Les conflits irréguliers

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Mémoire
Préparé sous la direction
du Général J.P. Raffenne
Les conflits irréguliers
Thomas Beauvais
IEP Toulouse
2013 - 2014
Les conflits irréguliers
2013 - 2014
Sommaire
INTRODUCTION ..................................................................................................................... 1
PARTIE I - La guerre irrégulière au XXIème siècle ............................................................... 5
I - Les faiblesses des sociétés démocratiques occidentales ................................................ 5
A. Mondialisation et interventionnisme .......................................................................................... 5
1. La mondialisation bouleverse les équilibres internationaux....................................................... 6
2. L’intervention humanitaire et le devoir d’ingérence ................................................................... 7
B. Une politique ambitieuse et schizophrène .................................................................................. 8
1. Des acteurs trop hétérogènes .......................................................................................................... 8
2. Des opinions publiques occidentales sensibles à la violence ..................................................... 9
C. Une pression économique grandissante .................................................................................... 10
1. Un contexte de crise économique et de restriction budgétaire ................................................. 10
2. L’asymétrie des coûts dans le conflit irrégulier ......................................................................... 11
II - Les nouvelles technologies de l’information et de la communication dans les
conflits irréguliers ............................................................................................................... 13
A. La place des médias dans les stratégies irrégulières ................................................................. 14
1. Les différents espaces de la guerre irrégulière ........................................................................... 14
2. L’utilisation des médias par les mouvements irréguliers .......................................................... 16
B. Des pays occidentaux dépassés ................................................................................................ 17
1. Une méfiance envers les médias .................................................................................................. 17
2. Repenser la communication dans la guerre psychologique ...................................................... 18
III - L’adaptation des mouvements irréguliers ................................................................ 20
A. La mutation technologique ....................................................................................................... 20
1. Un fonctionnement en réseau .............................................................................................. 20
2. La technologie, un facteur égalisateur ................................................................................. 22
B. Le terrorisme au XXIème siècle ............................................................................................... 24
1. Les logiques du terrorisme .................................................................................................. 25
2. Le terrorisme comme arme de communication ................................................................... 27
PARTIE II - Quand l’Occident refuse de se remettre en cause… ........................................ 30
I - Les errements de l’interventionnisme occidental ....................................................... 31
A. L’intervention pour les sondages .............................................................................................. 31
B. Des concepts occidentaux tronqués .......................................................................................... 32
1. L’image d’un Grand Occident, cible idéale des irréguliers ................................................. 32
2. Des concepts juridiques inadaptés ....................................................................................... 33
Thomas Beauvais
IEP Toulouse - 5ième année
Les conflits irréguliers
2013 - 2014
II - L’Occident peut-il encore gagner un conflit irrégulier ? ......................................... 35
A. Des difficultés à faire valoir sa légitimité politique sur les théâtres d’intervention ................. 35
B. Le pessimisme des auteurs occidentaux sur les chances de victoire ........................................ 37
III - L’échec de la RAM dans les conflits irréguliers. .................................................... 39
A. La Révolution dans les Affaires Militaires ............................................................................... 39
B. La toute puissance militaire, ou l’impuissance politique. ......................................................... 41
Partie III - Les fondamentaux de la lutte irrégulière ............................................................ 43
I - Principes et règles de la lutte irrégulière ..................................................................... 44
A. Légitimité, adaptation et marginalisation ................................................................................. 44
1. La légitimité de l’intervention ............................................................................................. 44
2. L’adaptation au contexte local............................................................................................. 45
3. La marginalisation de l’irrégulier ........................................................................................ 48
B. Le renseignement et l’initiative comme clés du succès. ........................................................... 51
1. Le renseignement ................................................................................................................ 51
2. La maitrise de l’initiative .................................................................................................... 53
II - L’usage de la force et de la violence : quel degré appliquer ?.................................. 54
A. La légalité des moyens d’action ............................................................................................... 55
1. Un usage de la terreur contreproductif ................................................................................ 55
2. Les sévices et les brimades, une alternative à la Terreur ? .................................................. 58
B. La crédibilité dans l’usage de la force ...................................................................................... 60
CONCLUSION ........................................................................................................................ 64
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................. 66
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IEP Toulouse - 5ième année
Les conflits irréguliers
2013 - 2014
INTRODUCTION
Au XIXème siècle, Clausewitz a théorisé les relations guerrières entre Etats par cette formule
devenue célèbre : « La guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens ».
Pendant longtemps, jusqu’aux années 50, le prisme de la pensée de Clausewitz s’est appliqué
avec plus ou moins de réussite aux conflits dits classiques entre états. La Première Guerre
Mondiale, puis la Seconde pouvaient ainsi s’expliquer selon la théorie clausewitzienne par la
montée aux extrêmes qu’il sut théoriser, et qui annonçait déjà les guerres totales du XXème
siècle.
Toutefois, avec la Guerre Froide, un autre type de conflit surgit au premier plan, les conflits
classiques entre états étant rendus impossibles par la mutuelle neutralisation qu’opèrent les
arsenaux nucléaires des deux Grands, Etats-Unis et URSS. Instrumentalisés par ces deux
puissances, essaiment différents mouvements violents qui viennent contester le monopole de
la coercition détenu par l’Etat. La privatisation de la violence sous la forme de terrorisme, de
guérilla ou d’insurrection n’est certes pas une nouveauté (mais bien une constante de
l’Histoire militaire) ; ce qui surprend davantage, c’est leur efficacité, leur fort pouvoir de
nuisance et le danger que ces mouvements représentent dans les sociétés contemporaines.
