Jean-Claude Kauffmann.

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HISTOIRE DE LA PENSEE SOCIOLOGIQUE
Fondations de la sociologie
On considère en général que la sociologie débute avec celui qui lui a donné son nom en 1839,
Auguste Comte (1798-1857). Cependant, nombreux sont les penseurs qui s’inquiètent du devenir de la
société en ce 19ème siècle bousculé par la révolution industrielle et traversé de conflits sociaux. On peut
citer le grand sociologue du 19ème siècle, aujourd’hui oublié, qui se nomme Herbert Spencer et se
montre favorable à une société entièrement libéralisée ou seulement les « plus aptes » pourraient
survivre (c’est ce qu’on a appelé le « darwinisme social »).
Cependant, deux noms importants sont restés, Alexis de Tocqueville (1805-1859) et Karl
Marx (1818-1883). Ils ne se sont pourtant jamais présentés comme sociologues mais leurs analyses
sont essentielles pour comprendre l’évolution de la stratification sociale, aux Etats-Unis pour le
premier, en Europe pour le second..
C'est une société nouvelle qui semble apparaître au 19ème siècle mais cela se paie par
l'effondrement de la société passée, d’Ancien Régime, société fondée sur l'appartenance à une
communauté (famille, village,...), le poids de la hiérarchie de prestige et la soumission à une ou des
autorités indiscutables, l'Église et la monarchie.
La plupart des sociologues retrouvent, d’une manière ou d’une autre, l’intuition de l’allemand
Ferdinand Tonniës selon qui on passe d’une communauté à une société. Pour Ferdinand Tonniës, il
existe dans la société deux grands types de relations sociales, les "relations communautaires" et les
« relations sociétaires » (fondées sur le contrat
Cette réalité d'un monde nouveau est apparue à tous au 19ème siècle mais elle est multiforme
et chacun des penseurs importants a essayé d'en indiquer les aspects essentiels : c'est les progrès de
l'industrialisation pour Karl Marx, l'égalité croissante des conditions pour Tocqueville, les progrès de
la pensée rationnelle pour Max Weber, les transformations des liens de solidarité pour Emile
Durkheim, les transformations du mode de vie dans la société et notamment dans la grande ville pour
Georg Simmel. Mais, parallèlement, tous ces penseurs ont vu les dangers qui guettent cette société
nouvelle, ce par quoi on paie les bienfaits du progrès : pour Marx c'est l’exploitation et l'aliénation des
travailleurs; pour Tocqueville le risque pour l'individu de se retirer de la vie publique. Pour Durkheim
ce sont les dangers d'un individualisme excessif; pour Weber, c'est le "désenchantement du monde",
c’est à dire le fait que la pensée rationnelle apporte des explications aux phénomènes étudiés mais ne
donne aucune réponse au sens que ceux ci peuvent avoir. Enfin pour Simmel, c'est la "tragédie de la
culture" c'est à dire le fait que les créations humaines sont devenues tellement nombreuses qu'un
individu seul est incapable de les connaître et de les assimiler. Enfin, il faut noter un phénomène qui a
été notamment repéré par Alexis de Tocqueville et, de manière très différente, par Georg Simmel.
Tous deux ont bien vu qu'on entrait alors dans une société de l'égalité, ce dont ils se réjouissent. Mais
ils s'inquiètent tous deux du fait que "tout vaut tout". Au cours d'un vote, la voix d'une personne
inculte vaut autant que la voix d'un expert, ce qui est le principe même du vote et de la démocratie,
mais le risque est alors grand de passer un pas et de supposer que toute opinion est aussi valable
qu'une autre : celle de l'expert qui a passé des années à étudier un problème comme celle du parfait
néophyte dans ce domaine. Simmel s'inquiétait d'une tendance similaire dans le domaine des arts, la
relation monétaire risquant de tuer la valeur artistique des créations et faisant qu'une oeuvre artistique
finirait par être jugée plus en fonction de sa valeur monétaire ou du nombre de personnes qui désirent
l'acheter qu'en fonction de sa valeur intrinsèque.
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Enfin, le siècle dernier a été marqué par le fait que le travail, la terre et la monnaie ont pu être
intégrés dans la société de marché et faire l'objet d'échanges comme n'importe quel autre bien.
Les « pères » de la sociologie moderne.
La sociologie dans sa forme moderne apparait vraiment à la fin du 19ème siècle avec trois auteurs nés à
la même époque, Émile Durkheim, Max Weber et Georg Simmel.
L’approche de Durkheim et son influence ultérieure.
Durkheim est très probablement le sociologue le plus important depuis les origines de celle ci.
