
café, au lieu d'être effectué par un superordinateur pour le compte du gouvernement, est transformé
en une myriade de petits calculs simples à la charge de chaque agent, un peu comme si l'on avait
remplacé ce superordinateur par un réseau de calculettes de poche dont chacune n'effectue qu'une
petite partie du calcul. De même que chaque calculette peut être programmée pour effectuer une opé-
ration élémentaire et n'attend que l'entrée d'un nombre pour le faire, chaque agent économique n'a
qu'à réagir aux signaux que constituent les prix des différents biens selon ce que lui dicte son intérêt
propre.
[…]Une autre manière de mettre en relief les vertus d'un système de prix est d'examiner le fonction-
nement d'une partie de l'économie qui s'est largement interdit d'y avoir recours. Dans le système de
santé français, la rémunération unitaire des médecins conventionnés (soit le prix de l'acte) est fixée de
manière réglementaire: une consultation de généraliste est tarifée x euros, une consultation de spé-
cialiste y euros, l'extraction d'une dent de sagesse z euros... La rémunération du médecin n'est d'ail-
leurs pas à la charge du patient, qui contribue au financement du système de santé par l'intermédiaire
de cotisations sociales proportionnelles à son salaire. Ni la demande de soins ni l'offre de soins ne
sont donc régies par des prix. De même, le prix des médicaments comme leur taux de rembourse-
ment sont fixés par règlement. On conçoit que, dans ces conditions, aucun des acteurs du système ne
prend véritablement son coût en considération. Cette irresponsabilité généralisée conduit à une multi-
plication des actes médicaux que nous payons tous in fine. […]
L'introduction des trente-cinq heures à l'hôpital a aussi montré les limites du mode de régulation rigide
du système de santé français. Sans que personne ne l'ait apparemment prévu, la réduction du temps
de travail a augmenté considérablement les besoins en infirmières. Sur un marché du travail normal,
les salaires des infirmières auraient nettement progressé, ce qui aurait permis à terme d'attirer de
nouvelles postulantes vers cette profession. En pratique, les salaires sont fixés par les règles de la
fonction publique dans les hôpitaux publics; ce n'est que dans les cliniques privées qu'ils peuvent
s'ajuster, ce qu'ils ont évidemment fait en augmentant. Le résultat évident est que les infirmières dé-
sertent le public pour le privé et que le fonctionnement des hôpitaux publics se dégrade.
La rémunération des enseignants m'offre un dernier exemple. Dans les universités américaines par
exemple, chaque enseignant négocie son salaire avec son employeur. De ce fait, les enseignants qui
disposent d'autres possibilités d'emploi lucratives ont une rémunération élevée. Les juristes, qui peu-
vent être employés comme consultants, ou les économistes, qui peuvent enseigner dans les business
schools, perçoivent des salaires plus élevés que les professeurs de lettres. La France a choisi de
rémunérer tous ses enseignants au même taux, indépendamment de leur spécialité. C'est un choix
éthique parfaitement admissible; mais il a des conséquences sur le recrutement. Ainsi, les étudiants
en mathématiques se sont vu offrir ces dernières années des carrières très bien payées dans la fi-
nance, ce qui a réduit leur intérêt pour la profession d'enseignant. Les difficultés de recrutement des
professeurs de mathématiques, que l'on déplore depuis quinze ans, trouvent sans doute là leur ori-
gine.
B. Salanié, L’économie sans tabou, Ed. Le Pommier
Texte 2 : L’histoire d’un crayon
Une histoire charmante intitulée "Moi, Crayon et ma famille l'Arbre, comme l'a entendu raconter Leo-
nard E. Read", illustre de façon saisissante commet l'échange volontaire permet à des milliers de per-
sonnes de coopérer entre elles. M. Read, par la voix de "Crayon-à-papier - le crayon en bois ordinaire
bien connu de tous les garçons, les filles et les adultes qui savent lire et écrire", commence son his-
toire par l'affirmation fantastique que "pas une seule personne... ne sait comment me faire". Puis il
nous énumère tout ce qui entre dans la fabrication d'un crayon. Tout d'abord, le bois vient d'un arbre,
"un cèdre au fil tout droit qui pousse en Orégon et dans le nord de la Californie". Pour abattre l'arbre et
trainer les grumes jusqu'au chemin de fer, il faut "des scies et des chariots, de la corde et d'autres
outils sans nombre". De nombreuses personnes et des talents infinis participent à leur fabrication :
"l'extraction des minerais, la fabrication de l'acier et son affinage pour le transformer en scies, haches
et en moteurs ; la culture du chanvre et tous les stades de sa transformation en cordes lourdes et
fortes ; la construction des camps de bûcherons, avec leurs lits et leurs réfectoires (...) des milliers de
personnes sans nom avaient participé à chaque tasse de café que buvaient les bûcherons!"
Et M. Read continue en décrivant l'arrivée des grumes à la scierie, le passage de la grume à la
planche, puis le transport des planches de Californie jusqu'à Wilkes-Barn, où a été fabriqué le crayon
qui raconte son histoire. Et il ne s'agit jusque-là que du bois extérieur du crayon. La mine du centre
était au départ du graphite dans une mine de Ceylan, qui, après de nombreux processus complexes,