ENTRER EN PHILOSOPHIE !
QU’EST-CE QUE C’EST ?
QUEST-CE QUUN « GRAND TEXTE » PHILOSOPHIQUE ?
Lallégorie de la Caverne, immédiatement précédée par une
analyse des genres de connaissance, est un des passages les plus
célèbres de « La république » de Platon. Le Doute et le Cogito
exposés par Descartes dans son « Discours de la méthode » et
dans ses « Méditations métaphysiques » font partie de ces
thèmes universellement abordés dans les études de philosophie.
La réputation de ces textes danthologie nest pas surfaite. Ce
sont là de « grands textes » .
Quest-ce quun « grand texte » philosophique ? Celui que la
tradition philosophique nous propose comme tel ? Sans doute !
Le jugement de la tradition est un signe de reconnaissance de sa
valeur, mais ce nest pas la raison de sa valeur. Un texte philoso-
phique est « grand » à un double titre : dabord parce que son
auteur a réussi à penser, avec beaucoup de justesse, un ou
plusieurs aspects essentiels de notre existence humaine et ensuite
parce quil offre au lecteur la possibilité de penser à nouveau,
par lui-même et comme à sa source en lui-même, ces divers
aspects de sa propre existence.
Un texte philosophique est « grand » parce quil nous est
intérieur, parce quil peut recevoir un sens qui vient du fond de
notre être, là où nous pouvons vraiment rejoindre son auteur
parce que nous sommes rejoints par lui. Un grand texte reçoit un
sens quil nous aide à découvrir en nous-mêmes, et ainsi sa juste
vérité nous révèle notre réalité authentique.
À lécole dun grand texte philosophique, il nous est donc
possible « dentrer en philosophie ». Nous disons « entrer en
philosophie » et non « servir dintroduction à une présentation de
la philosophie ». Cest « banaliser » un grand texte, le rendre
« insignifiant » que de sen servir comme dune publicité pour la
philosophie. La publicité nous parle dune chose quelle ne sera
jamais, même si elle nous offre un « échantillon » de ce dont elle
parle. Honorer un grand texte philosophique, ce nest pas lui
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demander de nous « parler de » la philosophie, cest « en faire
avec lui ».
« Faire de la philosophie avec un grand texte philosophique »
ce nest pas seulement sen servir comme dun matériau quon
transforme pour en faire un produit dérivé, à limage du potier
qui fait son vase « avec » de largile, ni seulement recourir à son
aide comme à un modèle ou un patron, pour faire de même ;
mais cest vraiment faire de la philosophie « ensemble avec »
lui, comme des parents font « ensemble » leur enfant, un être
nouveau, et leur bonheur familial.
Il nest pas dêtres qui, à sa mesure, ne fassent exister dautres
êtres ou ne les fassent être davantage. La lecture signifiante dun
texte philosophique nous met déjà dans une situation de
dialogue, préparatoire à la lente découverte que le sens ultime de
lexistence se dévoile dans la véritéo de la communication de
lêtre : « être, cest faire être ».
PHILOSOPHER EN VERITE AVEC LUCIDITE CRITIQUE
Philosopher, cest avoir laudace dinventer un sens de l’Être
qui soit approprié à la
1
véritéo de lexistence humaine, et que
lon puisse réaliser comme un idéal de vie.
C’est une œuvre éminemment personnelle. Personne ne
peut nous remplacer et inventer à notre place le sens de notre
existence. Pourtant cest bien un sens à visée universelle que
celui qui procède d’une œuvre d’invention personnelle en
philosophie ! On ninvente pas de sens seulement « par et pour
soi », mais aussi « avec et pour les autres ». Dautres en ont donc
déjà inventés « pour nous ». Nous ninventons donc des sens
quen continuant dinventer, en prolongeant linventivité
dautres avant nous. Inventivité dautrui qui féconde la nôtre.
