Flic - CBOV

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1
LUNDI
Paul Adamsberg
Julie Lonneur
René Mamadiou
Robert Lacloche
Alfred Durand-Martin
Stéphanie Dubarreau
flic expérimenté mais un peu désabusé
fliquette qui en veut
flic, de couleur, chef de poste
clodo philosophe
ministre
avocate
Claude
Alice
Bruno
Bernard
Vincent
Noémie
Accueil commissariat – « bar » haut sur la droite – cellule sur la gauche – devant une table et
trois chaises.
Entre Claude, avec un gobelet de café qu’il pose sur le « bar » et remue en pensant à autre
chose. Soupir.
Claude
Tranquille ce matin.
C’est bien.
Faut commencer la semaine en douceur.
Goûte son café du bout des lèvres – trop chaud !
Ben, la machine à café fait du zèle aujourd’hui. Pas comme moi !
Ouvre le classeur.
Bon, la main-courante de la nuit… calme plat, rien à signaler. Parfait.
Recommence à brasser son café. Soupir.
Par la salle, entre Alice traînant Bernard – aviné juste ce qu’il faut !
Alice
Allez, allez, on avance !
Bernard
Tranquille ! Faut pas pousser. J’ai tout vu, moi. Tout est vanité.
Alice
Veux pas le savoir. Vagabondage. Ivresse sur la voie publique.
Bernard
J’suis pas ivre. Juste bien. Sage, quoi. C’est ça, je suis le sage ! Ou alors l’insensé ! Le fou !
Ils arrivent sur la scène.
Claude
Salut, Lacloche !
Alice (qui croit que c’est elle qu’on traite de cloche)
2
Merci bien !
Bernard
Monsieur Lacloche, s’il-te-plaît !
Alice (à Bruno)
Pourquoi tu le traites de cloche ? Faut pas insulter les prévenus !
Claude
T’as raison, ma petite…
Alice
Je ne suis pas ta petite !
Bernard
Pourtant, vous n’êtes pas très grande… J’ai vu, sous le soleil…
Claude (le coupe)
C’est son nom. Lacloche. Robert Lacloche.
Alice
Tu connais ce Monsieur ?!
Claude
On voit bien que tu es nouvelle dans ce commissariat, si tu ne le connais pas encore. C’est le
plus fidèle locataire de notre cellule de dégrisement.
Bernard
Faut ce qu’il faut, si on veut se mettre à l’abri avec trois repas par jour, non ? Tout est vanité.
Alice
Je me suis fait avoir, alors ?
Claude
Pas grave. Mets-le en cellule. Il l’a bien mérité s’il t’a fait marcher…
Alice met Bernard dans la cellule.
Alice
Il faut quand même que je fasse un rapport.
Claude
Si tu y tiens…
Bernard
Qui augmente le savoir, augmente la douleur…
Alice
Et que savez-vous ?
3
Bernard
J’ai résolu de traîner ma chair dans le vin tout en conduisant…
Alice
Ah ! Ivresse au volant !
Claude
Laisse tomber. C’est de la philosophie. Et de toute façon, il n’a même pas le permis de
conduire.
Alice
De la philosophie !? Moi, je suis sûre qu’il sait quelque chose.
Bernard
Je sais… qu’il est bon pour les fils d’Adam de faire sous le ciel…
Alice
C’est dégoûtant !
Entre Bruno avec un dossier qui lui servira pour interroger le ministre ensuite.
Bruno (je n’écris pas l’accent !)
Bonjour tout le monde !
Alors, les enfants, ça va ?
Claude
Ça va, ça va…
Bernard (depuis là, en général, personne ne l’écoute ni ne le regarde)
En beaucoup de sagesse, il y a beaucoup d’affliction…
Bruno
Du spécial cette nuit, ce matin ?
Claude
Non, non, rien à signaler.
Alice
Quand même !
Bruno
Quoi donc ?
Claude
Rien.
Bernard
Vanité des vanités…
Alice
4
Ce Monsieur, là.
Bruno
Ah, bonjour Monsieur Lacloche.
Bernard
Bonjour, chef !
Bruno
Et l’histoire des vols de sacs à main ?
Alice
Euh…
Bruno
Donc, rien de spécial. Parfait, parfait.
Parce que j’ai eu le préfet au téléphone, on attend un gros poisson. D’un instant à l’autre.
Alice (au taquet)
Ah oui ? Ah bon ! De quoi s’agit-il ?
Bruno
Du calme, du doigté.
Bernard
Je connais la sagesse, et aussi la folie et la sottise !
Bruno
C’est nous qui allons interroger Durand-Martin.
Claude
Alfred Durand-Martin ?
Alice
Le ministre ?
Bruno
C’est ça.
Alice
Celui de la grosse baraque, en haut de la colline ?
Bruno
Oui. C’est cette grande histoire de transparence : tous les ministres doivent être entendus dans
leur commissariat de quartier. Et Durand-Martin dépend de notre poste.
Alice
Ouah ! Faut qu’il se mette à table, alors ?!
Bernard
5
A table, mange avec joie ton pain… Ah non ! Ça, c’est pour demain !
Bruno
En quelque sorte… Mais, le voilà !
Par la salle, entrent Vincent (Durand-Martin) et son avocate (Noémie)
Noémie
Je vous le rappelle : familier, mais pas trop. À l’aise.
Vincent
Je sais, je sais.
Noémie
Qu’on ait vraiment l’impression que vous n’avez rien à cacher.
Vincent
Mais je n’ai rien à cacher !
Noémie
Evidemment, évidemment.
Ils arrivent sur scène.
Bruno
Bonjour, monsieur le ministre !
Vincent
Bonjour, mon brave ! (Bruno tique, mais se contient)
Mademoiselle Stéphanie Dubarreau, mon avocate.
Noémie (en fait trop, pour rattraper…)
Bonjour, M. le commissaire.
Bruno
Adjudant.
Mais prenez place.
S’assied à la table, de même que le ministre et son avocate. Alice et Claude restent derrière le
« bar » - l’un des deux sort une machine à écrire (j’en ai) ou un ordi (j’en ai aussi !) et prend
le pv.
