Appel à projets
« Laboratoires mixtes internationaux» (LMI)
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Laboratoire Mixte International IRD, https://www.ird.fr/la-recherche/laboratoires-
mixtes-internationaux-lmi
Mobilités, Gouvernance et Ressources
dans le bassin méso-américain
LMI MESO
Mai 2014
Odile Hoffmann, IRD, URMIS, odile.hoffmann@ird.fr
Eric Léonard, IRD, GRED, eric.leonard@ird.fr
Emilia Velázquez, CIESAS, [email protected].mx
Abelardo Morales, FLACSO et UNA, amorales@flacso.or.cr
Appel à projets
« Laboratoires mixtes internationaux» (LMI)
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1- Descriptif du projet
1- Contexte et problématique générale
Un questionnement ancré dans l’histoire et de grande actualité
Le Laboratoire se propose de rendre compte de la diversité des formes de mobilités et de
circulation dans ce que nous appelons le « couloir centraméricain », au centre des
Amériques, dans le « ventre mou » du continent entre un nord engagé de manière
volontariste dans des politiques libérales (Canada, USA, Mexique), un sud qui cherche ses
voies dans des modèles économiques et politiques plus ou moins alternatifs (Brésil et Cône
sud d’un côté, Venezuela-Equateur-Bolivie de l’autre), et un pôle de pays qui restent
attachés au modèle néolibéral (Chili-Colombie). Dans ce contexte, l’Amérique centrale et
plus globalement ce que l’on peut nommer le « couloir centraméricain » -qui inclut les
caraïbes insulaires- regroupe certains des pays les moins avancés du continent et les plus
précarisés dans leurs économies et leurs institutions (Honduras, Nicaragua, Guatemala).
Dans ce couloir centraméricain qui irait du sud-est mexicain au Panama en incluant les
Caraïbes), la mondialisation s’exprime à travers l’intensification des processus de circulation
et leur élargissement à de nouveaux acteurs, de nouveaux facteurs, de nouvelles
ressources. Ces processus de circulation concernent à la fois des biens et des produits, des
individus, mais aussi des idées, des savoirs, des pratiques symboliques, des gles et des
normes. Le LMI cherche à comprendre l’impact de ces circulations intenses sur les relations
de pouvoir et les formes de gouvernance (terme générique à spécifier en début de
programme), notamment en termes de production des politiques publiques et de leur mise
en œuvre.
Depuis la fracture de la conquête et de colonisation espagnole et britannique il y a cinq
siècles, l’espace concerné a subi une intense circulation de personnes, de biens et plus
généralement de modèles économiques et politiques qui constituent un « fonds
partagé » d’expériences collectives : explorations par des « voyageurs » européens, traite et
esclavage, ingérence politique et économique des Etats-Unis, migrations de travailleurs,
introduction de nouvelles formes de propriété et d’usage des ressources naturelles, etc. Et
pourtant, dans le même temps, ce grand espace régional se caractérise par la fragmentation
historique des espaces de gouvernance, à différents niveaux (les nations, les intendencias,
alcadías, les « repúblicas de indios » et autres municipes) et sous différents régimes
(colonial, républicain, dictatures). Aujourd’hui cette grande région méso-américaine étendue
aux caraïbes, est soumise à de fortes pressions économiques et sécuritaires (groupes de
pression illégaux, violences) qui affectent les configurations locales institutionnelles (famille,
église, école..) et administratives à différents niveaux (village, municipe, département ou
administration centrale). On s’interrogera sur les façons dont s’élaborent les nouveaux
rapports de force et de domination entre individus et/ou entre groupes plus ou moins
institués, dont les différentes échelles administratives.
