27 mai 2017 769888011 1/44
CATECHESE BIBLIQUE SYMBOLIQUE
Août 2008
LIÈGE 2008
CHANGER D'ÉTAT D'ESPRIT POUR CROIRE EN JÉSUS-CHRIST
La boulimie de savoirs conduit à l'anorexie de la prière, comme il est écrit :
"vous ne mangerez pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal...''
Table des matières
I. LE FONDAMENTALISME, UN PÉCHÉ NATUREL ...................................................................... 2
A. Qu'est-ce que le fondamentalisme ? ...................................................................................................... 2
B. Initier à l'écoute de la Parole de Dieu ..................................................................................................... 3
1. Une structure mentale à édifier ................................................................................................................. 3
2. L'âme biblique au cœur du corps .............................................................................................................. 4
C. D'abord, être initié à parler la langue Bible en Église ............................................................................. 4
D. Ensuite, vivre la Parole dans le monde .................................................................................................. 6
1. Sortir de la ''lettre'' biblique ........................................................................................................................ 6
2. L'existentiel chrétien .................................................................................................................................. 7
E. Le Notre Père, premier Credo de l'Église ............................................................................................... 8
F. En conclusion : se convertir, c'est changer d'état d'esprit .................................................................... 10
II. L'ÉVANGILE PEUT- IL VALORISER L'ANCIEN TESTAMENT ? .......................................... 13
A. Position du problème ............................................................................................................................ 13
B. Comment est née la lectio divina chrétienne ? ..................................................................................... 13
C. L'évangile de Matthieu et l'Ancien Testament ...................................................................................... 16
1. La communauté de Matthieu dans l'espace et le temps ......................................................................... 16
2. Le chapitre 25 de cet évangile sémitique ................................................................................................ 17
3. Trois enracinements de l'évangile dans l'Ancien Testament ................................................................... 19
L'argent pervers ................................................................................................................................................ 19
Le serpent des commencements ...................................................................................................................... 19
Le temps intérieur ............................................................................................................................................. 21
D. La dimension chrétienne de Matthieu 25 .............................................................................................. 23
1. La première parabole .............................................................................................................................. 24
2. La seconde parabole ............................................................................................................................... 24
3. La troisième parabole .............................................................................................................................. 25
E. Pour conclure : juifs et chrétiens .......................................................................................................... 26
III. POUR ENTRER DANS LA PRIERE BIBLIQUE ..................................................................... 28
A. L'embarras de Dieu............................................................................................................................... 28
B. En quel Dieu je crois ? .......................................................................................................................... 29
1. L'idée que j'ai de Dieu ............................................................................................................................. 29
2. A un Créateur rigoureux .......................................................................................................................... 30
3. A un Père qui aime ses créatures ........................................................................................................... 31
4. L'amour de Dieu traverse l'histoire biblique : le psaume 136 .................................................................. 32
5. L'amour de Dieu et le refus de l'homme : le psaume 107 ....................................................................... 33
C. Qui suis-je pour m'adresser à Dieu ? ................................................................................................... 36
1. La question primordiale ........................................................................................................................... 36
2. Des yeux s'ouvrent, d'autres se ferment. ................................................................................................ 36
3. Les premiers commandements de Dieu : une logique cachée !.............................................................. 37
D. Des psaumes pour entrer dans la Bible ............................................................................................... 40
1. Une Écriture dite en première personne.................................................................................................. 40
2. Le psaume 59 .......................................................................................................................................... 41
3. Jésus prie avec les psaumes d'Israël ...................................................................................................... 42
E. En conclusion : Dieu est actif dans la prière chrétienne ....................................................................... 43
I. LE FONDAMENTALISME, UN PÉCHÉ NATUREL
Pour répondre à la question ''comment éviter les écueils d'une lecture fondamentaliste ?'',
nous essaierons de comprendre ce qu'est en fait le fondamentalisme biblique dans nos
sociétés modernes, et comment l'initiation chrétienne antique développait une ''structure
mentale'' opposée à cette maladie religieuse.
Ce concept de structure mentale sera au centre de notre réflexion.
Nous ne nous attarderons pas sur la critique historique, nous le ferons plus à fond demain,
pour nous centrer aujourd'hui sur la spécificité de la catéchèse chrétienne dont la liturgie et la
pédagogie nous viennent des pharisiens de l'antiquité.
