Apports et limites des recherches

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MÉNAGES ET FAMILLE : LA THÉORIE REVISITÉE
Communication au séminaire
"Ménage et famille en Afrique : bilan, enjeux et perspectives de la recherche"
Lomé, 4 au 9 décembre 1995
Jean-Luc Dubois1
Introduction
Cette communication a pour but d’examiner quels ont été les apports et quelles sont les
limites de la recherche économique sur les familles et sur les ménages. Un sujet qui n’est pas
facile en raison de la variété des questions relatives aux ménages et de l’évolution constante vers
une plus grande complexité dans les problèmes étudiés (Morin 1994). Pourtant le fait de se
cantonner à la seule démarche économique devrait permettre de mieux sérier les problèmes pour
comprendre le lien entre l’évolution de la pensée économique et la mise en oeuvre des politiques
économiques et sociales. Tout ceci dans le cas bien particulier de l’Afrique Sub-saharienne.
L’économie est la science de la gestion optimale de ressources rares, au sein d’une
communauté, et dans un univers de contraintes économiques, sociales, politiques et culturelles
(revenu, temps, espace, obligations sociales, croyances, etc.), afin d’obtenir un résultat donné :
par exemple niveau de consommation par tête, niveau de profit, taux de croissance du PIB, etc..
Ce principe de rationalité se traduit par une affectation des ressources disponibles qui se veut
optimale, en termes de montants alloués et de domaines d’intervention retenus. Le système de
prix, ou plutôt de valeur, qui s’en déduit joue un rôle essentiel dans ces affectations : il guide, par
exemple, le choix de dépenser 1 Franc supplémentaire dans des investissements productifs ou, au
contraire, dans des investissements sociaux.
La politique économique, par le biais d’une série de décisions aux niveaux macroéconomiques, nationaux ou régionaux, ou meso-économique sectoriels, agit dans ce sens. Elle
s’appuit sur la connaissance des comportements micro-économiques des différents acteurs :
groupes sociaux, ménages et individus, entreprises, administrations, etc.. Dans ce papier nous
mettons l’accent sur les ménages, groupes sociaux et individus, en tant qu’entités responsables
des décisions d’allocation des ressources à la production, la consommation, l’épargne ou
l’investissement, etc..
Dans ce cadre, la recherche économique vise à comprendre le comportements des acteurs
- c’est à dire leurs motivations, les choix à leur disposition, leurs décisions - aux différents
niveaux macro, meso et micro-économique. Ceci afin de formuler, à la lumière des observations
et résultats obtenus, des propositions de décision pour la politique économique. Pour répondre à
cet objectif, on prend en compte trois aspects complémentaires de la recherche : (i) la création
d’un cadre de référence conceptuel et théorique qui donne les définitions et fait le point des
1
Economiste IRD/ORSTOM, Coordonnateur du projet OCISCA (Observatoire du Changement et de
l’Innovation Sociale au Cameroun) à Yaoundé. Article retravaillé avec J-M. Gastellu, Economiste
IRD/ORSTOM, et publié en 1997 sous le titre “En Economie : l’unité retrouvée, la théorie revisitée” in Ménages
et familles en Afrique : approches des dynamiques contemporaines, M. Pilon, Th. Locoh, E. Vignikin, P. Vimard
(eds), Les Etudes du CEPED n°15, CEPED, Paris, chap 4 pp.75-97
1
connaissances sur le sujet ; (ii) la mise au point de méthodes d’observation et d’instruments de
mesure permettant de générer des informations sur la réalité économique ; et (iii) la valorisation
des résultats par l’élaboration et l’évaluation de politiques économiques et de projets de
développement,
I. CADRE DE RÉFÉRENCE CONCEPTUEL ET THÉORIQUE
Un cadre de référence propre à l’économie des ménage est indispensable afin, d’une part,
de s’accorder sur la définition des principaux concepts : ménage, famille, individu, etc., et,
d’autre part, de créer, par l’apport de nouvelles découvertes, un corpus de connaissance
suffisamment cohérent pour être opérationnel. Il s’agit là d’une contribution à l’avénement
d’une science économique “pure” qui, bien que pouvant être remise en cause à tout moment par
changement de paradigme, a prétention à une certaine universalité (Kuhn 1983).
1. Les aspects conceptuels
Le terme de famille est ambigu. Dans son premier sens, il désigne des individus liés par le
sang : frères et soeurs, père et mère, oncles et tantes, grands parents, cousins, et éventuellement
des alliés par mariage. Mais d’un autre côté, on entend par famille le groupe des gens qui vivent
ensemble dans un même foyer sous l’autorité d’une personne. Le même vocable désigne deux
choses différentes. D’où la suggestion de remplacer le terme famille par parenté (ou parentèle)
dans le premier sens et groupe domestique dans le deuxième sens (Mendras 1989).
Le terme de ménage va plus loin encore. Il rajoute au groupe domestique (unité de
résidence : habiter sous un même toit) d’autres conditions comme partager le budget (unité
budgétaire), prendre ses repas en commun (unité de consommation) générant en son sein des
groupes budgétaires et des groupes de commensalité. L’expérience montre qu’en Afrique les
gens qui se retrouvent au sein d’un ménage peuvent ne pas partager le même lien de parenté, et
qu’il y a confusion entre les unités de résidence, de décision, de budget, etc. D’autre part, la
mobilité extrême des individus fait que ces diverses unités varient en permanence. Le ménage se
définit alors comme un ensemble d’individus reconnaissant l’autorité d’un chef, reliés ou non par
des liens de parenté, vivant sous un même toit, mettant en commun leurs ressources et partageant
leurs repas. Le ménage est ainsi une entité abstraite, composée de ces diverses unités qu’il faut
définir au cas par cas après observation sur le terrain, mais qui correspond bien à l’analyse
économique et permet les calculs d’indicateurs par tête, l’étude des comportements d’utilisation
du revenu et des habitudes de consommation (Blaizeau et Dubois 1990 tome II).
