Les Mondes
hellénistiques
Du Nil à l’Indus
Philippe Clancier, Maître de conférences en histoire ancienne,
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Omar Coloru, Chercheur post-doctoral
Gilles Gorre, Maître de conférences en histoire ancienne,
Université Rennes 2
PREMIÈRE PARTIE
UNE BRÈVE HISTOIRE
DESTEMPS HELLÉNISTIQUES
La période hellénistique s’étend de la destruction de l’empire achéménide par les
armées d’Alexandre le Grand jusqu’à la défaite, puis la disparition d’Antoine et
Cléopâtre en 31. La conquête de l’empire perse ouvrit une période originale, de trois
siècles, pendant laquelle les Gréco-Macédoniens non seulement allaient se trouver
en contact avec nombre de populations non hellènes, mais surtout allaient très sou-
vent les dominer politiquement. Après la conquête alexandrine, les affrontements
entre Diadoques devaient conduire à la division de l’espace impérial en différentes
puissances dont les trois initiales furent celles des Antigonides, des Lagides et des
Séleucides. Le e siècle fut une période de structuration de ces puissances, mais
aussi d’émergence d’autonomisme dans les pourtours de l’empire séleucide, en Asie
Mineure et dans les Hautes Satrapies* (voir doc.1 et 2, page 260). Le e siècle fut
marqué par de nombreuses évolutions politiques, économiques, sociales et culturelles
dans tous les royaumes hellénistiques. Ce fut aussi le temps de la rupture des équi-
libres géopolitiques issus du règlement des guerres des Diadoques avec, tout d’abord,
l’intrusion de Rome dans les affaires des monarchies hellénistiques. Les premiers à
en pâtir furent les Antigonides, en la personne de PhilippeV, qui durent renoncer à
la plus grande partie de leur politique étrangère, après la défaite de Cynocéphales en
197. En 189, à Magnésie-du-Sipyle, la défaite d’AntiochosIII lui t évacuer toute la
région jusqu’alors sous son contrôle au nord du Taurus. Les Parthes Arsacides rent
enn, en 141, la conquête de la Babylonie, privant les Séleucides d’une de leurs plus
riches régions et les coupant de l’Est. Le dernier siècle d’histoire des monarchies
hellénistiques, très dépendant des affaires romaines, n’en constitue pas moins une
période de dynamisme, en particulier en Égypte ou pour les royaumes s’étendant petit
à petit dans l’ancien espace séleucide.
Le terme «hellénistique» est sans ambiguïté. Il place la civilisation, la culture et
la politique grecques au centre des études sur cette période. C’est cette domination
gréco-macédonienne qui sert de l conducteur et qui a donc conduit à faire essentiel-
lement l’histoire hellénistique à travers le regard des nouveaux arrivants. Cependant,
les sources écrites par les sociétés qui s’étaient développées depuis parfois des millé-
naires dans cette vaste partie du monde, permettent largement de soutenir et d’enrichir
une histoire qui, sans les prendre en compte, resterait incomplète. C’est vrai d’un
point de vue culturel, social ou politique, comme l’on peut s’y attendre. C’est vrai
aussi lorsque l’on désire faire une présentation événementielle de l’époque.
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ALEXANDRE LE GRAND:
RUPTURE ET CONTINUITÉ
LES CONQUÊTES D’ALEXANDRELEGRAND
EN ASIE MINEURE
(Voir doc.1 et 2, page 260)
En mai-juin 334, Alexandre (336-323), après avoir affermi son contrôle sur la Grèce,
partit au printemps en direction de la Thrace et traversa l’Hellespont (ArrienI, 11.6-8;
12.1-7). Il débarqua en Troade puis se positionna sur le Granique. L’état-major perse,
quoique divisé (ArrienI , 12.8), décida d’accepter la bataille qui se conclut par une
écrasante victoire du Macédonien. Les succès s’enchaînèrent ensuite avec les prises
de Daskyleion, Sardes, Éphèse, Magnésie, Milet, etc. Cette assise territoriale assurait
une aisance nancière déterminante pour la suite des opérations. DariusIII (336-330)
se trouvait face à une situation inédite: un ennemi avait réussi à prendre Sardes et à
se constituer, dans l’empire même, une excellente base de départ pour de plus amples
conquêtes.
