ah non pas ça - pas ça
je vais faire exploser les coutures et les doublures (et déchirer le tissu de
pantalon de costume cousu sur mesure)
je déforme le costume (tu me déformes mon costume à gonfler comme ça)
cela se voit (on ne voit que ça – le gonflement soudain – l’énormité gonflée à
bloc un zeppelin dans la culotte)
mais comment est-ce possible
ne plus répondre à ce point de son corps
n’en plus maîtriser le centre exact le nœud central la pompe à sang qui soudain
se met à gonfler
se durcit comme un ballon de rugby
(personne ne va y croire – ils vont penser que c’est un accessoire – personne ne
pourra ne voudra croire que j’entre en scène dans cet état)
9.
le théâtre c’est ça tout le temps
(ce qui est vrai fait faux ce qui est faux fait vrai)
là c’est tellement vrai (tellement vrai de vrai jusqu’à l’obscénité) qu’ils diront (je
les vois je les entends d’ici - mais qu’est-ce que tu es allé mettre dans ton
pantalon)
je ne peux pas comme ça tout dur tout raide et tout tendu
entrer - faire mon entrée
pense à quelque chose qui fait que tout reprend sa taille normale (sa taille
d’avant l’énervement d’avant l’émerveillement d’avant l’excitation d’avant le
rêve américain)
10.
je les vois – les entends d’ici
pas la peine de mettre du sang vrai ou faux pour signifier la violence
pas la peine de se donner des coups pour signifier qu’on se fait du mal
pas la peine de faire tomber de la pluie pour signifier qu’il pleut
pas la peine de faire geler de l’eau pour signifier qu’il neige
pas la peine de boire du vin pour signifier qu’on boit du vin
pas la peine de boire jusqu’à la chute pour signifier qu’on est ivre mort
pas la peine d’être mort pour signifier qu’on est mort
pas la peine de mettre un faux truc (truc c’est le mot comme on dit « truc » de
comédien) pour signifier la ferveur la force et la puissance d’un désir
incontrôlable
c’est ça le théâtre exactement
quand c’est vrai c’est improbable
quand c’est seulement probable c’est déjà vrai
quand c’est faux c’est probable
et quand c’est improbable c’est enfin vrai
11.
et moi c’est passer de l’autre côté qui me fait tout bousiller à l’intérieur jusqu'au
sang qui monte à la tête et tout en bas
et me redresse
et me durcit le truc comme le poing d’un militant communiste
la scène – on voudrait y vivre tout ce qu’on dit qu’on y vit
le sexe l’amour le vin le meurtre les drogues la souffrance la vengeance le