A. Qu'est-ce que le fondamentalisme ?
Il s'agit d'une maladie de l'esprit religieux, maladie qui existe dans toutes les religions
révélées. Le croyant se fixe sur le Livre et/ou sur des rites religieux et, du coup, ne peut
élever son âme vers Dieu, l'invisible Vivant. En se fixant sur le texte biblique, le chrétien se
met à adorer ''la lettre'', il s'enferme alors dans les images et les mots du Livre. Ce n'est plus
une idolâtrie d'idoles de bois ou de pierre, d'or ou d'argent, comme dans le passé d'Israël,
mais d'idoles de papier. Le blocage de la foi est le même.
Ce fondamentalisme, qui est attachement à la lettre qui tue (2 Cor 3,6), semble être une
anomalie de l'esprit particulièrement développée dans nos sociétés modernes l'écrit exact
domine la vie. Notre monde technique est accroché à l'exactitude des mots, des images, des
monographies et des descriptions. Quand la poésie n'est plus naturelle, chaque mot est
spontanément collé à une chose, chaque image est réduite à la description précise d'une
scène extérieure. L'école s'emploie à développer ces apprentissages par lesquels une
conception positive et rationnelle de la vérité se développe. L'attachement aux écrits est
devenu aujourd'hui la structure mentale normale de nos sociétés modernes, ce qui est écrit
est sensé être le reflet fidèle de la réalité. Et ce mythe n'est pas sans risque pour l'homme
L'idolâtrie de la ''lettre biblique'' est d'abord un obstacle à l'écoute de la Parole de Dieu qui
jaillit, par exemple, des lectures de la liturgie dominicale de la Parole. Cette idolâtrie met
aussi en danger la vie sacramentelle de l'Église dont les racines sont bibliques. Un
sacrement se comprend à la lumière d'Écritures qui l'éclairent au-delà de ce qui se voit.
Sans transcendance mentale, sans racines scripturaires, coupé du récit évangélique, un
sacrement devient une sorte de magie religieuse de type émotionnel. Par exemple,
l'adoration eucharistique pourrait se réduire à celle de l'hostie, ce contre quoi avait mis en
garde le concile de Trente. Il ne faudrait pas ''croire'' que Jésus est dans l'hostie, il est in
sacramentum, ce qui est bien plus large. L'expression théologique suppose en effet un
Souffle qui fait comprendre au baptisé que l'évangélique Jésus est l'Agneau immolé, la
Victime (Hostia) du péché des hommes. Ce que contemple le chrétien n'est pas le rond blanc
de pain azyme qui n'est qu'apparence
1
, mais Celui que l'Évangile montre à l'orant comme
étant le Maître qui lui parle. Le sacrement n'est pas de la magie et, pour éviter cette affreuse
1
Mais bien substance, disaient les anciens, pour éviter l'adoration de la matière qui, elle, n'est pas adorable.
La substance est la alité invisible de l'Être qui se tient ''par dessous'' du monde visible, elle n'est pas la
matière comme les modernes le disent à tort.
idolâtrie, l'Église introduit le baptisé dans la lectio divina de son langage biblique-liturgique,
un langage qui résonne au-delà de ses mots.
Lire la Bible à la ''lettre'' en y restant, c'est la recevoir comme une narration exacte du passé,
histoire souvent perçue comme légendaire et dépassée, mais pas comme le lieu de
jaillissement de la Parole de Dieu ! Nous sommes aux antipodes de la foi de l'Église pour
qui l'Histoire biblique du Salut est toujours actuelle; elle est la vie du chrétien dans le temps
humain de la mémoire, un temps vivifiant parce que référé à l'éternel Vivant. Le glissement
dans l'historicisme, cette fixation sur le passé, est une conséquence directe de l'attachement
à la lettre par lequel nous avons défini le fondamentalisme.
D'où cette interrogation bien concrète : Comment nous faire sortir du fondamentalisme
aujourd'hui naturel et de l'historicisme qu'il produit dans nos mentalités ? C'est la question
très actuelle de l'initiation chrétienne que rappelait déjà Tertullien en son temps (II° siècle) :
''On ne naît pas chrétien, on le devient''.
B. Initier à l'écoute de la Parole de Dieu
1. Une structure mentale à édifier
Pour pouvoir écouter la Parole de l'Invisible Père au Souffle lumineux de l'Esprit, l'Église doit
aujourd'hui faire dépasser le fondamentalisme biblique. Tout être humain accueille la parole
des autres à partir d'une structure mentale dont il n'a pas forcément conscience.
A la vérité technique, correspond un univers mental adapté au monde positif, qui colle
l'homme à l'espace, lui ôtant toute transcendance. A la vérité chrétienne, correspond une
charpente spirituelle ouverte sur le sens de la vie et de la mort. D'un côté, c'est le ''comment''
et de l'autre, le ''pourquoi''.