Cependant la parenté se double d’un système de droits et d’obligations qui lie les
différentes personnes et fournit à chacune des dotations initiales (Sen 1984). Ce système définit,
dans la parentèle stricte, le rôle des femmes et la place des enfants, redistribuant, de ce fait, les
effets de revenu et la pauvreté au sein du ménage. Ce système peut s’étendre à une parentèle
élargie au lignage, et même au clan, en ce qui concerne les droits sur la terre, le devoir de
funérailles, etc.. Il en résulte une priorité lexicale des obligations communautaires qui a pour
effet de modifier l’optimalité des affectations budgétaires au sein du ménage (Mahieu 1991,
Koulibaly 1995).
Enfin la composition démographique de la famille a une forte influence sur le niveau et
les sources de revenu, et sur l’affectation des dépenses. Le fait que la famille soit monoparentale
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et qu’une femme soit chef de famille, ou qu’elle soit polygamique, la présence de plusieurs
adultes, d’un nombre différent de filles et de garçons, de diverses tranches d’âge d’enfants, etc.,
sont autant d’éléments explicatifs d’un niveau de vie ou de comportements différents.
2. Les approches théoriques
Diverses écoles théoriques ont influencé la pensée en économie. Il s’agit des écoles
libérale, néo-classique, keynésienne, marxiste, structuraliste, institutionnaliste, et régulationniste.
La pensée néo-classique est, malgré ses défauts, la plus diversifiée en ce qui concerne le
comportement des individus et des ménages. Elle fournit des explications au plus grand nombre
de situations. Sa prétention à l’universalité lui impose de trouver des réponses aux critiques des
autres écoles de pensée. Sa reconnaissance actuelle, comme mode de pensée dominant, dénoncé
sous le terme de “pensée unique”, et sa volonté d’intégrer des aspects non directement
économiques en font, dans ce domaine, l’école de pensée la plus florissante actuellement.
a) Les bases de la pensée néo-classique
La pensée néo-classique est issue du courant classique libéral (Smith, Ricardo, Mill) qui
insiste sur les initiatives individuelles, sur l’importance des échanges et un rôle de l’État limité à
la correction des déséquilibres sociaux, pour augmenter la richesse d’un pays.
Trois courants fondent la pensée néo-classique : l’école de Lausanne avec Walras et
Pareto qui met l’accent sur l’équilibre général, l’école anglaise de Cambridge avec Jevons,
Marshall et Pigou qui examine les équilibres partiels, et l’école de Vienne de l’individualisme
méthodologique qui, avec Menger, Wieser, Hayek, Schumpeter, etc., explique les faits sociaux à
partir des comportements individuels. Toutes ces écoles justifient à leur manière le marché
comme le meilleur instrument de gestion économique. L’école de Cambridge est la seule qui
s’intéresse aux problèmes de bien-être (Pigou) et aux conséquences sociales des imperfections du
marché admettant de ce fait l’intervention de l’État pour en corriger les aspects négatifs. Elle
poursuit ainsi la tradition classique.
Les individus et ménages sont alors considérés comme des acteurs effectuant un certain
nombre d’actes économiques : production, consommation, épargne, etc.. Le marché (pour les
biens, l’emploi et la monnaie) est l’unique processus capable de donner une valeur aux échanges
(par le système de prix) et d’équilibrer de façon stable l’offre et la demande en quantités. Pour
décrire ce processus de nombreux concepts sont nécessaires : l’utilité (ou satisfaction) et la rareté
sont les sources de la valeur d’un bien, la maximisation sous contrainte d’une fonction objectif
est à l’origine du processus, la substitution entre facteurs de production ou entre biens de
consommation déterminent des courbes d’indifférence ou d’isocoût, les élasticités d’offre et de
demande mesurent les variations d’offre ou de demande en fonction des modifications du revenu
ou des prix, les coûts d’opportunité évaluent les options alternatives.
Sur le marché des biens, les individus consommateurs maximisent leur utilité sous
contrainte budgétaire, et à l’optimum, sous certaines conditions, le prix d’un bien égale l’utilité
marginale, ce qui permet de déduire les équations de demande. Les individus producteurs
maximisent leur profit - résultant de la valeur des ventes dont on retranche les consommations
intermédiaires - sous contrainte technique exprimée par des coefficients de production. A
l’optimum, et sous certaines conditions, le prix d’un bien égale la productivité marginale et les
équations de coût se déduisent du programme. Avec un raisonnement identique on détermine les
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taux de salaire et d’intérêt sur les marchés des facteurs de production, travail et capital.
L’ensemble des équations correspondantes constituent le modèle dit de Arrow-Debreu. Il permet
de déterminer un système de prix d’équilibre si certaines hypothèses sont vérifiées comme la
décentralisation et l’indépendance des décisions des agents, la concurence pure et parfaite
(atomicité des individus, homogénéité des produits, libre entrée sur le marché, transparence des
informations), la divisibilité des produits, la convexité des fonctions d’utilité et des espaces de
production, etc.. Ce modèle ne prétend pas représenter l’économie réelle. Il montre cependant
que sous certaines hypothèses il existe bien un système de valeur qui optimise les échanges
(Debreu 1984).