1
. Nous écrivons « véritéo » (vérité-exposant « o »), pour signifier qu’il s’agit de la
« vérité Ontologique », c’est-à-dire de la « réalité en tant qu’elle est intelligible en elle-
même », c’est-à-dire susceptible d’être connue adéquatement par un être intelligent.
« Véritél » (vérité-exposant « l ») signifiera qu’il s’agit de la « vérité logique », c’est-
à-dire de la propriété du jugement pour autant qu’en cet acte le sujet connaissant se
conforme à lui-même en tant qu’être connaissant (aspect d’exercice de la pensée en
lien avec l’aspect formel du jugement ou du discours) et à l’objet connu en tant que
réalité connue (aspect de détermination de la pensée en lien avec l’aspect matériel du
jugement ou du discours).
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Cest pourquoi une telle entreprise ne peut être menée à bien
dans lisolement et la solitude. Pour être vraiment fructueuse,
elle doit être fécondée. Elle doit donc prendre appui sur la
tradition des efforts humains qui sappliquèrent déjà à cette
tâche. Instruits de la diversité des sens ainsi inventés par les
hommes, nous pouvons mieux approcher la véritéo de lexistence
humaine qui nous apparaît plus clairement à travers eux. En
approchant mieux la réalité de notre existence humaine grâce
aux éclairages de ces divers sens que nous livre la tradition
philosophique, nous pouvons aussi en retour mieux apprécier la
valeur de ces sens déjà inventés en les confrontant critiquement à
laune de la véritéo de lexistence humaine, telle quelle est réelle
en nous-mêmes. Nous pouvons ainsi les confirmer ou les
infirmer, les modifier, les compléter ou les affiner. Travail que
nous faisons pour nous-mêmes, certes, mais aussi pour dautres,
actuels et futurs, parce que nous lavons fait avec dautres,
actuels et passés, pour que la tradition se poursuive de manière
vivante.
La lucidité critique, qui nous fait comparer toute tradition de
sagesse à la réalité de notre existence, marque laccès à l« âge
adulte » de la philosophie.
L« enfance » de la pensée philosophique recevait une tradi-
tion de sagesse comme si elle était la « révélation » adéquate et
indiscutable de la véritéo de notre existence, sans soupçonner ou
sans admettre que cette tradition puisse être insuffisante et donc
amendable.
« Adolescente », la pensée philosophique se contente seule-
ment de comparer un courant de tradition à un autre, cest-à-dire
en fait une opinion reçue à une autre, une croyance transmise à
une autre.
Dans le premier cas, les œuvres dinvention des devanciers
sont reçues « filialement, selon diverses lignées » comme des
héritages intangibles des Pères, et dans le second, les diverses
créations du passé, mises toutes sur un même plan de valeur,
sont appréciées voire dépréciées conflictuellement, comme
si elles étaient lobjet de tension et de rivalité entre frères ou
entre copains.
Dans ces deux premières situations, les véritésl de la tradition
ne sont pas appréciées en elles-mêmes, cest-à-dire en référence
à la réalité quelles expriment. Ou bien elles sont « pré-jugées »
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quand elles sont reçues de lextérieur comme une « révélation »
ou un « héritage » des Anciens, ou bien elles sont lobjet dun
choix en fonction de critères étrangers, lorsquelles sont seule-
ment confrontées entre elles, mises en tension ou en rivalité les
unes avec les autres. Dans lun et l’autre cas, les œuvres
dinvention de sens, que nous transmet la tradition, ne sont pas
reprises en leur dynamisme, ni renouvelées en elles-mêmes.
Avant dêtre « adulte » une pensée philosophique nest pas
capable d« engendrer » à son tour un sens nouveau. Pour le
devenir et être féconde, elle doit faire « renaître » une parole
ancienne en la « dotant » dun sens plus riche, pour lavoir
revivifiée à sa source permanente dans notre « expérience
dêtre » actuelle. Ainsi elle donnera le jour à une « parole » plus
adéquatement « expressive » de la véritéo de lexistence.