Lorsqu’il commence à écrire, dans les années 1890, la France entame sa “seconde révolution
industrielle” et est marquée par de très nombreux conflits sociaux (c’est l’époque de “Germinal”). La
République, et la société, semble fragile et peu sûre. La question que tout le monde se pose à cette
époque est de savoir comment on peut assurer une cohésion sociale.
Durkheim cherche, dans la tradition “positiviste”, à répondre à ces défis en faisant une analyse
scientifique et objective des problèmes que connaît la société de l’époque. “Scientifique” veut dire, à
ses yeux, abandonner la tendance à la “méditation“ des philosophes qui pouvait aboutir à des idées
intéressantes mais dont on ne sait jamais si elles correspondent à la réalité où si elles sont le fruit de
l’imagination du penseur.
Il faut donc faire une description la plus objective possible de la réalité et donc la moins sujette à
interprétation et contestation :
Cela suppose d'abord qu'on se débarrasse de ses préjugés (Durkheim parlait de prénotions) qui
risquent d'entraver la bonne marche de l'analyse. En effet, des préjugés supposent soit qu'on attribue
d'emblée un jugement de valeur à l'objet étudié ("c'est bien, c'est mal"), soit qu'on prétende en
connaître les causes, les conséquences et/ou les finalités avant étude.
Adopter une démarche scientifique suppose ensuite que l'on circonscrive bien le phénomène et
qu'on le définisse. Les travaux de Durkheim commencent toujours par le passage en revue des
différentes définitions possibles d'un phénomène avant d'aboutir à la supposée meilleure d'entre elles.
Cette définition ne doit pas être une simple vue de l'esprit sortie du cerveau de l'auteur mais doit être
reconnaissable par tous. On mettra donc sous une même appellation tous les faits qui correspondent à
une même caractéristique extérieure et identifiable, mais cela peut amener à faire des regroupements
qui ne correspondent pas toujours au sens commun. Ainsi, dans "Les règles de la méthode
sociologique", Durkheim propose de regrouper sous l'appellation "crime" tous les actes qui entraînent
une punition. Cela permettra d'analyser un même phénomène, le crime, dans des sociétés différentes,
même si cela correspond à des actes différents.
Donc, toute analyse doit partir de l’observation des « faits » (une fois que ceux ci sont
correctement délimités) et doit amener à se méfier des discours des individus, même s‘ils sont « sur le
terrain »; cela suppose l’utilisation des données statistiques et le recours à la comparaison (entre pays
ou entre périodes historiques différentes); c’est une démarche que l’on appelle « inductive ».
Quelles conclusions tire-t-il de ces démarches? Durkheim est d’abord le représentant le plus éminent
de l’approche “holiste” de la société : derrière ce terme, on veut dire que les individus n’existent pas
indépendamment de la société et sont le produit de la société ou du groupe dans lequel ils vivent.
Le terme "holisme" désigne le fait qu'on considère que l'individu est d'abord soumis à son
environnement, qu'il s'agisse des autres individus (groupe, classe sociale,...), des institutions (Etat,
École,...) ou de ce qui lui est transmis par l'éducation et la socialisation (savoir-vivre, valeurs,...). La
première réponse qui apparaît donc est de considérer que l'individu est "contraint" par des éléments
extérieurs qui lui imposent des normes, valeurs ou modes de conduite.
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Pour Durkheim, l'objet même de la sociologie est le fait social qui se reconnaît à la contrainte qu’il
exerce sur l'individu. Il entend par là que même si ce dernier est formellement libre de ses actes et ses
comportements, cette liberté sera limitée. Limitée, bien sûr, par les lois et règlements, également par la
civilité et les règles de politesse. Dans le cas des petits groupes, elle est pareillement limitée : je peux
me comporter comme je l'entends dans un groupe de camarades mais je risque fort de m'attirer des
regards désobligeants, des moqueries, et, au final, d'être fuit. Mais il faut aller plus loin : c'est la
situation sociale elle même qui limite cette liberté. Ainsi "je ne suis pas obligé de parler français avec
mes compatriotes, ni d'employer les monnaies légales; mais il est impossible que je fasse autrement".
(Durkheim, "Les règles de la méthode sociologique"). En effet je peux parfaitement décider de parler
en anglais au milieu de mes camarades mais je risque, soit de ne pas être compris, soit de passer pour
quelqu'un de pédant. L'individu est donc un produit de la société c'est à dire qu'il est largement
façonné par la socialisation effectuée par le ou les groupes auxquels il appartient mais aussi par des
institutions tels que l'Etat ou l'école ainsi que la division du travail qui s'instaure dans les sociétés
modernes et qui est, d'après Durkheim, à l'origine de l'individualisme. Donc, même l'individualisme
est un produit de la société.
L’individualisme méthodologique, la démarche compréhensive et Max Weber.
