Sociologie des Sciences
Chapitre I : Vers la sociologie des Sciences
IEP 2ère année / MMIV MMV
1ème Semestre
V. Simoullin
I. INTRODUCTION
Les enjeux du cours :
Enjeu intellectuel : apporter des connaissances précises afin d’accroître la culture et le savoir
concernant les sciences sociales.
Enjeu citoyen : aujourd’hui, les sciences perdent peu à peu leur autonomie au profit du
pouvoir économique et politique (selon Bourdieu). Place et développement des sciences dans
nos sociétés.
Enjeu épistémologique : la sciences est un élément important de la compétitivité, en matière
de recherche et d’innovation. Etude du fonctionnement du monde scientifique.
II. PREMIERE PARTIE : VERS LA SOCIOLOGIE DES SCIENCES
1. LES APPROCHES EPISTEMOLOGIQUES
Ces approches épistémologiques ont changé notre regard sur les sciences et la nature.
Progressivement, les sciences « dures » se sont « amollies » : avec des lois plus fragiles, elles
devenaient moins rigoureuse.
Débat majeur de l’époque : les sciences « molles » sont-elles des sciences ? (débat aujourd’hui
dépassé vu reconnaissance de la catégorie des sciences sociales).
A. Le critère de réfutabilité : Popper
1) Popper (1902-1994) : influence considérable sur la façon
d’envisager les sciences avec la démolition de l’idée que
l’homme peut penser ou prétendre avoir établi les lois de la
nature une fois pour toutes.
Vers 1920, alors étudiant en psychanalyse, psychologie, philosophie, marxisme… il a le sentiment
que toutes ces théories n’ont pas la même importance ni la même validité. Il fait une distinction entre
SCIENCES et PSEUDO SCIENCES.
Création du CRITERE DE DEMARCATION.
Marxisme, psychanalyse philosophie : possèdent un très grand pouvoir explicatif pour tout, ce
qui peut constituer leur faiblesse. Ex : un homme jette un bébé à l’eau et un autre homme se
jette à l’eau pour sauver le bébé :la même théorie est utilisée pour expliquer les deux
comportements.
La théorie de la relativité (Einstein) prend des risques et est incompatible avec certains faits :
elle est donc réfutable.
Sociologie des Sciences Chapitre I : vers la sociologie des Sciences.
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Popper propose 7 conclusions fondamentales :
1 . il est toujours facile de confirmer une théorie
2. certaines prédictions sont sans risques : une confirmation ne vaut alors que si elle peut être
réfutée.
3. toute bonne théorie scientifique va interdire des faits de se produire.
4. l’irréfutabilité est un défaut : une théorie irréfutable est dépourvue de tout caractère
scientifique.
5. les tests sont nécessaires pour réfuter ou confirmer une théorie : « pouvoir être testée c’est
pouvoir être réfutée ».
6. ne prendre en considération que des tests sérieux et authentiques preuves
corroborantes »).
7. certaines théories réfutée résistent, et n’ont alors plus aucun caractère scientifique.
Il est donc impossible de prouver une théorie. Seule preuve serait qu’une théorie est fausse :
THEORIE REFUTABLE et NON REFUTEE = SCIENTIFICITE d’une THEORIE
Aucune théorie scientifique n’est vraie pour l’éternel, les lois ne sont que provisoires et partielles.
On aboutit alors à une progression de la science par un mouvement de CONJECTURE et de
REFUTATION.
Conclusion
Popper crée un critère de démarcation qui départage sciences et pseudo sciences grâce à la
réfutation :
PSEUDO SCIENCES : caractérisées par une démarche dogmatique. Tendance à vérifier les lois avec
l’ « historicisme »=idée que l’Histoire a un sens et qu’il appartient aux hommes de le découvrir. Ex :
marxisme.
SCIENCES : caractérisées par une démarche critique. Tendance à modifier les lois, les
soumettre à l’épreuve du test, les futer et si possible en établir la fausseté. Il ne s’agit d’une
démarche possible qua dans le cadre de sociétés « ouvertes », où la critique d’autrui est
permise et dont l’objectif n’est pas le bonheur mais la réduction des maux qui frappent les
hommes.
B. La lutte contre le sens commun : Bachelard
Théorie des 3 C :
« Le fait scientifique est Conquis, Construit et Constaté »
CONQUETE
La science est une rupture avec l’expérience immédiate qui fait obstacle à la pensée
scientifique. Ex : un miroir est connu pour refléter exactement. Pourtant, on n’a jamais essayé
de comparer les 2 images. Après cette expérience, on constate qu ‘elles sont finalement bien
différentes (rayons de fréquence différents) : l’image est donc modifiée par le miroir.
Il faut donc se méfier des évidences aveuglantes (=prénotions).
Dans La Formation de l’esprit scientifique, 1938, Bachelard constate qu’il est très difficile d’arriver à
l’état scientifique à cause de ces idées préconçues sur le monde. Ex : théorie du corps flottant : un
morceau de bois dans l’eau. C’est en fait l’eau qui résiste à l’immersion de ce corps et non le bout de
bois.
