PLÉBISCITE Référendum ou plébiscite ? C’est la question qu’on voit souvent posée ces derniers jours à propos de la consultation qui a appelé au vote les Syriens il y a deux jours. Officiellement, il s’agit d’un référendum, c’est-à-dire d’un scrutin, d’une consultation, d’un vote donc qui s’organise autour d’une question. On pose une question et on demande aux votants de répondre par oui ou par non. Le tout récent referendum syrien posait la question suivante : « Approuvez-vous la candidature du Docteur Bachar el-Assad au poste de président de la République ? » Une question étonnante en effet, puisqu’on ne demande pas aux électeurs de choisir entre lui et d’autres éventuels candidats, mais qu’on pose la question de savoir si sa candidature serait « approuvée ». Ce référendum se substitue-t-il à une élection ? Bachar el-Assad essaie-t-il de se faire ainsi légitimer pour un nouveau mandat ? C’est la question qu’on peut se poser, et c’est pour ça qu’on entend souvent à propos de ce scrutin l’expression « référendum-plébiscite », ou même « plébiscite ». Le président syrien se fait-il plébisciter ? Utiliser ce mot montre déjà qu’on met en doute la totale équité du procédé. L’usage de ce mot est pratiquement toujours péjoratif et le plébiscite est considéré comme un dispositif qui ne laisse pas un choix tout à fait libre à ceux dont on demande l’avis. Comme si le processus démocratique était légèrement biaisé ; comme si on forçait la main aux votants, en pensant à leur place : on leur pose une question qui anticipe sur la réponse, qui donne déjà une direction de pensée par rapport à laquelle il faudra se déterminer. Le jeu démocratique semble donc faussé si l’on parle de plébiscite. Oublions un instant la situation syrienne pour se replonger dans une histoire qui employait clairement ce mot : le champion du plébiscite a peut-être été Louis-Napoléon Bonaparte, qui allait devenir l’Empereur Napoléon III, et qui a précisément utilisé un plébiscite pour faire accepter son couronnement. Il organisa trois plébiscites, en 1851, 1852, et 1870. Celui de 1852 proposait aux électeurs une phrase. Il fallait donc dire oui si l’on était d’accord, et non si on ne l’était pas ; et la phrase était la suivante « Le peuple veut le rétablissement de la dignité impériale en la personne de Louis-Napoléon Bonaparte avec hérédité dans sa descendance ». On voit bien là que la phrase du plébiscite parle à la place de l’électeur : aucun espace n’est laissé à la réflexion personnelle. La phrase en question parle à la place du peuple (« le peuple veut… »), induit un retour à un ordre ancien (« le rétablissement »), met sur un piédestal le type de gouvernement proposé (non pas l’Empire, mais « la dignité impériale »)… Le mot vient du latin. Littéralement, il signifie décret du peuple, et il a été employé en histoire romaine, dans l’Antiquité. Aujourd’hui il a donné le verbe « plébisciter », qui en rajoute encore un peu sur le côté péjoratif du mot. On sait que les plébiscites ont toujours été marqué par des résultats spectaculaires : une immense majorité de « oui » contre une infime proportion de « non ». Quand quelqu’un se fait plébisciter, c’est qu’il se fait porter au pouvoir, ou qu’il fait approuver sa prise de pouvoir par une foule qui lui est acquise, et qui manifeste son assentiment de façon enthousiaste et affective, sans recul, sans réflexion. C’est pourquoi le plébiscite passe pour ce qu’on peut appeler une arme populiste.