La réalité économique montre qu’une bonne partie de ces hypothèses ne sont pas
vérifiées. Il y a des ententes entre acteurs, une information imparfaite, des rendements croissants,
des rentes multiples, une fragmentation des marchés, etc.. De plus, les problèmes
méthodologiques s’accroissent lorsqu’on veut intégrer des contraintes autres que budgétaire,
temporelle ou technique, comme c’est le cas lors de la prise en compte des aspects
intergénérationnels, des obligations communautaires, des croyances, etc.. Enfin, le passage du
comportement rationnel d’un individu à celui d’un ménage, entité fréquemment observée et
analysée, pose problème. Déjà approché par Samuelsom, avec l’introduction d’un indice de bienêtre du ménage, puis Becker, avec son théorème de l’enfant gâté, il demande de choisir des
approches différentes selon les situations : agrégation des préférences individuelles et des points
de rupture, décision dictatoriale ou comportement coopératif, attitude altruiste ou égoïste
impliquant une articulation différente des fonctions d’utilité individuelle au sein de la fonction
d’utilité collective (Bourguignon et Chiappori, 1994). Dans le cas africain, la complexité
s’accentue avec la forte différenciation des individus et des ménages qui est basée sur les rôles
confiés aux hommes et aux femmes, aux aînés et aux cadets sociaux, aux diverses générations,
etc..
b) Les adaptations du cadre néo-classique
On peut cependant remarquer que le cadre néo-classique est suffisamment adaptable pour
tenir compte des nombreuses critiques formulées à l’encontre du marché ou même de la
rationalité économique des individus. Les récents développements ont tenu compte des critiques
keynésiennes et structuralistes et, dans une moindre mesure, marxistes, concernant l’imperfection
des marchés (fragmentation, information imparfaite, externalités, anticipations), la nécessité
d’une intervention de l’État (politique monétaire et budgétaire, lutte contre la pauvreté et
l’exclusion, vision de développement à long terme), le rôle des différentes classes sociales
(pauvres et non-pauvres, groupes de pression), etc.. Est ainsi apparu le courant de la synthèse
(Hicks, Samuelsom, Patinkin, Clower, etc.) considéré comme néo-classique par certains
(référence à la rationnalité économique, la défense du marché, la recherche de l’équilibre général)
et néo-keynésiens par d’autres (rôle actif de la monnaie, justification de l’intervention de l’État,
chômage involontaire résultant d’une insuffisance de la demande, déséquilibre entre l’épargne
fonction du revenu et l’investissement fonction du taux d’intérêt).
Dans les années 60, Becker, Mincer et Schultz développent l’idée que l’on peut réaliser
un investissement en capital humain quand on effectue des dépenses destinées à améliorer la
productivité future du travail humain. Les dépenses d’éducation (en formation initiale ou par
accumulation d’expériences), de santé (en incluant la nutrition et l’accès à l’eau potable) rentrent
dans cette catégorie. Elles permettent d’établir un lien entre les rémunérations obtenues au cours
du cycle de vie et les investissements qui ont été effectués initialement. Cette logique de
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maximisation sous contrainte d’une satisfaction est étendue à tous les domaines démographiques
(mariage et divorce, fertilité, planification familiale, relations au sein d’un ménage) et sociaux
(stratégie des femmes mariées, criminalité, justice, etc.). Elle soulève, cependant, le problème
fondamental du réductionisme économique qui ne considère que les comportements utilitaristes
de l’être humain.
Cependant les travaux de Sen (1987), l’introduction des droits et obligations
communautaires (Mahieu 1989), la prise en compte de l’altruisme africain et de l’importance de
l’information acquise par l’âge (Koulibaly 1995), l’existence d’un capital social lié au lieu
d’habitation et de travail (Schiff 1992), l’introduction de fonctions de choix qualitatifs dans
l’étude de l’accès à la santé, à l’éducation (DSA 1993), à l’habitat (Grootaert et Dubois 1987,
Thuillier 1992), permettent de corriger certains de ces excès.
Les stratégies de conflit entre groupes sociaux, chères à l’analyse marxiste, sont reprises,
dans le cadre néo-classique à travers la théorie du marchandage, la théorie de la menace et des
compromis (Schelling) où le bluff, les attitudes irrationnelles, les successions de dialogue et de
ruptures sont considérées comme l’essence même du jeu social. La théorie des jeux (Von
Neumann et Morgenstern) systématisera cette approche.
c) Les approches actuelles
De nouvelles voies théoriques concernant l’économie des ménages sont en cours
d’exploration, soit par remise en cause des hypothèses de l’économie néo-classique, soit par
proposition d’autres ouvertures. On peut en citer quelques unes.
La nouvelle microéconomie institutionnaliste (Simon 1991) soutient que l’efficacité des
mécanismes concurrentiels, loin d’être la règle, constitue l’exception et que le marché walrasien,
institution parmi d’autres, est une fiction qui devrait être remplacée par le concept de contrat :
contrat d’achat, de vente et de travail impliquant des coûts de transaction. Les outils d’analyse
sont alors la théorie des jeux (Myerson 1991) qui étudie comment se comportent des individus
rationnels en situation conflictuelle et l’économie de l’information qui aborde les difficultés
d’acquisition de l’information. Certaines hypothèses de la concurence pure et parfaite sont ainsi
abandonnées, comme l’atomicité et l’autonomie des acteurs, la transparence de l’information. On
peut alors étudier le comportements des ménages en situation de non-coordination des décisions
individuelles ou d’asymétrie de l’information. L’analyse du marché du travail avec ses théories
du salaire d’efficience (les entreprises fixent de hauts salaires pour inciter les travailleurs à
produire à un niveau d’effort élevé, ces hauts salaires entrainant du chômage) ou des
négociations collectives, l’évaluation de l’efficacité des politiques d’emploi constitue l’une des
applications de ces approches qui montrent l’inefficacité des transactions marchandes ne
conduisant plus à un optimum général mais à un gaspillage des ressources (Cahuc 1993).