Il s’agit pour le savant d’effectuer une CATHARSIS INTELLECTUELLE et AFFECTIVE. Sa
connaissance doit être acquise au prix d’une rupture, qui doit être conquise. Selon l’analyse de
Bachelard, il existe 3 obstacles à cette formation :
Sociologie des Sciences Chapitre I : vers la sociologie des Sciences.
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1. handicap des images
obstacle de la substance = juger des expériences en fonction des matériaux qu’elle
comprend. Ex : expérience avec du plomb ou de la rouille # avec de l’or…
En effet, les savants exigent des formes pures. Ex : trajectoires elliptique de la Terre
autour du Soleil = forme impure
obstacle des analogies = harmonie entre phénomènes naturels et sociaux. Tendance
naturelle, rapprochement inconscient présent chez tout être.
obstacle sexuel = interpréter les expériences comme le phénomène de la copulation, tout
est sexualisé. Ex :découverte de l’électricité pensée comme une alchimie sexuelle. Toute
expérience est donc biaisée par les fantasmes du savant…
RQ : surmonter l’obstacle des images reviendrait donc à psychanalyser tous les savants…
2. obstacle de la méthode
Au stade préscientifique la science est considérée comme mondaine, et doit être accompagnée
d’expériences les plus spectaculaires possibles (max de spectateurs, explosion, couleurs…) Mais
plus c’est pittoresque, plus le savant est pollué.
Selon Bachelard, une méthode mathématique est nécessaire : elle permet le détour théorique,
oblige l’esprit scientifique et assure la scientificité de l’expérience. Imposée par Newton (pourtant
critiqué pendant près d’un siècle), cette méthode correspond à la naissance de la science
moderne.
3. relation entre science et société
Dans les livres scientifiques du XVIIIème siècle, les auteurs parlent comme des hommes de
salon, ils sont immergés dans la vie quotidienne et mélangent thèses scientifiques et faits
quotidiens. Les principaux défauts de l’époque sont :
la forme dialoguée du discours
la logique de la conviction (et non de la preuve)
le mélange arguments scientifiques/non scientifiques
L’autonomisation de la science/société permet alors le passage à la science moderne= le
moment un scientifique juge de la validité d’une théorie au moyen d’un autre fait scientifique
uniquement, et qu’il est contrôlé par ses pairs.
AUTONOMISATION+INSTITUTIONNALISATION de la discipline=normes du DEVELOPPEMENT
SCIENTIFIQUE
CONSTRUCTION
Il s’agit de partir de la théorie (et non de l’expérience immédiate) : rendre indirect ce qui était direct,
opaque ce qui était transparent…etc. Construire une expérience oblige à effectuer une remise en
cause des idées reçues, et établir une problématique.
CONSTAT
Il s’agit de la phase d’expérimentation.
Conclusion
Selon Bachelard,
-Aucune science ne peut atteindre une vérité inconditionnelle, qu’une théorie doit toujours précéder l’observation. « La science
est une entreprise de correction des erreurs humaines.
-Les THEORIES forment des SYSTEMES
-La PROGRESSION DE LA SCIENCE suppose une REVOLUTION INTELLECTUELLE
Sociologie des Sciences Chapitre I : vers la sociologie des Sciences.
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C. L’invention des paradigmes : Kuhn
La Structure des révolutions scientifiques (1962)
Thèse : la science moderne fonctionne par paradigmes. Pour Kuhn, ceci ne vaut que pour la science
moderne partir de Newton) ; d’autre part, il souligne qu’on ne peut avoir de recherche scientifique
sans paradigmes. C’est là le signe de la maturité de la discipline.
D’après Kuhn, un paradigme est une découverte scientifique de grande importance, universellement
reconnue, qui permet le développement de théories et qui, pour un temps, fournit à une communauté
de chercheurs des pbs et des solutions. Si Kuhn donne plusieurs définitions du paradigme,
globalement, il s’agit d’une découverte organisant le monde.
Comme chez Popper et Bachelard, le science ne procède pas par accumulation, mais plutôt par
révolutions.
Kuhn distingue 3 périodes dans le fonctionnement de la science :
1. la science normale : domination d’un paradigme qui semble meilleur que les autres, non pas
parce qu’il explique tout (puisque les chercheurs ont tjrs besoin d’énigmes), mais parce qu’il présente
des énigmes importantes.
Ici, tout le monde est d’accord sur les principes fondamentaux de la recherche, sur les sujets dignes d’étude (méritant
subventions, publications, et postes).
Ici, le paradigme limite donc les risques.
2. la crise du paradigme
Kuhn ne définit pas les lois de cette crise, mais il précise les caractéristiques de cette période de crise :
Une ou plusieurs anomalies qui perdurent malgré toutes les tentatives (phénomène
inexplicable)
Prolifération de différentes versions du paradigme.
