des ressources génétiques à la biodiversité cultivée

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DES RESSOURCES GÉNÉTIQUES À LA BIODIVERSITÉ CULTIVÉE
La carrière d'un problème public mondial
Christophe Bonneuil et Marianna Fenzi
S.A.C. | Revue d'anthropologie des connaissances
2011/2 - Vol. 5, n° 2
pages 206 à 233
ISSN 1760-5393
Article disponible en ligne à l'adresse:
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2011-2-page-206.htm
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Bonneuil Christophe et Fenzi Marianna, « Des ressources génétiques à la biodiversité cultivée » La carrière d'un
problème public mondial,
Revue d'anthropologie des connaissances, 2011/2 Vol. 5, n° 2, p. 206-233. DOI : 10.3917/rac.013.0206
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RESSOURCES BIOLOGIQUES
DES RESSOURCES
GÉNÉTIQUES À LA
BIODIVERSITÉ CULTIVÉE
La carrière d’un problème public
mondial
CHRISTOPHE BONNEUIL
MARIANNA FENZI
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Le terme de « ressources génétiques » était au cœur de la
Convention sur la Diversité Biologique adoptée à Rio en 1992.
Mais comment ce concept de « ressources génétiques » fut-il
forgé ? Quels savoirs, imaginaires et formes de gestion du vivant y
étaient associés ? Quelle fut sa place à différentes périodes dans la
topologie très dynamique des problèmes environnementaux planétaires ? Depuis 1992, la question des « ressources génétiques » fait
l’objet au contraire d’un réétiquetage sous le vocable de « biodiversité cultivée » et leur valeur est réappréciée au prisme de la
notion de « services écosystémiques ». Comment rendre compte
de l’absorption des « ressources génétiques » dans ces nouveaux
cadrages discursifs dominants dans les arènes internationales ?
À la croisée d’une histoire culturelle des sciences, sensible à la
coproduction des savoirs et des imaginaires, et d’une sociologie
des problèmes publics, attentive à la dynamique des problèmes
environnementaux dans une mosaïque d’arènes et au travail des
acteurs pour rendre saillant et traitable un problème à travers
des cadres cognitifs et normatifs particuliers, nous analysons ici
la carrière des ressources génétiques agricoles végétales comme
problème public mondial du milieu du XXe siècle à aujourd’hui.
Mots clés : biodiversité, ressources génétiques, services écosystémiques, dynamique des problèmes publics
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RÉSUMÉ
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Depuis 1992 cependant, la question des « ressources génétiques » fait l’objet
d’un réétiquetage sous le vocable de « biodiversité cultivée » et leur valeur est
réappréciée au prisme de la notion de « services écosystémiques ». Comment
rendre compte de l’absorption des « ressources génétiques » dans ces nouveaux
cadrages discursifs dominants dans les arènes internationales ? Comment
interfèrent les stratégies, les intérêts, les savoirs et les représentations dans
cette ascension puis ce reflux ? Comment à différentes périodes la question
des ressources génétiques est-elle articulée, par certains acteurs et certaines
constructions narratives, à d’autres problèmes environnementaux globaux ?
Et comment, tout au long de la carrière de la perte de diversité génétique
des espèces cultivées comme problème public mondial, se sont négociées
les frontières et les articulations entre agriculture et environnement, entre
« primitif » et moderne, entre ex-situ et in-situ, entre nature et culture ?
Nous disposons de plusieurs travaux historiques ou sociologiques relatifs
à l’évolution de la gouvernance internationale des ressources génétiques des
plantes cultivées, éclairant notamment la prise en charge de leur conservation
(Pistorius, 1997), la place de celle-ci dans une succession de régimes agroalimentaires (« agro-food regimes ») qui articulent des façons de connaître,
des pratiques de manipulation du vivant, des modes de production et des
modèles de régulation (Pistorius et Wijk, 1999 ; Bonneuil et Thomas, 2009).
La montée d’un gouvernement de la biodiversité par la marchandisation des
ressources biologiques (Boisvert et Vivien, 2005 ; Thomas, 2006) ou encore les
mobilisations et les conflits politiques et culturels qui se nouent autour de la
biodiversité (Escobar, 1998 ; Ollitrault, 2004 ; Foyer 2010) sont également bien
connues. Notre perspective est ici différente et complémentaire. Il s’agit, en
mobilisant l’histoire culturelle des sciences de tracer la notion de « ressources
génétiques » jusqu’aux généticiens soviétiques des années 1920 autour de
Nicolaï Vavilov, et l’ensemble de représentations du vivant, de l’agriculture
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Le terme de « ressources génétiques » était au cœur de la Convention sur
la Diversité Biologique adoptée à Rio en 1992. Celle-ci se donnait en effet
d’entrée de jeu pour objectifs « la conservation de la diversité biologique,
l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages
découlant de l’exploitation des ressources génétiques, notamment grâce à un
accès satisfaisant aux ressources génétiques et à un transfert approprié des
techniques pertinentes… » (CDB, 1992, Art. 1.). Il s’agissait donc de conserver
la biodiversité par la mise en marché équitable de ses éléments, les « ressources
génétiques ». Mais comment ce concept de « ressources génétiques » futil forgé ? Quels savoirs, imaginaires et formes de gestion du vivant y étaient
associés ? Comment un phénomène de recul de la biodiversité cultivée, guère
immédiatement tangible par tous, a-t-il pu être rendu visible, discutable et
mesurable ? Quelles alertes parvinrent à le porter dans les arènes internationales
et à le constituer comme un problème environnemental mondial ? Quelle fut
sa place à différentes périodes dans la topologie très dynamique des problèmes
environnementaux planétaires ?
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Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
et de la société que ce concept incorpore et transportera longtemps avec lui
avant que ne s’affirment d’autres représentations portées par d’autres cultures
épistémiques dans d’autres arènes. Il s’agit aussi, dans le sillage de la sociologie
des problèmes publics, de souligner l’importance des cadres cognitifs dans
l’action publique, non seulement dans les mécanismes qui mettent en place les
solutions aux problèmes mais aussi au sein du système d’acteurs qui participe
à une sélection progressive d’informations et de représentations de la réalité
(Muller, 2000 ; Hajer, 1995). À la croisée d’une histoire culturelle des sciences,
sensible à la coproduction des savoirs et des imaginaires, et d’une sociologie des
problèmes publics, attentive à la dynamique des problèmes environementaux
dans une mosaïque d’arènes et au travail des acteurs pour rendre saillant et
traitable un problème à travers des cadres cognitifs et normatifs particuliers,
nous analysons ici la carrière des ressources génétiques agricoles végétales
comme problème public mondial du milieu au XXe siècle à aujourd’hui.
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1.1. Un concept issu du modernisme génétique du milieu du
XXe siècle
La notion de « ressources génétiques » associe une représentation de la nature
comme ressource et l’idée que la diversité du vivant se jouerait essentiellement
au niveau du gène. Cette vision ressourciste de la nature a pu être analysée
comme l’essence même du projet de la science moderne (Heidegger, 1954).
Sans remonter aussi loin ni discuter cette thèse dans sa généralité, on retrouve
cette mise en avant de la diversité du vivant comme ressource chez bien des
naturalistes depuis Linné (Bonneuil, 2009). Ainsi le directeur du Muséum
d’Histoire Naturelle conçoit-il en 1893 les colonies comme des réserves à
inventorier et mettre en valeur :
« Les habitants du vieux monde ont les yeux fixés sur ces régions vierges
où la nature est si riche et dont les ressources restent cependant sans
emploi (…) il faut augmenter le patrimoine des générations qui nous
succéderont, en travaillant à l’exploitation des ressources des territoires
récemment acquis à la France et où dorment les réserves de l’avenir (…).
Il s’agit maintenant de tirer parti de ces possessions nouvelles et, pour
cela, il faut savoir ce qu’elles produisent, par quelles races d’hommes
elles sont habitées, quelle est leur faune, quelle est leur flore » (MilneEdwards, 1893, 8).
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1. L’INVENTION DES « RESSOURCES
GÉNÉTIQUES » ET DE SES ARÈNES
INTERNATIONALES (1920- ANNÉES 1960)
Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
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Dans l’esprit des naturalistes qui monopolisent alors l’expertise d’inventaire
et de mobilisation de la diversité du vivant et de mobilisation des espèces
(transferts planétaires de plantes via les jardins botaniques), c’est l’espèce qui
est l’unité de compte de la richesse, de la diversité biologique. Dirigeant de
vastes collections qu’ils décrivent comme des trésors, ils relient la richesse des
espaces naturels à leur abondance en nouvelles espèces potentiellement utiles.
