La Méditerranée Interface Nord Sud Une interface culturelle complexe Existe-t-il une identité méditerranéenne? Cette question s’appuie sur des facteurs géographiques (espace géographique limité ayant des caractéristiques communes), sur la rencontre historique très ancienne de civilisations multiples qui se sont mêlées, combattues et fortement influencées, sur une volonté politique pour construire une entité culturelle dans la collaboration politique et économique dont la communauté européenne est l’acteur principal. Le but est bien sûr de construire un possible contrepoids à l’hégémonie américaine. Cependant, le contexte fait plus souvent apparaître les clivages et les tensions que les similitudes et l’harmonie. Citation Edgar Morin selon laquelle la Méditerranée serait en quelque sorte un microcosme de toutes les oppositions qui peuvent être rencontrées de nos jours dans le monde. Les clivages et interpénétrations culturelles. La référence à la religion comme facteur de différenciation s’avère insuffisant, général et schématique. Le recours à l’histoire et à l’anthropologie s’avère nécessaire. Monothéisme > invention méditerranéenne : le croissant fertile a vu naître les trois grandes religions monothéistes (si l’on excepte l’expérience égyptienne de Aménophis IV au XIV° s av. JC.) Deux grandes aires religieuses mais interpénétration à plus grande échelle (Albanie, Bosnie, au Nord , par exemple). Conséquence alimentaire : alcool, 140 l / hab au nord et 20 l / hab au sud ; viande de porc et de poulet par exemple montrent des oppositions du même type. Correspondance linguistique : langues du Nord d’origine indo-européennes et langues du sud d’origine chamito-sémitique. Cependant le turc est d’origine ouralo-altaïque, mais, remarquer que jusqu’à Mustapha Kemal (1921) le turc était écrit en caractères arabes et qu’aujourd’hui il est en caractères latins. Les pays fortement musulmans du Nord ont adopté l’alphabet latin ou cyrillique. Israël dispose d’une langue chamito-sémitique réinventée en partie au XX° s. Israël constitue un îlot du point de vue religieux, politique et démographique. Cependant, la partie sépharade de sa population partage beaucoup de choses avec le monde arabo-musulman. Les juifs Sépharades ont constitué jusqu’en 1492 un élément important d’unité en Méditerranée. Par contre l’arrivée massive des ashkénazes (russes) contribue fortement à la spécificité actuelle culturelle d’Israël. Les clivages de ces grands ensembles à plus grande échelle. Fracture méridienne au Nord de la « chrétienté indoeuropéenne » entre catholiques latins occidentaux et orthodoxes-slaves ou grecs –orientaux (partage de l’Empire romain de 395 et schisme de 1054, mais surtout, , croisade de 1204 lorsque les chevaliers occidentaux pillent Constantinople, qui opposent définitivement la théocratie pontificale et les « patriarcats » d’Orient. Les alphabets grecs et cyrilliques marquent les lignes de démarcation. Dans le monde arabo-musulman et turc, la domination sunnite est grande, mais de fortes minorités chiites existent en Syrie, Jordanie, Palestine et surtout Liban. Cependant, les particularismes régionaux des sunnites sont nombreux et importants : ils déterminent surtout les traditions juridiques et les différentes applications de la loi musulmane : souplesse du hanafisme turc par exemple, opposé à l’austérité et au rigorisme du malikisme du Maghreb. L’absence d’autorité centrale de référence permet l’expression de nombreuses spécificités régionales. Le problème posé est celui de l’adaptation des prescriptions religieuses aux exigences de l’Etat moderne dans de nombreux pays musulmans du pourtour méditerranéen, ainsi qu’en Israël (juifs intégristes). Les clivages politiques et ethnographiques. L’Etat-Nation avec son administration centrale, l’universalité de son droit et la laïcité de sa loi est née dans les pays du Nord de la Méditerranée. Il a fonctionné en excluant les éléments considérés comme menaçant l’intégrité de la nation et le pouvoir du prince . Certains particularismes régionaux subsistent linguistiquement et culturellement à la centralisation : Catalogne, Pays Basque, Corse, etc.. L’assimilation est la règle de l’Etat-Nation, elle s’applique à l’immigration. Refus des minorités, sauf, temporairement. La mise en place de systèmes politiques fondés sur la représentation parlementaire dans un cadre démocratique et laïc sert de fondement aux pays de l’Union Européenne. Cette exigence de l’U E exclue les Etats méditerranéens non européens et accroît les écarts de développement. Les Etats du Sud et de l’Est ont une conception théologique de la politique qui s’accommode mal du concept d’Etat-Nation. A part la Turquie, dans les autres pays, l’Etat est une réalité plaquée sur des structures qui ne sont pas favorables à son essor. Les populations proches-orientales se caractérisent par leur éclatement communautaire, hérités de l’histoire : nombreuses minorités orientales ayant un fort héritage historique (Maronites, Coptes, Alaouites, Druzes, etc.). En Afrique du nord juifs et chrétiens ont pratiquement disparus, mais les 5 à 7 millions de Berbères d’Algérie et du Maroc résistent à l’arabisation et à la centralisation. De plus, la structure familiale, selon une approche anthropologique, est le modèle endogamique de la famille communautaire musulmane. La diffusion du mariage entre cousins paternels du premier