Souvenirs de Chantilly

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2014
1914
Souvenirs de Chantilly
Mémoire
1914 - 2014 Centenaire de la Première Guerre mondiale
Archive
La Première Guerre mondiale à Chantilly
à travers les documents d’archives.
Février 2014
doc n°2/12 :
Les réfugiés
Relevé statistique des
réfugiés belges et français
présents à Chantilly en
juillet 1915.
Archives municipales de Chantilly, 4H1.
Terminologie s
Réfugiés : habitants ayant
fuit avant l’invasion
Evacués : habitants ayant
quitté leur domicile
sur ordre de l’autorité
militaire
Rapatriés : habitants
ayant dû vivre sous
domination ennemie en
zone envahie et renvoyés
en France par les Allemands.
Chantilly - 2014 - Service Patrimoine
Chantilly, comme le reste du
département et de la région, est
confronté entre 1914 et 1918 à des
mouvements de populations sans
précédents. Nous l’avons vu dans
le n°1, ce sont d’abord les hommes
mobilisés qui progressivement,
dès le 2 août, quittent la ville pour
rejoindre leur régiment. Quelques
semaines plus tard, ce sont les
civils qui, effrayés par l’avancée
allemande, fuient sur les routes
de l’Oise rejoignant ainsi le défilé
inlassable des réfugiés venus de
Belgique, du nord de la France
puis des départements occupés et
des zones de combats.
1. Rappel historique
La Première Guerre mondiale confronte les Français, pour la première fois de leur
histoire, à un exode massif des populations. Les villes françaises accueillent des
réfugiés étrangers, essentiellement des Belges, puis devant l’invasion allemande, des
populations déplacées des départements du nord et de l’est occupés ou militairement
menacés. Le nombre de réfugiés est difficile à établir. Pour les Belges on parle de
325 000 réfugiés. Le nombre de réfugiés français atteindrait 2 millions à son point
culminant en 1918.
Plusieurs vagues se sont succédées entre 1914 et 1918.
l Dès les premiers jours de la guerre : les Belges et habitants des départements du Nord
et de l’Est de la France effrayés par les récits des atrocités allemandes ou confrontés
aux pillages, incendies et autres exactions fuient leurs villes et villages. L’Oise devient
alors une terre d’accueil. Clermont voit arriver un millier de Lorrains, Compiègne,
1500 habitants de Verdun, Beauvais 1400 habitants de Toul, Verdun et de Belgique,
Noyon, 700 femmes et enfants de Verdun, etc… s De nombreux autres réfugiés sont
répartis dans les communes environnantes. Mais très vite dès la fin du mois d’aout, le
repli des troupes françaises au nord-est de l’Oise lance à leur tour sur les routes des
milliers d’Isariens.
l En 1915, les habitants sont évacués des villages du front et de la zone de guerre par
l’armée française. Dans l’Oise, les habitants des villages de Canny-sur-Matz, Gury,
Plessis-de-Roye, Tracy-le-Mont, etc… sont « invités » à gagner les départements de
l’intérieur.
l En 1917, les « rapatriés » reviennent sur territoire français.
l Puis en 1918, l’exode concerne les habitants effrayés par la nouvelle offensive
allemande. Les habitants du nord-est du département de l’Oise (216 communes)
sont évacués en mars 1918 par convoi ferroviaire.
L’État et les communes vont devoir trouver des réponses aux problèmes matériels et humains liés à l’arrivée de ces réfugiés.
Or, rien n’est prévu pour cela dans l’organisation militaire française car la notion de réfugié était inconcevable dans le Plan
XVII, plan offensif qui devait porter les armées françaises en territoire ennemi. La loi du 5 août 1914 puis la circulaire du 1er
décembre 1914 établissent que l’Etat doit pourvoir avec le concours patriotique des populations au logement, à la subsistance et
l’entretien des réfugiés. On crée une allocation journalière de 1,25 francs par jour et par adulte et de 50 cts par enfant. En dépit
des aides mises en place par l’Etat, de l’action des municipalités et d’associations, de l’accueil charitable de certains français, les
conditions d’existence des réfugiés sont souvent très précaires et renforcent les traumatismes subis avant l’exode.
Si en 1914, les habitants des zones épargnées ont généralement bien répondu à l’appel des pouvoirs publics, dès la fin de l’année
1915 puis en 1916, les relations deviennent difficiles. La perception de l’allocation journalière est contestée, les différences
linguistiques choquent, les rapatriés sont plus nombreux et on entend des expressions comme « Boches du Nord » ou « graines
d’espions ».