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C’est dans ce contexte que naît la notion de ressources génétiques mise
en avant par Nicolai Vavilov et ses collègues. Formé par Bateson, Vavilov
appartient à la brillante génération de généticiens (Philipchenko, Serebrovsky,
Timoféef-Ressowsky, Dobzhansky…) qui dominèrent la biologie soviétique
dans les années 1920, avant l’ascension du lyssenkisme, et contribuèrent à la
théorie synthétique de l’évolution comme une mathématique de la répartition
des allèles dans des populations (Adams, 1979). Plusieurs d’entre eux étaient
engagés dans le projet d’une modernisation génétique de l’Union soviétique qui
comprenait un projet eugéniste mais aussi l’envoi de centaines de prospections
génétiques dans les Républiques de la périphérie soviétique et dans le monde
entier, pour rapporter du germoplasme des races animales et variétés végétales
de la planète et moderniser l’agriculture nationale. En 1940, la collection de
l’institut de Vavilov à Leningrad ne comprend pas moins de 250.000 accessions,
dont 30.000 pour le blé. De cette vaste entreprise impériale et de son bagage
mendélien, Vavilov dériva une pensée géographique des gènes, leur répartition
et leur diversité et inventa le concept de « centres d’origine », zones de
domestication d’une plante, plus riche en diversité (Vavilov, 1926). Outre les
apports archéologiques et évolutionnistes, de ces vastes prospections dans les
régions les plus riches en gènes, s’inscrivaient dans la quête moderniste de la
plante améliorée, l’animal optimal et l’homme nouveau (Flitner, 2003) :
« Nous cherchons à maîtriser le processus historique (...) à trouver
les éléments de base, les “briques et le ciment” à partir desquels les
espèces et variétés modernes sont constituées. Nous avons besoin de
cette connaissance pour posséder le matériau initial de l’amélioration
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C’est cette vision ressourciste ancienne que la génétique moderne réinvestit
en déplaçant la focale de l’espèce vers le gène. Darwin avait relativisé la
pertinence ontologique de l’espèce tandis que les sélectionneurs de la fin du
XIXe et du début du XXe siècle avaient exploré et mobilisé la diversité variétale.
La lecture particulaire de l’hérédité (plutôt que continuiste) qui culmine avec la
« redécouverte » des lois de Mendel en 1900 fait du gène (où plutôt de l’allèle)
l’unité fondamentale du vivant : unité de transmission, de mutation, de sélection
(théorie synthétique de l’évolution) et d’« amélioration » du vivant. Ainsi, le
mendélien britannique William Bateson affirme-t-il en 1902 que « l’organisme
est une collection de traits. Nous pouvons retirer le caractère jaune et brancher
[plug in] le vert, retirer la hauteur et brancher le nanisme » (cité par Allen,
2003, 67). Le concept de gène dans la génétique classique s’apparente à la pièce
standardisée d’un agencement industriel modulable, la « machine végétale »
(Thurtle, 2007 ; Bonneuil, 2008).
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des plantes et des animaux. Nous étudions la constitution des formes
agricoles primitives afin d’en tirer les indications pour la construction de
la machinerie moderne » (Vavilov, 19311).
« L’ensemble des potentialités variétales initiales du monde, les vastes
ressources des espèces sauvages, notamment sous les tropiques,
restent intouchées par les investigations (…). Une maîtrise effective des
processus d’évolution (…) ne pourra être réalisée qu’à travers les efforts
conjugués d’une collaboration internationale forte et par la levée des
barrières empêchant la recherche ces régions les plus remarquables du
monde » (Vavilov, 1932, p. 331 et 342).
Des briques héritées du lointain passé mais encore mal connues et situées
dans les périphéries géopolitiques, à extraire et travailler par la science pour
transformer l’avenir. Sinon le terme, l’idée de ressource génétique comme
matériau élémentaire primitif global à mobiliser pour l’entreprise rationnelle
d’amélioration génétique est là. Au même moment, le généticien animal et
collègue de Vavilov propose le terme de « genofund » (pool génétique, qui allait
devenir un concept clé de la théorie synthétique) en développant la métaphore
minière :
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Comme l’ont notamment montré Bruno Latour et Madeleine Akrich,
innover, rechercher, c’est à la fois produire des savoirs, des artéfacts techniques,
des représentants (faisant taire des représentés), des programmes d’action
collective et des visions du monde (Latour, 1989). C’est un script, « un processus
de spécification conjointe des techniques et de leur environnement (…). En d’autres
termes, l’innovation construit un programme d’action dans la réalisation duquel un
certain nombre d’entités sont mobilisées, répartit les compétences entre ces diverses
entités, ménage des articulations entre elles et constitue un canevas d’interprétation
du réel dans la mesure où les partages précédents installent un certain nombre de
relations de causes à effets » (Akrich, 1993, 65). Résumons alors les ontologies,
les compétences et les rôles attribués aux divers humains et non-humains dans
le concept de « ressources génétiques » qui émerge alors (colonne gauche du
tableau 1) :
- La plante est une « machinerie » à optimiser en vue d’une ambitieuse
modernisation de l’agriculture nationale (à l’ordre du jour au milieu
du XXe siècle, siècle des efforts staliniens aux révolutions vertes
d’après-guerre).
- Les gènes sont les unités de commandement des performances de
1
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« Si l’on veut conserver à long terme les réserves de nombreux gènes
présents en un lieu donné, il faut concevoir ce stock comme une sorte
de ressource naturelle similaire aux réserves de pétrole, de gaz ou de
charbon par exemple » (Serebrovsky,1928, cité par Adams, 1979).
Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
la machine végétale. Sur le modèle des gisements de ressources
minérales, la diversité génétique est vue comme un stock statique,
héritage relictuel du passé.
Les généticiens et sélectionneurs sont les ingénieurs de cette
machinerie. C’est à eux qu’il revient de transformer la matière
« primitive » des centres d’origine en variétés améliorées dans
les centres d’innovation, laboratoires de l’avenir. Pour ce faire, il
convient de financer toute une palette de savoirs et techniques
de collecte, de conservation (en « banques » ex situ, éloignées
des centres d’origine qui manquent de l’expertise et des moyens
nécessaires), et de recombinaison (croisement contrôlé).
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Si, dans le passé, les communautés paysannes ont joué un rôle par la
domestication (Vavilov, 1932, 339), elles ne sont plus considérées
comme des productrices de diversité. Ainsi, dans un article fondateur
du modèle variétale et semencier d’après-guerre, Jean Bustarret, le
futur directeur de l’Inra considère-t-il en 1944 les varietés de pays
comme « des écotypes, issus de populations à l’intérieur desquelles a
joué, pendant de très nombreuses générations successives cultivées
dans le même milieu, la sélection naturelle », occultant la dimension
anthropique et bioculturelle de la diversité cultivée (Bustarret,
1944, 346). Des sociétés paysannes se représentant – à des degrés
divers (Haudricourt, 1962) – comme copilotes du vivant se voient
attribuer une identité de simples usagers des innovations.
-
Une fois les paysages génétiques ainsi purifiés de tout attachement
culturel et de toute évolutivité, les généticiens et sélectionneurs
apparaissent comme les maîtres des circulations, les gardiens des
frontières entre formes vivantes. Les passages de gènes d’une
espèce ou d’une variété à l’autre ne sont pas conçus comme des
flux à l’œuvre in situ et à chaque instant dans une nature-culture en
réseau pilotée par les sociétés paysannes (les agro-écosystèmes) ;
ils ne semblent pouvoir advenir que par le geste scientifique (le
croisement mendélien, la cytogénétique – qui, dès les années 1930,
permet de transférer des gènes entre espèces différentes –, puis
plus tard le génie génétique).
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Paradigme « moderniste »
dominant :
« ressources génétiques »
Paradigme
« connexionniste »
émergeant :
« biodiversité cultivée »
Conception
des
ressources
génétiques
La diversité génétique comme
stock : « La biodiversité
constitue une réserve de
gènes, dont l’intérêt peut
être alimentaire, textile,
agronomique, pharmaceutique
ou industriel : on les appelle les
“ressources génétiques”* ».
Le vivant vu selon la cité
industrielle : un vivant fordiste
composé d’unités meccano
dont l’accès et l’assemblage
sont limités aux professionnels.
La diversité génétique comme
flux et comme réseau.
Projection d’une cité
connexionniste par projet, un
vivant-réseau, évolutionniste,
fait de flux qui traversent les
anthropo-éco-agrosystèmes.
Dispositif clé
La collection statique ex situ
(banques de graines, banques
de gènes, BAC…).
La connectivité dynamique
(gestion participative en réseau
à la ferme, mais aussi en
laboratoire : transgenèse qui
efface les barrières d’espèce,
tilling et sélection assistée par
marqueurs).