Bruno
Bien, bien, bien. Voyons le protocole d’interrogatoire.
Nom, prénom, situation ?
Vincent
Durand-Martin, Alfred, ministre.
Bruno
6
Etat civil ?
Vincent
Marié.
Noémie
Remarié.
Vincent
Re-remarié.
Bernard
Je me suis procuré une dame, des dames…
Bruno
Etat de fortune ?
Vincent
Peu de chose, en réalité. Je dépense ce que je gagne. Un petit héritage d’un oncle… Vous
verrez les détails avec mon avocate, le dossier est prêt tel que l’Etat l’a stipulé.
Bruno
Bien sûr. Et votre petit château ? Là-haut sur la colline ?
Vincent
Une villa, modeste villa.
Bruno
Piscine ?
Vincent
Non, non, juste des bassins pour arroser de leur eau une forêt de jeunes arbres.
Bernard
Mais c’est ma réplique, ça !
Bruno
On dit que vos fêtes sont… tapageuses ? Chanteurs, chanteuses… accompagnement
féminin…
Vincent
Quelques amis de temps à autre, où est le mal, vous n’avez jamais reçu de plainte, non ?
Bruno
Non : vous n’arrosez pas que les arbres, semble-t-il.
Noémie
Quel mal y a-t-il, si chacun y trouve son compte ?
Bruno
7
En effet.
Bernard
Mon cœur jouit de tout mon travail : c’est la part qui me revient.
Vincent
En effet, mon brave, c’est exactement ça.
Bruno
Les domestiques logent à la cave.
Noémie
Au sous-sol aménagé.
Bernard
J’ai acheté des esclaves et des servantes, non déclarées...
Noémie
Vous ne pouvez pas vous permettre !
Vincent
Tout mon personnel est rigoureusement assuré et déclaré.
Bruno
Compte en Suisse ?
Vincent (la main sur le cœur)
Jamais !
Bernard
J’ai amassé de l’argent et de l’or, la fortune des rois et des Etats…
Vincent
Oui, mais parce que j’ai su faire les bons placements au bon moment.
Bernard
La sagesse m’assistait.
Noémie
Parfaitement !
Bernard (Bruno se tourne ostensiblement les pouces)
On profite de la sagesse plus que de la sottise.
Vincent (pour lui)
Sauf s’il s’agit de la sottise des autres !
Bernard
Tout cela est vanité et poursuite de vent ! On n’en a aucun profit sous le soleil.
8
Vincent (agacé)
Bien sûr que si !
Noémie
Non, non, il a raison. Aucun profit. Que du bonheur.
Bruno
Vraiment pas un tout petit compte caché quelque part ? C’est sûr ?
Vincent
C’est certain. Je le promets ! Je le jure !
Bruno
Et vous êtes fier de vous ?
Vincent (commence à s’énerver – ça va aller de pis en pis)
Oui, je suis fier de moi !
Je me considère comme un sage : je profite de ma richesse, d’autres aussi. Je ne mets pas
inconsidérément de l’argent de côté. C’est la sagesse !
Bernard
Le sage meurt comme l’insensé !
Alice (à Claude)
Le voilà qui parle de meurtre, je savais bien qu’il avait vu quelque chose.
Claude (à Alice)
Mais non, c’est de la philosophie !
Vincent
Bon, et alors, c’est fini cet interrogatoire lamentable ?
Bruno
Oh, non, je dois bien avoir encore quelques petites questions…
Vincent
Vous alors ! C’est impossible ces nègres qui font la loi chez nous !
Bruno
Je suis chez moi. Et on ne dit pas un nèg’, on dit un oiseau de couleur !
Vincent
De couleur ou pas, vous êtes un drôle d’oiseau ! Je vais me faire entendre à la préfecture !
Noémie
Du calme, du calme !
Bruno
Fourrez-moi ça en cellule, ça le calmera, en effet !
9
Alice
Bien chef !
Les trois flics mettent le ministre en cellule.
Du coup, il est dégrisé et s’assied le plus loin possible de Bernard.
Bernard
Je savais bien, moi, qu’au sage comme à l’insensé un même sort arrivera. Mais qui est le
sage, vous ou moi ? Et l’insensé ? Ah ! Ah ! Ah !
Générique
10
MARDI
Paul Adamsberg
Julie Lonneur
René Mamadiou
Robert Lacloche
Mèmère à chien
Directeur de cirque
flic expérimenté mais un peu désabusé
fliquette qui en veut
flic, de couleur, chef de poste
clodo philosophe
bon chic bon genre
en tenue de dompteur
Claude
Alice
Bruno
Bernard
Claudine
Fabien
Même décor que lundi.
Claude fait un château de carte sur le « bar ». Bernard dort dans la cellule.
Entre Claudine qui vient s’appuyer contre le « bar » - le château de cartes s’écroule.
Claude
Madame ?
Claudine
Mon chien.
Claude
Quoi, votre chien ?
Claudine
Je veux que vous retrouviez mon chien, mon petit Bobby-chéri.
Claude
Qu’on retrouve votre chien ?
Claudine
Eh bien, oui. Ce n’est pas sorcier !
Claude
Mais qu’est-ce qu’il lui est arrivé à votre toutou ?
Claudine
Pas de familiarité, vous voulez bien. Ce n’est pas un vulgaire toutou, c’est mon chien. Mon
Bobby-chéri.
Claude
Bon, d’accord. Qu’est-il arrivé à votre chien ?
Claudine
Je n’en sais rien. Evidemment.
Claude
Pardon ?!
11
Claudine
Si je le savais, je n’aurais pas besoin de vos services.
Claude
Si vous me racontiez…
Claudine
Je n’ai pas le temps de vous raconter des histoires, mon petit Monsieur, Dieu sait ce qui
pourrait arriver à mon Bobby entre temps !
Claude (essaie de garder son calme)
Madame, si vous voulez qu’on cherche votre chien, il faut me dire comment vous l’avez
perdu.
Claudine
Je ne l’ai pas perdu, vous me prenez pour qui ?!
Claude
Alors ?
Claudine
Je ne l’ai pas perdu, on me l’a volé !
Claude
Nous y voilà ! Où et quand ?
