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Jean 6,51-59
Phi.2,5-11 Le lavement des pieds
Jean 13,1-5, 12-15
Avant la fête de la Pâque, sus sachant que son heure était venue, l’heure de passer de ce
monde au Père, lui qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours d’un repas, alors que déjà le diable avait jeté au cœur de Judas Iscariote fils de
Simon, la pensée de le livrer, sachant que le Père a remis toute chose entre ses mains, qu’il
est sorti de Dieu et qu’il va vers Dieu, Jésus se lève de table, dépose ses vêtements et prend
un linge dont il se ceint. Il verse ensuite de l’eau dans un bassin et commence à laver les
pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.
…………..
Lorsqu’il eut achevé de leur laver les pieds, Jésus remit ses vêtements, se remit à table et leur
dit : comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m’appelez le Maître et le Seigneur et vous
dites bien car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître,
vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres, car c’est un exemple que je vous
ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi.
Dans ma lecture de ce récit, j’ai volontairement omis les versets 6 à 12 qui relatent une
altercation entre Jésus et Pierre, ce dernier s’offusquant de ce que Jésus puisse lui laver les
pieds. Ceci parce que les exégètes spécialistes de l’évangile de Jean ont déterminé que les
versets omis ont été intercalés dans le texte d’origine. Je vous ai donc restitué uniquement le
texte initial, parce qu’il est plus facile à comprendre comme cela.
Quoi qu’il en soit, il semble bien que l’évanliste Jean ait voulu se démarquer de cette
tradition de la Cène rapportée par les trois synoptiques, et par l’apôtre Paul, puisque son repas
d’avant la Pâque ne comporte pas les fameuses paroles du Christ : « prenez et mangez, ceci
est mon corps… ». Cependant cette idée que Jésus est une nourriture pour les siens est
développée dans un autre cadre que le repas d’avant la Pâque et d’ailleurs plus longuement
au chapitre 6.
Ce chapitre 6, qui se situe après la multiplication des pains, développe, bien plus que les
synoptiques, le fait que la chair du Christ est vraie nourriture pour la vie éternelle et son sang
vraie boisson. Les expressions sont tellement crues que, comme les juifs qui écoutaient Jésus,
nous ne pouvons pas y croire dans un sens matériel et comprenons bien qu’il s’agit d’une
image et que le sens est symbolique, d’autant plus qu’il n’est pas perturbé par ce que
mangent et boivent les disciples en écoutant ces paroles ; ils sont dans la synagogue de
Capernaüm.
Le pain de Dieu qui descend du ciel et qui donne la vie au monde, comme dit Jésus à ce
moment-, est une nourriture spirituelle qu’il nous délivre, si nous venons à lui et nous
laissons imprégner de son enseignement et de sa sagesse. Dans les livres tardifs du Premier
Testament, la sagesse descend du ciel comme la manne, pour nourrir les hommes et leur
donner la vie. Et en expliquant quelle est la volonté de Dieu à l’égard des hommes, en
bousculant les conventions sociales qui faisaient peu de cas des petites gens, Jésus s’est attiré
la haine des pouvoirs religieux et civils, ce qui l’a conduit comme vous savez sur la croix.
Ainsi il est mort pour que nous puissions être nourris de sa sagesse, de la sagesse qu’il tient de
Dieu. D’où cette image de boire son sang et manger sa chair que l’on retrouve d’ailleurs dans
un certain nombre de mythes grecs et de croyances populaires de l’Antiquité suivant lesquels
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le fait de boire le sang et de manger la chair d’une personne permettait de s’approprier sa
puissance et sa sagesse, sinon sa personne elle-même.
Revenons donc à ce repas johannique, avant la fête de la Pâque, Jésus ne dit pas « Prenez,
mangez, ceci est mon corps ». Jésus savait que son heure était venue et il aima les siens
jusqu’au bout ; on peut traduire aussi jusqu’à l’extrême, jusqu’à son achèvement. L’arrière
plan est donc à la fois la mort imminente de Jésus et cet amour des hommes qu’il veut
concrétiser une dernière fois en frappant les esprits. Et il ne trouve rien de mieux à faire que
de se lever de table pour laver les pieds de ses disciples. Geste incongru, complètement
inattendu parce que ce n’est pas le moment, en plein milieu du repas, et parce ce n’est pas à
lui de l’accomplir.
En ce temps-là, aussi bien en Grèce qu’en Palestine, on marchait dehors avec de simples
sandalettes à courroie, des spartiates, et on ramenait donc avec ses pieds toute la poussière de
la ville. Le dernier des esclaves ou à défaut le dernier des fils, était préposé à laver les pieds
du maître lorsqu’il rentrait chez lui. C’était un acte de subordination, de soumission, mais
aussi d’amour. Je t’aime tellement, j’ai tellement de respect pour toi, que je m’abaisse jusqu’à
tes pieds. Et lors d’une réception, le dernier des esclaves lavait les pieds des invités à l’entrée
de la maison.
Nous avons tous éprouvé le soulagement et le bien-être qui provient d’un bain de pieds. Aussi
pouvons-nous comprendre que cette coutume orientale correspondait à une détente au milieu
de l’activité du jour.
L’évangéliste Jean, en remplaçant les phrases : « prenez, mangez, ceci est mon corps etc »
par cette scène du lavement des pieds en plein milieu du repas nous parait avoir voulu
réorienter le sens de cette cène dans plusieurs directions.
