Thomas Beauvais - IEP Toulouse | INTRODUCTION
acceptent de se conformer. Dans le mot irrégulier au contraire, on perçoit le jugement négatif
réservé à l’autre, l’irrégulier, qui « triche » avec les règles établies par la coutume et l’histoire.
De par son statut, il n’appartient ni à une force militaire classique, ni à une armée régulière et
ne devrait théoriquement pas avoir droit à faire usage de la violence, monopole de l’Etat ou de
ses délégués.
Cette rhétorique qui trouve sa finalité dans la décrédibilisation de l’autre et la justification de
son intervention ne doit pourtant pas faire illusion. Le jus ad bellum qui définit le droit à
l’entrée en guerre et le jus in bello qui régit le droit dans la guerre, sont issus d’une culture et
d’une histoire particulières, celle de l’Europe Occidentale du XVIIème siècle. Ce serait se
montrer faussement naïf que de croire ces règles universelles, alors même qu’historiquement
ces mêmes états occidentaux n’en ont fait que peu de cas.
Finalement, la guerre irrégulière désigne plutôt l’incapacité des états occidentaux à penser
l’altérité des conduites de la guerre en dehors du modèle qu’ils ont préétabli.
Ainsi sont regroupées sous ce vocable, différentes actions contestataires telles que le
terrorisme, la guérilla, l’insurrection, les actions de subversion ou de propagande, la grève, le
sabotage, … tout ce qui se construit en opposition à un Etat, sans que les acteurs ne soient
eux-mêmes agents étatiques. Plutôt que de rechercher la confrontation directe et une victoire
militaire, les mouvements irréguliers contournent la puissance de leurs adversaires en se
dérobant à leurs attaques et en agissant parmi les populations. Comme le dit Bernard Wicht à
propos de la guerre révolutionnaire, elle « vise ainsi les forces morales (mécontentement des
populations, processus de décision politique) plutôt que les forces matérielles (armée, capacité
industrielle de faire la guerre). Elle s’inscrit dans la durée et poursuit l’usure et la fatigue de
l’adversaire plutôt qu’une décision rapide. Elle ne recherche pas en priorité à obtenir la
décision sur le champ de bataille (stratégie directe), mais bel et bien à déstabiliser
politiquement et moralement l’adversaire (stratégie indirecte). »
La qualification de guerre irrégulière n’obtient pas pour autant de consensus dans la
communauté doctrinale occidentale. Elle jouxte d’autres dénominations toutes porteuses de
sens et d’enjeux spécifiques, et aussi nombreuses qu’il y a de théoriciens ou de courants
idéologiques. Ainsi peut-on entendre parler de « petite guerre », de guerre « révolutionnaire »,
« asymétrique », « contre-insurrectionnelle », « hybride » ou « bâtarde », et bien d’autres
encore... Comme je l’ai dit, le choix d’une dénomination n’est pas neutre dans le cadre des
conflits qui nous intéressent, et conditionne déjà en partie la manière dont sera traité le sujet.
Dans le cadre de notre étude centrée autour des puissances occidentales et de leur difficile
appréhension de ces conflits, la nomination de « guerre irrégulière » apparaît toute justifiée.
Aussi, nous chercherons à expliquer pourquoi l’Occident rencontre tant de difficultés dans le
traitement de ces conflits.
Bernard WICHT, Guerre révolutionnaire et guerre non conventionnelle, Cours d’introduction à la Stratégie
donné par l’auteur à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne.