SPEECH/99/91
Yves-Thibault de SILGUY
Membre de la Commission responsable des affaires économiques,
motaires et financières
L'euro, le dollar, la volatilité des taux de
change et le partage des
responsabilités dans la conjoncture
Bourse de Paris Colloque du sénateur Marini
Paris, le 27 mai 1999
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Monsieur le Sénateur,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord d’adresser mes chaleureux remerciements à Philippe
Marini pour m’avoir donné l’opportunité de participer à ce Colloque. Le thème
choisi, la sécurité économique et financière de l’Europe, est difficile mais très
important. Le contexte de la mondialisation de l’économie lui donne une actualité
toute particulière, Le sujet est vaste et je ne pourrai évidemment pas en couvrir tous
les aspects dans le temps qui m’est imparti. Je concentrerai donc mes propos sur
les aspects monétaires de cette question et plus précisément sur la contribution de
l’euro à la stabilité des changes. C’est, en effet, un élément central du débat et qui
détermine le partage futur des responsabilités des Etats dans le soutien de la
conjoncture mondiale.
La naissance de l’euro change la donne monétaire mondiale. C’est une évidence.
La première puissance commerciale de la planète s’est dotée d’une monnaie ; il
s’agit d’une tentative majeure de réponse à un problème de volatilité des taux de
change que connaît le monde depuis près de trente ans, depuis l’effondrement du
système de Bretton Woods. Et, à en juger par l’accueil très positif réservé par les
marchés, l’euro est, d’ores et déjà, une grande monnaie internationale à côté du
dollar. Alors se pose maintenant la question : comment transformer l’essai ?
Comment faire de l’euro un facteur de stabilisation du système monétaire
international ?
1. L’euro, élément de réponse au problème de la volatilité des taux de change,
2. l’euro, grande monnaie internationale,
3. l’euro, facteur de stabilisation du système monétaire international.
Tels sont les trois angles sous lesquels je souhaiterais traiter le sujet, ce matin,
devant vous.
1. L’Union Economique et Monétaire, tentative européenne de réponse
à la volatilité des taux de change.
La volatilité des changes s’est évidemment accrue après l’effondrement du système
de Bretton Woods, en 1971. Dès cette époque, l’Europe s’est engagée sur la voie
de la recherche de la stabilité monétaire. En dépit de crises monétaires successives
dans la première moitié des années 1990, son attachement à la réalisation de
l’UEM dans les conditions prévues par le traité de Maastricht est demeuré intact. Et
parallèlement elle a toujours contribué à la recherche de la stabilité à l’échelle
internationale.
A. L’engagement de l’Europe en faveur de la stabilité des changes est une
constante
Un bref survol de l’histoire européenne depuis vingt ans montre clairement que
l’objectif de stabilité des changes est une constante de la politique monétaire
européenne. Rien d’étonnant à cela, puisque la stabilité des changes est de l’intérêt
évident des européens, et ce à un double point de vue :
- D’un point de vue interne : les progrès de la construction européenne se sont
traduits par une intégration croissante des économies des Etats membres. Les
biens, les services, les hommes et les capitaux circulent désormais presque
totalement librement sur le territoire communautaire.
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Des politiques communes ont été progressivement mises en œuvre, et pour
certaines - je pense à la politique agricole commune, en particulier - l’unité des
prix sur le marché est un élément essentiel de son bon fonctionnement :
rappelez-vous les dégâts causés pour les montants compensatoires
monétaires en 1978 et 1987.
Dans ce contexte, la volatilides changes est progressivement devenue de
moins en moins supportable. Elle rendait l’environnement économique
particulièrement instable pour les opérateurs, en les exposant à des variations
brusques des changes, totalement indépendantes de leur volonté, risquant de
les priver d’années d’efforts de productivité. Un commentateur a dit : « sans la
monnaie unique, le marché unique est un marché inique ». Observation
pertinente à la lumière de l’appréciation du DM ou du FF de 30% par rapport à
la Lire, entre 1992 et 1995. Comment préserver le marché unique dans ces
conditions ?
- D’un point de vue externe : à ces préoccupations d’ordre interne s’est ajoutée
une contrainte externe, liée à l’effondrement du système de Bretton Woods, en
1971. L’Europe a tenté d’apporter un premier élément de réponse au désordre
monétaire international par des arrangements monétaires régionaux pour
essayer, au moins, de se prémunir des fluctuations du dollar par rapport aux
monnaies européennes.
Après le succès limité du Serpent monétaire (1973), le Système monétaire
européen (SME) et son mécanisme de change, établis en 1979, ont constitué
un premier cadre durable pour maintenir des taux de change stables entre les
monnaies des Etats participants.
B. Les crises monétaires de 1992-1993 et les turbulences du printemps 1995
ont été surmontées
Sur le chemin de l’unification monétaire, l’Europe s’est heurtée à un certain nombre
de difficultés, parmi lesquelles la crise des changes de 1992/1993 et les fluctuations
monétaires du printemps 1995.
Toutefois, les responsables politiques européens ont constamment réaffirmé, au
plus haut niveau, leur attachement à l’objectif de création d’une monnaie unique
européenne, dont la voie avait été tracée dès 1969 avec le rapport Werner. Et
souvent la portée de cet engagement a été sous estimée. Les chefs d’Etat et de
gouvernement ont notamment rappelé leur volonté de créer une monnaie unique au
Conseil européen de Birmingham, au lendemain de la crise des changes de
septembre 1992, et au Conseil européen de Cannes, puis de Madrid, après les
fluctuations monétaires de mars 1995.