En premier lieu, enlever toute ambigüité concernant cette idée de boire le sang du Christ et de
manger sa chair. L’image est belle, bien répandue dans l’Antiquité, mais le risque est trop
grand, encore plus à l’époque qu’aujourd’hui, de prendre l’idée au sens littéral, comme déjà
certains chrétiens commençaient à le faire. N’oublions pas que Jean écrit au tournant du
premier et du deuxième siècle, une cinquantaine d’années après la lettre de Paul aux
Corinthiens qui parle la première de la pratique de l’Eucharistie. Et les interprétations plus ou
moins superstitieuses faisant intervenir des phénomènes surnaturels consistant à manger
vraiment le corps du Christ couraient déjà. Donc Jean parlera une autre fois du Christ
nourriture pour les hommes, lorsque l’on ne sera pas à table et que l’on ne risquera pas de se
méprendre sur le sens des mots. Et il s’expliquera plus amplement. Au contraire, dans le
lavement des pieds, il n’y a rien de magique, rien qui ne soit pas réaliste, rien qui soit difficile
à admettre pour la raison. Tout est dans l’ordre du possible et immédiatement compréhensible
pour les participants au repas comme pour les lecteurs que nous sommes.
Dans les deux récits de la Cène, celui des synoptiques et celui de Jean, il est question de
corps. Mais ici Jésus n’offre pas, symboliquement, son corps à manger. Il s’occupe du corps
des autres, pour les soulager, les mettre à l’aise, leur ôter la fatigue du jour. Non pas mon
corps, au centre de la Cène, mais celui de l’autre. Jean remplace un geste de vénération du
Christ, un geste d’absorption du Christ, par un geste au service des hommes, d’amour jusqu’à
l’extrême. Jésus se donne aussi, mais il se donne en prenant soin lui-même de ses amis.
Il commence par se dépouiller de ses vêtements, comme sur la croix les soldats romains le
dépouilleront de ses vêtements. Nous sommes donc déjà dans l’annonce du dépouillement
final . Quitter ses vêtements, c’est perdre sa personnalité, sa dignité ; dans la tradition juive,
c’est perdre son identité. Jésus est presque nu comme le montre les trop nombreux tableaux de
crucifixion ; nu de tout ce qui le protège, nu de tout de qui est encore à lui. Et en essuyant les
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pieds de ses disciples avec le linge qu’il avait mis autour de sa taille, nous sentons une autre
forme de communion par la familiarité des corps. C’est le même linge qui le ceint et qui va
essuyer les 24 pieds des convives. Communion entre les disciples qui partagent la même eau
dans la même cuvette et le même linge pour s’essuyer. Dans la culture juive, le lavement des
pieds purifie. Communion autour de ce qui purifie.
Cet acte de grande humilité de Jésus qui se met à la place du dernier des serviteurs, du dernier
des esclaves, c’est l’image qu’il veut laisser à ses disciples avant de mourir, avant de remonter
vers le Père. L’élévation vers le monde divin passe par un abaissement jusqu’au pied de tous
ses frères les hommes, y compris ceux qui vont le trahir. C’est exactement ce que rappelle
cette louange rapportée par Paul dans sa lettre aux Philippiens (chap. 2), et qui est le plus
ancien texte chrétien qui soit venu jusqu’à nous. Je le résume :
Lui qui est à l’image de Dieu, il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur.
Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix.
C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé.
Pour monter jusqu’à Dieu, il faut partir de tout en bas !
Rappelons nous cette phrase de Marc et de Matthieu : « Le fils de l’homme est venu non pour
être servi mais pour servir. » Et le Jésus de Luc qui dit (22) « Et moi je suis au milieu de vous
à la place de celui qui sert ». Ce lavement des pieds rappelle à chaque disciple de Jésus que
son rôle est de servir et que l’aspiration à rejoindre Dieu passe par lhumble souci des
hommes, par un renversement des tendances naturelles pour que chacun parvienne à se
considérer comme serviteur de ses semblables.
A la fin du récit Jésus dit : vous m’appelez Seigneur et Maitre. Le mot « Seigneur », Kurios,
marque le respect que l’on doit aux personnes importantes. Jésus se reconnaît donc comme
important et respectable, du moins l’évangéliste Jean qui le fait parler. C’est pourquoi il se
fait serviteur. Le mot maître est la traduction du grec Didascalos qui doit être entendu dans le
sens d’enseignant. Et ainsi l’enseignement de Jésus n’est pas purement verbal. Comme
toujours, il est accompagné de son engagement. Je vous recommande, mais je le fais aussi, je
vous montre l’exemple. Vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns les autres.
Ainsi Jésus n’a pas institué un nouveau rituel mais encouragé ses amis à rendre aux hommes
les services les plus courants, même s’ils sont humiliants.
Toi qui a marché toute la journée dans la ville, je m’abaisserai à tes pieds, je serai ton
serviteur, je te remettrai en forme. Je te purifierai.
Jésus, pain de Dieu qui vient du ciel, sagesse de Dieu, Logos, nourriture céleste, nouvelle
manne qui tombe dans le désert de nos existences. Mais aussi Jésus serviteur de l’extrême,
chassant la poussière de la terre et trouvant des formes inattendues pour montrer jusqu’où
peut se loger l’amour de l’humanité. Voila les deux figures que veut laisser Jésus avant de
reprendre son chemin vers le Golgotha, sa marche vers les hauteurs du Père.
Ce que je fais pour vous, faites le vous aussi pour les autres.
Henri Persoz
17/02/2013
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