Statut
international
Patrimoine commun de
l’humanité :
Les RG sont constituées en
bien public sur la base d’une
mutualisation essentielle à
la logique incrémentale de
l’innovation variétale.
Ce statut occulte la réalité des
écarts technologiques entre
le Nord et le Sud et donc
de l’inégal accès aux RG et
valorisation des RG. Il écarte
aussi les agriculteurs de la
gestion des RG.
Régime juridique complexe :
- Souveraineté nationale
reconnue (CDB)
- Appropriation par brevet
affirmée (accord ADPIC de
l’OMC ; avec effets indirects
d’incitation à la codification des
savoirs locaux sous la menace
du brevetage)
- Valorisation par des
appellations collectives (AOC,
IGP…)
- Réseaux d’échange de pair
à pair constituant des biens
communs locaux.
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Conservation/
Utilisation
Séparation entre conservation
et utilisation de la diversité ;
existence d’acteurs
professionnels spécialisés de la
conservation.
Effacement de la division
fonctionnelle entre
conservation et utilisation de la
diversité :
- gestion dynamique (qui peut
non seulement conserver mais
aussi accroître la diversité in
situ)
- conservation participative
associant amateurs et
agriculteurs.
Liens entre
innovation et
flux de gènes
opérant dans
les agroécosystèmes
Coupure entre espèces
sauvages et « variétés
modernes ».
Les variétés cultivées vues
comme un compartiment
séparé du compartiment
sauvage (seuls des spécialistes,
les cytogénéticiens, assurent les
passages) et du compartiment
« traditionnel » des variétés de
pays (seuls des sélectionneurs
spécialistes assurent les
passages).
Les variétés population de pays
vues comme produits de « la
sélection naturelle » : réserve
issue du passé.
Négation du travail anthropique
paysan d’élaboration de la
diversité des variétés.
Les « sauvages » sortent de
leur « réserve ».
Reconnaissance de
l’importance des flux de gènes
entre compartiment sauvage et
compartiment cultivé.
Reconnaissance de
l’importance des flux et
brassages à grande échelle in
situ (y compris entre variétés
« modernes » et de pays) dans
le maintien de la diversité
génétique cultivée.
Les variétés population de
pays vues comme produits de
l’intelligence collective humaine
(retour des paysans), et
formules variétales porteuses
d’un maintien du potentiel
évolutif.
Objectif de
l’amélioration
des plantes
Variétés prédictibles et
efficaces.
Aussi préserver les
potentialités d’évolution des
espèces cultivées dans un
environnement changeant.
Acteurs de la
gestion des
RG
État et profession semencière
(gestion sectorielle).
Nouveaux acteurs : les
associations, les parcs naturels,
les amateurs, les paysans… (le
dossier sort du seul secteur
agricole).
* http://www.semencemag.fr/biodiversite-ressources-genetiques.html (consulté le 4 avril 2007).
Tableau 1. Des « ressources génétiques » à la biodiversité cultivée : un basculement
dans les représentations et la gouvernance du vivant
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Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
Chacun à sa place et la biodiversité agricole sera bien gardée ! On retrouve
dans ce script la marque du modèle fordiste et tayloriste et du grand partage
moderniste entre primitif et moderne, entre ressources et innovation, entre
paysans et savants, entre nature et culture, entre un monde vu comme
intrinsèquement statique et sa mobilisation par la technoscience. Ce paradigme
moderniste des « ressources génétiques », niant tout mouvement pertinent au
vivant cultivé, apparaît donc comme une déclinaison du « nihilisme cinétique »
de la modernité, radiographiée par le philosophe Peter Sloterdijk, à la suite
d’Heidegger, dans La Mobilisation infinie :
« Le pouvoir-agir des hommes occidentaux a pu faire une impression si
forte sur lui-même qu’il a trouvé le courage de proclamer l’organisation
du monde par sa seule action (…), supposition grandiose selon laquelle
on pourra bientôt faire évoluer le cours du monde [ici « gérer » la
biodiversité cultivée] de telle manière que seul se mouvra ce que
nous voudrons raisonnablement maintenir en marche par nos propres
activités [ici celles de conservation et d’innovation] (…) : la totalité du
monde doit devenir l’exécution du projet que nous avons pour lui. (…)
Le même nihilisme cinétique qui conçoit l’étant comme source d’énergie
[ici d’information génétique] et comme chantier, et comme rien d’autre »
(Sloterdijk, 2003, 22-23 et 58).
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1.2. L’ « érosion des ressources génétiques » : radiographie
d’une alerte (années 1930-années 1960)
La mise de l’environnement à l’agenda mondial dans les dernières décennies peut
être comprise, non comme un processus unifié, mais comme une dynamique
de « population de problèmes » (Hilgartner et Bosk, 1988 ; Charvolin, 2003)
plus délimités, ayant chacun leur écologie institutionnelle, leur carrière dans
l’espace public, se faisant concurrence ou synergie à l’agenda d’une mosaïque
d’arènes, faisant l’objet d’opérations de transformations, de regroupement
ou de dissociation par divers acteurs. Parmi cette multiplicité de problèmes
environnementaux, ceux qui parviennent à dominer l’agenda environnemental
global varient au cours du temps : « protection de la nature » et « conservation
des ressources » vers 1949, affirmation de la catégorie de « pollutions » à
Stokholm en 1972, puis tandem « climat » / « biodiversité » à Rio en 1992, etc.
(Mahrane et al., 2012). Dans ce paysage de problèmes candidats à la visibilité
planétaire, la question de la diversité génétique des plantes cultivées n’est guère
encore un problème saillant au sortir de la Seconde Guerre mondiale : ce sont
plutôt d’autres enjeux agricoles et environnementaux qui sont mis en avant
dans les arènes internationales et les organisations naissantes. La protection des
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C’est au sein de ce cadre particulier d’interprétation du monde et du vivant
que la question de la perte de diversité des plantes cultivées va émerger dans
les années 1960 comme problème public mondial.
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“The progenies of these fields with all their surviving variations constitute
the world’s priceless reservoir of germplasm. It has waited through long
centuries. Unfortunately, from the breeder’s standpoint, it is now being
imperiled. When new barleys replace those grown by the farmers of
Ethiopia or Tibet, the world will have lost something irreplaceable”
(Harlan & Martini, 1936, 317).
« … reconnaissant la grande importance que présente, pour la génération
actuelle et les générations futures, la préservation du pool de variabilité
génétique qui existe actuellement dans les principaux centres de gènes
du monde mais qui est maintenant menacée de destruction, soit par le
surpâturage et les pratiques irrationnelles qui s’y rattachent, soit par le
remplacement des races locales par des variétés améliorées, la réunion
recommande que la FAO… » (FAO, 1961, 21).
“Plant breeders, searching the world for ever more productive strains,
must have genetic pools to provide ‘building stones’. The plants of
primitive agriculture and related wild plants are this treasury, now
depleted by development” (Frankel, 1967, 538).
“The genetic resources of the plants by which we live are dwindling
rapidly and disastrously. As development proceeds in the less advanced
as in the more advanced areas of the world, the reserves of genetic
variation, stored in the primitive crop varieties which had been
cultivated over hundreds or thousands of years (…), have been or are
being displaced by high-producing and uniform cultivars, and by forest
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espèces et des habitats dit naturels suscite la création de l’IUCN en 1948 avec
l’appui de l’UNESCO ; l’érosion des sols et la gestion des forêts et des ressources
halieutiques selon un « rendement maximal soutenu » mobilisent la FAO ; l’idée,
avancée par les États-Unis, d’une gestion et conservation « rationnelle » des
« ressources naturelles du monde » fait l’objet d’une conférence des Nations
unies en 1949 (Linnér, 2003). Mais, malgré des alertes précoces comme celle de
Harry Harlan, l’homologue américain de Vavilov à la Division of Plant Exploration
and Introduction (Harlan et Martini, 1936), la question de la disparition d’une
partie des ressources génétiques par remplacement de variétés traditionnelles
par des variétés modernes, reste encore absente des arènes de la jeune
Organisation des Nations unies. Au sein du monde des généticiens et des
sélectionneurs, l’alerte peine à se faire entendre avant les années 1960 car l’heure
est plutôt à l’exaltation des pouvoirs et des promesses de la génétique. Ainsi,
une unique touche alarmiste, en fin d’une communication de Harlan, ne suffitelle pas à troubler l’optimisme du symposium sur les ressources génétiques de
l’Académie des sciences américaine en 1959 (Harlan, 1961, 19). Rendre tangible
et crédible une menace sur une question nouvelle comme la diversité agricole
ne va pas de soi. Cela requiert, de la part des lanceurs d’alerte, un travail qui
implique plusieurs opérations. Pour les saisir, considérons quelques mises en
garde précoces :
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Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
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La crédibilité d’une alerte requiert tout d’abord d’établir la factualité d’une
dégradation. Chez Harlan qui a constaté la disparition de variétés d’orge en
Éthiopie, la preuve est expérientielle. Ce sont longtemps des témoignages de
collecteurs ayant traversé plusieurs fois des régions agricoles foyers de diversité,
et rapportant une perte qui font preuve. Ce n’est que progressivement que
l’on entreprendra de quantifier les évolutions de la diversité génétique. Signe
de ce faible investissement de quantification dans les premières décennies, un
document aussi majeur que la World Conservation Strategy qui invente le terme
de « sustainable developpement », ne documente le recul global de la diversité
cultivée que par un graphe assez grossier, qui représente le recul du nombre de
variétés d’une seule espèce (le blé) en un seul pays (la Grèce) (IUCN-UNEPWWF, 1980, 24).