Cette volonté politique n’a jamais fléchi. J’en veux pour preuve non seulement les
conclusions de tous les Conseils européens depuis 1995, mais également la
détermination dans les efforts déployés, depuis 1993-95, par tous les
gouvernements européens pour remplir les conditions (les "critères de Maastricht")
nécessaires à la naissance de la monnaie européenne, le 1er janvier 1999.
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Quant aux crises du SME, elles ont toutes été surmontées. Et je dirais même
qu’elles ont eu des effets bénéfiques sur la création de l’euro, pour trois raisons :
- d’abord, parce qu’elles ont permis de rétablir des niveaux de change plus
soutenables entre devises européennes, même s’il faut reconnaître que
certaines des monnaies, ayant dû être réajustées, avaient fait l’objet d’attaques
spéculatives injustifiées au regard des données économiques fondamentales,
lors de la crise de 1992-1993;
- ensuite, parce que la volatilité accrue des changes durant les crises monétaires
a renforcé la résolution des gouvernements européens à prendre les mesures
nécessaires afin d’assurer une convergence véritable de leurs économies,
condition nécessaire à une stabilité monétaire durable et crédible qui était un
préalable à la création de l’euro;
- enfin, parce que - et réside le paradoxe -, l’élargissement des marges du
SME en août 1993 a probablement permis de renforcer la stabilité des
changes, en éliminant l’un des ressorts de la spéculation.
Alors que jusque là, les spéculateurs pouvaient parier à coup presque sûr, sur
un réajustement des parités, imposé par l’étroitesse des marges de
fluctuations, l’élargissement de ces marges a créé pour la spéculation une
incertitude fatale.
C. La stabilité des changes a également été recherchée à l’échelle
internationale
L’engagement de l’Europe en faveur de la stabilité des change n’a jamais été
confiné à ses propres frontières; il a aussi toujours été conçu comme une exigence
à l’échelle internationale.
En effet, les entreprises européennes ont particulièrement souffert des
mouvements désordonnés du dollar dans les années 1970 et 1980. Alors qu’un
dollar ne valait que 4,70 francs en 1979, sa valeur a plus que doublé en l’espace de
six ans, pour atteindre plus de 11 francs en 1985. Face à ces fluctuations erratiques
du dollar, les responsables politiques américains et européens ont tenté de
promouvoir l’idée de stabilité des changes sur la scène internationale.
Ainsi les accords du Plaza, puis du Louvre, en 1985 et en 1986, ont permis de
réagir à l’instabilité chronique et dévastatrice des changes. Les responsables
politiques ont voulu amortir l’impact de ces variations sur la croissance mondiale et
lutter contre la recrudescence des tensions protectionnistes. Les économistes
pourront toujours disserter sur l’impact réel de ces accords.
En ce qui me concerne, je crois que leur force majeure a résidé dans ce message
politique fort : celui de la volonté des gouvernements de contrecarrer la volatili
excessive des changes, facteur de désordres financiers, économiques et sociaux.
Les marchés ont horreur de l’incertitude. Ils ont besoin de visibilité. Et, à cet égard,
rien ne remplace la détermination ferme et clairement affichée des gouvernements
quant à la conduite de leurs politiques économiques.
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La réalisation de l’Union Economique et Monétaire s’inscrit dans cette logique de
promotion de la stabilité des changes, à l’échelle européenne et internationale.
Aujourd’hui, cinq mois après la création de l’euro, force est de constater que l’euro
est d’ores et déjà devenu une grande monnaie internationale.
2. L’euro, une grande monnaie internationale
L’euro est très rapidement devenu une monnaie essentielle au sein du Système
Monétaire International et les perspectives de son développement international sont
satisfaisantes.
A. L’euro est déjà une monnaie majeure au sein du SMI
Des facteurs objectifs tenant à la nature même de la zone euro, expliquent que la
monnaie européenne soit, dès son lancement, devenue une monnaie majeure du
Système Monétaire International à côté du dollar :
- une population de 290 millions d’habitants, à comparer aux 265 millions
d’habitants des Etats-Unis;
- son commerce représente 20% du commerce mondial devant celui des Etats-
Unis 18%;
- sa richesse avoisine 19% du PNB mondial, soit une proportion équivalente à
celui des Etats-Unis 20%;
- son poids économique et commercial est plus important que celui du Japon qui
réalise 10,5% du commerce mondial et 7,3% du PNB mondial.
Au delà de ces données de fait, le parcours effectué par l’euro sur les marchés
financiers depuis le début de l’année est particulièrement réussi. Le succès de
l’euro sur les marchés obligataires est patent : depuis le début de l’année l’euro a
fait jeu égal avec le dollar comme monnaie d’émission avec 44% du total des
émissions obligataires mondiales.
Selon les observateurs, ce mouvement dépasse largement le simple "effet de
mode". J’ajoute que l’euro a déjà été choisi par de nombreux émetteurs non
européens, qu’il s’agisse d’Etats souverains comme l’Argentine, les Philippines, le
Canada et le Liban. Enfin, la part des entreprises dans le total des émissions se
développe au détriment des obligations d’Etat. C’est bien la preuve que les
entreprises, soucieuses de diversifier leurs ressources, grâce à la désintermédiation
bancaire, trouvent dans les émissions d’obligations, en euro, un nouveau moyen de
financement de leurs investissements à moindre coût, à cause du niveau
historiquement bas des taux d’intérêt. Quant aux épargnants, ils y trouvent un
placement en général plus rémunérateur que les obligations d’Etat.
B. Les perspectives de développement de l’utilisation internationale de
l’euro sont satisfaisantes
Tout laisse penser qu’après son lancement réussi sur les marchés financiers
internationaux, l’euro va progressivement s’affirmer comme une monnaie de
référence comparable au dollar. Il est en revanche difficile, aujourd’hui, de prédire le
rythme de cette évolution. Quatre facteurs joueront, à cet égard, un rôle décisif :
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