Les années récentes ont été marquées par un regain d’intérêt pour l’analyse de
Schumpeter. L’analyse évolutionniste qui en résulte met l’accent sur le rôle central de
l’innovation dans les stratégies de compétitivité actuelle et dans les possibilités de relance de la
croissance interne. Il s’agit d’analyser l’ensemble des processus d’innovation qu’ils soient
technologiques, économiques ou sociaux, qui rendent les produits et services de la société plus
performants sur les marchés internes ou externes. On s’intéresse à la capacité des acteurs,
individus, ménages et groupes sociaux, à générer des initiatives, à les faire accepter socialement
et à les diffuser afin que des effets se fassent sentir au niveau macro-économique (Le Bas 1995).
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Face à la spécificité africaine la théorie néo-classique présente de nombreuses limites. La
non-transparence des informations, la fragmentation et le cloisonnement des marchés, l’existence
de décisions sous influence extérieure au ménage, la multiplication des contraintes, les situations
d’inégalités institutionnelles au sein du ménage, etc., pourraient être pris en compte au prix d’un
ajustement de la théorie économique et d’une sophistication accrue des modèles. Par contre les
critiques portant sur la vision économiciste de la famille, la satisfaction plus liée au pouvoir qu’à
la consommation, la hiérarchie des niveaux de décision réduisant l’autonomie des acteurs, le
refus des situations concurentielles et la recherche permanente de situations de rente, etc., risque
d’impliquer une révision plus fondamentales des hypothèses de la théorie néo-classique.
L’introduction d’éléments venant de la théorie de l’information (approche Mic-Mac de
Simon) et de la théorie des organisations (Requier-Desjardins 1992) apportent de nouveaux
éléments de réponse. On prend alors en compte les démarches adaptatives des agents microéconomiques face aux changements de l’environnement macro-économique. Ces réponses
structurées, sous forme d’actions relativement programmées, des agents, permettent, en retour, de
modéliser les transformations macro-économiques en tenant compte des ajustements progressifs
entre aspirations et contraintes. Dans les sociétés africaines très hiérarchisées cela demande, non
seulement un suivi régulier des réactions des acteurs, mais aussi l’introduction d’un niveau mesoéconomique qui prennent en compte les réactions des groupes sociaux.
A cet égard la socio-économie, avec ses nombreuses applications à l’étude du chômage,
des économies en transition, et de l’environnement, etc., peut apporter des éléments
complémentaire car elle s’oppose à la vision néo-classique purement utilitariste. Dans ce courant
de pensée, le marché est analysé en tant que construction sociale et le ménage n’est pas dissocié
de son environnement institutionnel et relationnel. Ce souci de faire converger sociologie et
science économique vers un paradigme nouveau permet de mieux expliquer la complexité du
comportement humain et de le considérer dans l’intégralité de sa socialisation (Bürgenmeier
1995). En Afrique, cela correspond à la prise en compte des liens de solidarité au sein des
familles, entre la ville et la campagne, traduisant l’existence d’un “altruisme africain”. Aux ÉtatsUnis, cela permet d’analyser l’importance des groupes de pression et la permanence d’une
fracture raciale au sein de la société.
Cette rapide revue des approches économiques du ménage montre la tendance à la
diversification extrême des théories actuelles afin de mieux expliquer une réalité socioéconomique complexe. La méthode économique pure, de source néo-classique et actuellement
dominante, doit en permanence s’adapter pour intégrer les diverses dimensions d’un
développement humain, qui veut que soient pris en compte les contraintes sociales, politiques,
culturelles et spirituelles en permanente interaction avec l’économie. Ces avancées sont encore
souvent balbutiantes. Elles prennent les formes simplifiées et parfois contestables d’indices de
développement humain ou de liberté politique, de concept de sécurité humaine, d’éléments de
développement social, etc.. Il leur manque encore un cadre de référence théorique unique.
Néanmoins elles se rapprochent d’une compréhension holistique du comportement humain,
facilitant en cela la connaissance propre aux ménages africains.
II. L’OBSERVATION ET LA MESURE DES COMPORTEMENTS
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Les concepts et les théories proposées pour la compréhension du comportement des
ménages sont issues de l’observation, qualitative comme quantitative, des phénomènes
économiques au cours des âges. Leur formalisation mathématique, initiée par l’école néoclassique (Cournot 1838), les premières études quantitatives, sur la pauvreté notamment
(Rowntree 1901), ont eu lieu à la fin du XIXème siècle. Les mesures empiriques ont eu pour but
de confirmer ou d’infirmer les concepts et les théories, ou d’en générer d’autres comme Engel, en
1895, pour la consommation alimentaire.
Par observation, on peut recueillir les informations permettant de décrire la situation des
ménages, notamment les caractéristiques démographiques et sociales, le niveau et les conditions
de vie, les comportements. En repérant les causalités on peut construire des modèles explicatifs
du changement de comportement (fonctions de comportement et de choix).
On utilise, dans ce but, des instruments qui sont capables de recueillir l’information
souhaitée tout en s’adaptant à la réalité économique, c’est à dire à la spécificité africaine.
