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Favoriser l’activité des auxiliaires est une des actions cohé-
rentes à mettre en œuvre dans une stratégie environnemen-
tale au jardin. « Stratégie » vient du grec στρατός, armée, et
αγειν, conduire : “ Art de coordonner l’action de l’ensemble des
forces pour conduire une guerre, gérer une crise ou préserver la
paix ”, son objectif est global, à long terme. Les termes, donc
les concepts, utilisés en protection des plantes sont issus
du vocabulaire guerrier, mal adapté aux objectifs actuels de
cette «protection», mot maintenant préféré à «lutte». La
protection des plantes s’inscrit dans la démarche globale de
développement durable. Ses objectifs sont de protéger nos
plantes, cultivées ou non, vis-à-vis des organismes bioagres-
seurs, en respectant l’environnement biotique et abiotique, à
un niveau de dégâts ou désagréments acceptable.
I. Quels sont nos moyens ?
La protection biologique intégrée(1), qui valorise la portée des
éléments naturels de régulation des bioagresseurs en privi-
légiant la protection biologique, répond à nos objectifs (Rat-
Morris, 2009). Robert Barbault (2011), dans son introduc-
tion à ce colloque, insiste : “ il faut agir avec la nature et pas
contre elle ”.
Nos auxiliaires (du latin auxilium secours, « Personne ou chose
qui aide temporairement ou accessoirement ») sont principale-
ment les animaux prédateurs et parasitoïdes(2), et les pollini-
sateurs. Les agents entomopathogènes, les organismes anta-
gonistes d’agents phytopathogènes (bactéries, virus…) et les
organismes décomposeurs (recycleurs) ne seront pas abordés
ici (voir Albouy, 2011).
La protection biologique par conservation vise à préserver les
auxiliaires présents dans l’agroécosystème et à en augmenter
la diversité et la quantité en aménageant l’environnement
pour favoriser leur activité à notre profit. On parle alors
de biodiversité fonctionnelle. Cet aménagement peut être
complété par des lâchers ponctuels d’auxiliaires (Rat-Morris,
2009). En agissant sur les chaînes trophiques, nous fourni-
rons à nos auxiliaires le gîte et le couvert.
Quelles bases scientifiques ? Comprendre les relations
entre les plantes et leur environnement peut permettre
d’agir en faveur des plantes. Le fonctionnement des chaînes
trophiques, les interactions entre les différents protagonistes
et leur évolution dans le temps sont abordés par différentes
approches scientifiques. Avec l’étude de la dynamique des
populations et de la génétique des populations, l’écologie
chimique fournit des clés intéressantes pour comprendre les
communications entre les plantes, les bioagresseurs et leurs
ennemis. En cette année de la chimie, il m’a paru intéressant
de porter un regard sur la façon dont les plantes attirent ou
repoussent leurs ennemis et dont les auxiliaires trouvent les
plantes et les proies ou hôtes qui permettent leur développe-
ment, via une messagerie chimique.
COMMENT FAVORISER L’ACTIVITÉ DES AUXILIAIRES
Elizabeth Rat-Morris
Agrocampus Ouest
(1) La protection Intégrée est une conception de la protection phyto-
sanitaire fondée sur la connaissance du milieu et de la dynamique
des populations présentes dans les agroécosystèmes. En valorisant
la portée des éléments naturels de régulation, son application fait
intervenir, de façon aussi compatible que possible, l’ensemble des
techniques et méthodes capables de maintenir les ravageurs et
maladies en dessous des seuils de dégâts économiques, tout en satis-
faisant aux exigences d’ordre écologique, toxicologique et écono-
mique. (Adapté de F.A.O., 1970, O. I. L. B. – S. R. O. P., 1973 et
Brader, 1975). Le terme de PBI (protection biologique intégrée) est utilisé
pour signifier le choix prioritaire de la protection biologique pour
la protection intégrée d’une culture ou d’un écosystème.
(2) Un parasitoïde est un insecte qui se développe sur ou dans un
autre organisme, son hôte, en général un autre insecte, entraînant à
terme la mort de celui-ci comme conséquence directe ou indirecte
de son développement.
www.snhf.org
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II. La communication chimique
Interactions et communication chimique. Les défenses des
plantes sont constitutives et/ou induites. Les défenses
constitutives font partie intégrante de la plante. Leur
expression demeure constante indépendamment des
facteurs environnementaux. Ces défenses peuvent être de
nature physique (épines, trichomes, soies ou cires), et/ou
chimique (par ex. les glucosinolates chez les Brassicacées).