Max Weber, auteur allemand, représente une autre tradition. Faisant référence aux travaux d’auteurs
« holistes », il pensait qu’il était bon d’utiliser des données statistiques mais ce n’est que le début du
travail; “c’est là”, disait il, “ que commence la sociologie, du moins telle que nous l’entendons”. Pour
lui, on ne peut pas exclure (comme le fait Durkheim) l’individu de l’analyse sociologique. Il faut, au
contraire, partir de ce que font les individus (d’où l’appellation parfois donnée de “sociologie de
l’action sociale”) mais il faut pour cela comprendre le « sens », ou la signification, que les individus
donnent à leurs actions” (d’où l’appellation “d’approche compréhensive”). Imaginons que l’on veuille
étudier les phénomènes de délinquance; dans une approche durkheimienne, on retiendra tous les délits,
c’est à dire les actes contraires à la loi, et on les reliera aux diverses variables socio-économiques des
délinquants comme leur âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle,...
Mais il est bien des cas où des crimes relèvent de motivations fort différentes et peuvent
difficilement être analysés de la même manière : prenez, par exemple, le cas d’un escroc, d’un jeune
“tagger” et d’un consommateur de substances interdites. Le premier agira dans un objectif pécuniaire
et tiendra compte de ce que son activité peut lui rapporter en fonction des risques qu’il prend. Le
second agira peut être pour l’amour de l’art (tel qu’il le conçoit) et prendra tous les risques possibles
simplement pour que son travail s’affiche dans les rues et qu’il puisse montrer à tous sa conception de
l’art. Le troisième agira d’abord pour les sensations que ses substances lui apportent (même s’il
prétend que çà lui permettra de trouver une inspiration artistique ou même si çà l’amène à commettre
des vols et des escroqueries). Dans le langage de Weber, on dira que le premier est “rationnel en
finalité” car il ajuste les coûts de son action à l’objectif qu’il vise. Le deuxième est “rationnel en
valeur” car il agit en fonction de valeurs qu’il prône; l’action du troisième est dit “affectuelle” car
l’objectif recherché est une sensation (dans ce type d’action la motivation relève de “l’affect” : plaisir,
colère, douleur,...). Weber ajoutait une quatrième motivation qui relève de la routine ou de la tradition.
On voit donc qu’il s’agit d’une approche très différente de celle de Durkheim et d’une approche plus
risquée puisqu’on doit faire des interprétations sur les motivations des individus. Cette approche, on
l’appelle également “individualisme méthodologique” parce qu’elle démarre de l’individu.
Georg Simmel et l’interactionnisme.
Enfin, Georg Simmel représente une troisième tradition qu’on appelle “l’interactionnisme”.
Pour lui, la société est bien sûr composée d’institutions telles que l’Etat, l’école ou l’armée, de
systèmes de valeurs (religions, idéologies,...) mais l’essentiel se passe dans le quotidien. Ce qui
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compte, c’est ce qu’il se produit entre les individus lorsqu’ils entrent en contact au cours de multiples
occasions : dans une salle de classe, dans un groupe, au stade, au cours d’un repas,...Au cours de ces
multiples rencontres se produiront des “interactions” qui feront la société (“La société renait à chaque
action”). Toutes ces interactions passeront par les actions, les mots, mais aussi par le ton de voix, le ,
regard, la gestuelle,...chacun interprétera l’action de l’autre (il « définira la situation »)dune certaine
manière et y répondra. Mais à l’époque de Simmel, on ne se livre pas encore à l’observation
participante. Simmel se contentera souvent d’observations quotidiennes et de méditation.
Ouvrage : « La philosophie de l’argent » - P.U.F. http://mondesensibleetsciencessociales.emonsite.com/pages/textes-pedagogiques/simmel/la-philosophie-de-l-argent-de-georg-simmel.html
Présentation de Simmel : http://mondesensibleetsciencessociales.e-monsite.com/pages/articles/surgeorg-simmel/quelques-elements-sur-la-sociologie-de-georg-simmel.html
La sociologie américaine au 20ème siècle
La première Ecole de Chicago
Aux Etats-Unis, la première chaire de sociologie est créée en 1876 toutefois, on considère
généralement que c’est à partir de 1910 que la sociologie américaine va connaître son véritable essor à
travers « L’Ecole de Chicago » et sous la houlette de Robert Park (nettement influencé par Georg
Simmel dont il a suivi les cours) et de William Thomas.
Chicago va connaître une expansion démographique spectaculaire, passant de 5000 habitants en 1840
à plus de 3 300 000 en 1930, expansion alimentée pour l’essentiel par l’immigration. Les arrivées
successives d’immigrants se logeant dans les quartiers de la ville, aboutiront à des situations de
ségrégation ethnique et territoriale et la densité urbaine transformera le mode de vie quotidien.
Les sociologues pourront alors observer directement toutes ces évolutions et aux données statistiques,
ils préfèreront les entretiens et l’observation participante. Cela leur permettra notamment d’analyser
comment se forment les ghettos, les gangs, les groupes de jeunes,...
Ouvrages
Louis Wirth : « Le ghetto » http://mondesensibleetsciencessociales.e-monsite.com/pages/notes-delecture/notes-de-lecture-en-sociologie/louis-wirth-le-ghetto-1980-1ere-ed-1928-p-u-de-grenoblecollection-champs-urbains.html
B. F. Whyte : « Street corner society » - http://mondesensibleetsciencessociales.emonsite.com/pages/notes-de-lecture/notes-de-lecture-en-sociologie/william-bill-foot-whyte-streetcorner-society-1996-ed-la-decouverte-1ere-ed-americaine-1943.html
L’Ecole de Columbia
Cependant, d’autres sociologues américains prendront une autre direction en privilégiant les analyses à
partir de données quantitatives : on peut penser notamment à Robert Merton et à son analyse de la
déviance fortement inspiré de Durkheim.
Ouvrage
Robert K. Merton : «Eléments de méthode et de théorie sociologique »
http://mondesensibleetsciencessociales.e-monsite.com/pages/notes-de-lecture/notes-de-lectureen-sociologie/r-k-merton-elements-de-theorie-et-de-methode-sociologique-a-colin-1997.html
La deuxième Ecole de Chicago
Dans les années 1950, l’interactionnisme symbolique va revenir sur le devant de la scène avec deux
auteurs importants.
Howard Becker (né en 1928) est surtout connu pour son ouvrage « Outsiders » dans lequel il
renouvèle l’analyse de la déviance à partir d’études de terrain portant sur deux populations, les
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fumeurs de Marijuana et les musiciens de danse. Il montre que la déviance ne doit pas être analysée
simplement comme la transgression d’une norme existant a priori mais que l’établissement de cette
norme est le produit de l’action de certains groupes. Dans cette optique de « l’étiquetage » (« Labeling
theory »), la déviance est moins le fait du déviant que d’une définition de la norme élaborée par la
« société ». Ainsi, un même comportement peut passer de l’état de comportement normal à celui de
déviance suivant les groupes ou les périodes de l’histoire : par exemple, l’homosexualité et
l’Interruption Volontaire de Grossesse ont quitté la catégorie des attitudes déviantes du fait d’une
nouvelle définition sociale de ceux ci. A l’inverse, l’usage du tabac ou de l’alcool au volant ont suivi
le cheminement inverse.
Bien qu’inclassable, Erving Goffman (1922-1982) est généralement considéré comme une des
figures de proue de l’interactionnisme symbolique et, on peut le dire sans risque d’erreurs, comme un
des sociologues les plus importants du XXème siècle. Son travail est avant tout qualitatif, utilisant
aussi bien les approches de terrain que des exemples tirés de journaux, de revues ou de romans. Emile
Durkheim est sa référence sociologique majeure mais ses analyses ne sont pas sans rappeler les
travaux de Georg Simmel.
D’une manière ou d’une autre, son travail porte avant tout sur la fragilité des interactions entre
individus : une mauvaise entrée en matière, une gaffe peuvent briser l’interaction. Plus encore, elle
peut faire « perdre la face » à un des interactants, or « sauver la face » est sans doute le premier
objectif de l’individu en interaction. Pour préserver l’interaction, les individus utilisent des « rites
d’interaction » (rite d’entrée et de sortie dans un groupe ou rite de réparation en cas d’impair) et vont
jouer avec le rôle social que leur impose la situation. Goffman s’intéresse donc aux interactions de
tous les jours, celles qui semblent évidente à tout un chacun et ne poser aucun problème. Pourtant,
c’est dans les cas où l’interaction est en danger que l’on comprend combien ces « routines » sont
fragiles et difficiles à établir. Il le montre par exemple dans « Stigmates – Les usages sociaux des
handicaps » en montrant combien l’entrée en interaction devient difficile dès lors que l’une des deux
parties est un « stigmatisé », stigmatisé physique (handicapé, aveugle,…) ou « stigmatisé social »
(chômeurs, SDF,…) ainsi que dans son ouvrage « Asiles », résultat d’un travail de terrain dans un
hôpital psychiatrique.