Différents types d’enquêtes, des relevés monographiques, des modèles, etc., ont fait leurs preuves
concernant les récents objectifs de mesure des impacts des politiques d’ajustement et des effets
de la dévaluation du franc CFA, de suivi de la sécurité alimentaire, de la lutte contre la pauvreté,
des activités des femmes, du travail des enfants, etc.. Pour chacun de ces objectif il faut repenser
les instruments d’investigation disponibles en fonction des besoins d’information requis et de la
réalité locale. Il résulte de cette démarche systèmatique le cumul d’un important corpus de
connaissance méthodologique sur les techniques d’observation des ménages et d’analyse des
comportements.
1. Ce que l'on veut connaitre
Le lien entre les besoins d’information sur les ménages, les modes d’investigation
possibles, les objectifs d’une enquête, les méthodes d’observation, etc., a été amplement décrit
(Dubois 1992, Dubois et Blaizeau 1990 tome I). Mais il demeure indispensable de revoir cette
séquence à chaque fois qu’apparaissent de nouveaux objectifs. Or ceux-ci tendent à se multiplier
avec la variété des domaines étudiés et des demandes formulées en conséquence par les
décideurs économiques : auto-suffisance et sécurité alimentaire, niveau et conditions de vie,
analyse de la pauvreté, changements dans les comportements sociaux et innovation, impact des
projets de développement, impact des politiques économiques, etc..
Pour effectuer des enquêtes de marketing ou d’opinion publique on peut s’adresser à des
individus isolés, qui sont repérés en dehors du ménage, dès lors qu’une base de sondage adéquate
est disponible et permet de générer les quotas souhaités. Mais si l’on veut étudier des variables
économiques comme le revenu, les dépenses, la consommation qui prennent toute leur
signification au niveau du ménage et si l’on veut tenir compte des interactions entre les membres
d’une même famille, il faut recourir au ménage, seule entité qui articule les divers regroupements
de personnes existant - pour la résidence, le budget, la consommation, la production - et qui
permet de calculer avec exactitude les ratios par tête correspondants.
On sera même parfois obligé de faire appel au ménage pour étudier des situations
individuelles fortement imbriquées dans les relations familiales. Il s’agit, par exemple, du travail
d’enfants qui apporte un revenu complémentaire au ménage, de l’emploi des jeunes fortement lié
à l’éducation, l’emploi et le revenu des parents, de l’activité des femmes indissociable de leurs
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tâches familiales, et même parfois des déplacements de personnes dont les motivations sont plus
familiales qu’individuelles.
Il en résulte que la définition du ménage, basée sur une observation minutieuse des
habitudes socio-économiques locales, demeure la première et la plus importante étape de toute
investigation. Les informations qui sont ensuite recueillies pour répondre à la plupart des besoins
d’information recouvrent un corpus général comprenant :
- les caractéristiques démographiques du ménage : sa taille et sa composition ;
- des informations sur le niveau de vie : les sources de revenu (production, emploi,
commerce) et les dépenses des ménages (courantes et exceptionnelles) ;
- des informations sur les conditions de vie : satisfaction des besoins essentiels et accès
aux services de
base comme l’éducation, la santé, le logement, l’alimentation, le transport,
etc. ;
- des informations sur les comportements : type et choix de comportement, changement
de niveau (aspect quantitatif) ou d’état par substitution (aspect qualitatif) , apparition de
nouvelles attitudes, innovations économiques et sociales, etc..
Ces informations permettent de décrire la situation des ménages, en termes de niveau ou
de conditions de vie, de construire des modèles de comportement, descriptifs ou prévisionnels, et
d’opérer des classifications ou des typologies de ménages utiles à la mise en oeuvre
d’interventions ciblées.
Toutes ces informations se répartissent au sein d’une structure d’information, parallèle
aux structures d’analyse et de décisions qui intégre les différents niveaux macro, meso, microéconomique. Cela confirme l’existence d’un système d’information hiérarchisé au sein duquel les
informations sur les ménages ont une place privilégiée (Dubois 1994).
2. Des instruments d'observation et de mesure
L’étude historique de l’apparition des différents systèmes d’information montre qu’il y a
un étroit étroit entre l’évolution de la pensée économique et l’élaboration des systèmes
d’information sur les ménages susceptibles de fournir les informations qui sont requises pour
confirmer les théories en vogue et formuler des recommandations opérationnelles de politique
économique. Ainsi aux enquêtes spécifiques des années 60 qui fournissaient des indicateurs
essentiellement macroéconomiques pour la planification du développement ont succédé dans les
années 70 des systèmes d’enquêtes articulées, comme par exemple celles du PADEM pour
étudier les divers aspects du niveau et des conditions de vie. A la fin des années 80, des enquêtes
intégrées sont élaborées pour examiner le comportement des ménages, les conséquences sociales
de l’ajustement structurel et le niveau de pauvreté (Dubois 1996).
Plus récemment la multiplication des besoins d’informations, la nécessité d’informations
ciblées sur certains groupes sociaux, l’étude des changements de comportement et de
l’innovation sociale ont favorisé l’émergence de nouveaux instruments et de nouvelles approches
: greffes d’enquête, enquête en phases articulées, observatoires combinant les approches
quantitative et qualitative, etc..
3. Des instruments d'analyse
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Lors de l’analyse statistique, les outils de présentation classiques, à savoir les ratios,
tableaux, graphiques, courbes, méthodes factorielles et de classification, etc., sont neutres par
rapport aux objectifs poursuivis. Par contre la mise au point d’instruments sophistiqués,
indicateurs spécifiques, fonctions de comportements, ou modèles, et le choix de variables
considérées comme explicatives de certains comportements obèrent cette neutralité et visent à
infirmer, ou à confirmer, les hypothèses, et les principes, de la théorie économique.
