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Transmettre…Etre aîné dans la foi.
« Comment croire en Lui sans avoir entendu sa Parole ?
Comment entendre sa Parole si personne ne l’a proclamée ?
(Romains, 10, 14)
Dans la suite de l’intervention d’Eric de Labarre, et pour nous aider à
appréhender notre mission d’annonce explicite, il m’est demandé de réfléchir
à la posture d’aîné dans la foi.
Le terme aîné est aujourd’hui régulièrement convoqué à frais
nouveaux. Dans les champs qui sont les nôtres, le terme d’aîné est valorisé
dans les textes récents de l’Eglise et tout particulièrement dans le Texte
national pour l’orientation de la catéchèse en France mais il est aussi utilisé
dans le vocabulaire actuel de l’Education nationale.
Dans le texte national pour l’orientation de la catéchèse en France,
l’expression « aîné dans la foi » arrive au troisième chapitre de la première
partie du document épiscopal lorsque les Evêques veulent préciser les
conditions qui permettront le choix de la pédagogie d’initiation.
Dans les textes actuels de l’Education nationale, les nouvelles
modalités envisagées pour la formation initiale des maîtres prévoient de
confier les nouveaux collègues commençant leur carrière à des professeurs
aînés, chargés de les guider dans le métier, invités à leur transmettre un
savoir faire, un savoir être forgés au creuset de l’expérience.
On pourrait aussi s’arrêter, dans un autre domaine, sur la figure de
l’aîné appelé à favoriser l’apprentissage la civilité dans les cités sensibles.
La figure de l’aîné, après avoir été quelque peu discréditée dans un
environnement marqué par la contemporanéité, est donc appelée à une
nouvelle présence. Alors qu’on ne cesse de décrire, depuis la Lettre aux
catholiques de France, la rupture de transmission, l’aîné apparaît comme le
dépositaire d’une expérience, d’une connaissance qu’il est vital de faire
partager et de transmettre. Lorsque les repères chrétiens s’effacent
partiellement, l’aîné dans la foi se trouve investi d’une responsabilité accrue.
En cette année Saint Paul, il est bon de rappeler que Saint Paul se
sent habité par cette responsabilité d’aîné. Le terme apparaît dans l’Epître
aux Romains : « ceux que d'avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à
reproduire l'image de son Fils, afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de
frères »
1
.
Dans le temps qui nous est imparti, je vais tenter d’esquisser une
petite grammaire de la posture d’aîné, en essayant de préciser ce qui peut
interpeller le chef d’établissement d’un établissement catholique dans sa
responsabilité pastorale ainsi que ceux qui l’aident dans la mise en œuvre de
l’animation spirituelle de nos écoles, collèges et lycées
1. L’aîné convoqué à exercer une responsabilité.
L’expérience fondatrice du chemin de Damas convoque Paul à
l’annonce incessante de la Bonne Nouvelle. Cette rencontre du Christ
1
Epître aux Romains, 8, 29.
2
le touche certes à l’intime, mais le pousse à l’apostolat, sur tous les
chemins de l’empire romain. C’est la dynamique enracinée de tous
les récits d’apparition du ressuscité. Les femmes au tombeau
« rapportèrent tout cela aux onze et à tous les autres. »
2
; les disciples
d’Emmaüs s’en vont dire aux onze et à leurs compagnons : « C’est
bien vrai ! Le seigneur est ressuscité »
3
; Marie de Magdala « vient
annoncer aux disciples qu’elle a vu le seigneur et ce qu’il lui a dit »
4
; et
le dernier récit d’apparition chez Matthieu conduit à l’appel du Christ
« Allez donc, de toutes les nations faites des disciples. »
5
. Et les Actes,
après le récit de la vocation de Paul précisent : « Il passa quelques
jours avec les disciples de Damas, et aussitôt il se mit à prêcher Jésus
dans les synagogues, proclamant qu’il est le Fils de Dieu. »
6
La rencontre du ressuscité convoque donc à parler, à annoncer. Le
disciple ne peut garder cette expérience fondatrice pour lui. L’annonce
n’a rien d’un prosélytisme indiscret, ne cherche pas la contrainte et
l’obligation, mais veut rayonner de cette rencontre inouïe, de cette
béatitude éprouvée. L’annonce s’inscrit alors dans la dynamique de la
charité.