Ouvrage :
Erving Goffman : « Stigmates – Les usages sociaux du handicap »
http://mondesensibleetsciencessociales.e-monsite.com/pages/articles/sociologie-et-sciencessociales/la-stigmatisation-analyse-a-partir-des-ouvrages-vivre-a-corps-perdu-de-r-murphy-etstigmates-les-usages-sociaux-des-handicaps-d-e-goffm.html
Un franc tireur
Redécouvert en France à partir des années 1970, Norbert Elias (1897 -1990) peut être
considéré comme un des sociologues majeurs du XXème siècle et le représentant le plus prestigieux
de la « sociologie historique ». Dans son ouvrage principal, « la civilisation des mœurs », il montre,
notamment à partir de l’analyse du traité de savoir-vivre d’Erasme, comment les individus ont appris
peu à peu à intérioriser des contraintes sociales qui étaient auparavant contrôlées de l’extérieur : ce qui
n’allait pas de soi au départ semble de plus en plus « naturel » parce qu’intériorisé. Il rappelle par
exemple que "pendant longtemps (...) personne ne se prive d’uriner dans les escaliers, les coins de
chambre, contre les tapisseries et les murs d'un château si l’envie lui en prend".
.Aujourd’hui, ces comportements nous dégoûtent tellement que nous ne les envisageons même pas. Il
ne convient donc pas de supposer que ces dégoûts sont naturels et nous sont donnés par notre
constitution; ils proviennent de notre éducation et du fait que nous avons intériorisé ce qui nous
semble appréciable et ce qui nous semble dégoûtant.
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Ouvrage :
« La civilisation des mœurs » - Presses pocket – 1976.
« Engagement et distanciation » http://mondesensibleetsciencessociales.emonsite.com/pages/notes-de-lecture/notes-de-lecture-en-sociologie/n-elias-engagement-etdistanciation.html
La sociologie française contemporaine
La génération des « anciens »
Pierre Bourdieu (1930-2002)
C’est probablement le sociologue français le plus connu et cité en France et à l’étranger. Né en
1930 dans une famille modeste du Sud-Ouest, passe l’agrégation de philosophie puis devient
professeur de sociologie à la Sorbonne avant d’occuper la chaire de sociologie du collège de France à
partir de 1981 ; politiquement, il s’engage très à gauche et soutient notamment les mouvements de
grève de 1995.
Il s'intéresse à la sociologie de l'école et de l'éducation et, parallèlement à la sociologie de la culture.
Son analyse de la société moderne s'appuie sur la problématique suivante : bien que, grâce à l'élévation
générale du niveau de vie, les classes sociales semblent s'effacer, celles ci subsistent et sont en
situation conflictuelle, non dans le domaine de la production mais dans le domaine culturel, des goûts
et de la distinction. La domination de classe passe à travers une domination culturelle et elle est
d'autant plus efficace qu'elle n'apparait pas comme une domination mais comme une supériorité
légitime (notamment en matière de goûts artistiques et de culture). Il distingue trois grandes classes
sociales, classes populaires, classes moyennes et classes dominantes. Cependant ces classes ne sont
pas homogènes, il y a de grandes différences au sein d'une même classe. Ainsi on va trouver dans les
classes dominantes un patron d'entreprise qui s'est enrichi dans le commerce, un médecin et un
professeur d'université. Ces classes se différencient en fonction de la quantité de « capital » qu’elles
possèdent. Bourdieu distingue trois types de capitaux :
- capital économique (qu'il repère par le revenu).
- capital culturel (qu'il repère part le diplôme) qui correspond à sa culture au sens large.
- capital social qui correspond à l'ensemble des relations qu'il entretient, des informations dont il
dispose,...
Dans l'analyse du rôle de l'Ecole, le capital culturel tient une place centrale : il recouvre les
savoirs mais également les savoir faire, les habitudes de travail et l'attitude face à un certain type de
compétences. Ainsi la culture transmise et valorisée par l'Ecole mettra l'accent sur la maitrise du
langage écrit, de l'abstraction, des contenus transmis,...
Or, ces exigences sont très semblables à la culture transmise par les catégories fortement dotées en
capital culturel. L'enfant se sentira en situation familière. On comprend pourquoi la réussite de l'enfant
est liée au diplôme du père et est d'autant plus forte que l'enfant est issu des milieux de cadre
supérieur, profession libérale, professeur,...
Le capital social va aussi entrer en jeu : la connaissance des filières, des options à prendre pour être
dans le "bon lycée" ou "la bonne classe",...va être important pour la réussite de l'élève et les
professeurs et cadres supérieurs sont les mieux placés pour en bénéficier.
La conclusion de Pierre Bourdieu est donc que, loin de réduire les inégalités sociales, l'Ecole ne fait
que transférer ces inégalités en les "masquant" par l'alibi du "mérite scolaire".
Bibliographie :
- P. Bourdieu et J. C. Passeron : « Les héritiers : les étudiants et la culture » - Ed. de Minuit, 1964.
- P. Bourdieu et J. C. Passeron : « La reproduction : éléments pour une théorie du système
d'enseignement » - Ed. de Minuit -1970.