Ces défenses peuvent aussi être induites en réponse à l’at-
taque d’un phytophage (Green et Ryan, 1972). En plus de ces
mécanismes de défenses directes, les plantes peuvent bénéfi-
cier de défenses indirectes en favorisant l’action des ennemis
naturels des bioagresseurs phytophages. Pour cela, elles
peuvent fournir aux ennemis naturels – nos auxiliaires – des
refuges physiques, des sources de nourriture complémen-
taires, ou des signaux chimiques volatils leur permettant de
trouver plus efficacement leurs hôtes ou proies. Les ennemis
naturels sont capables de reconnaître de manière spécifique
les composés émis par les plantes attaquées par leurs phyto-
phages hôtes (Agbogba et Powell, 2007).
L’écologie chimique s’intéresse à ces communications
chimiques complexes :
HORMONES
ECOMONES [ PHEROMONES
SEMIOCHIMIQUES [ ALLOMONES
ALLELOCHIMIQUES [ KAIROMONES
Substances sémiochimiques : signaux chimiques servant au
transfert d’information chez les êtres vivants. Substances
allélochimiques : substances permettant des signaux entre des
individus d’espèces différentes. Les allomones confèrent
l’avantage à l’espèce émettrice (ex. substances de défense),
les kairomones confèrent l’avantage à l’espèce réceptrice (ex.
attractifs alimentaires, stimulateurs de ponte).
Les mécanismes de reconnaissance de la plante par l’insecte
impliquent l’olfaction, le goût, la vision, les organes mécano-
récepteurs, ainsi que la coïncidence spatio-temporelle des cycles.
Celle-ci est principalement dépendante de la température
pour tous les animaux sans régulation thermique (= poïki-
lothermes). Elle peut être régulée par la diapause et/ou la
migration.
Les interactions entre les chaînes tritrophiques et l’environne-
ment sont l’objet de recherches dans l’UMR Bio3P (Agro-
campus-Ouest). Les exemples suivants sont tirés des thèses
soutenues en décembre 2011 par Pauline Le Guigo et Prisca
Pierre.
Influence de la présence de colza voisin sur la colonisation
du chou par les pucerons Brevicoryne brassicae et leur para-
sitoïde Diaeretiella rapae (Le Guigo, 2011). Sur le terrain, le
taux de parasitisme du puceron du chou par D. rapae est plus
important sur le chou quand il est entouré par des plants de
colza. Au laboratoire, les parasitoïdes choisissent préféren-
tiellement les colzas voisins sains puis passent sur les choux
infestés. Ainsi, les colzas voisins protègent les choux contre
les pucerons B. brassicae par attraction du parasitoïde spécia-
liste D. rapae.
Performances des pucerons Brevicoryne brassicae (spécia-
liste), Myzus persicae (généraliste), et de leur parasitoïde
commun Diaeretiella rapae sur différentes Brassicacées (Le
Guigo, 2011). La séquestration des glucosinolates de sa
plante hôte par le puceron B. brassicae constitue une bonne
défense contre les prédateurs, mais pas contre le parasitoïde.
Les performances du parasitoïde ne sont pas en relation
avec celles du puceron M. persicae, ni avec le caractère des
plantes testées : cultivées (chou Brassica oleracea, colza B.
napus) ou non cultivées (moutarde noire B. nigra et moutarde
des champs Sinapis arvensis).
Défenses indirectes des Brassicacées contre la mouche du chou
(Pierre, 2011). Des expériences en olfactométrie montrent
que Trybliographa rapae, parasitoïde spécialiste de la mouche
du chou, Delia radicum, insecte consommateur de racine,
n’est pas attiré par les choux attaqués simultanément par la
mouche du chou (espèce hôte du parasitoïde) et par la piéride
du chou Pieris brassicae, ravageur folivore, (espèce non hôte).
L’attaque simultanée par les espèces hôte et non hôte réduit
l’efficacité du comportement de recherche du parasitoïde.
Les essais de plein champ sur le brocoli Brassica oleracea var.
italica montrent par ailleurs que les taux de parasitisme de D.
radicum sont considérablement réduits sur les plantes atta-
quées simultanément par la mouche et la piéride du chou.
Ces exemples montrent la complexité des relations entre
les différents niveaux trophiques. De telles études orientent
cependant les choix pour l’aménagement du jardin.
III – Aménager le jardin
Choix de plantes et abris. Le choix judicieux des plantes, et de
leur association, permet de fournir aux auxiliaires la nourri-
ture et l’habitat, tout au long de l’année, afin de les maintenir
et de les attirer. Des refuges leur fournissent un abri pendant
l’hiver.
L’étude sur la dynamique des populations des espèces du
complexe Chrysoperla carnea, réalisée par Johanna Villenave
en 2006 pour sa thèse au laboratoire PBI de l’INHP, illustre
bien les démarches conduisant au choix des végétaux. Elle
montre par les inventaires et l’analyse du contenu des tubes
digestifs (identification des grains de pollens consommés et
du miellat), que ces Chrysopidae utilisent plusieurs types d’ha-
bitats pour leur cycle de vie. Les adultes de Chysoperla affinis
sortant de diapause apparaissent dans les agroécosystèmes
dès janvier et se nourrissent alors de pollen d’espèces arbo-
rescentes et arbustives. Les générations suivantes se nour-
rissent et pondent sur végétation basse, de juin à mi-août.
