La foi chrétienne : intériorité et engagement - Sainte Marie

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Cathédrale de Strasbourg
Eglise Sainte-Marie de Mulhouse
29 et 30 novembre 2011
LA DIFFERENCE CHRETIENNE
Entre intériorité et engagement: la spécificité du chrétien au cœur de
l
humanité
par fr. Enzo Bianchi, prieur de Bose
Être chrétien actuellement ne va plus de soi, il faut le reconnaître. Les
chrétiens, en effet, vivent aujourd’hui dans une condition de minorité en Europe,
un pluralisme de croyances et de cultures caractérise désormais nos villes et nos
pays, et les caractérisera toujours davantage. Dans ce contexte, où l’Église n’est plus
considérée nécessairement comme une présence « naturelle », quelle est la spécificité
de la foi à laquelle nous restons attachés et qui continue à donner sens à notre vie ?
En d’autres termes, qui est le chrétien, en profondeur ? Quels sont les éléments
fondamentaux qui nous caractérisent en tant que disciples de Jésus Christ ?
Durant de longs siècles, en Occident, l’évidence que l’on était chrétien était
telle que la question : « Qui est le chrétien ? » ne se posait même pas. Mais depuis la
seconde moitié du siècle dernier, cette interrogation demeure ouverte et appelle une
réponse renouvelée pour chaque temps et chaque lieu… Et c’est là, il me semble, une
grande grâce du Seigneur ! Car se demander ce qui constitue la spécificité du
chrétien, cela signifie qu’il y a de la passion pour le Christ, qu’il y a une adhésion,
qu’il y a de la foi en lui ; cela signifie que ceux qui se réfèrent à Jésus Christ ne sont
pas installés, ne sont pas satisfaits, ne sont pas repus de la qualité chrétienne de leur
vie.
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Aujourd’hui, par ailleurs, nombreux sont ceux qui pensent que le
christianisme est à un tournant, qu’il a besoin d’être compris derechef et d’être
renouvelé, voire me « refondé ». Ainsi, reposer aujourd’hui la question de la
spécificité du christianisme et y chercher une réponse est une opération bonne,
salutaire, nécessaire. Cela pourra peut-être apparaître comme un signe d’inquiétude,
mais pas nécessairement comme un manque de foi.
Certes, « Jésus Christ est le même hier, aujourd’hui et à jamais » comme nous
en avertit la lettre aux Hébreux (13,8) et tel est aussi son Évangile ; mais
l’incarnation de cet Évangile, sa cristallisation dans l’histoire d’hommes et de femmes
revêt toujours à nouveau des formes différentes et changeantes. Le même Évangile
peut parfois être mieux compris aujourd’hui qu’hier : « Ce n’est pas l’Évangile qui
change, affirmait Jean XXIII, c’est nous qui le comprenons mieux. » Nous avons donc
le droit, je dirais même que c’est pour nous un devoir, de nous poser la question :
« Qui est le chrétien ? », en cette époque que nous appelons post-moderne, mais qui
est également post-chrétienne au sens elle ne connaît plus le régime de la
chrétienté, dans lequel la société était considérée comme entièrement et
uniformément chrétienne. En ces temps les chrétiens sont minoritaires, cherchons
donc ensemble ce qui fait la différence, la spécificité de leur foi.
Je voudrais la caractériser par un double mouvement : l’intériorité et
l’engagement. La vie chrétienne repose en effet en premier lieu sur une rencontre
dans la foi avec le Christ Jésus, qui ouvre à une vie spirituelle ; c’est le mouvement de
l’intériorité. Mais cette vie intérieure qui est fondamentale ne suffit pourtant pas à
constituer le chrétien : la foi, pour ne pas s’enfermer dans une attitude repliée,
indifférente et stérile, doit aussi pouvoir s’exprimer par des gestes concrets. Il s’agit
de vivre ce que j’appelle la « différence chrétienne » dans la compagnie des hommes ;
c’est le second pôle, celui de l’engagement.
Mais abordons, pour commencer, le premier versant, celui de l’intériorité.
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1. Vie intérieure
À la question de savoir qui est le chrétien, l’apôtre Pierre répond que c’est
« celui qui aime le Seigneur Jésus sans l’avoir vu, et sans le voir croit en lui » (voir 1P
1,8). C’est celui qui, en suivant Jésus comme disciple, en se tenant avec lui, se trouve
en Christ, demeure en lui. Le propre du chrétien est ainsi de se reconnaître greffé en
Christ.
Pour être authentique, cette vie en Christ qui naît de la foi doit connaître à son
début une transformation, que toutes les Écritures appellent conversion. La
conversion distingue un avant caractérisé par l’idolâtrie, le péché, l’esclavage, les
situations de ténèbres et de mort d’un après, qu’on peut définir comme la vie
chrétienne, l’expérience de libération, le service du Dieu vivant, la vraie vie, la
lumière (voir Rm 6,22 ; Ep 2,5 ; Tt 3,3-7…). Pour accéder à la vie chrétienne, il y a une
alternative rigoureuse, un choix discriminant à accomplir : ou bien le service aliénant
des idoles, ou bien la reconnaissance du Dieu qui conduit à la liberet à la vie. Ce
n’est qu’alors que l’on accède à cette nouveauté que le Nouveau Testament appelle
« régénération » (Tt 3,5), « naissance d’en haut » (Jn 3,3-8), « nouvelle création » (2Co
5,17).