Cette question recouvre des situations concrètes complexes, qui combinent des dynamiques
spatiales anciennes et historiquement contrariées par les Etats-Nations (territoires
transfrontaliers indiens ou afrodescendants) avec de nouveaux territoires de la
mondialisation (flux et couloirs de marchandises et main d’œuvre) en passant par des
espaces classiquement contrôlés par les États et les agences internationales comme SICA,
CARICOM), sans oublier les espaces interstitiels et mouvants investis par des acteurs
illégaux (armes, drogue, économies souterraines, interactions bioculturelles non contrôlées)
aux légitimités locales précaires et sans cesse renégociées. Ensemble, ces configurations
génèrent ou entretiennent certains types de mobilité plus ou moins volontaire ou forcée et
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modèlent de nouvelles pressions sur les ressources naturelles. Autrement dit, elles
produisent de nouvelles formes de gestion sociale et politique des territoires, à diverses
échelles et dans des scénarios complexes qui dépassent les capacités des institutions
modernes à garantir l’ordre donné jusqu’alors comme légitime. Ici les mobilités sont une
grille de lecture pertinente pour comprendre les dynamiques d’institutionnalisation des
compétences et de gestion des ressources, alors même que ces dynamiques semblent
toujours dépassées, prises en défaut, par l’intensification des circulations (ampleur,
nouveauté, multiplicité) et l’asymétrie des rapports entre les organisations socio-politiques
locales ou régionales et des pouvoirs externes « surplombants » (comme celui des Etats-
Unis ou des grandes firmes globales).
Hypothèses
Une hypothèse communément admise pose que le processus contemporain de
mondialisation correspond à une phase de précarisation des institutions des États-Nations,
au profit de l’autonomisation et de la fragmentation de certains groupes socio-politiques ou
d’organisations économiques. Ces autonomisations peuvent s’inscrire dans les cadres
légaux des Etats de droit ou dans les interstices de la légalité. Elles s’appuient sur des
recompositions territoriales, ce qui nous amène à étudier les espaces d’action et d’interaction
associés aux collectifs ainsi redéfinis (institutions, entreprises, associations, agroupations).
Cette démarche ne peut faire l’impasse sur les analyses du temps plus long (19-20ème
siècles) qui nous permettront de saisir les continuités ou les innovations portées par les
acteurs concernés
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. Dans les contextes de transformation accélérée, ceux-ci sont en
situation de mobiliser de nouveaux savoirs, de nouvelles normes, ainsi que de nouveaux
relais politiques, dans des formes d’action qui ne se réduisent pas à de la « résistance » d’un
côté, de l’anomie de l’autre, mais sont également porteuses de propositions alternatives, hier
comme aujourd’hui, et qui portent des recompositions parfois inattendues.
Une contre-hypothèse pourrait supposer que la précarisation sédimente des pouvoirs
segmentés qui ne laissent que peu de marges de manœuvre aux acteurs locaux. On aurait
alors une mondialisation associée au désordre sans offrir de nouveaux cadres de
négociation aux secteurs les plus démunis des sociétés, avec l’imposition de nouvelles
dominations qui restreignent les espaces de citoyenne(les bandes de maras, l’insécurité,
les comités d’autodéfense, les démocraties menacées par la violence, etc.). Pour autant,
même dans ces circonstances, les réponses sont diverses et contradictoires, signe d’un
débat politique toujours vivace. En témoignent, par exemple, les positions face à la migration
entre les pays d’Amérique centrale et Mexique, qui vont de l’acharnement criminel contre les
migrants (viols, vols, agressions, assassinats, notamment contre les femmes) à des formes
de solidarité plus ou moins organisées par des membres de l’Eglise catholique ou des
groupes de citoyen(ne)s (Las Patronas) en passant par des mesures légales de harcèlement
(fermeture des maisons d’accueil).
Entre les deux options (recomposition vs anomie), une autre hypothèse part du constat que,
dans la mondialisation, les Etats-nations ne renoncent pas à leur vocation de contrôle de la
population et du territoire. A côté des théories qui insistent sur les « communautés
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Historiquement, l’espace mésoaméricain étendu au Golfe Caraïbe (le Seno Americano de l’empire
hispanique ; voir notamment en cartographie historique : Juan de Oliva (alias Riezo), Carta de Tierra
Firme y demás costas de América del Norte en el Seno Americano y Océano Atlántico, 1596) a
constitué un espace privilégié de la circulation des personnes, des biens, des idées et des symboles,
dans un cadre de pluralisme culturel et institutionnel “structurel”. Certains historiens rappellent à quel
point l’espace est générateur de pratiques, notamment commerciales (Serrera Contreras, 1995), qui
influent sur, ou expliquent les configurations politiques. Dans la période contemporaine de
mondialisation, l’intensification de la mobilité des marchandises et des hommes en a fait l’un des
couloirs migratoires le plus important du globe, qui inclut les terres continentales et les espaces
insulaires.
