Journées d’étude Évolution du paysage parisien au prisme du risque climatique
École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette, 4-5 février 2016
Comment habiter la Terre à l’anthropocène ?
Augustin Berque
1. Des tours contre le dérèglement climatique ?
Si j’ai bien compris le titre de ces journées d’étude, il s’agit de paysage urbain ; et si j’ai bien
les yeux en face des trous, l’image qui introduit au programme de ces journées d’étude nous
montre un Paris parsemé de tours géantes. Cela m’a immédiatement ramené un demi-siècle en
arrière, en cette année 1967 où je commençais à enseigner à l’École des Beaux-Arts, quai
Malaquais, côté architecture ; et plus particulièrement à un numéro spécial de la revue Paris
Match (n° 951-952, juillet 1967), consacré au thème « Paris dans vingt ans ». Ce qui était
concocté dans ces années-là pour Paris « à l’horizon 80 », c’étaient effectivement des tours. Et
apparemment, ce qui est imaginé aujourd’hui pour « Paris smart city 2050 », ce sont
également des tours. En 1967, le numéro de Paris Match en question annonçait fièrement :
« Le général De Gaulle a étudié douze projets confidentiels. Les voici ». Et elles étaient là en
effet, les maquettes des projets Arretche, Marot, Faugeron etc., légendées par la revue : « La
Seine : de Grenelle à Bercy, elle coulera entre tours et jardins » (je n’avais pas remarqué à
l’époque, mais je remarque aujourd’hui, qu’on allait donc faire couler la Seine d’aval en
amont) ; « Ministères et sièges de sociétés, ces géants seront les monuments de la ville
nouvelle » ; etc. Près d’un demi-siècle après le « plan Voisin » de Le Corbusier, l’idéal de ces
architectes n’avait pas changé : moderniser Paris, ce serait y faire des tours. Et un demi-siècle
plus tard encore, il est toujours le même : adapter Paris à l’anthropocène, ce sera y faire des
tours. La seule évolution, c’est – comme sur la belle image de notre programme – que ces
mêmes tours seront teintes en vert.
Tout en m’inclinant devant l’imagination créatrice de ces architectes, je voudrais
considérer la question du paysage urbain sous un autre angle. Sous cet angle-là, il s’agirait,
comme l’indique le titre de mon exposé, de cadrer cette question dans le contexte de
l’Anthropocène. Ce mot d’« anthropocène », comme vous le savez, a été proposé il y a seize
ans, en février 2000, par un météorologue néerlandais, Paul Crutzen, titulaire du Nobel de
chimie 1995 pour ses travaux sur la couche d’ozone. Il s’agissait par là de qualifier un
ensemble de phénomènes, en particulier le dérèglement de l’homéostasie climatique de notre
planète, sous l’effet de l’action humaine. Cela se passait à Cuernavaca, au Mexique, dans un
colloque du Programme international Géosphère-Biosphère (l’IGPB d’après ses initiales
anglaises), qui a été lancé en 1987 pour coordonner les recherches menées dans différents
pays et à différentes échelles, du régional au planétaire, sur les interactions entre l’action
humaine et les changements biologiques, chimiques et physiques du « système Terre ».
Crutzen voulait dire que les effets de l’action humaine sont devenus tels que nous ne sommes
plus dans la période de l’holocène – la plus récente de l’ère quaternaire –, mais entrés dans
une période nouvelle, l’anthropocène. Le mot vient du grec anthropos, l’humain, et kainos,
nouveau. L’idée, c’est que l’action humaine a désormais des effets d’une ampleur tellurique,
géologiquement significative.
Parmi ces effets, les deux plus graves sont la destruction de la biodiversité, qui fait
aujourd’hui parler d’une « sixième grande extinction » de la vie sur Terre, et le dérèglement
du climat terrestre, thème sous-jacent à celui du présent colloque. Il s’agit pour nous du
« paysage parisien au prisme du risque climatique », mais bien entendu, cette question ne doit
pas être abstraite du système Terre, car en matière de climat, la circulation de l’atmosphère à
l’échelle planétaire est nécessairement en jeu. Elle ne doit pas non plus être abstraite des
causes générales qui ont provoqué l’anthropocène, causes qui sont humaines, comme ce nom