Page 4 Clément d’Alexandrie : Les Stromates – Livre 3 [B3]
biens acquis, ni même du mariage, comme ils avaient le droit d'en jouir. Car Dieu a fait la vigne
pour les besoins de tous ; elle ne refuse ses fruits ni au passereau ni au voleur. Il en est ainsi du blé
et des autres fruits. C'est la violation de la communauté et de l'égalité qui a suscité le voleur de
bestiaux et le voleur de fruits. Dieu donc, en créant tout pour l'usage de tous, en rapprochant les
deux sexes pour des unions communes, et en unissant de la même sorte tous les êtres vivants, a
proclamé pour souveraine justice la communauté et l'égalité. Mais ceux qui sont nés ainsi, ont
renié celle qui leur donna le jour, la communauté des hommes et des femmes. Si donc, dit-il,
quelqu'un en épouse une, qu'il la garde ; puisque tous peuvent s'unir à toutes, comme le prouvent
les autres animaux. Ce sont ses paroles formelles ; puis il ajoute en propres termes : « Pour assurer
la perpétuité des races, Dieu a fait naître dans l'homme un désir plus violent et plus vif que chez la
femme. Ce désir, aucune loi, aucune coutume, rien ne peut l'étouffer ; c'est une loi de Dieu. » Mais
comment nous arrêter davantage à l'examen d'une doctrine ouvertement subversive de la loi de
Moïse et de l'Évangile ? La loi dit : « Tu ne seras point adultère. » Et l'Évangile : « Quiconque aura
regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère. » Ces paroles de la loi : « Tu ne
désireras pas, » révèlent que c'est un même Dieu que proclament la loi, les prophètes et l'Évangile ;
car il est écrit : « Tu ne désireras point la femme de ton prochain. » Or, le prochain du juif n'est pas
le juif ; il est son frère et il a reçu le même esprit. Il faut donc entendre par prochain tout homme
d'une autre nation. Comment, en effet, ne serait-il pas notre prochain, celui qui peut participer au
même esprit. Abraham n'est pas seulement le père des Hébreux, il l'est encore des Gentils. Mais, si
la loi punit de mort la femme adultère et son complice, il est évident que le commandement ainsi
conçu : « Tu ne désireras point la femme de ton prochain, » concerne les Gentils ; afin que celui
qui, selon la loi, se sera abstenu et de sa sœur et de la femme de son prochain, entende
publiquement ces paroles du Seigneur : « Et moi je dis : Tu ne désireras pas. » L'addition de ce
pronom moi, montre que le commandement est encore plus formel. Mais ce qui prouve que
Carpocrate et Épiphane sont en guerre avec Dieu, c'est le passage suivant, que l'on trouve dans le
célèbre ouvrage ayant pour titre De la justice. « En conséquence, y est-il dit en propres termes, il
faut regarder comme ridicule cette parole sortie de la bouche du législateur : Tu ne désireras pas,
jusqu'à cette autre plus ridicule encore : le bien de ton prochain. En effet, c'est lui qui nous a
donné le désir, comme contenant le principe de la génération, et maintenant il nous ordonne de le
réprimer, lorsqu'il en est autrement chez tous les animaux. Et ces mots : la femme de ton prochain,
par lesquels il soumet la communauté à la propriété particulière, ne sont-ils pas encore plus
ridicules ? » Voilà donc les admirables dogmes des Carpocratiens ! On dit que ces malheureux et
plusieurs autres partisans des mêmes perversités, après s'être réunis hommes et femmes pour un
repas, (car je n'appellerai pas agape leur assemblée), après s'être gorgés de mets qui excitent aux
plaisirs de la chair, et avoir renversé les flambeaux dont leur justice, je me trompe, dont leur
prostitution, ne peut supporter la lumière, s'accouplent pêle-mêle comme ils veulent et avec qui ils
veulent. On dit aussi qu'après avoir essayé, dans cette agape, de la communauté, ils ne manquent
pas, les jours suivants, de sommer les femmes qu'ils convoitent d'obéir à la loi, je ne dis pas du
divin Carpocrate, Dieu m'en préserve, mais de Carpocrate. Carpocrate aurait dû, selon moi, offrir
de pareilles lois à la lubricité des chiens, des porcs et des boucs. Au reste, il me semble avoir mal
compris Platon quand il dit dans sa République : « Toutes les femmes doivent être communes. »
Communes en ce sens, qu'avant d'être mariées, elles pourront être demandées en mariage par
quiconque le désirera. C'est ainsi que le théâtre est commun à tous les spectateurs. Mais, du reste,
il voulait qu'une fois mariées, elles appartinssent à leur premier époux et ne fussent plus
communes. Xanthus, dans son ouvrage intitulé Des mages, rapporte que les mages partagent la
couche de leurs mères et de leurs filles ; qu'il leur est permis de s'approcher de leurs sœurs, et que
les femmes sont communes entre eux, non par force ni par ruse, mais par un mutuel consentement,
lorsque l'un veut épouser la femme de l'autre. Jude me semble, dans son épitre, avoir dit
prophétiquement de ces hérétiques et de ceux qui tombent dans les mêmes erreurs : « Ceux-là
aussi rêvent ; car s'ils étaient éveillés, ils n'oseraient jamais combattre ainsi la vérité ; » et le reste,
jusqu'à ces mots : « Et leur bouche profère des paroles qui respirent l'orgueil. »