Alain GIFFARD
(Fondation des Treilles
"Copie, mode d'emploi")
20 mai 2012
INDUSTRIE DE LA LECTURE, COPIE DU LECTEUR
Pour situer la relation du lecteur et de la copie à l’âge de la lecture numérique, il faut
rappeler d’entrée la situation paradoxale du lecteur, triomphant en un lieu, les théories
littéraires, mais totalement oublié dans les analyses et textes juridiques. Depuis
Barthes, l’école de la réception, les cultural studies, le lecteur triomphe à l’Université.
Mais il est purement et simplement ignoré par le droit. Consulter l’index du Code de la
propriété intellectuelle est un exercice instructif: le lecteur y est relégué à l’arrière plan,
représenté, du moins le suppose-t-on, sous diverses espèces (le «cercle de famille»,
«l’usager des bibliothèques»), mais il ne figure pas explicitement sur la liste des sujets
juridiques. Stricto sensu, il n’y a pas de droit du lecteur.
La relation traditionnelle, aujourd’hui devenue conflictuelle, du lecteur et de la copie est
active: le lecteur copie le texte ou le livre.
Notre époque semble considérer que le lecteur ne copie pas l'auteur. Seul un auteur
pourrait copier un auteur. On a pu penser autrement comme l’indiquent les catégories
de l’imitation, de l’implication, ou de l’inspiration.
Il est vrai que la copie du texte par le lecteur est toujours une écriture. La "copie dans le
coeur" du Moyen-Age est écriture de la mémoire (memoria) qui elle même pourra être
relue en tant que mémoire de lecteur (anamnesis, reminiscentia). Hugues de Saint Vic-
tor semble bien avoir cru en une sorte d’économie de la lecture, selon laquelle on pou-
vait écrire dans l’exacte mesure du souvenir conservé des lectures. La fécondité intel-
lectuelle suivait cette règle d’une distribution égale de la vertu de «copiosité» sur les
deux versants de la lecture, activité première, et de l’écriture.
Le lecteur pratique aussi des copies extérieures, à titre d’aide - mémoire. Il peut copier
des citations, des extraits, et finalement tout le texte: le livre manuscrit recopié est aussi
un aide - mémoire. Lorsque Luciano Canfora traite du "copiste comme auteur", il vise
un scribe, un copiste qui est passé de la lecture à l'écriture.
Bref le lecteur est copiste ou copieur.
Je ne traiterai pas ici de cette forme traditionnelle de la relation du lecteur et de la copie,
une relation active du lecteur copiste ou copieur avec le texte ou le livre, mais sa forme
contemporaine, une relation passive, dans laquelle la lecture est copiée, d’abord
comme acte de lecture, puis comme pratique ou exercice, le stade ultime étant celui de