degré débouche sur un système communautaire qui dans les faits permet le recyclage continuel du patrimoine au sein de la famille communautaire. Le lien de fraternité l’emporte sur tous les autres et c’est dans ce système que les anthropologues pointent la plus faible désintégration sociale : suicides, naissances illégitimes et abandons d’enfants y sont les plus faibles du monde. La contrepartie réside dans l’exclusion de la femme des activités sociales et de la vie publique. Du point de vue anthropologique, le Nord se caractérise par le modèle exogamique (interdit romain de mariage entre cousins germains). Les systèmes d’héritages sont indépendants de la religion. L’absence de communauté débouche sur le primat de l’individu et des droits qui lui sont attachés. Ce système prétend à l’universalité.. De ce fait, il y a adéquation entre les différents systèmes anthropologiques méditerranéens et les aires religieuses, mais n’oublions pas que la structure familiale précède la religion. Zones de contact et espaces hybrides : Chypre (persistance de la ligne Attila, partition de l’île). Ex-Yougoslavie : espace désormais éclaté entre peuples que séparent la langue (serbo-croate s’écrit en caractères latin en Croatie et en cyrillique en Serbie), la religion (6 M de catholiques croates, 8 M d’orthodoxes serbes, 3 M de musulmans bosniaques, Albanais du Kosovo et de Macédoine). Albanie, espace hybride de langue indo-européenne, de population musulmane, mais qui se rattache au modèle exogamique. Malte, chrétienne, mais de langue qui provient d’un dialecte arabe et s’écrit en alphabet latin. D’autre part, sa tradition maritime et sa culture la rattache à l’Europe du Nord Ouest . A une échelle encore plus grande. Au niveau des grandes métropoles méditerranéennes, il existe des micro-espaces hybrides : Ceuta et Melilla, présides espagnols au Maroc, communautés maghrébines et musulmanes de Marseille, par exemple, de même que les quartiers occidentaux des grandes métropoles du Sud comme au Caire, à Beyrouth, à Istanbul ou ailleurs. Phénomène de ségrégation spatiale des grandes métropoles méditerranéennes. Au XIX° et XX° siècle, la colonisation a manifesté la domination économique et politique du Nord. Le modèle de l’Etat-Nation s’est répandu au Sud, mais il a aggravé les oppositions ethniques et religieuses en apportant son propre absolutisme. Citation de Edgar Morin : « On peut dire que la transplantation de l’idée occidentale de nation, dans un monde pluriel et ethnique …….. a produit non seulement des émancipations, mais des déchirements, des maux et la décomposition des cosmopolitismes civilisateurs des grandes cités comme Istanbul, Beyrouth, Alexandrie, etc. » Les organisations de rencontres et coopération montrent ces oppositions Nord/Sud, mais aucune n’est spécifiquement méditerranéenne. Nord : Union Européenne : France, Italie, Grèce, Espagne, Malte, Slovénie, Chypre (partie grecque) OTAN : France, Italie, Espagne, Grèce, Turquie. Sud : Union du Maghreb Arabe : Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye. Ligue des Etats Arabes : Egypte, Liban, Syrie, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc. Organisation de l’Unité Africaine : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte. A noter que l’Organisation de la conférence islamique accueille l’Albanie depuis 1992. A noter aussi que Israël ne fait partie d’aucun ensemble, confirmant ainsi son statut d’îlot. La frontière méditerranéenne : un conflit de valeurs. L’essentiel de l’opposition est dans les liens entre structures anthropologiques et systèmes politiques. La culture musulmane aspire à la fois à l’unité et se montre perméable à la fragmentation. Le système de l’endogamie engendre un sentiment aigu de l’égalité des hommes et du genre humain, mais il engendre un repliement endogamique au niveau des familles qui fait des sociétés musulmanes une juxtaposition de familles plutôt qu’une communauté d’individus. Telle est la structure de la communauté des croyants (Umma) qui s’oppose à l’idée européenne de la nation, collection d’individus plutôt que de familles. Le système politique qui découle de telles sociétés est défini, au Nord, au mieux comme « clientélisme », au pire comme « corruption ». Certains journalistes les qualifient parfois aussi de « démocratures » où de « dictocraties ». De leur côté, les régions Nord de la Méditerranée se caractérisent par le primat accordé à l’individu dans l’échelle des valeurs. Ce processus « d’individuation » n’est pas absent du monde musulman (montée du sport et des « régimes alimentaires » montrent les effets de la globalisation (« mondialo-occidentalisation ») dans le Sud. Mais, cette montée de « l’individuation » explique que, en particulier dans une dynamique individuelle de la religion, contre les parents et la famille, se développe l’adoption du voile. En « historisant » le phénomène, cela expliquerait aussi l’évolution de certains territoires face à l’universalisation de systèmes socio-politiques et la perte d’identité et d’indépendance que constitue la « globalomondialisation ». En conclusion l’interface méditerranéenne Nord / Sud opposerait d’abord des systèmes de valeurs qui dans le cadre de la mondialisation d’une part et de l’évolution des systèmes politico-culturels des pays du Sud engendrent à la fois des oppositions Nord/Sud, mais aussi des conflits internes dans les différents pays.