On peut citer quelques exemples. L’ajustement de fonctions de consommation du ménage
se fait dans l’hypothèse d’un comportement de maximisation sous contrainte budgétaire et
temporelle. L’introduction d’une contrainte de droits et d’obligations améne à calculer des taux
de pression communautaire. De même les fonctions de production des ménages exploitants
agricoles sont estimées sous contraintes techniques. Des fonctions d’offre de travail et des
fonctions de salaire sont ajustées pour les différentes catégories de travailleurs. Des indicateurs
de pauvreté : lignes ou seuils de pauvreté, indices d’incidence ou de profondeur de la pauvreté,
peuvent être calculés pour différentes régions.
Au niveau macro-économique, les matrices de comptabilité sociale, les modèles
d’équilibre général calculable, les méthodes de ciblage demandent des informations particulières
sur la situation des ménages et font appel à une classification des ménages en groupes
homogènes.
De manière générale, plus on cherche à se rapprocher de la réalité socio-économique et à
intégrer sa complexité dans les modèles théoriques, plus les outils de mesure et d’analyse
deviennent sophistiqués. Par exemple, l’introduction de différents niveaux de décision au sein
d’un ménage producteur agricole demande d’articuler plusieurs fonctions d’utilité et différentes
contraintes au sein d’un même programme. De même l’introduction, en parallèle aux fonctions
de demande usuelles, de fonction de choix de produits ou de services pose le problèmes des
alternatives pertinentes. C’est le cas du choix d’un type de transport (bus rouge, bus bleu et taxi :
McFadden 1974), ou de l’articulation entre un type d’habitat et son mode d’occupation (locataire
et propriétaire : Grootaert et Dubois 1987). A chaque fois une approche sociologique ou
anthropologique permet de repérer les comportements, d’observer les causalités et d’effectuer un
lien avec la démarche économique (comme par exemple dans Bonfiglioli 1992).
Un travail de synthèse historique demeure encore nécessaire pour montrer comment les
instruments d’observation des ménages, et d’analyse de leurs comportements, ont pu être
élaborés avec le double objectif de répondre aux besoins d’information des décideurs, influencés
par les approches théoriques, et de retracer le mieux possible une réalité socio-économique, vécu
quotidien des ménages.
III. LIEN AVEC LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
La recherche sur les ménages, dans ses aspects théoriques comme empiriques, vise à
transformer des interrogations en réponses opérationnelles pour la conception des politiques
économiques ou sociales. Or dans les faits les théories qui existent sont souvent insuffisantes,
pour ne pas dire contradictoires, pour préconiser des mesures qui soient en cohérence avec les
réalités socio-économiques. La confrontation, entre recherche et réalité socio-économique, sous
la forme de recherche-action, a pour but d’intégrer les résultats des recherches dans la logique
opérationnelle des politiques économiques et des projets de développement. Il s’agit, après la
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création du cadre de référence théorique et la mise en oeuvre de méthodologies d’observation et
d’analyse, de la troisième dimension de la recherche.
a) Politiques économiques et projets de développement
Les bailleurs de fonds ont coutume de distinguer trois types d’opérations : les politiques
macro-économiques, les politiques sectorielles et les projets. Et la recherche peut apporter
quelque chose de neuf dans la formulation et l’évaluation de ces politiques, programmes ou
projets orientés vers le développement (Mahieu 1994).
Les politiques macro-économiques mises en oeuvre en Afrique sont actuellement
tournées vers la stabilisation monétaire, l’ajustement structurel et la réalisation de réformes
économiques. La mesure de leur impact social demande de se pencher sur la situation des
ménages. D’une part, l’étude du niveau et des conditions de vie avec les analyses de pauvreté que
cela implique. D’autre part, l’étude des interactions, sous forme itérative, entre les décisions
macro-économiques et les réactions des ménages, avec les formes d’innovation ou de
désagrégation sociale que cela implique. Les méthodes dans ce dernier cas sont encore loin d’être
opérationnelles.
Les mesures de politiques sectorielles ont aussi un impact social important. Il peut
résulter de mesures prises dans des secteurs non sociaux mais dont l’impact atteint des groupes
sociaux particuliers. Par exemple, lorsqu’il y a privatisation de certaines entreprises publiques
(transports urbains de Yaounde), ou libéralisation du commerce et des prix d’une filière (café et
cacao au Cameroun). Il peut aussi résulter de mesures d’ajustement dans les secteurs sociaux
proprement (santé, éducation, etc.). Par exemple lorsque la politique de santé introduit le
recouvrement des coûts ou applique les décisions de l’Initiative de Bamako. Enfin certaines
orientations de la politique sociale ont des implications directes sur l’ensemble des secteurs.
C’est le cas, par exemple, des politiques de l’emploi, ou de lutte contre la pauvreté et l’exclusion
.
Les programmes, ensemble d’interventions, et les projets de développement visent plutôt
à satisfaire des objectifs de production ou des objectifs socio-économiques particuliers associés à
certains groupes de population. Il s’agit, en général, de mesures ciblées, dans le temps, dans
l’espace, qui visent à aider ou à protéger des groupes spécifiques, dans un domaine particulier. Il
y a donc un lien direct avec des ménages considérés comme bénéficiaires du programme ou du
projet.
b) Un cadre référentiel théorique
Il y a derrière la mise en oeuvre de ces politiques, programmes et projets, un cadre de
référence théorique, qui n’apparait pas au premier abord. Il permet de justifier l’utilisation des
crédits qui sont affectés au développement. Ce cadre est imprégné par la vision classique et néoclassique de l’économie qui met l’accent sur quelques principes considérés comme universels :
favoriser le marché et la réalisation de la concurrence, renforcer l’initiative privée et réduire le
rôle de l’État, favoriser l’ouverture sur l’extérieur et les exportations. On peut que la réalisation
de chacun de ces principes aura une implication sur la situation des ménages, pris
individuellement ou au sein de groupes sociaux. Même si cela se passe de façon non directe. Ces
implications sur la cohésion sociale, la pauvreté et l’exclusion sociale ont été soulignés lors du
Sommet mondial sur le développement social de Copenhague, du 6 ou 12 mars 1995. Mais le
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plan d’action proposé ne remet pas en cause les fondements de l’économie libérale, source de
croissance économique.
