Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2 207
Le terme de « ressources génétiques » était au cœur de la Convention sur
la Diversité Biologique adoptée à Rio en 1992. Celle-ci se donnait en effet
d’entrée de jeu pour objectifs « la conservation de la diversité biologique,
l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages
découlant de l’exploitation des ressources génétiques, notamment grâce à un
accès satisfaisant aux ressources génétiques et à un transfert approprié des
techniques pertinentes… » (CDB, 1992, Art. 1.). Il s’agissait donc de conserver
la biodiversité par la mise en marché équitable de ses éléments, les « ressources
génétiques ». Mais comment ce concept de « ressources génétiques » fut-
il forgé ? Quels savoirs, imaginaires et formes de gestion du vivant y étaient
associés ? Comment un phénomène de recul de la biodiversité cultivée, guère
immédiatement tangible par tous, a-t-il pu être rendu visible, discutable et
mesurable ? Quelles alertes parvinrent à le porter dans les arènes internationales
et à le constituer comme un problème environnemental mondial ? Quelle fut
sa place à différentes périodes dans la topologie très dynamique des problèmes
environnementaux planétaires ?
Depuis 1992 cependant, la question des « ressources génétiques » fait l’objet
d’un réétiquetage sous le vocable de « biodiversité cultivée » et leur valeur est
réappréciée au prisme de la notion de « services écosystémiques ». Comment
rendre compte de l’absorption des « ressources génétiques » dans ces nouveaux
cadrages discursifs dominants dans les arènes internationales ? Comment
interfèrent les stratégies, les intérêts, les savoirs et les représentations dans
cette ascension puis ce refl ux ? Comment à différentes périodes la question
des ressources génétiques est-elle articulée, par certains acteurs et certaines
constructions narratives, à d’autres problèmes environnementaux globaux ?
Et comment, tout au long de la carrière de la perte de diversité génétique
des espèces cultivées comme problème public mondial, se sont négociées
les frontières et les articulations entre agriculture et environnement, entre
« primitif » et moderne, entre ex-situ et in-situ, entre nature et culture ?
Nous disposons de plusieurs travaux historiques ou sociologiques relatifs
à l’évolution de la gouvernance internationale des ressources génétiques des
plantes cultivées, éclairant notamment la prise en charge de leur conservation
(Pistorius, 1997), la place de celle-ci dans une succession de régimes agro-
alimentaires (« agro-food regimes ») qui articulent des façons de connaître,
des pratiques de manipulation du vivant, des modes de production et des
modèles de régulation (Pistorius et Wijk, 1999 ; Bonneuil et Thomas, 2009).
La montée d’un gouvernement de la biodiversité par la marchandisation des
ressources biologiques (Boisvert et Vivien, 2005 ; Thomas, 2006) ou encore les
mobilisations et les confl its politiques et culturels qui se nouent autour de la
biodiversité (Escobar, 1998 ; Ollitrault, 2004 ; Foyer 2010) sont également bien
connues. Notre perspective est ici différente et complémentaire. Il s’agit, en
mobilisant l’histoire culturelle des sciences de tracer la notion de « ressources
génétiques » jusqu’aux généticiens soviétiques des années 1920 autour de
Nicolaï Vavilov, et l’ensemble de représentations du vivant, de l’agriculture
Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_geneve - - 129.194.8.73 - 11/09/2012 18h44. © S.A.C.
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