Pour justifier une action internationale, l’alerte suppose aussi de concevoir ce
qui se dégrade comme un bien commun précieux : ici, les matériaux de base
des sélectionneurs, bases du progrès agricole et donc de la sécurité alimentaire
mondiale. La métaphore du gisement, du réservoir, du stock de matière
première en voie d’épuisement est mobilisée à plein : « priceless réservoir »,
« treasury », « reserves ».
Une alerte se doit également de définir un public concerné, des victimes
potentielles de la menace annoncée : c’est la sécurité alimentaire de l’humanité
tout entière qui est concernée, les « générations futures ». Les sélectionneurs,
loin d’être présentés comme des acteurs (publics et privés) ayant leurs intérêts
propres, apparaissent comme les opérateurs de l’intérêt général, transformant
un patrimoine commun de ressources en un gain collectif de nourriture.
Le succès d’une alerte implique enfin de cibler une institution appelée à
prendre en charge le problème. Le cadrage du problème en termes de ressources
pour l’innovation et d’innovation pour la sécurité alimentaire mondiale désigne la
FAO comme l’institution à qui revient le traitement du problème, en s’appuyant
sur l’expertise des sélectionneurs, avec une définition sectorielle, agricole, du
problème. La métaphore de l’érosion joue en ce sens une fonction symbolique
cruciale : elle permet un « alignement de cadre » (Snow et al., 1986) avec
l’érosion des sols, question déjà fortement mise à l’agenda international depuis
les années 1930 et qui est prise en charge par la FAO depuis sa création. La
disparition, invisible, des gènes se trouve ainsi mise en équivalence, en termes
de gravité, avec l’érosion bien visible des sols.
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plantations. What is inevitable and essential progress in one direction is a
calamitous deprivation in another - for the developing countries as much
as for the developed ones. (…) plant breeding and plant introduction,
perhaps the most powerful single weapon of agricultural improvement,
are rapidly being deprived of the very raw materials upon which they
depend. This ‘erosion’ of our biological resources may gravely affect
future generations which will, rightly, blame ours for lack of responsibility
and foresight…” (FAO-IBP, 1967, 4)
Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
217
Est ainsi posé dans ces textes un « cadre d’interprétation » (Muller, 2000)
de la question qui établit des constats et des menaces, constitue une multitudes
de phénomènes localisés en un seul objet cohérent digne d’attention planétaire,
définit des causes et des acteurs en charge des solutions.
2. LA CARRIÈRE D’UN PROBLÈME PUBLIC
MONDIAL ENTRE AGRICULTURE,
ENVIRONNEMENT ET BIOTECHNOLOGIES
(1961-1992)
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C’est donc en effet la FAO qui fournit l’arène internationale où le problème
est discuté dans les années 1960. Le Technical Meeting on Plant Exploitation and
Introduction, qu’elle réunit à Rome en juillet 1961 est le premier événement
international à aborder la question du recul de la perte de diversité génétique.
La FAO prend en charge ce dossier au sein de sa « Division de la production
végétale et de la protection des plantes ». En 1968 est créée dans la Division
une nouvelle sous-division de l’écologie végétale et des ressources génétiques.
Cette gestion institutionnelle de l’« érosion génétique » s’inscrit dans un
régime sectoriel plus large, centré sur la modernisation agricole et incluant les
acteurs privés. Dès 1947, un comité de la FAO recommande que l’Organisation
soutienne la modernisation génétique des agricultures du monde et le « libreéchange » de germplasme entre les pays (Farnham, 2007, 112). La conférence
d’experts de 1961 s’inscrit dans le cadre de l’« Année mondiale des semences »,
point culminant d’une « Campagne mondiale des semences » lancée par la
FAO en 1957 pour accélérer le transfert de capacités techniques d’innovation
variétale et de modèles juridiques pour organiser le secteur semencier dans
les pays du Sud. Cette campagne comprend 27 mesures pour remplacer les
variétés improductives par des « semences de première classe », remplacer les
systèmes informels de semences par un système faisant de la semence un produit
commercial respectant certains standards et certaines règles de propriété,
pour lever les barrières à l’installation de filiales des grandes entreprises de
sélection étrangères, et ainsi apporter aux pays en développement (Pistorius
et Wijk, 1999, 92). Cette entreprise, bientôt nommée « Révolution Verte »,
marque l’apogée du modernisme génétique décrit plus haut. La Commission
internationale du riz de la FAO déplore ainsi en 1958 que
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2.1. Une prise en charge sectorielle par la FAO et les
sélectionneurs
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Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
« dans la plupart des pays (…) un nombre excessivement grand de
variétés de riz sont encore cultivées. Pour augmenter le rendement
moyen, il est important d’éliminer les types les moins productifs. (…)
Seul un nombre limité de variétés améliorées doivent figurer dans les
programmes de distribution de semences » (cité par Pistorius et Wijk,
1999, 93).
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“This enormous pressure by commercial interests to push seed through
the green revolution into the third world was organized by an office two
doors up from mine called the World Seed Programme (…) So here
you have the great monolith of the United Nations with a thousand little
brains within the same body (…) sending out conflicting messages to
the operational divisions which would be told ‘You must conserve germ
plasm’ in one direction and ‘You must have more green revolution seed’
in another (Entretien avec Erna Bennett par Gregg Borschmann, 21 nov.
1994, transcription communiquée par E. Benett le 12 janvier 2011, 49).
La prise en charge du problème par la FAO relève d’ailleurs d’une politique
de sécurisation de l’accès des sélectionneurs aux ressources génétiques. La
FAO lance ainsi en 1957 la FAO Plant Introduction Newsletter pour favoriser la
circulation du matériel génétique entre les différents instituts et soutient peu
après des entreprises de collecte et la création de centres régionaux des
ressources végétales, en Turquie, puis en Éthiopie et en Afghanistan. Il est
en effet admis que « les pays technologiquement arriérés n’ont pas les moyens de
conserver leur vastes ressources variétales » (Harlan, 1961, 16). Cette politique
de sécurisation constitue – au moment où des pays du tiers-monde riches en
biodiversité cultivée accèdent à l’indépendance – les ressources génétiques
comme patrimoine mondial dans lequel les sélectionneurs peuvent librement et
gratuitement puiser. Concevant le travail d’innovation variétale comme un travail
de réagencement de gènes initialement dispersés dans de multiples variétés, elle
vise aussi à fluidifier les échanges internationaux de variétés améliorées. Après
avoir vainement plaidé pour une reconnaissance internationale par brevet des
obtentions végétales dans les années 1940 et 1950, l’Association internationale
des sélectionneurs professionnels pour la protection des obtentions végétales
(ASSINSEL) change son fusil d’épaule et demande à partir de 1956, faute de
brevet, d’inventer une protection spécifique pour les variétés. Une convention
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Le traitement institutionnel de l’alerte sur l’érosion de la diversité génétique
cultivée apparaît ainsi comme une gestion d’un effet secondaire d’une inexorable
et souhaitable modernisation génétique de l’agriculture : avec le succès des
révolutions vertes y compris dans les centres d’origine, le recul des variétés
de pays pourrait limiter dans le futur la palette de gènes disponibles pour les
sélectionneurs, aussi convient-il de collecter ces ressources pour les mettre à
l’abri dans les banques adéquates. Erna Bennett, qui dirigeait dans les années
1960 la section de génétique de la « Division de la production végétale et de la
protection des plantes » de la FAO, se rendit bientôt compte des limites que ce
cadrage du problème imposait à ses activités :
Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
219
internationale, pour garantir le droit des obtenteurs dans un contexte d’essor
du commerce international des variétés et semences, est alors adoptée à Paris
en 1961, la Convention UPOV (Bonneuil et Thomas, 2009, 112-118). À la
différence du brevet, le « Certificat d’Obtention Végétale » ainsi mis en place
autorise un sélectionneur à utiliser la variété d’un concurrent dans son schéma
de sélection (pour y puiser des gènes favorables par croisement) sans avoir
à payer de royalties : seule la variété comme assemblage fonctionnel distinct
est protégée ; les briques élémentaires que sont les gènes sont ainsi en libre
accès pour l’innovation (Joly et Hermitte, 1993). Dotés de nouveaux droits de
propriété ajustés à leur activité, les sélectionneurs sont donc des acteurs clés
du régime de gouvernance des ressources génétiques. Il est significatif que la
conférence d’experts de 1961 ne soit pas une initiative propre de la FAO, mais
une co-organisation avec l’European Society for Research and Plant Breeding
(EUCARPIA), qui rassemble les entreprises privées et les sélectionneurs du
secteur public. La possibilité de constituer des droits de propriété sur les
variétés végétales s’appuie sur l’invention conjointe, inscrite dans le concept
même de « ressources génétiques », d’un domaine de non-propriété qui devient,
sous l’alerte d’une « érosion des ressources génétiques », objet de sollicitude
publique.