Sous l’égide des bailleurs de fonds, qui s’associent plus ou moins aux orientations des
institutions de Bretton-Woods, un cadre de gestion macro-économique libéral et néo-classique
est appliqué à tous les pays du monde et s’appuit sur : la liberté des prix et des échanges au
niveau interne, les avantages comparatifs et le renforcement de la compétivité au niveau externe.
Les programmes de stabilisation et d’ajustement structurel tentent de réformer les économie dans
ce sens en agissant autant sur la demande globale (équilibre budgétaire, équilibre de la balance
des paiements, stabilité des prix) et sur l’offre (restructuration du secteur public, privatisation,
aide à l’agriculture, à la création d’entreprises). Ils visent à insérer les économies dans le marché
mondial avec pour objectif de favoriser une croissance optimale, tirée par l’exportation, qui,
ultime finalité, permettrait de lutter contre la pauvreté (Michaïloff 1994). La Banque Mondiale et
le PNUD se rejoignent pour associer les deux objectifs : la croissance économique et
l’éradication de la pauvreté. Même s’il y a accord sur le fait que le deuxième objectif traduit la
finalité du premier, la Banque a tendance à mettre sa priorité sur le premier objectif et le PNUD
sur le deuxième. Il complète d’ailleurs cet objectif par l’introduction du concept de
développement humain qui a le mérite d’élargir le débat aux aspects sociaux, politiques, culturels
du développement.
La pensée économique influence la définition du rôle que tient l’État dans la vie
économique et, en conséquences les types d’interventions qu’il doit effectuer. Le débat sur le rôle
de l’État a commencé avec les économiques classiques (Smith) qui considéraient que son
intervention empêchait le marché de fonctionner correctement. Les économistes, d’inspiration
libérale, soutiennent toujours que l’économie fonctionnerait plus efficacement, selon une logique
de concurence parfaite, si l’État n’intervenait pas dans les relations marchandes et se limitait à
assurer ses fonctions régaliennes.
En fait, il y a plusieurs écoles dans la pensée néo-classique. Celle de l’économie publique
pense qu’il faut corriger les défauts du marché en raison de l’existence de biens publics et
collectifs et d’effets externes (déconomies externes) qui n’appartiennent pas au marché.
L’intervention de l’État a pour but de maximiser le bien-être social et l’économie du bien-être
devient l’instrument analytique qui guide son action. Dans le même sens Arrow a démontré que
les choix collectifs ne peuvent se déduire de la combinaison des préférences individuelles au sein
d’un processus démocratique (théorème d’impossibilité de Arrow). Ceci définit le rôle de l’État
comme arbitre des préférences des agents avec l’objectif de maximiser le bien-être social.
On rejoint ainsi les théories actuelles de la croissance endogéne qui justifient
l’intervention de l’État pour assurer le maintien d’un capital public (infrastructure et marchés),
d’un capital humain (santé et éducation) qui facilite la réalisation du marché. C’est dans ce cadre
que la lutte contre la pauvreté devient une priorité absolue et donc la finalité de la croissance
économique. Elle a pour effet de rappeler que les ménages demeurent des acteurs de premier
plan, qu’ils soient abordés de façon agrégée dans le cadre macroéconomique ou ciblés au niveau
meso-économique.
c) Des exemples de politique sectorielle
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On peut examiner à travers quelques exemples l’impact, sur les ménage, des politiques
sectorielles mises en oeuvre dans ce cadre général de référence théorique. Ces exemples
expriment le lien entre la pensée économique et les réalisations effectuées.
L’impact social des politiques d’ajustement a été initié avec le programme Dimensions
Sociales de l’Ajustement qui a fait appel à de nombreuses méthodologies analytique : systèmes
d’information, modélisation sociale, identification des relation macro-meso-micro, identification
des pauvres et vulnérables, actions de correction comme les fonds sociaux.
Cette démarche est maintenant généralisée à l’analyse des effets des politiques de prix et
de dévaluation, de privatisation, de libéralisation du commerce, monétaire et fiscale, etc., sur les
plus pauvres. La théorie économique permet de répondre à de nombreuses questions les
concernant : effet d’une dévaluation sur les groupes sociaux, effet de la libéralisation du café et
du cacao en Côte d’Ivoire, effet de la réforme fiscale sur les ménages, mais aussi effet de la
distribution d’une allocation aux mères de famille, de l’impôt sur la fortune et de la suppression
de l’impôt sur le revenu (Allais 1989), coût de la protection du capital humain et de la
satisfaction des besoins essentiels, etc..
La mesure de l'impact des politiques et des projets de développement fait appel à des
outils spécifiques : enquête d’évaluation quantitative, enquête qualitative d’impact auprès des
bénéficiaires, méthodes accélérées de recherche participative (MARP), modèles d’équilibre
général calculable qui se réfèrent à la théorie de l’équilibre général, etc..