Une structure mentale n'est pas une idée, elle est la charpente intérieure de l'esprit humain,
une logique souvent inconsciente qui préside à toute compréhension. C'est dans cette
structure, cette forme d'intelligence, que sont captés les explications et les discours des
autres. C'est pourquoi une parole poétique est en général comprise de travers par un esprit
incapable de capter le second degré des images et des langages. Dans le même ordre
d'idée, nous sourions parfois des mots d'enfant auquel échappe la subtilité de la langue. La
structure mentale est une sorte de fondation de l'esprit, on ne peut en changer comme on
change d'idées en recevant un supplément d'informations.
Pour sortir de la lettre (qui tue), il est indispensable de faire évoluer la structure mentale
horizontale que génère le monde technique vers une autre charpente spirituelle, qui est une
autre logique ou une autre raison d'être. Pour pouvoir écouter la Parole de Dieu, ou même
distinguer un sacrement d'un tour de magie, il est nécessaire de passer d'un monde intérieur
horizontal et chronologique à une intériorité biblique capable de verticalité et d'acquérir
aussi un rapport au temps bien différent d'une succession de faits.
2. L'âme biblique au cœur du corps
L'esprit du baptisé devrait pouvoir penser Dieu et l'homme à partir des figures bibliques
que la Bible met en scène. Par exemple, l'eau du Baptême dit à la fois la mort humaine de
Jésus (qui est la nôtre) et l'Esprit divin qui vient à nous par Jésus-Christ, Parole du Père.
Dans la Bible chrétienne, l'eau est à la fois la terre et le ciel, à la fois l'homme et Dieu,
l'histoire humaine et l'éternité d'en haut. L'horizontal et le vertical se croisent en Jésus-Christ.
Par ailleurs, le temps biblique n'est pas chronologique. L'Alliance de Dieu et de l'homme que
la Bible raconte commence toujours par le refus d'écouter une Parole prophétique qui
annonce un avenir difficile. Le prophète est exclu, et le désastre arrive. Alors la Bible s'écrit
en un acte de mémoire qui revient en arrière en réinterprétant ce qui a été mal vécu. La
rédaction de la Bible juive et, de la même façon, celle des évangiles sont marquées en
profondeur par cet incessant travail de relecture et de mémoire qui n'est pas le simple rappel
d'une succession de faits datés. Plus qu'un passé mort, les Écritures proposent un éternel
dépassement du passé humain, puisque la mémoire mise en œuvre est celle du Dieu vivant
qui marche la main dans la main avec un homme souvent rétif.
La Bible, le Livre de l'Alliance, ne peut donc être lue à la manière des fondamentalistes. Les
époques du récit biblique ont été tricotées les unes dans les autres, parce que les
communautés de foi n'ont jamais cessé de faire mémoire de Dieu quand elles méditaient le
passé d'Israël. La lecture chrétienne de la Bible est qualifiée de divina parce que Dieu est
actif dans la mémoire de l'Église, ce qui suppose l'acquisition de cette structure mentale
adaptée au sens de la vie, un esprit qui n'est ni positif, ni chronologique, mais poétique c'est-
à-dire créatif. Cette seconde structure, construite sur la précédente, apporte à l'homme
technique une intelligence complémentaire, celle de l'âme.
La seule manière d'acquérir cette autre charpente de l'esprit est de pratiquer en communauté
l'écoute priante de la Parole de Dieu. Si l'on vient du monde positif et technique, cette
manière de lire la Bible demandera des années d'initiation. Le catéchumène, selon son âge,
ses dispositions mentales et son histoire, entrera plus ou moins facilement dans ce que la
tradition latine nomme intellectus fidei (intelligence de la foi) et sensus fidei (sens de la foi).
Ce sont les deux moments de l'initiation, biblique d'abord, existentiel ensuite. Voyons cela.
C. D'abord, être initié à parler la langue Bible en Église
Jésus-Christ; le crucifié ressuscité, marque une coupure dans l'histoire d'Israël. Il arrête
l'ancienne histoire des juifs pour en faire un langage modèle dans l'actualité de l'Église. Le
passé d'Israël devient la langue vivante de la communauté chrétienne. Référée à ce que
Jésus était en vérité et que la foi ne cesse de questionner, la Bible devient la référence de
toute parole de foi. C'était si vrai dans l'antiquité que nos Pères dans la foi refusaient même
qu'il y ait dans le Credo des termes qui ne soient pas bibliques. Les Écritures référées aux
évangiles dans la liturgie, sortent ainsi du passé biblique pour devenir la langue maternelle
de l'Église, celle qui fait naître le chrétien au Christ. N'est-ce pas ce qu'évoque le récit de
Pentecôte à ceux qui ont l'expérience de la Parole : chacun entendait les Apôtres parler sa
propre langue, et ils s'étonnaient... (Ac 2,6-7).