2. Août-septembre 1914, les Cantiliens et l’exode.
Dès le mois d’août, et surtout début septembre à l’annonce
de l’avancée allemande, Chantilly est touché aussi par
l’exode de certains de ses habitants. Il est très difficile de
le quantifier mais plusieurs témoignages nous indiquent,
si ce n’ est une panique, une certaine inquiétude dans la
population cantilienne.
L’Abbé Husson, curé doyen de Chantilly, dans Les Allemands
à Chantilly, septembre 1914 raconte que, le 2 septembre :
s
« Chantilly voit alors passer un défilé interminable de soldats,
de canons, d’ambulances ; c’est en même temps le lamentable
exode des populations de la Belgique et du Nord de la France ;
sur les routes, pêle-mêle, s’avancent et se gênent : voitures, autos,
bestiaux, carrioles. Devant ce spectacle navrant, et sur la foi de
fuyards apeurés, nombre de nos concitoyens s’affolent, beaucoup
quittent le pays, laissant leurs maisons désertes. »[…] Sur la place
de l’Hospice, c’est un fourmillement d’autos, de cyclistes, de soldats
et d’officiers auxquels se mêle la population anxieuse. Les trains
ne passent plus; seuls, maintenant, les fourgons et les convois
d’artillerie roulent sous la chaleur torride avec un bruit formidable.
D’après Les déplacements de civils dans l’Oise durant la Grande Guerre, revue Mémoire de l’Oise n°16, octobre 2012, CRDP Académie d’Amiens – CDDP Oise.
Gustave Macon, conservateur adjoint
du musée Condé, dans la préface du
même ouvrage écrit :
« Le 2 septembre, le canon de la bataille de Senlis nous annonça l’arrivée de
l’ennemi. Au loin, la fumée ! Senlis en flammes! Ce soir, ce sera notre tour. On se
cuirasse le cœur et l’esprit ; les peureux ont pris la fuite ; il ne reste à Chantilly que
des gens calmes et résolus, prêts à tout événement, résignés au pire, mais attachés au
devoir : le salut de la ville et du château importe avant tout. »
Marcel Boulenger dans Le cœur au loin
(1916) évoque lui aussi ces moments
d’angoisse à Chantilly :
« 2 septembre 1914 - L’invasion... Scènes de débâcle sur les routes de Chantilly,
convois d’émigrants, réfugiés Belges, et les trains militaires qui passent, passent,
montant vers le nord... Le petit jour glacial sur l’hospice... Les chevaux qui vers 4
heures du matin, se dirigent vers les plus belles demeures afin de déménager les
meubles précieux... […] L’ennemi était tout proche. Reverrais-je ma chère maison ?
Quand les Huns auront passé par là, quel saccage, quelle souillure ! ... ’»
De manière plus anecdotique, le registre des délibérations municipales mentionne dans le compte-rendu de la séance du 16
septembre 1914, la fuite de trois fonctionnaires municipaux : le surveillant des eaux, le préposé d’octroi à l’abattoir et le préposé
auxiliaire d’octroi. Il déplore aussi la fuite de la sage-femme qui s’était formellement engagée à rester. Les deux contremaitres de
l’Usine des Eaux sont aussi partis. Des blâmes et sanctions sont prévus pour chacun d’entre eux. Cette anecdote est révélatrice
du travail quotidien des maires et des municipalités pour rassurer leurs habitants et éviter les mouvements de panique et fuites
massives des populations.
A Chantilly, les hôtels sont vides et les grandes villas, résidences secondaires de parisiens fortunés, sont désertées. Les touristes,
normalement nombreux en cette saison, sont partis. Ces chambres et maisons vides vont servir à l’accueil des réfugiés mais
aussi à partir de fin septembre au logement des officiers d’Etat-major du GQG de Joffre.
3. L’arrivée des réfugiés
Retrouvons Marcel Boulenger qui décrit
encore une fois, l’arrivée et le passage des
réfugiés à Chantilly et dans les communes
proches.
«Les Boches s’avançaient, descendaient
toujours. La journée entière, puis la nuit,
on voyait passer des pauvres bougres du
nord qui fuyaient. Les uns chassaient
devant eux des voitures, des chariots où ils
avaient entassé pèle mêle des matelas, de
la paille, des cages : et quelle poussière làdessus, quelle misère ! Des vieilles tiraient
des brouettes, des gamins poussaient à la
roue, et soupiraient en marchant. Des
bébés trottinaient, couverts de crotte et
les pieds en sang. Des ânons soufflaient
sous des charges à faire crever un cheval.