Les politiques d’emploi mettent en oeuvre un certain nombre de mesures concernant
l’emploi des jeunes (formation et recyclage, aide à la création d’entreprise), des femmes
(alphabétisation, petit crédit, groupements coopératifs, maraichage peri-urbain), la réalisation de
travaux à haute intensité de main d’oeuvre (construction de routes, assainissement, nettoyage
urbain, etc.). Dans ce dernier cas on retrouve une certaine influence de la pensée keynésienne.
La politique sociale est de plus en plus réalisée sous une forme holistique avec des
thèmatique intégrées comme la lutte contre la pauvreté et l’exclusion qui permettent d’effectuer
plusieurs types d’intervention complémentaires aux niveau macro et meso-économiques. En se
basant sur l’étude des dépenses par tête des ménages, l’établissement de seuil de pauvreté
différenciés, la caractérisation des classes pauvres, on classe les ménages en fonction de leurs
accès à la santé, à l’éducation, à l’emploi, aux diverses sources de revenus, etc.. On considère
alors des groupes sociaux déterminé a posteriori sur lesquels porteront les actions de lutte contre
la pauvreté dans son ensemble. Ces actions prennent diverses formes : redistribution sociale,
transfert monétaire, distribution ciblée. En général e ciblage est toujours difficile àeffectuer et
souvent coûteux. Son coût théorique pour éliminer la pauvreté est facilement calculable en
pourcentage du PNB (Kanbur 1990), mais le coût réel, qui inclut le mécanisme de distribution est
beaucoup plus élevé et peut annuler le bénéfice du ciblage.
D’autres approches considère l’impact institutionnel et son lien avec la subsidiarité, la
gouvernance, et la participation des population. Elles mettent l’accent sur les groupes sociaux,
qui dans les espaces de liberté qui leur restent, ajustent leurs comportements et génèrent des
initiatives locales permettant de suppléer aux carences de l’État. Elles insistent donc sur le rôle
de l’innovation sociale à la fois comme élément de restructuration et de relance économique. On
retrouve là l’influence des travaux de Schumpeter sur l’innovation technique et de l’école du
« Public Choice » qui dénonce les interventions de l’État non comme le fait d’individus
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désintéressés, habités de l’esprit de service public, mais comme le résultat de groupes de pression
qui recherchent des rentes de situation.
En conclusion, on peut dire que la traduction en termes de politique économique ou
sociale des théories économiques pose encore bien des difficultés. L’approche classique demeure
dominante car sa capacité d’adaptation est forte et elle intégre petit à petit des éléments de toutes
les autres approches. Toute décision macro ou meso-économique a un impact sur les ménages de
façon plus ou moins directe, avec souvent un effet retroactif. En conséquence ceux-ci peuvent
modifier leurs comportements quitte à modifier l’environnement d’ensemble et à empêcher les
effets attendus des mesures mises en oeuvre. Les hypothèses sur le marché et la concurence
parfaite deviennent contestables (surtout en ce qui concerne le marché du travail), des inconnues
théoriques demeurent (allocation au sein du ménage, relations entre les ménages au sein d’une
communauté), et la complexité africaine demande à être mieux prise en compte.
Il devient alors nécessaire d’élargir le concept de rationnalité économique à celui de
rationnalité sociale au niveau micro-économique. D’autres approches pourraient être envisagées
notamment grâce à la nouvelle macro-économie keynésienne pour laquelle l’équilibre est plus le
résultat de décisions stratégiques que de forces anonymes dans un contexte libéral. Elle
permettrait de réintégrer le rôle de l’histoire et des croyances pour expliquer les déséquilibres
macroéconomiques.
Conclusion
Qu’en est-il actuellement de la recherche économique sur les ménages ? Elle se poursuit
dans de nombreuses directions comme l’allocation du temps (travail et loisir, travail familial ou
salarial des femmes, coût de la recherche d’information, etc.), le bien-être (revenu et épargne,
alimentation, habitat, transport, etc.), la formation du capital humain (éducation, santé, nutrition,
etc.), les choix démographiques (cycle de vie, mariage, fertilité, problème de genre), les choix
collectifs (justice, sécurité sociale, etc.), etc.. Cependant il n’y a guère d’ouvrages qui retracent
en une somme unique l’ensemble de ces connaissances. De plus, dans le contexte africain, leur
pertinence demande à être revue et testée par des travaux empiriques supplémentaires.
Dans le même temps, le contexte mondial de globalisation, en accentuant la tendance
identitaire des différents groupes sociaux, demande que les aspects meso-économiques soient
pris en compte au sein d’une théorie appropriée. Ceci afin d’apporter une meilleure
compréhension des situations et de leurs évolutions : comportements de survie, innovations
sociales, réactions aux mesures macro-économiques, etc.. Il en est de même pour les situations
d’individualisation extrême qui apparaissent souvent liées aux phénomènes de pauvreté et
d’exclusion (présence des enfants de la rue, mendiants, etc.).
Pour l’instant l’approche néo-classique est celle qui domine la pensée économique,
notamment en ce qui concerne les aspects micro-économiques de comportement des ménages.
Elle cherche à intégrer, de par sa prétention à l’universalité, tout nouveau comportement :
réaction à la pauvreté, importance des groupes sociaux, redistribution traditionnelle ou
volontaire, blocages du marché du travail, recherche de modes de financement spécifiques, etc..
Le nouveau paradigme du développement humain demande de prendre en compte
d’autres dimensions que celle d’économique. Toutes les actions du ménage dans les domaines
social, politique, culturel, ethique ou spirituel sont maintenant concernées. Leur intégration au
13
sein d’une unique théorie du comportement impose d’élargir l’approche de rationalité du ménage
aux autres dimensions, passant de fait d’une rationnalité économique à une rationnalité sociale, et
donc de faire appel aux connaissances issues des autres domaines scientifiques.
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