaire de rappeler que selon Raul Hilberg et
des dépositions de déportés (dans La destruction des Juifs d’Europe) près de 25.000 détenus
sur 35.000 moururent dans l’usine de Buna d’IG-Farben. Plusieurs hauts responsables de ces
usines ne furent jamais inquiétés. On peut citer Werner Von Braun à Dora (1912-1977) qui fut
l’inventeur de la fusée V2, mais aussi le père de la fusée américaine Saturn V. D’autres ne
regrettèrent rien : « La nation tout entière a adhéré aux principes fondamentaux suivis par
Hitler. Nous les Krupp, nous ne nous sommes jamais préoccupés de la vie. Nous voulions
seulement un système qui fonctionne bien et qui nous donne l’occasion de travailler sans être
dérangés. La politique ne nous concerne pas (… ). Quand on achète un bon cheval, il faut
aussi prendre en compte quelques défauts » (Alfred Krupp Von Bohlen und Halbach-1945).
Chaque camp a son Kommando.
Il y a plusieurs types de Kommandos, à savoir : ceux qui effectuent les tâches ordinaires liées
à la vie quotidienne (cuisine, infirmerie, etc) et ceux qui sont affectés aux tâches
d’anéantissement, de « nettoyage ( transportkommandos), ceux qui travaillent dans les
crématoires ( Sonderkommandos) et ceux qui trient les objets récupérés (effektenkammer).
Un Kommando est aussi un groupe de travail qui sort du camp pour y accomplir des tâches.
Parfois un Kommando devient un camp à part entière, comme celui de Dora. C’est à Dora que
l’on fabriquait les V1 et les V2.
Le 15 juin 1943 est constitué au sein du ministère Speer
une « Commission spécial A4 » sous la présidence de
l’un des principaux dirigeants de la firme DEMAG,
8
Citer dans Raul Hilberg.
9
Roger Boulanger, La déportation racontée à des jeunes, SCEREN-CRDP Champagne-Ardenne. 2004
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