Le Programme Biologique International (PBI), lancé en 1964 par l’International
Council of Scientific Unions avec le soutien de l’UNESCO, va constituer une
deuxième arène, en synergie et concurrence avec la FAO, dans la définition du
problème des ressources génétiques et des solutions associées. Le PBI offre aux
biologistes l’occasion de coordonner, à une échelle mondiale, les recherches en
écologie. Dans le préambule d’une des premières rédactions du programme,
le comité posait le constat d’une demande croissante en ressources naturelles
alors menacées de destruction, problématique voisine de celle de la conférence
de la FAO de 1961. L’IBP parle de « capital biologique mondial » (IBP, 1963),
ce qui reprend la vision ressourciste des experts de la FAO, mais dans un
cadrage beaucoup plus écosystémique et dynamique. Il s’agit d’étudier les
« bases biologiques de la productivité et de la prospérité humaine ». Inspirée
de la cybernétique, la thermodynamique et l’analyse des systèmes, l’école
d’écologie systémique qui domine le programme (Odum, 1959 ; Margalef, 1964)
se pose en experte du réglage optimal des cycles de productivité naturelle de
la biosphère : un état stationnaire conciliant la demande économique à court
terme et le maintien des processus renouvelant les ressources naturelles à long
terme. L’autorité des écologues du PBI comme pilotes de la planète, s’appuie
sur une image, celle de la « machine cybernétique » : « l’écosystème est une
“machine” complexe dont la capacité peut être mesurée en terme de quantité
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2.2. Premières tentatives d’écologisation des ressources
génétiques : du Programme Biologique International à la
conférence de Stockholm
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Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
d’information qu’il stocke et peut être démontrée par un progrès d’un état
présent vers un état futur » (Margalef 1964 : 12 ; Kwa, 1987).
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Il n’en reste pas moins que la présence d’un axe sur les ressources génétiques
agricoles et forestières au sein d’un PBI promettant de définir scientifiquement
l’utilisation optimale de la biosphère, contribue rhétoriquement à crédibiliser
une approche écologique sur la production agricole et forestière et à inscrire
la question des ressources génétiques parmi les problèmes environnementaux
– plutôt que strictement agricoles – globaux. C’est ainsi la section « Use and
Management of Biological Resources » du PBI et la FAO qui organisent la
2e conférence technique internationale sur les ressources génétiques en 1967 à
Rome, année où est annoncée par les Nations unies la tenue pour juin 1972 de la
Conférence de Stockholm sur l’environnement humain. L’activité conjointe des
experts de la FAO et du PBI va concourir à mettre les ressources génétiques à
l’agenda du sommet de Stockholm. Ceux-ci publient les actes de la conférence
de Rome et lancent l’enquête collective « Survey of Crop Genetic Resources in their
Centres of Diversity » qui évalue l’état des ressources génétiques du monde et dont
le manuscrit circule avant Stockholm (Frankel et Bennett, 1970 ; Frankel 1973).
Ce travail porte ses fruits puisque lors de la Conférence de Stockholm, parmi
les 109 recommandations de la conférence qui firent l’objet de négociations
entre les participants pour déterminer les problèmes environnementaux
globaux les plus préoccupants, pas moins de sept concernent la conservation
des « ressources génétiques », avec une intégration des ressources agricoles et
forestières au sein d’un cadrage plus large des ressources génétiques, incluant
celles des espèces sauvage menacées par l’Homme ou encore la diversité
microbienne2.
2 Recommandations de la Conférence des Nations unies sur l’environnement humain, 1972 :
http://www.unep.org/Documents.Multilingual/Default.asp?DocumentID=97&ArticleID=1492&l=en.
On retrouve dans la formulation de ces recommandations les termes de « advanced varieties » et
de « primitive materials » propres au cadrage moderniste des « ressources génétiques ».
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Le PBI sert surtout à financer des études écologiques fondamentales sur
les écosystèmes mais pour convaincre de son intérêt pratique, ce programme
fait, dans la toute dernière phase de son élaboration, place en son sein à une
section « Use and Management of Biological Resources » dont le comité sur
les « Plant Gene Pools » est confiée au généticien et sélectionneur Otto
Frankel. Comme le montre le leadership donné à un sélectionneur classique
(et non à un écologue ou un généticien des populations) sur ce dossier, le
PBI ne parviendra pas à reproblématiser de façon solide et opérationnelle la
question des ressources génétiques au sein de l’écologie des écosystèmes. Les
écologues du PBI, peu intéressés par la diversité génétique agricole laissent la
bride sur le cou à Frankel, qui active ses réseaux dans le milieu des généticiens
et sélectionneurs et aiguillonne la FAO.
Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
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Si Stockholm marque l’intégration des « ressources génétiques » au nombre
des problèmes environnementaux globaux, et si le jeune Programme des
Nations Unies pour l’Environnement créé en 1972, appuiera partiellement
des programmes d’exploration et de conservation des ressources génétiques,
c’est finalement dans le monde agronomique et des sélectionneurs que cette
question va être prise en charge par une nouvelle institution internationale, le
Consultative Group for International Agricultural Research (CGIAR). Les ÉtatsUnis systématisent dans les années 1960, aux côtés de de fondations privées telles
Rockefeller, Ford et Kellogg, une stratégie de « Révolution verte », notamment
dans les pays où la malnutrition pourrait faire le lit du communisme (Perkins,
1997). Cette politique diverge de plus en plus de la politique multilatérale de
la FAO, où le système donnant une voix par pays et l’action du « groupe des
77 » donnent un poids croissant aux pays du Tiers-monde et au soutien des
systèmes nationaux de recherche. Les États-unis favorisent alors, avec l’appui de
la Banque mondiale, la création du CGIAR en 1971, qui place les orientations (et
les ressources génétiques) des centres de recherche agronomiques « révolution
verte » installés dans les pays du Sud dans un consortium contrôlé par les
bailleurs du Nord (Pistorius et Wijk, 1999). Le pilotage consortium CGIAR est
assuré par un conseil de 22 gouvernements nationaux et de fondations privées.
La politique du CGIAR en matière de ressources génétiques se focalise sur la
prospection (des espèces cultivées et leurs cousines sauvages potentiellement
utiles) sur la base de critères économiques et sur leur conservation ex-situ, hors
du milieu naturel, dans des banques de semences. Ce programme d’action est
élaboré à la Conférence de Beltsville en mars 1972, organisée par le CGIAR,
et servira de base à la création de l’International Plant Germplasm Network,
puis, en 1974 l’International Board for Plant Genetic Resources (IBPGR). La
FAO, bien que formellement associée à cette institution, se voit en pratique
marginalisée. L’IBPGR opère comme une institution du CGIAR, qui lui apporte
son budget. Les représentants du secteur semencier privé, associés dès le début
à la définition des orientations de la recherche au CGIAR, se voient confier un
rôle majeur dans le pilotage des ressources génétiques. Ainsi, un dirigeant de
Pioneer Hi-Bread International (alors n° 1 mondial des semences) préside-t-il
le « Crop Germ Plasm Advisory Committee » de l’IBPGR (IBPGR 1979, 85).