Pour être chrétien, pour pouvoir revêtir la vie même du Christ et mener une
existence chrétienne, il faut donc la conversion que confirme le baptême , et la
prise en compte d’une incessante dynamique de retour à Dieu, qui fait de l’existence
chrétienne une croissance continuelle vers la stature du Christ (voir Ep 4,13). Menant
cette vie chrétienne, on doit alors manifester la différence chrétienne par rapport à la
vie de ceux qui ne sont pas chrétiens. Non par volonté de se distinguer, mais parce
que, de fait, ayant son commencement, son principe en Jésus Christ, cette vie est
différente, autre par rapport à la vie mondaine. Le chrétien s’engage en effet dans
une lutte terrible (voir Ph 1,30 ; Col 3,5 ; He 12,4) contre le péché porteur de mort,
contre les tentations et les désirs qui l’habitent et ne le quitteront pas avant sa mort.
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C’est pourquoi, jusqu’à la fin, il devra combattre spirituellement (voir Ep 6,10-20 ; 1P
5,8-9), en se livrant tout entier : corps, âme et esprit.
Pour nous aujourd’hui, dans le monde chrétien occidental d’ancienne
christianisation, cette dimension prégnante de la conversion est plus difficile à
expérimenter. Le climat d’homologation culturelle et d’« indifférence » a conduit
notre société à perdre le sens du discernement rigoureux, du choix nécessaire, de la
capacité à prononcer des « non », et il alimente la liberté illusoire selon laquelle « tout
est possible et compatible ». Il devient ainsi réellement problématique de vivre cette
dimension élémentaire de la conversion qu’est la prise de distance « des fausses
idoles, pour servir le Dieu vivant et véritable » (1Th 1,9). Or la vie spirituelle
chrétienne doit être avant tout « une vie de conversion en acte » ; il s’agit de céder
continuellement à la grâce qui nous attire et nous sauve, il s’agit de nous relever
continuellement du péché qui nous domine. Le Saint-Esprit qui est en nous n’est pas
seulement le maître dans cette lutte, mais lui-même lutte en nous, en renouvelant
toujours notre personne afin qu’elle puisse être, en dépit de nos contradictions,
demeure de Dieu.
La vie chrétienne est donc d’abord une vie de conversion : un chemin de
retour incessant au Dieu vivant et vrai, à celui qui nous a donné la vie, qui nous a
aimés le premier, qui nous attire à lui…
Dans ce chemin de retour au Père, quelqu’un nous précède : c’est le Seigneur
Jésus. C’est lui qui a fait connaître tout ce qu’il a appris du Père et qui nous invite à le
suivre. « Suis-moi ! » : ces mots continuent de retentir dans le cœur de beaucoup de
chrétiens. Et dans la vie spirituelle, il s’agit d’écouter cette voix comme un appel tout
personnel ; il s’agit d’adhérer à elle avec amour et liberté ; il s’agit de l’entendre
comme une voix « pour moi », qui m’indique une forme de suivance attendue de moi
en particulier ! L’appel n’est jamais général, impersonnel, et moins encore légitimé
par l’utilité de l’Église et de l’humanité… C’est toujours un événement dans lequel la
parole toute personnelle du Seigneur Jésus demande que l’on se trouve où lui est
(voir Mc 3,14 ; Jn 12,26), qu’on le suive « partout où il va » (Ap 14,4).
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De cette façon, la vie du chrétien « est cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3,3),
parce sa vie est celle-là même de Jésus ; la vie du chrétien, lui fait adopter les pensées
et les sentiments du Christ (voir Ph 2,5), elle l’amène à « marcher comme lui-même a
marché » (1Jn 2,6), à se tenir dans le monde au milieu des frères « en faisant le bien »
(Ac 10,38), jusqu’à vivre et mourir comme lui-même a vécu et est mort. La vie
spirituelle consiste alors à vivre l’existence humaine comme Jésus l’a vécue, en parfaite
obéissance à Dieu et dans une extrême fidélité à la terre, c’est-à-dire dans l’amour
sans limite et sans condition. Voilà pourquoi tous les hommes, s’ils le veulent,
peuvent vivre pleinement la vie spirituelle : ce n’est pas une « autre » vie, elle n’exige
pas de sortir du monde, ni d’oublier la chair faible qu’est l’homme, marquée par le
péché ; non, elle consiste en ceci : vivre la vie humaine comme une œuvre d’art et
découvrir que c’est le chef-d’œuvre chrétien que Dieu attend de nous et dont il
nous a indiqué la forme dans l’existence humaine de Jésus.
Il faudrait alors souligner aujourd’hui que l’existence humaine de Jésus a été
une existence bonne, vécue en plénitude et, qu’on me permette de le dire, une
existence « heureuse », l’amour devient un chant de communion, l’espérance une
conviction jusqu’à la fin, la foi une adhésion jour après jour à son propre être de
créature en face du Créateur. Suivre Jésus, c’est aussi regarder le ciel et tenter d’en
lire les signes, c’est aimer les fleurs des champs, c’est s’asseoir à la table joyeuse des
amis et de ceux qui savent accueillir, c’est vivre avec les autres une aventure d’amitié
et un projet commun… Certes, à l’horizon de ce cheminement, il y a la croix, mais
apprenons à la considérer à travers celui qui y est monté, et non l’inverse ! C’est lui,
Jésus, qui dévoile sur la croix la gloire authentique : l’humilité de Dieu, son amour
fou pour nous, sa capacité à souffrir par amour pour nous.
Voilà pourquoi, dans la vie spirituelle, cette suivance exige qu’on l’assume
jour après jour, sans renier la fatigue et les pleurs parfois nécessaires, mais dans la
liberté et par amour, duits, vaincus par l’amour de Dieu manifesté en Jésus. Parce
que celui qui ne vit pas la suivance en fils libre, mais en esclave, s’en va tôt ou tard et
ne demeure pas toujours auprès du Seigneur (voir Jn 8,35).
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