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- P. Bourdieu : « La distinction : critique sociale du jugement » - Ed. de Minuit 6 1979.
- P. Bourdieu : « La misère du monde »- Seuil – 1993 : constitué de séries d’entretiens. On peut
également citer ce qu’on pourrait considérer comme la suite de ce travail : S. Beaud, J. Confavreux et
J. Lingaard : « La France invisible » - La Découverte – 2006.
Quelques ouvrages sont plus simples d’accès, constitués d’articles courts, et permettent d’avoir une
première approche de l’auteur :
- P. Bourdieu : "Choses dites" – Minuit - 1987.
- P. Bourdieu « Questions de sociologie »-Minuit – 1981.
Ouvrage de vulgarisation :
- P. Bonnewitz : « Pierre Bourdieu – Vie, œuvre, concepts » - Ellipses – 2002.
Raymond Boudon (1934-2013)
Sociologue français né en 1934, agrégé de philosophie, professeur à la Sorbonne,
il est le chef de file de "l'individualisme méthodologique" qui est une application de l’homo
oeconomicus à la sociologie. Il considère qu’une analyse sociologique doit démarrer de l’analyse de
l’action individuelle. Pour lui, il faut retenir que les hommes sont rationnels c’est à dire qu’ils ont en
général de bonnes raisons d’agir comme ils agissent. Les phénomènes sociaux doivent donc être vus
comme la résultante des actions individuelles. Mais l’addition des actions individuelles peut aboutir à
des résultats collectifs aberrants. Par exemple, si chacun décide d’économiser pour s’enrichir, la
consommation baissera t entrainera une récession économique qui appauvrira tout le monde. Cela fait
partie de ce qu’on appelle les « effets pervers », terme qui désigne le résultat non voulu et non attendu
de l’agrégation des comportements. On l’oppose souvent à Bourdieu, notamment dans son analyse de
l’Ecole.
M. Dubois : « Premières leçons sur la sociologie de Raymond Boudon » - PUF – 2000.
R. Boudon : « La sociologie comme science » - La Découverte http://mondesensibleetsciencessociales.e-monsite.com/pages/notes-de-lecture/notes-de-lecture-ensociologie/raymond-boudon-la-sociologie-comme-science.html
Alain Touraine (né en 1925)
Après s’être surtout intéressé à la sociologie du travail dans les années 1950 et plus précisément à
l’évolution du travail ouvrier, il va se diriger vers l’analyse des mouvements sociaux dans les années
1960 et 1970 et notamment des « nouveau mouvements sociaux » c'est-à-dire des revendications
féministes, étudiantes, les mouvements écologistes et les mouvements homosexuels (à partir de s
années 80).
Ces mouvements sociaux vont se structurer autour d’ un enjeu central de la société : ainsi au
ème
19 siècle, le cœur de la production de richesses de la société était l’industrie et l’enjeu central était
la propriété et/ou le contrôle des moyens de production des marchandises (c’est ce qu’avaient
diagnostiqué Marx et ceux qui s’en réclament) ; mais à la fin du 20ème siècle, la donne a changé : si la
production industrielle reste essentielle, elle n’est plus au cœur de la société, laissant peu à peu place à
la production d’informations au sens large du terme (information, recherche,…) ; L’enjeu central qui
semble se former à ce moment est celui de la construction d’une identité collective et Touraine et ses
collaborateurs (François Dubet, Michel Wieviorka) voient dans l’émergence de nouveaux mouvements
contestataires, qu’il nomme « Nouveaux Mouvements Sociaux », l’embryon d’un mouvement social à
venir : les mouvements féministes, régionalistes, anti-nucléaires et écologistes, de jeunes dans les
années 1960-70 relayés dans les années 1980 par les mouvements homosexuels, les mouvements
éphémères de Beurs (« La grande marche des beurs » de 1984),… Ce qui caractérise tous ces
mouvements c’est qu’il y a avant tout le désir d’imposer la reconnaissance d’une identité collective,
reconnaissance typique d’une société tertiaire.
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Ouvrage de vulgarisation :
- J.P. Lebel : « Alain Touraine – Vie, œuvres, concepts » - Ellipses – 2007.
4) Michel Crozier (1922-2013).
Michel Crozier (né en 1922) est généralement rattaché à la « sociologie des organisations » et
à « l’analyse stratégique » et ses travaux se situent dans la lignée de ceux de Max Weber, de
Tocqueville et des sociologues américains des organisations. Ses premiers travaux portent sur le
travail dans les ateliers de la SEITA (qu’il nomme le « Monopole Industriel »).
