La recherche d’une définition pluralisté du concept juridique de peuple est inscrite dans un
contexte très large constitué par la polysémie qui caractérise le mot « peuple ». Le flou
sémantique qui caractérise le mot « peuple » depuis ses origines, résulte principalement de sa
polysémie. Celle-ci remonte, selon toutes vraisemblances, aux origines du concept qu’il
désigne. Sans aller jusqu’à l’écriture d’une histoire conceptuelle du peuple19, il est intéressant
de souligner que, dès l’Antiquité – période d’émergence d’une pensée politique reconnaissant
un pouvoir au peuple20 –, le mot « demos » ne reçoit pas de définition univoque. Ainsi, chez
Aristote, le concept de demos « désigne aussi bien le régime démocratique que l’assemblée du
peuple »21. Lorsque le peuple devient « un concept important de la pensée politique et de la
langue juridique (c’est-à-dire) depuis la “souveraineté du peuple” »22, il n’est pas moins libéré
de cette indétermination. La doctrine juridique contemporaine s’accorde également sur la
polysémie du terme23.
En somme, une contribution au concept juridique de peuple intervient dans un contexte très
large, qui est dominé par un flou sémantique, une indétermination du mot « peuple ». Il existe
tout de même des tentatives de conceptualisation. Une conceptualisation du peuple français
est intervenue en droit constitutionnel français : une définition moniste du peuple français
dont la clarté résulte d’une conception très restrictive de son objet. Nous abordons ainsi le
second contexte de cette recherche, la conception moniste du peuple en France. La conception
moniste revient à défendre – conformément à son étymologie grecque monos, qui signifie un
seul, unique – l’existence d’un seul peuple dans chaque système juridique. Cette conception
domine la science française du droit constitutionnel. Elle repose sur des fondements
révolutionnaires. Témoins directs ou indirects des conflits religieux des XVIe et XVIIIe
siècles, les penseurs politiques modernes réfléchissent au rétablissement de l’unité et de la
stabilité de l’ordre politique et emploient au soutien de leur réflexion le concept de peuple. Ce
dernier sert principalement deux causes. D’une part, le peuple trouve une place de premier
choix au sein des textes constitutionnels. Le fondement de la légitimité n’est plus royal ou
divin, mais il est désormais populaire24. Cette époque marque un tournant pour le concept de
peuple qui dépasse son rang de concept politique, pour devenir un concept juridique central
du constitutionnalisme moderne. D’autre part, il est le vecteur de libération des contraintes
privées résultant de l’organisation féodale de la société de l’ancien régime. Lorsque Lucien
Jaume explique que « durant la Révolution française l’idée de “peuple”, et de peuple
19 Pour cela : R. Koselleck, « Volk, Nation, Nationalismus, Masse », in O. von Brunner, W. Conze, R. Koselleck
(dir.), Geschichtliche Grundbegriffe, Stuttgart, E. Klett-f. G. Cotta, vol. 7 [Verw-Z], 2007, p. 141-431.
20 P. Némo, Histoire des idées politiques dans l’Antiquité et au Moyen-Âge, Paris, PUF, 2e éd. 2012, p. 70 s. et p.
372 s.
21 Ibidem, p. 542. L’auteur renvoie également au livre III de la République de Platon.
22 Ibidem, p. 541.
23 Une étude des dictionnaires juridiques français suggère une telle conclusion : notamment Jean Salmon,
«"Peuple », in J. Salmon, G. Guillaume (dir), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant,
2001, p. 827-829 relève quatre significations. G. Cornu, «"Peuple », in G. Cornu (dir.) Vocabulaire juridique,
PUF, 8e éd. 2000, p. 638-639 en relève deux. De même, J. Verhoeven constate l’indétermination et le caractère
plurivoque du terme : J. Verhoeven, « Peuple », in A.-J. Arnaud (dir), Dictionnaire encyclopédique de théorie et
de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2e ed. 1993, p. 438-439. Cf également, E. Gonnet, Le peuple dans les
théories constitutionnelles des révolutions atlantiques de l’entre-deux-guerres (1776-1939) France, Allemagne,
États-Unis, thèse de doctorat en droit, Univ. Orléans, 2006, p. 4 ; S. Pierré-Caps, Nation et peuples dans les
Constitutions modernes, Nancy, PUN, 1987, vol. 2, p. 481. G. Burdeau, Traité de science politique, t. V [Les
régimes politiques], Paris, LGDJ, 2e éd. 1970, p. 124 s. J. Salmon, «"Peuple », in J. Salmon, G. Guillaume (dir.),
Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, pp. 827-829. O. Beaud, La puissance de
l’État, Paris, PUF, 1994, p. 291.
24 L’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 proclame ce transfert de légitimité : « [le] principe
de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. »