Alexandre et ses généraux menèrent en Asie Mineure des opérations terrestres
et navales pour affermir la conquête. Aussi le Macédonien ne reprit-il sa marche
qu’en juin-juillet 333. Une nouvelle armée perse venait alors à sa rencontre et les
opérations se prolongeaient le long de la côte du fait de l’activité de l’impression-
nante otte du Grand Roi. L’armée perse se dirigeant vers la Cilicie n’était plus,
à l’instar de celle du Granique, une force constituée de contingents locaux, mais
l’armée royale menée par DariusIII en personne. Ce dernier t venir des forces sup-
plémentaires de la vallée du Nil, comme l’atteste la présence de Sabakès, satrape*
d’Égypte (ArrienIII, 1.2 & Quinte-CurceIII, 3.1), et d’Asie Mineure, dégarnis-
sant ainsi à point nommé les arrières du Macédonien (ArrienII, 2.1-2 & Quinte-
CurceIII, 3.1). La rencontre eut lieu à Issos en Cilicie en novembre 333. La victoire
revint à Alexandre, mais DariusIII put prendre la fuite. Issos ouvrait au conquérant
macédonien la porte du Levant. Par ailleurs, les revers subis par l’armée perse la
rendaient inopérante pendant quelque temps, ce qui laissait à Alexandre la possibi-
lité d’entreprendre la conquête de toute la partie occidentale du Croissant fertile et
de la vallée du Nil.
Alexandre le Grand: rupture et continuité
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LA CONQUÊTE DU LEVANT ET DE L’ÉGYPTE
(Voir doc.1 et 2, page 260)
La prise de possession de la façade méditerranéenne de l’empire prit du temps. Pourtant,
elle s’annonça, tout d’abord, sous de bons auspices puisque de nombreuses villes ac-
cueillirent les conquérants sans résistance. Ce fut par exemple le cas des agglomérations
phéniciennes d’Arados, Marathos, Sigon, Mairamme, Byblos et Sidon. Avant de s’en-
foncer vers le cœur de l’empire, Alexandre désirait visiblement mettre n à tout risque
sur ses arrières en réduisant les menaces navales et terrestres perses (ArrienII, 17). Il lui
fallait donc pour cela pacier le Levant. Cependant, Tyr refusa de se soumettre. Certes,
la otte perse, essentiellement phénicienne, avait commencé sa désagrégation du fait
même des nombreux autres ralliements, mais Tyr, avec ses deux ports et sa propre otte,
représentait un danger non négligeable pour la sûreté des nouvelles conquêtes macédo-
niennes. La ville dut donc être assiégée de janvier à août 332. Avec la Phénicie tomba
aussi la Syrie avec la nomination, par Alexandre, d’un satrape* de Syrie suite à la prise
de Damas (ArrienII, 13.7). Les affrontements entre Gréco-Macédoniens et Perses ne se
limitèrent par ailleurs pas à ces opérations. Ils continuèrent en Asie Mineure et en mer
Égée et il ne faut pas imaginer la conquête de l’Empire perse par Alexandre comme le
raid victorieux d’une seule armée, celle du roi macédonien. Tout l’occident de l’em-
pire dut être pris les armes à la main et ce malgré les ralliements de certaines régions.
Jusqu’à Gaugamèles, DariusIII put maintenir sa stratégie de combat sur plusieurs fronts
et des territoires tels que la Cappadoce ou l’Arménie furent en mesure de continuer à
lui envoyer des troupes. En Égée, les derniers éléments de la otte perse furent détruits
durant cette période. Une fois Tyr conquise, et après la difcile prise de Gaza, Alexandre
pénétra sans résistance en Égypte par Péluse. Le satrape Mazakès, nommé juste après
la bataille d’Issos, en pénurie de troupes, décida de lui remettre le pays sous les murs de
Memphis (Arrien,III. 1.1-3; Quinte-CurceIV, 7.3-4).
Le séjour égyptien
(Voir doc.15, page 269 et doc.16, page 270)
Le temps passé par Alexandre en Égypte témoigne de l’importance accordée par le
conquérant à ce pays. Si la politique au Levant après Issos se fonda sur la volonté de
contrôler la façade maritime de l’Empire perse avant de s’enfoncer en son cœur, la
maîtrise de l’Égypte s’explique par des raisons moins strictement militaires. Deux
priorités peuvent être distinguées d’après les actes du Macédonien. Au début de
331, la fondation d’Alexandrie, dont les rues et les emplacements des temples et de
l’agora passent pour avoir été tracés par Alexandre même (ArrienIII.1.4-5; Ps. Cal-
listhèneI.31.5-32.6), permit de doter l’Égypte d’un port maritime. Un tel soin mani-
feste la volonté d’ancrer l’Égypte dans le monde méditerranéen et d’y développer
ses exportations de blé. La deuxième priorité est d’ordre idéologique. À Héliopolis,
Alexandre visita le sanctuaire du dieu Rê dont, selon le traditionnel titre pharaonique
de «ls de Rê», il put revendiquer la liation. À Memphis, il sacria au dieu taureau
Apis, hypostase de Ptah, dont l’entretien était une prérogative royale. Après avoir fondé
260 © Hachette Livre – Les Mondes hellénistiques – La photocopie non autorisée est un délit.
Les Mondes hellénistiques
D 1– La conquête de l’Empire achéménide par Alexandre le Grand.
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