L'accès à ce langage biblique qui dit le Christ, et en plus la vie chrétienne animée par la Vie
divine, demande la structure mentale biblique-symbolique en laquelle toutes les images
bibliques, tous les récits d'Écriture, peuvent servir à dire l'existence du croyant qui marche
avec son Dieu. La vie chrétienne n'est pas l'extériorité mondaine comme en sociologie ou en
morale, elle s'inscrit dans le temps intérieur Dieu rencontre l'homme, l'Alliance se
noue. Elle est bien la Vie que Jésus révélait à la Samaritaine. En cette Vie, chaque figure
biblique exprime à la fois le ciel et la terre, Dieu et l'homme réunis en Jésus-Christ.
Le premier temps de l'apprentissage consiste à entrer dans la polysémie des figures
bibliques (images des récits) qui viennent ainsi nourrir l'expérience intime de la Bible référée
à sus. Dès lors, une image scripturaire n'est pas seulement descriptive, elle est forcément
évocatrice parce qu'elle renvoie, au sein de la structure mentale appropriée, à différentes
scènes, à des récits variés, au Verbe éternel. En Église, on la dit symbolique
2
. Ainsi Jésus
de Nazareth est-il identifié au Seigneur de l'Ancien Testament : il réalise des miracles
semblables à ceux des prophètes d'Israël. Par exemple, la tempête qu'il apaise peut être
rapprochée de la tumultueuse traversée de la Mer Rouge. Aussi les pains que Jésus
multiplie peuvent être éclairés par la situation vécue par le prophète Elisée, et également par
la Manne du récit de Moïse, etc. La richesse symbolique de la figure biblique grandit avec la
multiplication des éclairages et des correspondances. En prenant de l'envergure, le Souffle
de Dieu montre sa puissance infinie à l'intérieur de l'âme ainsi nourrie.
Les enrichissements mutuels des récits de l'Alliance permettent d'écouter ou de lire
chrétiennement les Écritures selon ce que l'Église propose dans la liturgie dominicale de la
Parole. Cet apprentissage à l'écoute devrait se faire dès le plus jeune âge, il commande en
effet l'intelligence de la foi et la compréhension de l'histoire du salut qui n'est autre, dans le
langage biblique-symbolique, que la vie de la communauté chrétienne.
Une communauté n'existe que par son langage spécifique. Celui de l'Église universelle est
la Bible d'Israël à laquelle s'ajoute le Testament évangélique qui en est le phare. C'est ainsi
que la Bible est devenue la langue maternelle de l'Église. Parler et prier au fil du temps
liturgique inscrit les baptisés dans l'histoire biblique du salut. Histoire bien actuelle que,
chaque dimanche, des communautés chrétiennes évoquent son cadre millénaire : le Credo.
Telle est le premier temps de l'initiation chrétienne, un moment essentiellement linguistique.
Dans l'antiquité, c'était l'étape du lait biblique (He 5,13). En apprenant la langue Bible dans
sa communauté de prière, l'enfant de la foi s'ouvrait à l'écoute de la Parole du Père. L'enfant
de Dieu apprenait à ''dire'' dans la prière Celui qu'il désirait entendre : Jésus, le Christ des
Écritures.
Le ''lait'' des saintes Écritures donnait, jour après jour, plus de force au catéchumène pour
aller au-delà des mots et des images, pour dépasser son fondamentalisme chronique, pour
''verticaliser'' sa plate vision du monde marquée seulement par de bons sentiments. Cette
nouvelle structure spirituelle se mettait en place dans le temps liturgique de l'Église
3
, celui de
la mémoire intérieure. L'apprenti-croyant se libérait ainsi de l'attachement aux choses, aux
mots et aux rites magiques des religions à mystère, il entrait dans le véritable Mystère,
éprouvait en lui-même son étonnante efficacité. Le Salut s'ouvrait à l'homme enthousiasmé.
2
Au sens du sunbolon antique qui exprime l'Alliance, l'union intime de l'homme et de Dieu, deux êtres qui, au
départ, ne se ressemblent pas. A ne pas confondre avec le symbolique psychologique qui est tout autre
chose.
3
Ce temps liturgique n'est pas seulement une succession de fêtes et de lébrations, ornées de couleurs
variées, elle suppose des relations personnelles différentes à Jésus, une mémoire sans cesse enrichie par
les scintillements différents du même Mystère pascal. La transcendance de l'esprit de foi le permet, pas des
explications.
1 / 44 100%