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transnationales » et l’affaiblissement du rôle des Etats, nous faisons l’hypothèse que les
logiques contemporaines de migration, circulation, globalisation amènent les Etats à ajuster
leurs outils de gouvernance et de gouvernementalité (en acceptant par exemple l’acquisition
de la double nationalité pour leurs ressortissants à l’extérieur, ou en mettant en place des
mesures coercitives limitant, par exemple, l’accès au territoire national) afin précisément
d’affirmer leurs prérogatives. Il s’agira ainsi de mieux comprendre, à travers l’étude des
politiques publiques nationales, mais aussi des instruments de pouvoir et des structures
administratives, comment les Etats-nations parviennent à s’adapter ou pas à ces
situations dans lesquelles le contrôle du territoire et de la population leur échappe en partie.
Une référence à des enjeux forts de développement
Ces questions se réfèrent directement à des enjeux actuels du développement : quels sont
les contraintes et les atouts générés par la circulation de personnes, de biens, de normes,
d’idées, de savoirs et de symboles, et comment sont-ils pris en compte lors de la production
des politiques publiques (usage des ressources naturelles, migration, éducation, religion,
etc.) ? Quels en sont les impacts du point de vue des relations entre les différents niveaux de
« gouvernance »
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politico-territoriale : communauté ou quartier, municipalité, Etat, institutions
supra-nationales ; ainsi qu’entre ces échelons politico-administratifs et les acteurs du secteur
privé, les organisations socio-professionnelles, les ONG ? On rejoint des questions
sensibles en Amérique centrale, qui orientent certains des enseignements en sciences
sociales dispensés par les institutions de ces pays, qu’elles soient publiques ou qu’elles
fassent partie du réseau d’universités privées en AC (U. Landivar, USAC, UCA, FLACSO).
2- Objectifs scientifiques
Questions de recherche
La question centrale qui structure le projet de laboratoire International peut se formuler de la
façon suivante :
En quoi les formes actuelles de circulation des personnes (migrations, déplacements,
retours forcés, installation), des droits de propriété sur les biens matériels (terres,
eaux, mines, ressources naturelles) et des biens immatériels (normes, savoirs,
symboles, etc.) contribuent à la redéfinition des collectifs et des champs du pouvoir
qui les sous-tendent, que ceux-ci soient institutionnalisés ou inscrits dans les rapports
sociaux de la vie quotidienne ?
Cette question principale peut se décliner sous deux formulations secondaires :
Comment se produisent de nouvelles formes de gouvernance et de contestation de
cette gouvernance , à différents niveaux d’organisation politico-territoriale,
corporative, réticulaire, etc. ? Comment certaines d’entre elles alimentent ou se
constituent en mouvements sociaux ou en courants politiques innovants, qui souvent
mêlent les préoccupations écologiques avec des propositions alternatives d’Etat-
Nation par exemple (Equateur, Bolivie). Avec quels impacts sur le développement ?
Les programmes récents auxquels plusieurs d’entre nous ont contribué
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ont insisté sur le
repérage et la description fine de plusieurs types de circulations : les migrations de travail,
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La définition de ce que les uns et les autres entendent par « gouvernance » fera l’objet d’un des
premiers ateliers.
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Les ANR TRANSITER, AFRODESC, RELITRANS, MUSMOND ; les Programmes IRD-CIESAS ; le
Programme européen EURESCL ; le PICS-BATRAM ; les ateliers SRE-CONACYT et CONACYT
Ciencia Básica Centro América ; le programme ECOS NORD « Mobilité des personnes dans les
familles mexicaines. Etude comparative des parentés choisies » (2007-2012), porté par F. Lestage et
M-E Olavarria.