Et pas un mot, pas un cri : ça passait, ça
passait toujours, à peine si une femme ou
un gosse sanglotait par ci par là. Quand
on a seulement donné un verre d’eau
à un gosse qui pleure de fatigue, on ne
l’oubli plus jamais, non !... »
Recencement alphabétique des réfugiés non daté - Archives municipales de Chantilly, 4H1.
Par sa proximité avec le front et les zones occupées, Chantilly est un
point de passage pour les réfugiés et pour certains d’entre eux une
ville d’accueil. Il est difficile de quantifier précisément le nombre de
réfugiés à Chantilly sur l’ensemble de la durée de la guerre, d’autant
que nous ne conservons pas dans les archives municipales les relevés
statistiques pour l’année 1914. Mais les différents rapports réalisés
par la mairie pour le service des réfugiés, conservés dans les archives
sous la côte 1H4, bien que lacunaires, permettent de donner les
chiffres ci-contre.
1915
juin
102
1916
1917
1918
janv.
146
janv.
139
janv. 246
juillet 117
fev.
147
avr.
189
fév.
aout
124
mars
148
mai
234
sept.
146
avr.
150
juin
234
oct.
142
mai
141
juillet 234
nov.
144
juin
139
dec.
151
dec.
139
246
Pour donner une idée de l’impact de l’accueil de ces réfugiés qui au plus fort moment seront 246 en janvier 1918, rappelons
qu’à l’époque il y a 5.500 habitants à Chantilly (recensement de 1911) auxquels s’ajoutent, de septembre 1914 à décembre
1916 les 500 officiers et 1800 hommes de troupes du Grand Quartier Général de Joffre.
Registre des réfugiés par adrese d’hébergement 1915 - Archives municipales de Chantilly, 4H1.
Les relevés statistiques donnent plus
d’informations que de simples chiffres. Prenons
l’exemple du relevé du mois de juillet 1915 (voir
en page 1). Il nous indique la nationalité des
réfugiés (Français ou Belges), le nombre de
réfugiés touchant les allocations aux familles
de mobilisés et ceux touchant les allocations en
espèces ou nature aux réfugiés et enfin le coût
représenté, par mois, pour la subsistance de ces
personnes.En croisant ces documents statistiques
avec les listes nominatives de réfugiés, on peut
lister les communes et départements d’origine
des hommes, femmes et enfants recueillis à
Chantilly, (voir en page 3) ainsi que leur âge et leur
profession. La majorité est originaire de l’Aisne,
puis viennent la Somme, l’Oise et la Belgique.
Bien sûr, les réfugiés sont essentiellement des
femmes avec enfants et des personnes âgées. Le
dépouillement de ces registres indique que le plus
jeune a 2 mois et le plus vieux 90 ans. Beaucoup
de personnes âgées, hébergées à l’Hospice Condé
décèdent à Chantilly. Rien qu’en avril 1917, on
déplore 8 décès. De même, des listes précises des
lieux d’hébergement sont tenues ainsi que les
décomptes d’indemnités en nature ou argent.
4. Les difficultés
Comme dans toutes les villes d’accueil, avec les années et les privations liées à la guerre, le poids représenté par la prise en charge
des réfugiés se fait de plus en plus ressentir à Chantilly.
En avril 1917, le maire de Chantilly, Omer Vallon, écrit au préfet de Senlis que la ville de Chantilly ne peut plus accueillir de
réfugiés. En effet, le service de santé militaire demande en 1917 à la mairie, la réquisition de 100 lits de l’Hospice Condé afin
d’accueillir les blessés évacués par la gare régulatrice de Creil. Or comme l’indique Omer Vallon, 68 lits sont déjà occupés par
des réfugiés ! Il ajoute dans sa lettre que Chantilly ne peut plus subvenir aux besoins de toute cette population qui n’arrive plus
à vivre avec les allocations car la nourriture est rare et chère à Chantilly. L’intensité des transports militaires est telle que le ravitaillement est difficile et, même avec de l’argent, on ne trouve pas suffisamment de denrées dans les boutiques. Il faut, conclut-il,
que les réfugiés soient ré aiguillés vers des départements agricoles, loin des zones de fronts.
Il ne reste pas de traces de la réponse de la préfecture dans les archives de la mairie mais le tableau statistique nous indique que
de 189 en avril 1917, le nombre de réfugiés passe à 234 en mai et à 246 en janvier 1918.
Le mois prochain
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