La conservation des ressources génétiques passe alors d’une logique de
conférences d’experts et de « newsletter » à un traitement institutionnel, d’une
logique « Nations unies » à une logique Banque mondiale. Au cours des années
1970, l’IBPGR devient le coordinateur principal des collections d’une soixantaine
de banques. Le « réseau CGIAR », fort de ses ressources financières et d’une
dizaine de centres de recherche (CIMMYT au Mexique, IRRI aux Philippines,
ICARDA en Syrie, ICRISAT en Inde, etc.) susceptibles d’accueillir les collections
de ressources génétiques à portée de main des sélectionneurs, prend le
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2.3. Une resectorisation dans la recherche agronomique
(1972-1992)
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Cependant, cette gouvernance fait l’objet de critiques montantes dans les
années 1970. Patrick Mooney écrit Seeds of the Earth en 1979, qui dénonce à la
fois l’érosion génétique et la mainmise des intérêts du Nord sur les ressources,
et fonde avec Cary Fowler l’ONG « Rural Advancement Fund International »
en 1984. Plusieurs gouvernements des pays du Sud s’inquiètent bruyamment
de la montée du brevet sur les inventions biotechnologiques alors que
les ressources génétiques du Sud sont gratuites et posent la question de la
propriété intellectuelle sur les collections des centre CGIAR. Mooney observe
alors que « The Third World is being invited to put all its eggs in someone else’s
basket » (Mooney, 1979, 30). On assiste alors à la politisation d’un enjeu qui
revêtait autrefois une apparence majoritairement technique. En 1981, le groupe
des 77 se range derrière la proposition du Mexique (Résolution 6/81 de la
21e session de la conférence de la FAO en novembre 1981), d’une convention
internationale qui établirait un nouveau système de banque de gènes indépendant
du CGIAR et ramènerait l’IBPGR sous le contrôle de la FAO. Un engagement
international sur les ressources génétiques est négocié en 1983, qui réaffirme
les ressources génétiques comme « patrimoine commun de l’humanité ». Une
commission sur les ressources génétiques est créée à la FAO la même année
en vue de mieux représenter les pays du Sud et de discuter des questions des
« droits des agriculteurs ». L’IBPGR ne répond que partiellement à ces critiques
et revendications, malgré de nombreuses négociations entre CGIAR et FAO.
Il parvient à rester l’unique agence internationale de gestion des ressources
génétiques en agriculture, et continue à privilégier les approches ex situ et les
perspectives des sélectionneurs (Pistorius, 1997, 79-85).
2.4. Les ressources génétiques dans le marché de la
biodiversité
La critique d’un pillage des ressources génétiques du Sud par les entreprises
semencières ne pourra cependant endiguer le durcissement des règles de
propriété intellectuelles sur le vivant (nouveau traité UPOV en 1991 plus restrictif,
montée du brevet sur le vivant). Avec la montée des enjeux industriels liés aux
biotechnologies, un nouveau régime de propriété intellectuelle est consacré
par la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) adoptée à Rio en 1992
et l’accord ADPIC de l’OMC sur la propriété intellectuelle de 1995 (Boisvert
et Vivien, 2005 ; Thomas, 2006). La CDB combine en effet i) la reconnaissance
de la souveraineté nationale sur les « ressources biologiques », incluant les
ressources génétiques (Art. 15), ii) le partage des fruits des innovations tirées
de ces ressources avec les communautés locales (Art. 8j et Art. 15) et iii) la
consécration internationale de brevetisation généralisée du vivant (Art. 16.5).
La CDB adosse en somme la conservation de la biodiversité à la valorisation
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leadership à la FAO dans la gestion des ressources génétiques (Pistorius et
Wijk, 1999, 96-100).
Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
223
marchande (passant par l’établissement de droits de propriété) de ses éléments,
les « ressources biologiques » (Aubertin, Pinton et Boisvert, 2007).
En réponse à ce régime environnemental-marchand instauré par le tandem
CDB/ADPIC, la FAO défend une logique plus sectoriellement agricole et
plus mutualiste à la croisée des positions des sélectionneurs conventionnels
(préférant une protection par COV au brevet de gène et soucieux d’un accès
gratuit aux ressources, nostalgiques du régime de patrimoine commun de
l’humanité), des pays du Sud, et des ONG (soucieuses d’un véritable retour
vers les communautés qui entretiennent la diversité cultivée). Est ainsi adopté
en 2001 sous légide de la FAO le Traité international sur les ressources
phyto-génétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA) qui se veut plus
mutualiste, mais dont le dispositif multilatéral de partage des avantages peine
encore à se concrétiser, avec seulement quelques centaines de milliers de
dollars réunis à ce jour3.
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Depuis 1992, dans un régime certes encore dominé par le CGIAR, la
conservation statique4 et le règne du brevet sur les entités biologiques, la
question des « ressources génétiques » a connu d’importantes mutations et la
montée de perspectives de savoir et de gestion nouvelles. Il s’agit d’une part
d’un réétiquetage partiel du problème en terme de « biodiversité cultivée », et
d’autre part d’une réappréciation de la valeur de cette biodiversité cultivée au
prisme de la notion de « services écosystémiques ».
3.1. Des stocks aux processus
L’affirmation du brevet sur les gènes, sanctionné par la Convention sur la Diversité
Biologique prolonge et renforce bien évidemment le modèle ressourciste mis en
place à l’époque de Vavilov. Cependant, le cadrage de Rio favorise parallèlement
un triple infléchissement dans la trajectoire du problème public, au point non
seulement d’ébranler les script initial des ressources génétiques, mais aussi de
conduire à une requalification du problème sous l’étiquette de « biodiversité
cultivée ».
3 http://www.planttreaty.org/
4 Cf. la récente et colossale banque de gènes de Svalbard (Norvège) établie par cofinancement
public-privé, avec le rôle clé de Bill Gates.
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3. DES RESSOURCES GÉNÉTIQUES À
LA BIODIVERSITÉ CULTIVÉE ET SES
« SERVICES » (1992-2010)
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Tout d’abord, dans les arènes de la CDB et leur ordre discursif, les
sélectionneurs ne sont plus les opérateurs sans intérêt de l’intérêt général de
la planète qu’ils semblaient être. Ils doivent négocier (en théorie du moins)
l’accès aux ressources génétiques contre juste rémunération. Alors que dans les
alertes des années 1960, le public concerné était une humanité indifférenciée (cf.
supra), il est alors redéfini comme constitué de parties prenantes (communautés
paysannes, États, entreprises biotech et semencières, ONG, recherche
publique) qui négocient l’accès et la rémunération de ces ressources. Avec
le fameux article 8j de la Convention, les communautés paysannes se voient
reconnaître des « connaissances, innovations et pratiques » qui présentent « un
intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique »
(Art. 8j). La diversité biologique retrouve les attachements avec les savoirs et
les cultures que le modernisme génétique lui avait reniés ; la diversité devient
« bioculturelle ». À la croisée de cette évolution et d’un tournant participatif plus
général des politiques de développement, de nouvelles approches, participatives,
de conservation in situ, se développent au CGIAR depuis 1994, tout en
restant minoritaires. La CDB souligne aussi l’importance de la conservation in
situ (Art. 8), ce qui n’a pas manqué de déteindre sur les débats entourant la
biodiversité agricole, avec le lancement d’importants projets de conservation in
situ par l’IBPGR (devenu International Plant Genetic Resources Institute, IPGRI
en 1991) depuis 1995, rompant avec la focalisation antérieure exclusive sur
les banques de gènes5 (Fenzi, Bonneuil et Gouyon, 2011). L’anthropologue et
écologue américain, Steve Brush, qui joue un rôle clé dans ce lancement, publie
peu après un ouvrage au titre emblématique, Genes in the Field : il s’agit de
comprendre la structuration et la dynamique de la diversité génétique sur le
terrain, à la rencontre de la génétique des populations et de l’anthropologie des
pratiques semencières des communautés paysannes, et de mobiliser ces savoirs
pour la conservation in situ (Brush, 2000). En 2006, l’IPGRI adopte un nouveau
nom, Bioversity International, tout à fait symptomatique d’un affichage qui se
veut proche de la biodiversité, et calqué sur un nom d’ONG.
Deuxièmement, l’intégration des ressources génétiques dans la Convention
sur la diversité biologique, constitue un espace commun aux problèmes de
conservation de la biodiversité dite sauvage et de la biodiversité cultivée. Cela
recompose profondément les arènes du débat, et met en selle des acteurs
autres que les sélectionneurs, des représentations du vivant autres que le
modernisme génétique. La gestion sectorielle est ébranlée. La FAO et le CGIAR
sont conduits à en passer par une trans-arène de la biodiversité devenue plus
influente. Et le milieu professionnel des sélectionneurs public et privés perd sa
propriété autrefois exclusive du dossier. Avec la montée des revendications
des communautés autochtone et l’ouverture des arènes de la biodiversité à
de nouveaux acteurs non gouvernementaux, le cadrage « biodiversité » offre
5 Des politiques et des dispositifs de conservation in situ avaient été proposés par quelques
généticiens dès la Conférence de la FAO de 1967 à Rome, mais cette piste avaient été totalement
abandonnée par l’IBPGR depuis les années 1970.