Claudine
Mais juste là, tout à l’heure. Je l’avais attaché au crochet devant l’épicerie au coin de la rue,
là. Et quand je suis sortie, il ne restait qu’un bout de laisse !
(elle l’avait à la main depuis le début, le lui montre à ce moment. Il le prend, l’examine…)
Claude
Ah oui ! Coupé net.
Claudine
Comme un coup de couteau.
Claude
Ouais… ou un coup de dent. Il ne l’aurait pas boulottée lui-même, sa laisse, votre Bobbychéri ?
Claudine
Bobby-chéri est grand comme ça (montre environ 30 cm de large) et haut comme ça (montre
environ 20 cm), vous croyez vraiment qu’il a des dents à couper une laisse.
Claude
Je note : taille d’une feuille A4.
Moi, je crois quand même que c’est un coup de dent. Mais pas forcément des siennes.
Claudine
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Hiiiiiiii ! (un vrai beau hurlement svp) Mon Bobby, mon Bobby-chéri, vous croyez qu’on a
mangé mon Bobby-chéri !
Bernard (s’est réveillé au hurlement)
Qu’est-ce qui se passe par là ? Qui égorge-t-on ? On ne peut même plus roupiller
tranquillement ?!
(entre Fabien)
Fabien
Je viens déposer plainte !
Claude
Bonjour Monsieur.
Fabien
Oui. Pardon. Bonjour Monsieur. Messieurs. Bonjour Madame.
Je voudrais déposer une plainte pour vol.
Claude
Vous êtes avec le cirque, dans le terrain vague ?
Fabien
Oui, vous avez remarqué ?! Vous êtes un perspicace, vous !
Claude
Merci, et que vous a-t-on volé à vous ?
Fabien
Mon lion !
Claudine
Hiiiii ! C’est votre lion qui a mangé mon Bobby-chéri !
Fabien
Bien sûr que non ! C’est un vieux lion édenté et végétarien !
Bernard
Un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort !
Fabien
Oiseau de mauvais augure, pourquoi mon lion serait-il mort ? Vous avez des informations ?
Bernard
Je sais que les morts ne savent rien du tout…
Claude
N’allez pas dire ça à notre médecin légiste : elle ouvre le tiroir – de la morgue, je veux dire –
et elle sait déjà dire mil choses sur le défunt. Elle dit que les morts lui parlent.
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Fabien
Bon, et mon lion ?
Claudine
Et mon Bobby-chéri ?
Entre Alice, par le fond.
Bernard
L’homme ne peut découvrir l’œuvre qui se fait sous le soleil !
Alice
Dites donc, vous, vous n’allez pas continuer à démoraliser tout le monde vous ! Déjà qu’on a
dû remettre le ministre en liberté parce qu’il était au bord de la dépression, dans cette cellule !
Bernard
Mais pas du tout. C’est juste que nous sommes tous précédés. Ni l’amour, ni la haine,
l’homme ne les connaît, tout cela le devance.
Claude
Bon, bon. Restons-en là pour la philosophie.
(à Alice) Tu as repéré des animaux sur la voie publique ?
Alice
J’ai croisé un chat gris, quelques pigeons…
Claude
Non, non. On cherche un chien et un lion.
Alice
Carrément !
Bernard
Un sort identique échoit au juste et au méchant, au bon et au pur comme à l’impur, à celui
qui sacrifie et à celui qui ne sacrifie pas…
Claudine
Grand Dieu ! Vous croyez qu’on a pris mon Bobby pour faire un sacrifice ?
Alice
On avait un type dans le quartier, qui faisait des sacrifices de pigeons…
Claude
Il les prenait au filet à papillons.
Bernard
Pris au filet du malheur, l’homme ne connaît pas plus son heure que les poissons ou les
passereaux piégés.
Claude
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Mais rassurez-vous, on l’a arrêté ! Il ne connaissait pas son heure, en effet, il ne nous a pas
entendu venir…
Fabien
On n’est pas là pour entendre vos souvenirs de service !
Claude
C’est vrai, c’est vrai. Mademoiselle va enregistrer vos plaintes. Et on verra bien lequel de vos
animaux on retrouvera en premier !
Bernard
Je vois sous le soleil que la course n’appartient pas aux plus robustes, ni la bataille aux plus
forts, ni le pain aux plus sages, ni la richesse aux plus intelligents, ni la faveur aux plus
savants, car à tous il leur arrive heur et malheur…
Alice
Personne ne va faire la course : on va juste faire des enquêtes, c’est tout.
Entre Bruno, de la salle, un journal à la main.
Bruno
Bonjour tout le monde !
On avance sur les vols de sacs à main ?
Claude
Euh…
Bruno (brandit son journal)
Vous avez entendu cette histoire ? J’ai entendu les nouvelles dans la voiture. Et c’est en Une
dans le journal !
Fabien
On n’est pas là pour…
Bruno (le coupe)
C’est extraordinaire ! Une ville, là-bas, en Asie mineure, assiégée par les forces régulières,
surarmées…
Claudine
Mais mon Bobby…
Bruno
Elles n’auraient dû en faire qu’une bouchée.
Claudine
De mon Bobby ?!
Bruno
Et c’est un pauvre type qui a sauvé la ville par sa sagesse.
15
Claude
Chef…
Bruno (farfouille dans le journal)
C’est incroyable !?
Alice
Quoi donc ?
Bruno
Incroyable ! On trouve le nom de tous les protagonistes de cette histoire. Mais personne ne
mentionne le nom du sage…
Bernard
La sagesse de l’indigent est méprisée…
Bruno
En effet, on n’est pas reconnu à sa juste valeur dans ce monde…
Fabien
Et ma plainte, on l’enregistre ou pas ?
Claudine
Et la mienne ? Je veux mon Bobby !
Bruno (comme ramené sur terre)
Mais que veulent ces gens ?
Alice
Ils ont perdu leur chien et…
Bruno
Des chiens : il y en a deux à la porte. Ils ont l’air d’attendre leurs maîtres, bien sagement. Un
énorme un peu poilu et un petit rikiki…
Claudine
Mon Bobby !
Fabien
Mon Léo !
Ils sortent précipitamment.