En effet, un sens pour notre existence quon lestime reçu
de la tradition, soit comme un « uniforme prêt à porter » quon
endosse par obligation, soit comme un « menu choisi à la carte »
au gré de notre fantaisie, ou quau contraire on se limagine,
illusoirement sans doute, comme le fruit supposé de notre seule
méditation , un sens, donc, pour notre existence, quelle que
soit la manière dont nous nous le sommes approprié, nest
vraiment un « sens » quen référence à la réalité quil vise et
quil nous permet aussi de construire, celle de notre existence
humaine, bien réelle en chacun et en tous à la fois.
L’EXIGENCE REFLEXIVE
La lucidité critique dune pensée philosophique adulte témoi-
gne ainsi, dans sa démarche de confrontation avec la alité de
lexistence, dune prise de conscience explicite de l« exigence
réflexive » qui est la source même de la pensée et de la sagesse
proprement philosophiques.
Sagesse adulte, parce que « critique » d’elle-même, discernant
la valeur de ses jugements par étalonnage avec la réalité de
lexistence d elle procède et sur laquelle elle se prononce.
Sagesse « critique » parce que consciente explicitement de sa na-
ture proprement réflexive. Sagesse « explicite » enfin, parce que,
comme prise de conscience, elle est assortie dune démarche
dauto-contrôle delle-même en toutes ses expressions.
Cette surveillance permanente delle-même nest pas un
accessoire surajouté de lextérieur à la pensée philosophique.
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Elle procède de son exercice constitutif, pour autant qu’en son
exigence de rigueur réflexive, lacte de penser philosophi-
quement descend jusque sur le plan même du discours,
sincarnant dans la diversité des langues.
Il donne ainsi naissance à deux types de langages
philosophiques : dabord à un langage par symboles tirés de
notre milieu de vie, et ensuite à un langage par « confessions
méthodologiques », cest-à-dire par comptes rendus de la pensée
à l’œuvre et par programmations systématisées dœuvres de
pensée. Le langage par symboles, qui est premier dans lordre de
lexpression formulée, continue dêtre fonctionnel dans le
langage par confessions. Ce dernier est un discours en second,
mais il dévoile, parce que délibérément réflexif, lœuvre de
pensée en son intégralité originelle, notamment tandis quelle
« use », en exercice et en initiative première, du langage par
symboles et quelle se signifie elle-même en ses déterminations
ontologiques « par des symboles » issus du monde des
« phénomènes » et de nos rapports avec eux.
Ainsi peut satténuer progressivement lécart qui sépare une
intelligibilité réflexive relationnelle de son discours initialement
objectiviste et « chosiste ». Il y a en effet un décalage inévitable
entre dune part la pensée dun sens que la conscience saisit en la
véritéo exercée de son être, et dautre part son expression
empruntée au langage que nous utilisons dabord pour les choses
du monde et pour nos rapports avec elles. Pour sexprimer, la
pensée philosophique, réflexive en son essence, « détourne »
une part du langage « objectif » de sa fonction première de
médiation avec les choses et elle sen sert en le transmutant en
« symboles » dune réalité autre que les choses quil désigne
primitivement ; elle y fait naître les symboles comme symboles
en les rapportant, avec une intention signifiante, à sa propre
réalité pensante.
Mais cet « écart » ou cette « disparité » entre une intelligibilité
réflexive et un outil dexpression, objectif de par sa fonction
première, ne peut seffacer entièrement. Il ne peut seffacer, car
la conscience bien quincarnée ne peut « égaliser » et identifier à
elle son « incarnation ». La fonction symbolisatrice de ce lan-
gage maintient une distance entre le symbolisant « objectif » et
le symbolisé « réflexif », en même temps quelle en permet le
franchissement. Se servant dun langage objectif, la conscience
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