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Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
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aussi un cadre d’interprétation du monde propice à la politisation, à l’ouverture
d’espaces de luttes socio-environnementales et indigènes et de critique de la
mondialisation (Escobar, 1998 ; Ollitrault, 2004 ; Foyer 2010)… au sein d’un
régime à dominante, certes, marchande (Thomas, 2006). C’est cet ensemble de
transformation des arènes, des acteurs et des enjeux que note, non sans une
pointe de nostalgie, un représentant de la profession semencière :
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En troisième lieu, la CDB opère une écologisation des ressources génétiques
et de la façon de les concevoir. Malgré la dominante ressourciste de la Convention,
la notion de biodiversité, telle que définie dans l’Art. 2, renvoie à une pluralité
de niveaux pertinents pour saisir la variabilité du vivant: génétique, mais aussi
spécifique et écosystémique. Des néologismes, comme « crop biodiversity »
(biodiversité cultivée) ou « agrobiodiversité », devenus courants depuis 1992,
manifestent alors l’arrimage de ce que l’on nommait initialement « ressources
génétiques » dans la problématique plus large de la biodiversité, terme lui-même
jeune puisqu’il date du milieu des années 1980 (Takacs, 1996). On sort ainsi
d’une problématisation d’amélioration des plantes pour entrer dans un cadrage
plus écologique de la question, qui met l’accent – avec les apports de l’écologie
des paysages et de la biologie de la conservation – sur les flux, la connectivité,
la résilience, l’évolutivité et non plus seulement sur les stocks, les entités.
La palette des savoirs et cultures épistémiques légitimes pour parler de la
biodiversité cultivée se trouve du même coup élargie : anthropologie, génétique
évolutive et des populations, gestion dynamique, biologie de la conservation
et ses approches modélisatrices, méthodologie participatives, nouvelles façons
de mesurer la diversité cultivée dans le sillage des initiatives internationales de
conceptions d’indicateurs de biodiversité, etc. (Brush, 2000).
La biologie évolutive et l’écologie connaissent dans le même temps
des transformations techniques et théoriques importantes : la théorie des
métapopulations, la spatialisation des modèles et la disponibilité technique de
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« Le discours biodiversité, c’est un discours bien plus récent (…)
c’est effectivement des revendications plus importantes de la part de
Greenpeace, de la part du WWF que l’on voit apparaître au niveau
international, qui globalise tout le débat. Avant y’avait notre petit débat
tranquillou, enfin tranquillou… Tranquillou agricole entre professionnels
de l’agriculture (…) on était dans notre bulle agricole (…) où les gens
travaillaient entre eux, communiquaient peu avec l’extérieur. Et puis, petit
à petit, on a vu, au niveau de la FAO, au niveau des instances diverses
et variées, émerger un débat beaucoup plus globalisé et puis tous les
mouvements aussi, d’opposition altermondialiste, remise en cause de
la mondialisation, la remise en cause des échanges, cette philosophielà, etc. Donc il y a quand même pour nous une différence entre les
ressources génétiques et la biodiversité (…) on est tout le temps obligés
de remettre sur le tapis le fait que l’agriculture française n’est pas qu’un
ensemble de paysages » (Entretien, Direction des relations extérieures
du Groupement National Interprofessionnel des Semences, 4 sept. 2009).
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Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
marqueurs moléculaires permettent de tracer des flux de gènes sur de longues
distances, à travers la « barrière » d’espèce. Ces avancées de la biologie ont
ouvert la voie à une vision beaucoup plus fluide et dynamique du vivant et à une
vision réticulée – plutôt qu’arborescente – de l’évolution. Ces évolutions ont
convergé avec des mutations sociopolitiques (reflux de l’État développementaliste
au Sud et néolibéralisme, luttes et revendications des peuples indigènes) pour
infléchir les conceptions de la conservation de la nature. Il est désormais la
norme d’associer celles-ci et de concevoir la biodiversité non plus comme une
réserve mais comme un flux permanent, ce qui requiert une nouvelle attention
à la connectivité des espaces que l’on protège : corridors écologiques, trames
vertes, etc. (Blandin, 2009). La rencontre actuelle entre théorie des réseaux et
biologie des populations apporte de nouveaux outils pour équiper ces nouvelles
représentations (par exemple, Rozenfeld et al., 2008). Reprenant les travaux de
la biologiste Gretel Ehrlich, le rédacteur en chef de la revue Wired aligne ainsi la
nouvelle pensée réseau du numérique et la nouvelle représentation du vivant :
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Cette évolution est stylisée dans la colonne de droite du tableau 1. Un
cadrage « biodiversité cultivée », voire « agrobiodiversité », incluant alors
les espèces non cultivées des paysages agricoles et les dimensions culturelles
supportant la diversité biologique, vient aujourd’hui ébranler la suprématie
du paradigme des « ressources génétiques ». La biodiversité cultivée n’est
plus simplement un réservoir de variétés ni un stock de gènes, mais un tissu
bioculturel, dynamique, sans couture. Comme les entreprises, les êtres vivants
et les écosystèmes sont évalués, moins sur leur performance en conditions
réglées, stables et optimales, comme c’était le cas il y a un demi-siècle (cf. les
normes « fordistes » d’évaluation des variétés cultivées ou encore la notion de
climax en écologie), mais plutôt en fonction de leur habileté à s’ajuster à des
changements rapides et constants. À toutes ses échelles, le vivant est de plus en
plus vu comme un système agile, adaptatif, complexe et réticulé, ce qui n’est pas
sans faire écho aux représentations dominantes du nouvel ordre économique
et politique caractérisé par l’innovation perpétuelle, la spécialisation flexible,
la relocalisation et la « gouvernance » participative. Les anciens bornages, les
anciennes compartimentations (entre espèces, entre variétés de pays et variétés
élite, entre nature et culture, entre conservation et utilisation de la diversité…)
érigés par le modernisme du XXe siècle sont dépassés par une exaltation de la
connexion et de l’hybridité, qui, ici encore, arriment les nouvelles représentations
du vivant aux nouvelles représentations du social contemporaines (Castells,
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“A distributed, decentralized network is more a process than a thing. In
the logic of the Net there is a shift from nouns to verbs. Economists now
reckon that commercial products are best treated as though they were
services. It’s not what you sell a customer, its what you do for them. It’s
not what something is, it’s what it is connected to, what it does. Flows
become more important than resources. (…) Life is a networked thing
– a distributed being. (…) life is a something in flux” (Kelly, 1994, 26, 92
et 98).
Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
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1998 ; Barabási, 2002 ; Boltanski, Chiapello, 1999 ; Rodary, 2008). À un
paradigme figeant des entités (pour mieux poser la science comme capable de
transgresser les limites de la nature), succède, ou plutôt s’ajoute, une démarche
visant à cartographier les continuums en réseau, à intensifier les liens, à en
capter la valeur ajoutée. La génétique et l’amélioration des plantes, opérant
autrefois en aval de la conservation des « ressources génétiques » et tendues
vers l’obtention sous très forte pression de sélection d’un type « élite »
homogène, se sont ouvertes – à la marge certes – à des méthodes d’amélioration
à basse pression de sélection (population breeding, sélection récurrente, gestion
dynamique in situ, etc.) alliant innovation et conservation de la diversité. Il est
significatif qu’une ancienne dirigeante du département de génétique végétale de
l’Inra donne comme objectif à l’amélioration des plantes, non plus simplement
de sélectionner des génotypes « élite » homogènes, mais aussi de « préserver
les potentialités d’évolution des espèces cultivées »6.
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Cet accent sur le rôle de la base génétique des plantes cultivées dans la résilience
des agroécosystèmes a été favorisé par la place dominante prise dans l’agenda
mondial par la question du changement climatique. Le Millenium Ecosystem
Assessment publié en 2005 constitue un moment clé de la rencontre, sous l’égide
de la catégorie englobante de « services écosystémiques », entre biodiversité
(sauvage et cultivée) et climat (MA, 2005). La diversité génétique agricole est
ainsi, depuis peu, vue comme un service écosystémique contribuant à faire face
à des conditions climatiques hostiles et imprévues :
“Agrobiodiversity at the gene, species and agroecosystem levels increases
resilience to the changing climate. Promoting agrobiodiversity remains
therefore crucial for local adaptation and resilience of agroecosystems”
(Ortiz, 2011, 191).