Grande insécurité ressentie par les scientifiques, due à l’impossibilité durable de résoudre les
énigmes normales.
Tendance à l’analyse philosophique et à la discussion des fondements du paradigme.
4. L’émergence d’un nouveau paradigme : le renouvellement du paradigme ne se fait que si cela
est nécessaire, c’est-à-dire si un point fondamental du paradigme est remis en cause (cf. Popper
selon lequel un seul contre-exemple suffit).
La science a donc besoin de réfutation.
Les scientifiques ne renonceront au paradigme que si une théorie concurrente est prête à prendre la
place (cf. Popper propose une réfutation systématique de la science au moyen d’une comparaison
avec la Nature). Kuhn accepte cette idée mais le plus important est la comparaison des paradigmes
entre eux. Cette lutte est politique, et il y a une incommensurabilité des paradigmes, c’est-à-dire que
l’on accepte aucun des arguments de l’autre paradigme.
Kuhn souligne qu’à la fin des luttes, c’est le meilleur paradigme qui gagne. Et il rappelle que Copernic
ou Newton ont plus d’un siècle pour s’imposer.
Dans ce mouvement, Kuhn montre aussi l’importance des retours en arrière ; des phénomènes bien
expliqués par le paradigme précédent peuvent redevenir des énigmes.
RQ : Kuhn a inspiré de nombreuses études de l’action publique.
Les fonctions normatives des paradigmes sont au moins aussi importantes que leurs fonctions
cognitives :ce qui est important, outre les connaissances, ce sont les normes qu’ils proposent
Conclusion générale
Ces 3 auteurs ont fourni une tradition de pensée épistémologique, mais ont aussi découvert toute une société.
Tous les 3 affirment que les lois ne sont pas éternelles, et que l’on ne peut étudier la science
indépendamment de la société (il s’agit d « ammolir » les sciences dures)
2. LA REDECOUVERTE DU SOCIAL
Sociologie des Sciences Chapitre I : vers la sociologie des Sciences.
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Jusque dans les années 30, les sociologues s’intéressent peu à la science puisque d’une part,
ils pensent que la science est spécifique et autonome, et d’autre part, leur souci n’est pas de
désenchanter la science mais de démontrer que la sociologie est une science comme les autres.
Des travaux isolés vont défricher le terrain et montrer que la science n’est pas une activité si
pure.
A. Les approches discontinuistes
Elles soutiennent la différence de nature et de degré entre 2 modes de pensées. La science ne peut se développer que dans
certains types de société : les sociétés modernes. La logique des sociétés dites « primitives » et des sociétés modernes est
différente.
AUGUSTE COMTE (1798-1857)
Production considérable, même si son œuvre est parfois désuète (ex : sa théorie biologique du
cerveau humain)
2 apports principaux :
Création du mot sociologie
Réforme des sociétés modernes nécessitait une société nouvelle
Loi des 3 états qui est le socle de son œuvre. La théorie passe par 3 états :
Etat théologique et militaire :caractérise les sociétés anciennes, prévaut jusqu’au XIIIème
siècle en Europe. Prêtres et guerriers dominent dans cet état préscientifique. L’esprit humain
explique les phénomènes en les attribuant à des êtres ou forces comme lui mais plus
puissants.
Etat métaphysique ou abstrait (XIII-XVIIIème siècle) : développement de l’esprit scientifique
mais l’esprit humain continue des développer des entités abstraites.
Etat scientifique et industriel (ou positif) : l’esprit humain écarte toute métaphysique.
Développement de l’esprit scientifique avec le développement de causalité.
Comte a également apporté une classification des sciences : maths, astronomie, physique, chimie,
biologie, sociologie… (complexité croissante) Mais toutes ces sciences sont comparables
sociologiquement (nomenclature, déduction, comparaison…)
Comte est donc assez typique de la façon dont les sociologues du XIXème regardent les sciences.
Leur problème n’est pas d’étudier sociologiquement la science mais de voir si la sociologie est une
science et si oui, quelle est alors sa place.
LUCIEN LEVY-BRUHL (1857-1939)
La Mentalité primitive, 1922
La Mythologie primitive, 1935
Cet ethnologue a étudié les modes de pensée dans les sociétés primitives à partir des mythes de ces
sociétés. Sa thèse énonce l’idée que la science est impossible dans les sociétés primitives,
puisqu’elles sont prélogiques.
4 caractéristiques séparent 2 mentalités :
Les représentations collectives sont mystiques, c-à-d que les représentations du réel se fondent
sur la croyance en des forces ou des êtres que nos sens ne nous permettent pas de
percevoir. Il n’y a pas de différence claire entre le monde naturel et le monde surnaturel.
La mentalité est prélogique car elle ne respecte pas le principe de non contradiction dans la
mesure où elle pense en même temps des choses contradictoires.
La mentalité est non factuelle, c-à-d que le primitif cherche toujours les causes premières et non
scientifiques ( Ex : quelle est la force maléfique qui s’en est prise à telle personne ?)
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