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les variations linguistiques liées aux mobilités, les pratiques religieuses avec leur cortège
d’emprunts et de réappropriations multiples (santería, neo-indiens), la nouvelle mobilité des
enfants à la suite soit des migrations de leurs parents, soit de circuits nationaux et
internationaux d’abandons/adoptions ou encore la circulation des acteurs politiques qui
s’appuient sur des légitimités ethniques récemment incorporées (les « communautés
noires »), etc. D’autres recherches ont porté sur les processus de transfert et
d’appropriation/reformulation de normes en matière de gouvernance des ressources
naturelles ou de politiques publiques ? On a ainsi pu mettre en évidence des processus
spatiaux particuliers (enclaves, réseaux, territoires réticulés) et souligner les jeux d’échelles
interprétés en termes de logiques « global-local », « glocale » ou « transnationale ». On a
également analysé les mécanismes de pluralisation juridique, religieuse ou normative induits
par ces mobilisations ainsi que les processus de production
d’« arrangements » institutionnels qui en découlent.
S’ils avaient posé des diagnostics sectoriels et proposé des interprétations, ces programmes
n’abordaient toutefois pas directement les rapports complexes qui se nouent entre les
recompositions territoriales, les circulations et les innovations politiques. C’est ce que se
propose de faire le LMI qui partira des résultats acquis pour se poser la question des
mécanismes de pouvoir et d’autorité engendrés par/dans les nouvelles configurations, et leur
impact sur le développement de la région.
Ces mécanismes doivent s’analyser dans un contexte de renforcement et généralisation des
situations de pluralisme légal/normatif, de pluralisme des autorités et de pluralisme des
appartenances, dont les politiques multiculturelles adoptées dans la plupart des pays de la
région- sont l’expression la plus évidente. On peut se demander si ce pluralisme est source
de plus grande conflictualité ou s’il est au contraire un facteur de gestion/amortissement des
tensions pour l’accès aux ressources matérielles dont les ressources naturelles et
symboliques. Autrement dit, la gouvernance des ressources est désormais (mais ne l’a-t-elle
pas toujours é?) contingente d’un cadre multipolaire de négociation et de production
d’arrangements tant verticaux –inscrits dans des rapports d’autorité et de dépendance-
qu’horizontaux, au sein des sociétés locales. Mais on ne sait pas toujours mesurer si ce
cadre multipolaire de gouvernance est à l’origine de situations d’anomie ou plutôt de
nouvelles formes de domination fonctionnelle (firmes capitalistes, gangs, mafia, etc.). Dans
le même ordre d’idées, cette situation de gouvernance plurielle confère un rôle majeur à
certaines catégories d’acteurs parfois compris comme des “passeurs” ou “traducteurs”, ou
des « acteurs nodaux » qui de par leur position à l’interface construisent eux-mêmes de
nouveaux systèmes de sens dans lesquels ils occupent une position de pouvoir. Il nous
faudra comprendre quels rôles jouent ces acteurs intermédiaires (qui peuvent être des élites
locales, mais aussi des experts internationaux et/ou des leaders communautaires) dans la
recomposition des pouvoirs à l’œuvre aux différents niveaux d’organisation sociale, politique
et économique. À ce titre, les instances internationales ou extra-territoriales (BID, PNUD,
OCDE, OMC, etc.) constituent une arène déterritorialisée qui influe parfois très directement
sur les arrangements localisés.
Pertinence de l’espace géographique considéré
La fragmentation contemporaine des espaces politiques est le produit de l’éclatement
territorial de l’Amérique latine à partir des indépendances du 19ème siècle (Chaunu 1985),
débouchant sur des configurations hiérarchisées et souvent instables. Il ne s’agit pas
d’unités juxtaposées mais bien d’imbrications d’espaces et de territoires aux légitimités
variables, qui côtoient des espaces périphériques dont le contrôle est l’objet de dispute entre
des groupes de pouvoir ou des corporations. Les disparités qui en découlent en termes de
gouvernance, hiérarchie et pouvoir, constituent un levier précieux de comparaison entre les
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