Se distinguant des analyses traditionnelles qui s’appuient sur la rationalité des organisations
modernes, Crozier montre qu’il faut apporter une attention particulière à la structure informelle des
organisations; l’idée, qui n’est pas nouvelle, est que l’organigramme officiel d’une organisation ne
donne qu’une idée partielle des rapports de pouvoirs existant en son sein. En effet, un individu sans
pouvoir officiel peut très bien en exercer un sur les autres acteurs, par la maîtrise d’une compétence
technique particulière par exemple. Ainsi, dans « le système bureaucratique », il montre que dans les
ateliers de la Seita, alors qu’officiellement le pouvoir est dévolu aux contremaîtres, ce sont les ouvriers
professionnels chargés de l’entretien et de la réparation des machines qui exercent la plus grande
influence. Elargissant sa réflexion, Michel Crozier montre que le pouvoir va provenir du contrôle
d’une « zone d’incertitude » : dans toute organisation, quel que soit le degré de précision de la
réglementation, il existe des zones où tout dépendra de l’attitude de celui qui possède une compétence
particulière (compétence technique, relations particulières avec l’extérieur,…) : dans le cas de la Seita,
les ouvriers professionnels peuvent décider du temps qu’ils vont mettre pour intervenir en cas de
panne d’une machine et contrôlent donc une « zone d’incertitude ». De ce point de vue, même si la
distribution des pouvoirs dans une organisation est inégale, tout le monde est en mesure d’en détenir
une parcelle qui peut s’avérer décisive. Dans son ouvrage « La société bloquée», Crozier analyse la
crise de Mai 1968 et montre qu’en France le changement ne peut se faire que par de fortes crises ;
Henri Mendras.
On doit d’abord rappeler qu’Henri Mendras (1927-2003) est un remarquable vulgarisateur de
la sociologie et on ne saurait trop conseiller la lecture de ses livres. Pour ce qui est de la recherche il
est d’abord connu pour son analyse de « la fin des paysans » dans les années 1960. A partir des années
1980, il s’intéresse aux analyses du changement social : on peut signaler notamment son ouvrage « La
seconde révolution française » (1985) montrant comment, à partir de 1965 environ, les sociétés
contemporaines connaissent une révolution culturelle silencieuse qui transforme tellement la société
qu’on ne peut la comparer qu’à la « première révolution française » qui était une révolution politique
Ouvrages d’Henri Mendras :
« La seconde Révolution française » - Gallimard – 1988. http://mondesensibleetsciencessociales.emonsite.com/pages/notes-de-lecture/notes-de-lecture-en-sociologie/henri-mendras-la-seconderevolution-francaise-1988.html
« La France que je vois » - L’Aube Poche – 2005.
Edgar Morin (1922).
Dans les années 1950 et 60, son attention se tourne vers l’analyse de la « culture de
masse » notamment à travers l’exemple du cinéma, montrant dans son livre « L’esprit du temps »,
culture qui, d’après lui, entrera en crise à partir du milieu des années 1970.
Avec la « métamorphose de Plozevet », Edgar Morin nous offre un livre majeur de la
sociologie. Dirigeant en 1965 une équipe pluridisciplinaire, il essaie de montrer comment la modernité
a pénétré un village breton en mettant en évidence le rôle des progrès techniques (télévision,
tracteurs,…) , de la modernisation du travail ménager mais aussi des jeunes qui portent de nouvelles
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valeurs et des touristes qui, n’étant ni ami ni ennemi, ouvrent la voie aux mécanismes impersonnels
du marché.
Plus étonnante encore sera son intervention en 1968 dans la ville d’Orléans où sévit une
rumeur d’enlèvements de femmes dans des magasins de vêtements de mode. Il ne s’agit pas du
premier travail effectué sur les rumeurs mais l’originalité en est que l’intervention sociologique se fait
pendant les évènements (« La rumeur d’Orléans »).
Quelques ouvrages :
« Les stars » - Seuil – 1972.
« L’esprit du temps » - Le livre de poche – 1998.
« La rumeur d’Orléans » -Seuil – 1982.
« La métamorphose de Plozevet – Commune en France » - 1984.
http://mondesensibleetsciencessociales.e-monsite.com/pages/notes-de-lecture/notes-de-lectureen-sociologie/edgar-morin-la-metamorphose-de-plozevet-commune-en-france-fayard-1967.html
Quelques sociologues actuels
Stéphane Beaud.