Aînés, nous avons à réentendre constamment cet appel lancé à
Caïn : « Qu’as-tu fait de ton frère ? »
7
. Dans la sollicitude que nous
avons à déployer au regard des attentes de ceux qui nous sont confiés,
les enfants et les jeunes, de ceux avec qui nous faisons communauté
éducative, il nous faut être particulièrement attentifs aux attentes
spirituelles et religieuses. Il est une dimension religieuse à toutes les
quêtes humaines, même s’il faut en discerner les manifestations
multiformes et paradoxales. Nous sommes un peu dans la situation de
Paul à Athènes. « Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les
plus religieux des hommes. Parcourant en effet votre ville et
considérant vos monuments sacrés, j’ai trouvé jusqu’à un autel avec
l’inscription : « Au dieu inconnu. » Et bien ! ce que vous adorez sans le
connaître, je viens, moi, vous l’annoncer. »
8
L’échec de la prédication
de Paul à Athènes ne doit pas nous déconcerter ou nous décourager.
Ce qui importe, c’est l’audace de l’annonce, et non l’assurance d’une
réception immédiate.
Méditons le geste large du semeur de l’Evangile qui n’hésite pas à
répandre la semence abondamment, certes, sur la terre préparée, mais
aussi dans les ronces ou les cailloux. C’est l’ampleur du geste du
semeur qu’il faut contempler, avant l’abondance de la moisson, même
s’il faut bien entendu l’espérer.
La foi s’est naguère diffusée quasi spontanément dans l’héritage
partagé communément en famille et dans les communautés
paroissiales. Les aînés ont toujours eu un rôle, mais la transmission
se faisait avec une large part d’implicite et il revenait alors aux
2
Evangile selon Saint Luc, 24, 9
3
Evangile selon Saint Luc, 24, 34
4
Evangile selon saint Jean, 20, 18
5
Evangile selon Saint Matthieu, 28, 19
6
Actes de Apôtres, 9, 19-20
7
Livre de la Genèse, 4, 9
8
Actes des Apôtres, 17, 22-23
3
ministres ordonnés, aidés des catéchistes, de mettre en forme la foi
reçue et expérimentée par capillarité, en quelque sorte. La rupture de
transmission qui compromet l’héritage convoque aujourd’hui les aînés
à une responsabilité accrue pour l’annonce.
Dans l’exercice de la responsabilité pastorale, aujourd’hui, il nous
appartient de repérer les aînés dans la foi et de les appeler au champ
de la moisson, car plus que jamais, la moisson est abondante et les
ouvriers peu nombreux. Nous ne pouvons plus aujourd’hui laisser les
chrétiens de nos établissements dire qu’ils choisissent de vivre leur foi
et de s’engager pour l’Eglise en dehors de nos établissements. Je ne
veux pas dire qu’il faut les empêcher de servir l’Eglise en dehors de nos
établissements, mais il faut, simultanément, les appeler à réfléchir à
l’urgence de l’annonce dans nos écoles, collèges et les lycées. Aux chefs
d’établissement, aux APS de repérer, de discerner et d’appeler. Il faut
diversifier et moduler les appels. Le texte national mentionne les aînés
dans la foi lorsque les Evêques réfléchissent à la pédagogie d’initiation
choisie pour toutes les formes de la responsabilité catéchétique que
sont la première annonce, la catéchèse ordonnée et l’éducation
permanente de la foi. L’engagement pris par les uns ou les autres peut
être divers, plus ou moins lourd. Mais en diversifiant les requêtes, les
chefs d’établissement ont à appeler tous les chrétiens des
établissements à habiter la posture d’aîné et à rendre compte de leur
espérance par une parole explicite.