Alice
Bon, ben voilà deux affaires vites réglées.
Bruno
Des bestioles bien sages… elles ont dû sentir l’odeur de leurs maîtres.
Bernard
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Les sages, comme les justes, sont entre les mains de Dieu.
Bruno
Eh bien, du coup, on a mérité une tournée de bonbons, non ?
Sort une boîte de sa poche, en offre à Alice, Claude, puis Bernard.
Bernard
Goûte la vie tous les jours de ta vaine existence, c’est ta part dans la vie et dans le travail que
tu fais sous le soleil !
Alice
Alors vous, même à l’ombre, vous êtes content !
Bernard
Tout est vanité, tout est éphémère, rien ne dure… Mais on est bien chez vous.
Bruno
D’ailleurs, qu’est-ce que vous faite encore là, Lacloche.
Allez ! Dehors !
Alice ouvre la cellule et Bernard s’en va en ronchonnant.
Claude
A la revoyure !
Bernard
Mieux vaut la sagesse que des engins de combat, mais un seul maladroit annule beaucoup de
bien.
Alice
Bon vent ! (elle ponctue d’un grand geste, qui fait écrouler le château de carte de Claude)
Claude
Maladroite !
Générique
17
MERCREDI
Paul Adamsberg
Julie Lonneur
René Mamadiou
Serveur du bistrot
Coiffeuse d’à côté
Fleuriste d’à côté
Représentant
Mendiante
flic
fliquette
chef de poste
en noir et blanc
à la pause au bistrot, blouse rose
idem, tablier vert
avec son ordi au bistrot
assise, écuelle, foulard
Claude
Alice
Bruno
Vincent
Noémie
Claudine
Fabien
Sophie
Dans la rue : panneaux de signalisation – zone piétonne…
À jardin, terrasse du bistrot : trois tables + chaises – Noémie et Claudine papotent à l’une,
Fabien travaille sa journée à l’ordinateur à une autre. Vincent fait le service (passe
régulièrement, écoute les conversations, coup de torchon sur la table libre, etc.)
À cour, Sophie – qui dit « s’il vous plaît » chaque fois que quelqu’un passe devant elle.
Tout ce monde est en place 5 minutes avant l’heure/cloches de début du flash, quand les gens
commencent à arriver (c’est l’après-midi, le mercredi, sauf erreur).
Un personnage fait un passage (je ne vous en dit pas plus).
(il y a peut-être à ce moment, du chant ou des annonces, toujours avant le flash)
Générique
Les trois flics entrent par la salle avec calepins et bouts de crayons.
Les flics interrogent des gens dans l’assistance et font mine de noter dans leur calepin.
Disent : Alors l’avez-vous vu ? Pouvez-vous me la décrire ? Qu’ont-ils dit ? Enquête de
routine… de voisinage…
Ecoutent à peine les réponses (même si elles sont « justes »), passent à quelqu’un d’autre, etc.
(il ne faut pas que cela dure plus d’1-2 minutes)
(quand les flics seront sur scène et interrogeront des personnages, il y aura toujours un
interrogatoire que l’on entendra, les autres se feront en muet, et ça à tour de rôle – chaque
flic parlera à « son » témoin et chaque témoin répondra à « son » flic, même si la question a
été posée par un autre à quelqu’un d’autre !).
Ils arrivent sur scène, se concertent.
Bruno
Alors les enfants, vous avez noté quelque chose d’intéressant ? Moi, j’ai fait chou blanc pour
l’instant.
Claude
18
Moi, ce serait plutôt chou brun, tant qu’à faire…
Alice
C’est d’un fin !
Rien pour moi non plus…
Bruno
Bon, on continue. On recherche ce qui a disparu.
Alice
OK. Mais il ne faudrait pas que ça dure toute la journée. Je n’ai pas le temps, moi, j’ai des
trucs urgents…
Claude
Pas le temps, pas le temps… Le temps faut le prendre !
Alice
C’est ça, gagner du temps, un temps pour chaque chose et chaque chose à sa place. Je sais.
Claude
Non, c’est un moment pour tout et un temps pour chaque chose.
Et, des fois, c’est utile de savoir perdre son temps !
Bruno
Ça suffit ! On y va.
Bruno et Claude s’approchent des dames et Alice de Fabien.
Bruno
Bonjour Madame, vous êtes la fleuriste de la boutique là-bas, n’est-ce pas ?
Claudine
Oui, bien sûr, je vous connais M. le commissaire.
Bruno
Adjudant.
C’est pour un petit interrogatoire de routine. Excusez-nous de vous interrompre, Mesdames.
Je peux m’asseoir ? (tire une chaise de la table libre)
Claude
Je peux ? (prend une chaise aussi)
Noémie
Bien sûr.
Claude
Vous travaillez dans la rue, non ?
Noémie
Oui, je suis coiffeuse, juste à l’angle, là-bas.
19
Claude
Et là, vous profitez du soleil ?
Noémie
C’est ça. J’ai un rendez-vous qui s’est excusé. C’est agréable de faire une bonne pause !
Claude
Donc vous êtes là depuis un petit moment, déjà ?
Noémie
Oui. Cela doit faire un quart d’heure.
Alice
Et vous êtes représentant en quoi ?
Fabien
En cercueils, Mademoiselle, en cercueils. Et tout ce qui va avec. Fleurs en plastique, pompes
funèbres et tutti quanti !
Alice
Donc vous n’êtes pas d’ici ?
Fabien
Non en effet. Je me prépare à rencontrer mes clients de la journée.
Alice
Les morts ?
Fabien
Non, non, ceux qui en croquent, comme moi. Enfin je veux dire… les préposés aux
inhumations, bien sûr !
Alice
Et vous êtes là depuis un quart d’heure au moins ?
Fabien
Précisément.
Alice
Alors vous devez l’avoir vu.
Claudine
Vu qui ?
Claude
Celui que nous recherchons.
Bruno
Un ou plusieurs personnages qui vous auraient semblé bizarres.
20
Fabien
Vous cherchez une personne ou plusieurs ?
Alice
Plutôt une. Mais ce n’est pas sûr.
Bruno
Il peut s’agir d’un homme ou d’une femme.
