De cette façon, la vie du chrétien « est cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3,3),
parce sa vie est celle-là même de Jésus ; la vie du chrétien, lui fait adopter les pensées
et les sentiments du Christ (voir Ph 2,5), elle l’amène à « marcher comme lui-même a
marché » (1Jn 2,6), à se tenir dans le monde au milieu des frères « en faisant le bien »
(Ac 10,38), jusqu’à vivre et mourir comme lui-même a vécu et est mort. La vie
spirituelle consiste alors à vivre l’existence humaine comme Jésus l’a vécue, en parfaite
obéissance à Dieu et dans une extrême fidélité à la terre, c’est-à-dire dans l’amour
sans limite et sans condition. Voilà pourquoi tous les hommes, s’ils le veulent,
peuvent vivre pleinement la vie spirituelle : ce n’est pas une « autre » vie, elle n’exige
pas de sortir du monde, ni d’oublier la chair faible qu’est l’homme, marquée par le
péché ; non, elle consiste en ceci : vivre la vie humaine comme une œuvre d’art et
découvrir que c’est là le chef-d’œuvre chrétien que Dieu attend de nous et dont il
nous a indiqué la forme dans l’existence humaine de Jésus.
Il faudrait alors souligner aujourd’hui que l’existence humaine de Jésus a été
une existence bonne, vécue en plénitude et, qu’on me permette de le dire, une
existence « heureuse », où l’amour devient un chant de communion, l’espérance une
conviction jusqu’à la fin, la foi une adhésion jour après jour à son propre être de
créature en face du Créateur. Suivre Jésus, c’est aussi regarder le ciel et tenter d’en
lire les signes, c’est aimer les fleurs des champs, c’est s’asseoir à la table joyeuse des
amis et de ceux qui savent accueillir, c’est vivre avec les autres une aventure d’amitié
et un projet commun… Certes, à l’horizon de ce cheminement, il y a la croix, mais
apprenons à la considérer à travers celui qui y est monté, et non l’inverse ! C’est lui,
Jésus, qui dévoile sur la croix la gloire authentique : l’humilité de Dieu, son amour
fou pour nous, sa capacité à souffrir par amour pour nous.
Voilà pourquoi, dans la vie spirituelle, cette suivance exige qu’on l’assume
jour après jour, sans renier la fatigue et les pleurs parfois nécessaires, mais dans la
liberté et par amour, séduits, vaincus par l’amour de Dieu manifesté en Jésus. Parce
que celui qui ne vit pas la suivance en fils libre, mais en esclave, s’en va tôt ou tard et
ne demeure pas toujours auprès du Seigneur (voir Jn 8,35).