Ancien collaborateur de Bourdieu, il travaille surtout à partir d’entretiens. Sa contribution à la
compréhension des transformations de la classe ouvrière est importante, ses analyses provenant
d’entretiens sur une dizaine d’années avec des ouvriers de Peugeot à Sochaux (« Retour sur la
condition ouvrière » avec M. Pialloux – Ed. 10x18 - 2005- et « Violences urbaines, violence sociale »
- Fayard – 2003). Il s’est également intéressé au devenir des « nouveaux bacheliers » (premiers
titulaires d’un baccalauréat dans leur famille) (« 80% au bac…et après ? » - La Découverte – 2002 et
surtout l’étonnant « Pays de malheur ! » - issu d’un échange de courriels avec Younès Amrani - La
Découverte – 2005). Enfin, il a co-dirigé « La France invisible » (La Découverte- 2006 ), livre
constitué d’un ensemble d’entretiens et qu’on peut considérer comme se situant dans la lignée de « La
misère du monde » de Bourdieu (auquel il avait participé).
Louis Chauvel
Né en 1963, spécialiste de la « sociologie des générations » et de la question des classes
sociales. On peut signaler « Le destin des générations : structure sociale et cohortes en France au XXe
siècle – PUF – 1998), « Les classes moyennes à la dérive » (Le Seuil –2006) et un article essentiel,
«Le retour des classes sociales ? » - Revue de l’OFCE n° 79 – 2001). Signalons également son site
Internet très riche : http://louis.chauvel.free.fr/.
Michel Pinçon (1942) et Monique Pinçon-Charlot (1946)
Leur spécialité est l’analyse de la noblesse et de la haute-bourgeoisie. A partir d’un travail
d’observation et d’entretiens, ils ont montré comment ces catégories constituent une véritable classe
sociale, consciente d’elle-même
Ouvrages
« Sociologie de la bourgeoisie, » La Découverte
Gerald Bronner
Gerald Bronner, né en 1969, est professeur de sociologie à l’université de Strasbourg et membre de
l’Institut Universitaire de France. Ses domaines de recherche recouvrent notamment l’analyse des
croyances collectives et il s’inscrit, dans la lignée des travaux de Raymond Boudon, dans le champ de
ce qu’on appelle la « sociologie cognitive ». L’objectif de la sociologie cognitive consiste à analyser
comment les individus perçoivent la réalité dans laquelle ils sont plongés. Il s’intéresse notamment à la
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formation des rumeurs. Son dernier livre porte sur les effets de l’émergence d’Internet sur le débat
démocratique. Certains de ses livres sont écrits eclusivement pour le grand public et sont donc faciles
à lire.
Ouvrages :
- « Vie et mort des croyances collectives », Paris, Hermann, 2006
- « Coïncidences. Nos représentations du hasard », Paris, Vuibert, 2007
- « Manuel de nos folies ordinaires », avec Erner G, Paris, Mango, 2006
- « La démocratie des crédules » (note de lecture : http://mondesensibleetsciencessociales.emonsite.com/pages/notes-de-lecture/notes-de-lecture-en-sociologie/la-democratie-des-credules-geraldbronner.html )
Présentation de ses travaux : http://mondesensibleetsciencessociales.emonsite.com/pages/articles/sociologie-et-sciences-sociales/gerald-bronner-la-sociologiecognitive.html
David Lebreton.
Il est spécialiste de la sociologie du corps (« La sociologie du corps » – Que sais je? – 1992 ou
« Anthropologie du corps et modernité, PUF, 1990). A également écrit une bonne introduction à
l’interactionnisme symbolique (« L’interactionnisme symbolique – De Blumer à Goffman» - PUF 2004)
François De Singly
Jean-Claude Kauffmann.
Ces deux auteurs travaillent à partir d’entretiens, se sont d’abord intéressés à la famille et au
couple et développent aujourd’hui des thèses sur l’individu et le lien social.
Parmi tous les ouvrages, on pourra retenir :
De François De Singly :
« L’individualisme est un humanisme » - Ed. de l’Aube – 2007 : reprise d’une conférence, c’est un
ouvrage facile à lire.
De Jean Claude Kaufmann :
« La trame conjugale » - Nathan – 1992 : l’analyse de la formation du couple à partir de l’analyse de
l’entretien du linge. Un excellent exemple de la fécondité d’une « micro sociologie ».
« Sociologie du couple » - Que Sais je ? – 1993
Quelques ouvrages simples d’initiation à la sociologie
- H. Mendras : « Éléments de sociologie » - A. Colin
- Ferreol, Noreck : « Introduction à la sociologie »
- P. Berger : « Invitation à la sociologie » - La Découverte, 2006
- Th. Rogel : « Introduction impertinente à la sociologie » - Liris http://classiques.uqac.ca/contemporains/rogel_thierry/Intro_impertinente_socio/Intro_impertinente_so
cio.html
- Cabin, Philippe. La sociologie Histoire et idées : les fondateurs, les grands courants, les nouvelles
sociologies – Ed. Sciences Humaines
- Dubet, François. A quoi sert vraiment un sociologue ? - Armand Colin, 2011
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