Noémie
En fait, vous ne savez pas ce que vous cherchez !
Claude
Nous, ce qu’on cherche, c’est ce que vous avez vu.
Alice
On a appris de source sûre qu’il a traversé cette rue-ci il y a à peine dix minutes.
Noémie
Il ou elle ?
Bruno
C’est à vous de nous le dire !
Fabien
Il y a bien un personnage bizarre qui a passé tout à l’heure.
Claudine
Elle portait plein de sacs…
Noémie
Une silhouette étrange…
Bruno
C’est bien ça. Essayez de me décrire au mieux ce personnage.
Fabien, Claude et Claudine
Disent ce qu’ils ont vu pour de vrai, ce qu’ils ont remarqué – chacun à son tour une petite
chose, un élément (taille, vêtement, couleur, âge, mouvement, etc.)
Ensuite, la conversation devient générale.
Bruno
Bref, on n’est pas très avancé.
Claude
Un homme ou une femme.
Alice
21
Ou deux ?
Noémie
Peut-être…
Claude
Peut-être un ou peut-être deux ?
Noémie
Peut-être un homme.
Fabien
Peut-être une femme.
Bruno
Qui portait de nombreux sacs.
Alice
Ou juste un ou deux.
Claudine
Peut-être…
Fabien
Moi je dirais 1 mètre 85.
Claudine
Elle m’a paru plus grande.
Noémie
Plus petit, je dirais.
Fabien
Moi j’ai l’habitude, à cause des cercueils, vous comprenez ?
Claudine
Vous êtes croque-mort ?
Fabien
C’est à peu près ça…
Noémie
Dire qu’on passera tous un jour entre vos mains.
Fabien
Vous avez le temps, Mademoiselle !
Noémie
Qui sait ? Le temps passe. Du temps pour rire ou pour pleurer !
22
Claudine
C’est vrai, il faut vivre aujourd’hui parce qu’on ne sait pas ce que nous réserve demain.
Bruno
Nous ne sommes que poussière qui retournera à la poussière…
Claude
Et qui nous emmènera voir ce qui vient après nous ?
Noémie
Et là, humains et bêtes, nous sommes égaux.
Fabien
Vous ne croyez pas si bien dire : j’ai déjà dû faire un cercueil pour un chien !
Claudine
Et il a été enterré au cimetière communal ?
Alice (qui les regardait depuis un moment, de plus en plus perplexe)
Mais vous êtes dans quel délire, tous ?
Ce n’est pas parce que Monsieur vend des cercueils qu’on doit en parler toute la journée !
Et notre enquête. Alors ?
Oui ou non a-t-il passé par là ?
Bruno
Tu as raison, fillette ! Fifres et tampour, ressaisissons-nous !
Vincent (croit qu’on l’a appelé)
Qu’est-ce que je peux vous servir ?
Bruno
Heu… j’offre une tournée générale !
Vincent
Tout le monde prendra la même chose ?
Tous
Oui, oui…
Claude
Il ne faudrait qu’on nous prenne pour des ivrognes !
Fabien
Vous savez que même Jésus a été accusé d’être un ivrogne et un gloûton ?
Claudine
Ah oui, et alors ?
Fabien
Ça nous autorise d’autant plus à profiter des joies de la vie ! À jouir de nos œuvres…
23
Noémie
Et c’est vous qui dites ça !?
Fabien
Côtoyer la mort ne veut pas dire qu’on doit pleurer sans cesse sur la vanité des choses !
Claudine
Vous avez raison.
Bruno
On dévie encore ! Reprenons tout, dans l’ordre chronologique !
Fabien
Ce qui est a déjà été, et ce qui sera a déjà été…
La chronologie, ce que j’en dit..
Bruno
Oui. Bon. Bref. Hum…
Donc, pour notre enquête, on n’est pas plus avancés.
Vincent (qui revenait avec les consommations)
Votre enquête ? Quelle enquête ? Vous cherchez le type qui vole tous ces sacs ?
Claude
Vous savez quelque chose ?
Vincent
En tout cas, je sais que ce n’est pas Juan.
Alice
Qui ça ?
Vincent
Le jeune qui est passé tout à l’heure. Celui (le décrit précisément). Il travaille à la brocante,
sur la place.
Bruno
Et vous êtes sûr de ça ?
Vincent
Vous pouvez aller vérifier vous-même.
Et puis, demandez à sa mère !
Claude
Sa mère !
Vincent
La vieille, là !
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Les trois flics s’approchent de la mendiante.
Sophie
S’il vous plaît !
Alice
Qu’est-ce que vous voulez, avec vos « s’il vous plaît » ?
Sophie
Juste que quelqu’un m’aide à me lever. Je n’y arrive plus toute seule. (ils le font)
Bruno
Mais, votre fils…
Sophie
Juan, un brave petit.
Au revoir Messieurs-dames.
(elle s’en va par la salle, avant qu’ils n’aient vraiment réalisés. Ils en restent un peu ébahis)
Claude
Ben… Je crois qu’il faudra reprendre cette enquête à zéro.
Bruno
Exactement, on verra ça demain. Un temps pour tout.
Alice
Et chaque chose en son temps.
Générique
25
JEUDI
Paul Adamsberg
Julie Lonneur
René Mamadiou
Robert Lacloche
Alex
flic
fliquette
chef de poste
clodo philosophe
jeune un peu décalé
Claude
Alice
Bruno
Bernard
Hugo
Psy en visite
de l’animation générale
Marion
La scène est partagée en deux : d’un côté, une salle d’interrogatoire (une table, deux chaises)
de l’autre côté, viendront les commentateurs. Entre les deux, on dit qu’il y a une glace sans
tain (ou glasse sans thym).
Entrée de Bruno, Claude et la psy en visite qui s’installent à droite.
Puis d’Alice qui attache Hugo sur une des chaises de la salle d’interrogatoire.
Alice
Ben, mon gars, t’es mal parti.
Hugo
Je suis pas parti. Je suis attaché.
Alice
On t’a pris sur le fait.
Hugo
J’étais pas sur le toit.
Alice
Pardon ?
Hugo
Rien, rien.
Alice
On t’a même pris la main dans le sac, si j’ose dire.