En France, la conseillère technique auprès du ministre de l’Écologie se
souvient que, dans les années 1990, « le sujet changement climatique étant plus
incorporé dans le cercle de décideurs que le sujet biodiversité, ce qui pouvait se
rattacher au changement climatique avait plus de chance d’être audible » et d’avoir
alors présenté la trame verte et bleue comme une « possibilité de faire remonter
les espèces vers le Nord ». Formée à la biologie des populations, elle a ensuite
repris ce cadrage discursif pour faire évoluer ces dernières années en France la
politique des ressources génétiques vers une politique d’appui à la conservation
in situ dans des réseaux associatifs et paysans, en portant le fer contre l’ancien
cadrage « ressources génétiques » :
6 Intervention de M. Lefort à la table ronde au colloque « Régulation des risques, principe de
précaution et OGM », Paris, Inra, 17 nov. 2004 (observation participante).
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3.2. La biodiversité cultivée comme « service
écosystémique »
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Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
« La conservation des semences en frigo, même si c’est sous x mètres
de glace en Scandinavie, ça marche pas. Si on veut pouvoir développer
des adaptations aux changements climatiques et tout ça, eh bien, il faut
justement que les semences puissent coévoluer avec le contexte. (…)
Dire qu’on récupère, enfin qu’on a la substantifique moelle de la vie, de
la diversité du vivant en faisant une collection de gènes, c’est juste une
aberration... » (Ministère de l’Écologie, entretien du 21 oct. 2009).
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Cette mise en avant des services rendus pas des processus et flux, plutôt
que sur la valeur intrinsèque d’entités (les « ressources génétiques ») est le
reflet et la conséquence de l’évolution des stratégies et des discours sur la
biodiversité depuis le Millenium Ecosystem Assessment. Le constat d’un échec
à développer le marché des ressources biologiques prôné par la CDB de 1992
(la vague de bioprospection retombe dès les années 2000, cf. Aubertin et al.,
2007) conjugué au succès de l’approche écosystémique et à la perspective de
nouveaux marchés de la conservation, ont conduit à la montée d’un discours
« services écosystémiques » dans les arènes internationales de gouvernance
de la biodiversité7, associé à de nouveaux savoirs (d’évaluation des services de
la biodiversité, à la rencontre de l’écologique et l’économie) et à de nouveaux
instruments de gestion (paiements pour services écologiques, compensation
financière, etc.) de la biodiversité (Gómez-Baggethun et al., 2010 ; Sullivan,
2009).
CONCLUSION
Ce parcours de près d’un siècle offre une perspective de plus longue durée
sur l’affirmation puis le reflux des « ressources génétiques » comme cadre
d’interprétation et de gouvernement global de la diversité génétique des plantes
cultivées. Il nous a également permis de suivre les inflexions des cadrages d’un
7
Sur ce phénomène, cf. les travaux en cours de Denis Pesche et Monica Castro.
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Outre la résilience face aux aléas et au changement du climat, la diversité
génétique au sein des agrosystèmes est désormais analysée comme pourvoyeuse
d’une palette de services. La résilience face aux bioagresseurs avait déjà été mise
en avant au début des années 1970 suite à la crise de l’helminthosporiose du
maïs aux États-Unis, particulièrement dévastatrice du fait que 85 % des variétés
cultivées possédaient un génome chloroplastique et mitochondrial strictement
identique (Mooney, 1979). Depuis quelques années, sont également mis en
avant des services rendus par la diversité génétique cultivée tels que la meilleure
pollinisation, l’optimisation du fonctionnement des sols, etc. (Hajjar et al., 2008).
Pour les experts du Millenium Ecosystem Assessment, la « durabilité à long terme
de nombreux services dépend du maintien de la variabilité génétique » (MA, 2005,
80). Le chiffrage de ces services rendus tend à être mobilisé comme preuve de
l’importance à conserver cette biodiversité cultivée.
Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
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problème public au croisement de plusieurs autres problèmes environnementaux
et dans un paysage évolutif d’arènes, de cultures épistémiques et de stratégies.
Si « le langage a la capacité à faire de la politique, à créer des signes et des
symboles qui déplacent les relations de pouvoir » (Hajer, 2006, 67), dans ce
paysage, apparaît également la capacité des pratiques et savoirs scientifiques
à émerger conjointement avec ces cadres, en étant façonnés par eux, en les
naturalisant et solidifiant, ou en concourant à leur renouvellement.
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Vavilov N.I. (1932). The Process of Evolution in Cultivated Plants, Proc. VI Int. Congr.
Genetics, 1, 331-342.
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Revue d’anthropologie des connaissances – 2011/2
Christophe Bonneuil est historien des sciences, chargé de recherche
au Centre A. Koyré, Cnrs, et chercheur associé à l’unité Sens-Inra
(IFRIS). Il s’intéresse aux transformations conjointes de façons de
connaître et de gouverner la nature et le vivant depuis le XIXe siècle
(hérédité, agriculture, biodiversité). Il a publié (avec Frédéric Thomas),
Gènes, pouvoirs et profits. Recherche publique et régimes de production des
savoirs de Mendel aux OGM (Quae-FPH, 2009), et prépare un ouvrage sur
l’histoire des biotechnologies et de leur mise en débat public.
Adresse :
Courriel :
Centre Koyré d’Histoire des Sciences et des
Techniques (UMR CNRS-Ehess-MNHN)
MNHN CP25
57 rue Cuvier
75231 Paris cedex 05
[email protected]
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Adresse :
Centre Koyré d’Histoire des Sciences et des
Techniques (UMR CNRS-Ehess-MNHN)
MNHN CP25
57 rue Cuvier
75231 Paris cedex 05
Courriel :
[email protected]
ABSTRACT: FROM ‘GENETIC RESOURCES’ TO ‘CROP GENETIC
DIVERSITY’. THE CONSTRUCTION AND TRAJECTORY OF A GLOBAL
PUBLIC PROBLEM
The ‘genetic resource’ concept was at the center of the 1992
Convention on Biological Diversity. How was this concept historically constructed? Which types of knowledge, imaginaries and
forms of government of life had been embedded in this concept?
How was the erosion of ‘genetic resources’ constituted as a public problem and how did its place evolved within the wider population of other global environmental problems? Since 1992, the
problem of ‘genetic resources’ has been reframed and relabelled
as ‘crop genetic diversity’, with a focus on in situ diversity, valued
for the ‘ecosystems services’ this diversity may provide. How can
one account for such a new discursive framing which now domi-
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Marianna Fenzi est doctorante au Centre A. Koyré. Sa thèse porte sur
les débats, savoirs, pratiques et politiques autour de la conservation in
situ de la biodiversité agricole depuis les années 1960.
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nates in the international arenas? Combining a cultural history of
science, sensitive to the coproduction of knowledge and imaginaries, and a social problems sociology, sensitive to the dynamics
of environmental problems within a mozaic of public arenas, this
article analyses the trajectory of crop genetic diversity as a global
public problem, from the middle of the 20th century to the present
time.
Keywords: biodiversity, genetic resources, ecosystems services,
social problems sociology
DE LOS RECURSOS GENÉTICOS A LA BIODIVERSIDAD DE
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El término “recursos genéticos” estuve al centro de atención en
la Convención sobre la Diversidad Biológica llevada al cabo en
Río de Janeiro en 1992. ¿Cómo se forjó el concepto de “recursos genéticos”? ¿Cuales conocimientos, imaginarios y formas de
gestión de la diversidad biológica estuvieron involucrados? ¿Qué
lugar ocupaba el problema de erosión genética en los recursos
fitogenéticos, en diferentes períodos, en la topología dinámica de
los problemas ambientales globales? Desde 1992, el tema de los
“recursos genéticos” a sido objeto de un nuevo etiquetaje bajo el
término “biodiversidad de cultivos” y se ha revalorado a través
las deferentes perspectivas dadas bajo el concepto de “servicios
ecosistémicos”. ¿Cómo explicar la apropiación del concepto de
“recursos genéticos” en los nuevos marcos discursivos dominantes en los escenarios internacionales? En el cruce de la historia
cultural de la ciencia, sensible a la co-producción de los conocimientos y de los imaginarios, y de la sociología de los problemas
públicos, perceptiva a la dinámica de los problemas ambientales
en diversos escenarios y al trabajo de los actores para detectar
y tratar un problema a través determinados marcos cognitivos y
normativos, nosotros analizaremos la carrera de los “recursos
genéticos” como un problema público mundial a partir de la mitad
del siglo XX hasta la actualidad.
Palabras claves: biodiversidad, recursos genéticos, servicios
ecosistémicos, sociología de los problemas públicos
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RESUMEN:
CULTIVOS
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