2. L’aîné appelé à transmettre un héritage pour aujourd’hui.
Etre aîné dans la foi, c’est se situer dans une famille, une famille
qu’on aime et dont on veut faire fructifier l’héritage. Etre aîné, c’est
aussi avoir la réputation d’être sage, avisé, investi à ce titre d’une
responsabilité particulière à l’égard des plus jeunes. Mais l’aîné peut
aussi s’installer dans ses prérogatives d’aîné, et s’attacher avec une
telle exclusive à la préservation du patrimoine, qu’il peut méconnaître,
voire condamner l’appel à la nouveauté des générations suivantes.
Qu’on songe à l’incompréhension et à la jalousie de l’aîné du fils
prodigue
9
.
Etre aîné dans la foi et assumer la responsabilité de l’annonce de
l’Evangile amène à vivre cette tension entre le devoir et désir de
transmettre, tout en se montrant attentif aux conditions de la
réception. C’est particulièrement vrai aujourd’hui, la réception est
moins liée à l’autorité de l’Institution qui s’exprime à travers une
personne, qu’à l’autorité personnelle de celui qui prend la parole. La
transmission de l’héritage requiert un langage et des médiations pour
aujourd’hui, inscrites dans une attention aux signes des temps.
Annoncer aujourd’hui requiert aussi pour l’aîné de discerner,
dans la richesse de notre tradition, le matriciel de notre foi. Il faut
aller au cœur de la foi comme nous y ont invités récemment les
Evêques, en nous provoquant à relire la dynamique de la veillée
9
Evangile selon Saint Luc, 15, 29-30.
4
pascale. Il faut nous redire avec Saint Paul : « si le Christ n’est pas
ressuscité, vide alors est notre message… »
10
. L’aîné dans la foi,
comme tout croyant, s’il veut rester un témoin vivant, doit sans cesse
faire retour à l’essentiel.
Dans un établissement catholique d’enseignement, il est donc
nécessaire, pour les responsables de donner du temps aux aînés dans
la foi, pour prendre le temps, entre adultes croyants, « d’aller au cœur
de la foi ». Il s’agit de faire vivre dans l’établissement la communauté
chrétienne qui se réunit à la Table de la Parole et à la Table de
l’Eucharistie. C’est une ligne de force de la responsabilité pastorale
du chef d’établissement.
3. L’aîné entraîné à l’audace en dépit de sa fragilité.
L’aîné dans la foi est donc investi, aujourd’hui, d’une forte
responsabilité, au point de connaître une forme d’angoisse ou de
vertige. C’est le sentiment de ne pas être à la hauteur, de ne pas
trouver l’audace de s’exposer par le témoignage.
Saint Paul fait lui-même l’expérience de cette fragilité, lui qui se
désigne comme un « avorton »
11
. Il sait et reconnaît sa faiblesse, son
péché : « je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne
veux pas »
12
. Il sait aussi que cette expérience personnelle de la
fragilité rejoint celle de tout être humain confronté à la Parole de Dieu
et à la présence du Seigneur.