Hugo
Pas du tout. Cette dame allait perdre son sac, je le lui ai rattrapé.
Alice
C’est pour ça qu’elle a crié au voleur !?
Hugo
Je ne suis pas responsable de ce que crient les gens.
Elle m’a percé les tympans d’ailleurs. Peut-être que je devrais porter plainte.
Alice
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Te fatigue pas. On sait que c’est toi, tous ces vols de sacs à main.
Hugo
Si tu crois que tu m’impressionnes…
Alice
T’as pas avantage à me tutoyer.
Hugo
Tu me tutoies, je te tutoie. D’ailleurs, t’es pas bien vieille.
Alice
Ça n’a rien à voir.
Bruno
Elle se débrouille, la petite !
Claude
Mouais…
Marion
Écoutez, je trouve qu’elle a une capacité d’écoute impressionnante. Allez-y, continuez comme
ça…
Alice
D’ailleurs, on a d’autres plaintes contre vous.
Hugo
Si vous le dites.
Alice
Vous jouez de la guitare à trois heures du matin.
Hugo
Ben quoi, on fait un peu la fête, normal, non ? C’est pas méchant.
Alice
Vos voisins…
Hugo
Ah, le vieux chnoque d’à côté.
C’est un conflit des générations ambulant, ce type.
Alice
Vous n’êtes pas mal non plus, dans le genre.
Bruno
On piétine, là.
Marion
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Au contraire, il y a une dynamique entre les deux personnes, c’est rare, un échange riche,
fort…
Claude
J’y vais.
(Il passe de l’autre côté.)
Alors, garçon, réjouis-toi dans ta jeunesse, que ton cœur soit heureux aux jours de ton
adolescence, marche selon les voies de ton cœur et selon la vision de tes yeux. Mais sache
que, pour tout cela, Dieu te fera comparaître en jugement.
Hugo
Qu’est-ce qu’y cause, le vioque, là ?
Claude
Eloigne de ton cœur l’affliction, écarte de ta chair le mal, car la jeunesse et l’aurore de la vie
sont vanité.
Hugo
T’essaies de me faire peur, là, ou quoi ?
Claude
Et souviens-toi de ton Créateur aux jours de ton adolescence – avant que ne viennent les
mauvais jours et que n’arrivent les années dont tu diras : « Je n’y ai aucun plaisir ».
Hugo
Eh, je suis innocent, moi.
Essaie pas de me raconter que je vais en prendre pour des années !
Alice (à Claude)
Je crois que je vais continuer…
Claude
OK, OK, ce que j’en disais… (il repasse de l’autre côté)
Bruno
Mais qu’est-ce qui vous a pris, Paul ? Qu’est-ce que c’est que ce charabia ?
Claude
Bof, j’ai juste essayé un truc.
Bruno
Un truc ?
Claude
Un truc à Lacloche.
Bruno
René Lacloche ?
Claude
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Oui, il appelle ça la méthode Qohélet.
Bruno
La méthode Coué ?
Claude
Non Qohélet. Mais laisser tomber, chef. C’est pas grave.
Marion
Il ne faut pas laisser tomber, au contraire. La méthode Coué est géniale. M. Coué était un
disciple de Freud. Il a inventé la méthode « tout va bien »…
Bernard entre et vient se mettre avec les deux qui regardent – et ne font pas attention à lui. Il
a plusieurs sacs à main en bandoulière.
Alice
Reprenons. Qu’est-ce que tu faisais avec le sac de Mme Michu à la main quand on t’a arrêté.
Hugo
Je vous ai dit. Je voulais lui rendre service.
J’étais juste au mauvais moment au mauvais endroit.
Alice
On va faire une perquisition chez toi.
Hugo
Vous ne trouverez rien.
Alice
Je m’en doute bien. Les sacs, tu les jettes à la poubelle dès que tu as pris le fric, non ?
Hugo
Même si tu me tutoies, tu me feras rien avouer, vu que j’ai rien à avouer.
Bruno
On y arrive !
Marion
Vous avez raison, on sent un rapprochement entre les deux personnes. C’est un moment
d’échange intense…
Claude
Du vent, c’est du vent, tout ça.
Bernard
Qui observe le vent ne sème pas. Qui regarde les nuages ne moissonne pas.
Bruno
Moissonner quoi ?
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Bernard
Moi à son âge…
Claude
Moissonnage, pourquoi parlez-vous de moissonnage ? D’abord on dit « moisson », pas
moissonnage.
Bernard
Non, je disais « moi virgule à son âge »…
Bruno
On s’en fiche, de ce que vous faisiez à son âge, Monsieur Lacloche, virgule ou pas. Chchcht.
Marion
Mais non, on ne s’en fiche pas du tout. Il faut qu’on parle de votre enfance, de votre relation
avec votre mère…
Alice
Pourtant, t’as la vie devant toi, mon gars.
Hugo
C’est toi qui le dis !
Alice
Tu risque d’en passer un bon bout à l’ombre si tu insistes avec les conneries.
Bernard
Douce est la lumière. C’est un plaisir pour les yeux de voir le soleil.
Marion
Et à propos de soleil, on pourrait aussi parler de luminothérapie…
Bruno
Chchchcht !
Alice
Imagine : je te colle en tôle, et t’en ressors que quand t’es vieux, au moins trente balais, quoi.
Hugo
Quand on n’y voit plus que dalle…
Bernard
C’est ça. Quand s’assombrit le soleil et la lumière.
Alice
Quand tu n’auras plus de force ni d’énergie pour rien…
Hugo
Eh, là, faut pas exagérer !
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Bernard
Quand se courbent les hommes vigoureux et s’arrêtent celles qui meulent…
Claude
Bon, ça suffit avec la philosophie !
Bernard
Quand on a peur de la montée et des frayeurs en chemin alors que l’amandier est en fleurs et
que la sauterelle s’alourdit…
Bruno
Vous allez la fermez, oui ?! Je vais vous l’alourdir, moi, la sauterelle.
Marion
???
Alice
Ce qui est sûr, c’est qu’on t’a coincé !
Hugo
Ça, c’est juste parce qu’il faisait beau !
Alice
Pardon ?