À partir de septembre, elles commencent à se nourrir de
miellat dans la végétation arborescente pour constituer leurs
réserves lipidiques. À partir de novembre, les adultes diapau-
sants migrent vers les sites d’hivernage (greniers, bûchers,
boîtes d’hivernage…) En hiver, quelques individus sortent
des sites d’hivernage et consomment du pollen de plantes
fleurissant durant cette période. Chrysoperla lucasina présente
à peu près les mêmes types de déplacements et de migra-
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tions, mais cette espèce apparaît inféodée à la végétation
basse (Villenave, 2006).
S’il est difficile de connaître les besoins alimentaires et les
habitats de chaque espèce, miellat et pollen sont au menu
de nombreux auxiliaires parasitoïdes, prédateurs et pollinisa-
teurs : hyménoptères, mouches, syrphidés aux larves préda-
trices, chrysopes, et bien d’autres auxiliaires potentiels. Cela
conduit à fournir tout au long de l’année des plantes fleuries
dans les différentes strates, avec des associations végétales
adaptées. En hiver par exemple, noisetier, lierre, laurier-tin,
bruyère, mercuriale procurent pollen et nectar. Le choix de
variétés résistantes s’impose bien sûr chaque fois que c’est
possible (voir M.C. Daunay et R. Brand, 2011). La diversité
des espèces est un atout, de même que la diversité au sein
d’une même espèce végétale (plantes issues de semis plutôt
que boutures pour les haies par exemple). On rejoint ici les
objectifs du maintien de la biodiversité.
Organisation spatiale. L’organisation spatiale facilite la
connexion entre les différents milieux dans le jardin et avec
les abords. Pour chaque espèce, le paysage est caractérisé
par la surface d’habitat disponible, la qualité de l’habitat, la
connectivité ou l’isolement de cet habitat. La complexité
accroît les interfaces possibles et donc augmente les oppor-
tunités d’interactions (positives ou négatives, de notre point
de vue). Le jardin accueillant pour les auxiliaires doit allier
connectivité, complexité et zones refuges. Il comporte, avec
un choix de végétaux adaptés :
- des haies dites «entomophiles», alliant différentes strates
de végétation ;
- des zones enherbées en bordure des planches du potager,
des bandes fleuries ;
- des zones d’»herbes folles», plantes pouvant ailleurs
paraître indésirables, comme les orties ;
- des gazons plus proches de la pelouse botanique que du
terrain de golf ;
- une diversité de plantes dans le potager et le jardin d’agré-
ment ;
- des refuges, comme des tas de bois, des murets, des «maisons
à insectes».
Il est intéressant de laisser une part importante à la végé-
tation indigène, à laquelle la faune locale est mieux adaptée
qu’à des espèces exotiques.
Les différents compartiments du jardin peuvent être reliés
par un continuum de végétation plutôt que séparés par un
gazon ras ou des aires minéralisées.
Le jardin dans son environnement. Le jardin n’est pas isolé :
la protection biologique intégrée doit et peut être gérée à
l’échelle du territoire dans lequel il se situe. Les ceintures
vertes de villes permettent des actions en cohérence entre
les exploitations agricoles, les espaces verts et les jardins
particuliers. Ces actions doivent s’appuyer sur une orga-
nisation de l’espace où l’aménageur ou l’urbaniste doivent
assurer une bonne connectivité, évitant que les voies de
circulation servent à séparer plus qu’à relier et donnant leur
pleine importance aux liaisons végétales.
Conclusion
Favoriser l’activité des auxiliaires est de l’intérêt commun de
tous, jardiniers, agriculteurs, gestionnaires d’espaces verts,
aménageurs du territoire. La recherche est nécessaire pour
valider (ou invalider) l’expérience de terrain et les intuitions
qui guident une bonne part des aménagements proposés, et
pour trouver de nouvelles pistes pour une protection des
plantes cohérente avec le développement durable.
Références
Agbogba B.C. & Powell W., 2007. Effect of the presence of a
nohost herbivore on the response of the aphid parasitoid D to the
host-infested cabbage plants. Journal of Chemical Ecology 33 :
2229-2235.
Albouy V., 2011. Rôle des Insectes. Colloque SNHF, Montpel-
lier, 20 mai 2011.
Barbault R., 2011. La biodiversité : une autre façon de voir le
monde. Colloque SNHF, Montpellier, 20 mai 2011.
Daunay M.C. & Brand R., 2011. Bien choisir les espèces et les
variétés. Colloque SNHF, Montpellier, 20 mai 2011.
Green T.R & Ryan C.A., 1972. Wound induced proteinase inhi-
bitor in tomato leaves. Evidence for a proteinase inhibitor inducing
factor. Federation Proceedings, 31(2): A862.
hyménoptères mouche syrphide
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