Mais paradoxalement, cette fragilité ne doit pas nous conduire au
mutisme et à l’effacement. Le lieu de la faiblesse est précisément lieu
de révélation, puisque la défaillance du messager ne peut être
compensée que par le don de la grâce : « C’est par la grâce de Dieu que
je suis ce que je suis, et sa grâce à mon égard n’a pas été stérile. Loin
de là, j’ai travaillé plus qu’eux tous : oh ! non pas moi, mais la grâce de
Dieu qui est avec moi. »
13
. Saint Paul nous transmet aussi cette parole
du Seigneur« Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la
faiblesse. ». Et l’apôtre poursuit : « C’est donc de grand ur que je
me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la
puissance du Christ (…) car lorsque je suis faible, c’est alors que je
suis fort»
14
. Aîné dans la foi, conscients de notre fragilité, il faut alors
demander l’audace à l’Esprit : « L’Esprit vient au secours de notre
faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ;
mais l’Esprit intercède pour nous en des gémissements ineffables. »
15
Dans un établissement catholique d’enseignement, l’appel à des
aînés dans la foi peut s’opposer à ces craintes, crainte d’une parole qui
expose et qui engage, crainte d’une incompétence…L’appel reçu peut
alors être lourdement insécurisant. Il appartient donc aux
10
Première Epître aux Corinthiens, 15, 14
11
Première Epître aux Corinthiens, 15, 8
12
Epître aux Romains, 7, 19
13
Première Epître aux Corinthiens, 15, 19
14
Deuxième Epître aux Corinthiens, 12, 9-10
15
Epître aux Romains, 8, 26.
5
responsables d’établissement de conforter ceux qu’il appelle, de ne pas
se décharger sur eux d’une tâche, mais de solliciter pour la porter
ensemble. C’est là que prend toute sa force la prière de la communauté
chrétienne. L’appel à des aînés dans la foi demande à vivre en
communion de prière, communion signifiant bien, étymologiquement,
le fait de porter ensemble, solidairement une tâche commune.
4. L’aîné dans la foi suscité à la fraternité.
Cette conscience de la faiblesse invite à la fraternisation, parce que
notre humanité commune est pétrie de fragilité. Véronique Margron,
lors d’une table ronde à Ecclesia 2007, fait de l’aptitude à la fraternité
la qualité première de l’aîné dans la foi : « Je l’entends comme un art
de vivre. Cela veut d’abord dire une fraternité, une capacité à entrer en
amitié avec celles et ceux dont nous devenons les compagnons (…) Une
capacité à entrer en amitié, donc tout le contraire d’une fermeture, le
contraire de la peur »
16
L’aîné est à la fois semblable et différent, semblable parce
qu’appartenant à la même famille, à la même humanité et différent
parce qu’ayant déjà parcouru un chemin qui reste à découvrir pour
son cadet.
La relation de l’aî dans la foi et de ses cadets est donc
asymétrique. Elle est certes marquée par l’empathie, la bienveillance,
mais se caractérise aussi par une nécessaire distance. La distance est
la clef de toute relation éducative il importe toujours de se tenir
entre les deux écueils que sont l’indifférence et l’indifférenciation.
Véronique Margron poursuivait son propos en précisant : « Comme
aînés dans la foi nous sommes en asymétrie avec l’autre. Tout d’abord
parce que nous avons des compétences. Parler de compagnonnage
n’enlève rien à la nécessaire compétence, à la formation… »
17
L’aîné dans la foi a donc à exercer une autorité au vrai sens du mot.
Une autorité, non un pouvoir. Il ne s’agit pas d’imposer à l’autre
l’expérience, le savoir dont nous disposons parce qu’aînés, mais de
présenter le chemin parcouru vers la rencontre du Seigneur pour
inviter à nous y rejoindre. C’est la pédagogie du Christ « qui sans
cesse, s’approche, rencontre, cherche la relation, appelle à la
conversion et à la foi ».
18
Le pouvoir est puissance exercée sur autrui, allant parfois jusqu’à
l’humilier. Le pouvoir peut abaisser, voire écraser l’autre. L’autorité, au
contraire, c’est ce que nous dit l’étymologie, est pour faire grandir,
pour faire croître. La parole de l’aîné est une parole d’autorité,
désireuse de la croissance dans la foi de celui à qui elle s’adresse. Un
désir qui ne contraindra jamais la liberté, parce qu’une parole
d’autorité vise à rendre chacun acteur, auteur de ses choix.
L’aîné dans la foi a à éprouver son autorité. Le chef d’établissement
est investi d’une autorité par la responsabilité pastorale que lui confère
16
Actes du Congrès de la responsabilité catéchétique, p. 64.
17
Ibidem
18
Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France, p. 81
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