Hugo
Ben ouais. Vous, les flics, vous sortez que quand il fait beau.
J’aurais dû me méfier…
Bernard
Si les nuages se remplissent, ils déversent la pluie sur la terre…
Hugo
Faut oser dans la vie ! Faut se réjouir des beaux jours. Y’en a assez de pourris !
Alice
Mais c’est le monde à l’envers ! Vous voulez m’apprendre mon métier, peut-être ?
Hugo
Me permettrais pas.
Quand même… tout est vanité ! Tout est illusion ! Tout est vacuité !
Bernard
Mais…
Claude (passe de l’autre côté)
C’est intéressant, ce que tu dis, mon petit gars… Qui c’est qui t’a appris tout ça ?
Hugo
Que dalle ! C’est juste une philosophie de vie.
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Claude
Ça, c’est du Lacloche.
Bernard amorce une retraite en douce.
Hugo
C’est pas une cloche. C’est juste un vieux chnoque moins con que les autres.
Claude
Une petite association, peut-être.
Bruno attrape Bernard par le col juste avant qu’il ne file, et l’emmène de l’autre côté.
Hugo
Salut, Pépé !
Bernard
Salut, gamin.
Bruno
M. Lacloche, vous pouvez m’expliquer ce que c’est que tous ces sacs ?
Bernard
Bien sûr, c’est de la récup’. Z’était dans la poubelle, au parc. Sont tous vides.
Claude
Au parc ? Près de l’étang aux canards ?
Bernard
C’est ça.
Hugo
C’est là qu’on s’est rencontrés. On cause. On nourrit les canards.
Alice
Comment ?!
Bernard
Lance ton pain à la surface des eaux. À la longue tu le retrouveras.
Alice
Beurk !
Hugo
Si tu bouffes le canard qui a bouffé ton pain…
Bruno
Vous savez très bien qu’il est interdit de capturer les canards du parc.
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Alice
Et qu’il est interdit de les nourrir aussi !
Hugo
Ben quoi, on partage ! Avec les personnes, avec les canards. C’est de l’anti-malheur, le
partage !
Marion
Mais oui, le partage, c’est la base de toute interraction, désintéressé…
Claude
Et vos histoires de canards, ça ne résout pas notre enquête sur les vols de sacs.
Hugo
Pourtant ça vole, un canard !
Générique
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VENDREDI
Paul Adamsberg
Julie Lonneur
René Mamadiou
Yamakasi
Yamakasi
Yamakasi
Yamakasi
Robert Lacloche
Alex
Madame de Hével
flic
fliquette
chef de poste
tous les quatre :
accent « djeun »
pantalons de jogging, casquettes,
baskets, t-shirts semblables, etc.
clodo philosophe
jeune un peu décalé
dame à chapeau
Claude
Alice
Bruno
Fabien
Noémie
Vincent
Claudine
Bernard
Hugo
Sophie
Le décor des deux premiers flashes.
Claude (au bar)
Fin de semaine… Pas trop tôt… J’espère que ce sera tranquille, ce matin.
Pas s’énerver avant le week-end.
Entrent (du fond) Bruno et Alice avec les quatre yamakasis un peu agités.
Bruno
On se calme, les alpinistes, là.
Claude
C’est quoi tout ça ?
Alice
Une bande de petits malins.
Bruno
Des yaku… yamaku…
Alice
Yamakasis, patron. Yamakasis. Ceux qui sautent partout et qui grimpent aux immeubles.
Claude
Ça grimpe aux meubles ?
Bruno
Non, aux immeubles.
Vincent
Ben oui, t’es tombé de la dernière pluie, mec ?
Fabien
Même qu’y a eu un film sur des gars comme nous.
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Alice
Bon, ce n’est pas de première fraîcheur. Il date de 2001, ce film.
Claude
Et alors, ils voulaient grimper où, ces loustics ?
Noémie
C’est pas qu’on voulait. C’est qu’on l’a fait.
Claudine
Vous nous avez piégés à la descente. Un peu simple.
Bruno
Simple ou pas, c’est interdit.
Claude
Sur quoi alors ?
Alice
Sur l’immeuble de la rue Neuve, au rond-point.
Claude
Pas mal tout de même. Il doit bien y avoir une douzaine d’étages.
Vincent
C’est rien, mec. Ridicule votre petite tour à douze étages.
D’habitude, on monte sur bien plus haut que ça.
Claudine
Du genre la tour Montparnasse.
Alice
C’est ça. Et l’Empire State Building, pendant que vous y êtes !
Noémie
Ouais, quand on aura la thune pour le voyage.
Bruno
Mais oui, bien sûr.
Et vous grimpez toujours à quatre ?
Fabien
Ben oui, c’est du travail d’équipe.
Claudine
En fait, on grimpe à deux. Un qui assure, un qui monte. Après c’est l’autre. Tu piges ?
Vincent
À deux, on est plus fort.
Alors à deux équipes de deux, c’est parfait.
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Noémie
Si on décroche, l’un relève l’autre.
Fabien
Oui, malheur à celui qui est seul. S’il tombe, il n’a pas de second pour le relever.
Vincent
D’ailleurs vous, les flics, vous patrouillez aussi par deux, non ?
Claude
C’est vrai, en principe en tout cas. Si quelqu’un vient à bout d’un flic tout seul, deux lui
tiendront tête.
Alice
Et vous avez du matériel spécial ?
Claudine
Juste du bon matériel d’escalade. De la corde triple…
Fabien
C’est vrai, ça, c’est du solide, un fil triple ne rompt pas vite.
Alice
Je croyais que les yamakasis, ils n’employaient pas de corde, justement. Qu’ils montaient à
mains nues.
Vincent
Ben nous, on emploie des cordes. Ça te pose un problème ?
Bruno
Bon, bon, bon. D’accord.
Mais pourquoi est-ce que vous faites ça. Juste pour faire peur à tout le monde ?
Vincent
Mais non, mec. C’est une sorte de philosophie.
Claude
Encore !
Vincent
T’as un problème avec la philosophie, toi ?
Claude
Non, non…
Fabien
Tu vois, mec. Dans la société, c’est pas juste. Les pauvres, on les méprise. La justice, elle a
deux vitesses.
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Noémie
Et si t’essaies de faire quelque chose, il y a toujours quelqu’un de haut placé pour te mettre les
bâtons dans les roues.
Claudine
Et si t’arrive à le convaincre, il aura encore quelqu’un par-dessus.
Vincent
C’est comme les paysans. Tout le monde râle contre eux, mais tout le monde bouffe ce qu’ils
produisent. Et les prix sont tellement bas, qu’eux, ils ne gagnent plus rien.
Fabien
Zéro profit. Juste le droit de regarder partir ce qu’ils ont cultivé.
Alice
Et alors ?
Fabien
Alors nous, on se sort de tout ça. On grimpe. On va plus haut. Au-dessus de tout ce foutoir.
Bruno
Philosophie, OK. Mais ça ne nourrit pas son homme !
Noémie
Ben non. On bosse aussi, comme tout le monde. Faut bien bouffer.
Claudine
Mais on n’est pas des gros qui bouffent sur le dos des petits, nous.
Vincent
On n’amasse rien. Et on dort sur nos deux oreilles.
Fabien
Vraiment, c’est le bonheur, mec, quand t’es tout là-haut et que la ville est à tes pieds.
Noémie
C’est la joie du truc accompli. Il faut être attentif à la joie de son cœur.
Bruno
La joie et, au passage, quelques fenêtres ouvertes… Quelques babioles chipées au passage…
Claudine
Ah non ! Jamais. On n’est pas du genre à piquer des souvenirs.
Vincent
Les souvenirs, mec, on se les goûte sous le soleil.
Alice
Et alors, qu’est-ce que vous lui vouliez à notre immeuble ?
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… silence
Alice
Vous avez tout avantage à vider votre sac.
Noémie
Mais on vous a dit qu’on piquait rien. Pas de sac.
Claude
Pas de sacs volés ?
Vincent
Non… Mais… Justement…
Bruno
Justement quoi ?
Claudine
C’est que… c’était un vœu.
Alice
Un vœu ? Comme quand on lance une pièce de monnaie dans une fontaine ?
Claude
Non. Une promesse. Si j’ai ça, je ferai ci.
Fabien
T’as tout juste, mec.
Noémie
Je sais, c’est pas terrible de marchander comme ça. On devrait pas.
Alice
Mais… ?
Noémie
En fait, c’est parce que ma grand’mère, elle habite cet immeuble.
Claude
Un coup d’épate à la grand’mère !?
Noémie
Non. Ce n’est pas ça.
Ma grand’mère, elle s’est fait chourer son sac à main.
Claude (soupir)
Encore ces sacs à main !
Noémie
Elle avait tout dans son sac. Tous ses papiers. Toutes ses petites affaires. La seule bonne
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photo de mon grand-père…
Alice
Très émouvant. Et alors ?
Noémie
Ça l’a rendue malade. Elle a dû aller à l’hôpital.
Alice
Et ?
Noémie
Moi j’ai dit : si elle retrouve son sac, on grimpe sur son immeuble et on fait la fête là-haut.
Claude
Et vous avez retrouvé son sac ???
Noémie
Oui… Non… Enfin… Hier, son sac était sur sa table de nuit, à l’hostio.
Claude
Comme ça !?
Noémie
Ben oui. Comme ça.
Vincent
Nous, on pense que celui qui lui a chouré la connaissait.
Quand il a su qu’elle en était malade, il a eu du remord.
Bruno
Plausible.
Alice
Et comment vous avez fait la fête, sur l’immeuble ? Qu’est-ce que vous avez cassé ?
Vincent
La croûte. On a juste cassé la croûte. Manger avec les copains, boire un coup, c’est que du
bonheur là-haut !
Claudine
On a chanté, on a dansé. Sous le soleil levant.
Fabien
Du coup, quand on est descendus, on n’a pas trop réfléchi, et vous nous avez cueillis.
Bruno
Donc c’est bien ce que je soupçonne depuis le début.
Le voleur de sac, c’est quelqu’un du quartier.
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Alice
S’il se met à rendre les sacs au lieu de les mettre à la poubelle…
Claude
Et les empreintes ne donnent rien. Ce sont toujours les mêmes sur les sacs qu’on a retrouvés,
mais elles ne sont pas au fichier…
Entrent (par la salle) Bernard et Hugo avec une dame à chapeau. En pleurs.
Sophie
Mein Gott, oh mein Gott, mais que vont penser les gens ?
Hugo
Ça, il fallait y songer avant.
Sophie
Mais je n’y peux rien, c’est plus fort que moi !
Hugo
Faut vous faire soigner.
Sophie
Moi, Madame de Hével, me faire soigner !?
Quelle honte ! Quelle honte !
Bernard
Calmez-vous, ma chère. Quand vous aurez tout avoué, ça ira tout de suite mieux.
Sophie
Vous croyez vraiment ? Attendez, il faut que je me mouche. De quoi aurais-je l’air ?
Bernard
Vanité des vanités…
Ils arrivent sur scène.
Bernard
On a déniché votre canard voleur.
Hugo
Vilain petit canard…
Alice
Mais…
Hugo
Nous, on a pensé à surveiller la poubelle vers l’étang…
Bruno
Oui… hum… on y avait pensé aussi. Evidemment. Mais le manque d’effectifs…
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Noémie
Madame de Hével. La meilleure amie de ma grand-mère.
Sophie
Oui, mein Schatz. Je suis tellement désolée. C’est pour ça que je me suis laissé prendre.
Hugo
C’est vrai qu’on s’est dit qu’elle le faisait exprès, de mettre des sacs à la poubelle quand on
était là…
Sophie
Voilà. C’est moi. C’est plus fort que moi.
J’ai une si jolie collection de cartes de crédits…
Mais je vais tout rendre, tout rembourser !
Alice
Cela ne vous empêchera pas de passer devant la justice.
Sophie
Mein Gott, oh mein Gott !
Et je ne peux pas dire que c’est une méprise !
Bruno
Madame de Hével, au nom de la loi, je vous arrête !
Sophie
Ah ! (elle s’évanouit et tombe)
Vincent
Alors ça, c’est une chute !
Tous
Chchchchut !
Générique
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