Pourtant, ce modèle de conflits avait très largement été évacué des considérations militaires
dans les pays où la réflexion stratégique tablait sur l’omnipotence de la technologie et des
armements ultra perfectionnés.
Or, à plusieurs reprises, les états les plus puissants de la planète vont être tenus en échec lors
de ces conflits, face à des adversaires souvent moins bien armés, n’ayant pas reçu de
formation militaire initiale et en sous-effectif par rapport aux forces intervenantes. Indochine,
Algérie, Vietnam, Afghanistan, Irak, Gaza sont autant de jalons dans l’élaboration par les
forces occidentales de réflexions stratégiques autour de ces conflits et des moyens de vaincre,
chaque défaite ou retrait étant vécu par le pays intervenant comme un humiliant échec et
l’occasion d’une profonde remise en cause.
En effet, malgré l’écrasante supériorité théorique des armées occidentales, celles-ci se
trouvent dans l’incapacité d’assurer une victoire militaire permettant la stabilisation de la
situation. Le recours au politique est donc incontournable et ce, malgré l’aveu de faiblesse que
représente cette situation pour certains penseurs. Ainsi, pour reprendre la célèbre formule de
Clausewitz cité en début de texte, dans ces conflits que nous nommerons irréguliers, c’est « la
politique qui apparait comme la continuation de la guerre par d’autres moyens ».
La qualification même d’irrégulier pour désigner ce type de conflit témoigne de la frustration
des théoriciens militaires occidentaux. Le conflit irrégulier s’oppose ainsi au conflit régulier,
celui qui se trouve théoriquement cadré par des règles, auxquelles les deux protagonistes
Thomas Beauvais - IEP Toulouse
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acceptent de se conformer. Dans le mot irrégulier au contraire, on perçoit le jugement négatif
réservé à l’autre, l’irrégulier, qui « triche » avec les règles établies par la coutume et l’histoire.
De par son statut, il n’appartient ni à une force militaire classique, ni à une armée régulière et
ne devrait théoriquement pas avoir droit à faire usage de la violence, monopole de l’Etat ou de
ses délégués.
Cette rhétorique qui trouve sa finalité dans la décrédibilisation de l’autre et la justification de
son intervention ne doit pourtant pas faire illusion. Le jus ad bellum qui définit le droit à
l’entrée en guerre et le jus in bello qui régit le droit dans la guerre, sont issus d’une culture et
d’une histoire particulières, celle de l’Europe Occidentale du XVIIème siècle. Ce serait se
montrer faussement naïf que de croire ces règles universelles, alors même qu’historiquement
ces mêmes états occidentaux n’en ont fait que peu de cas.
Finalement, la guerre irrégulière désigne plutôt l’incapacité des états occidentaux à penser
l’altérité des conduites de la guerre en dehors du modèle qu’ils ont préétabli.
Ainsi sont regroupées sous ce vocable, différentes actions contestataires telles que le
terrorisme, la guérilla, l’insurrection, les actions de subversion ou de propagande, la grève, le
sabotage, … tout ce qui se construit en opposition à un Etat, sans que les acteurs ne soient
eux-mêmes agents étatiques. Plutôt que de rechercher la confrontation directe et une victoire
militaire, les mouvements irréguliers contournent la puissance de leurs adversaires en se
dérobant à leurs attaques et en agissant parmi les populations. Comme le dit Bernard Wicht à
propos de la guerre révolutionnaire, elle « vise ainsi les forces morales (mécontentement des
populations, processus de décision politique) plutôt que les forces matérielles (armée, capacité
industrielle de faire la guerre). Elle s’inscrit dans la durée et poursuit l’usure et la fatigue de
l’adversaire plutôt qu’une décision rapide. Elle ne recherche pas en priorité à obtenir la
décision sur le champ de bataille (stratégie directe), mais bel et bien à déstabiliser
politiquement et moralement l’adversaire (stratégie indirecte). »1
La qualification de guerre irrégulière n’obtient pas pour autant de consensus dans la
communauté doctrinale occidentale. Elle jouxte d’autres dénominations toutes porteuses de
sens et d’enjeux spécifiques, et aussi nombreuses qu’il y a de théoriciens ou de courants
idéologiques. Ainsi peut-on entendre parler de « petite guerre », de guerre « révolutionnaire »,
« asymétrique », « contre-insurrectionnelle », « hybride » ou « bâtarde », et bien d’autres
encore... Comme je l’ai dit, le choix d’une dénomination n’est pas neutre dans le cadre des
conflits qui nous intéressent, et conditionne déjà en partie la manière dont sera traité le sujet.
Dans le cadre de notre étude centrée autour des puissances occidentales et de leur difficile
appréhension de ces conflits, la nomination de « guerre irrégulière » apparaît toute justifiée.
Aussi, nous chercherons à expliquer pourquoi l’Occident rencontre tant de difficultés dans le
traitement de ces conflits.
1
Bernard WICHT, Guerre révolutionnaire et guerre non conventionnelle, Cours d’introduction à la Stratégie
donné par l’auteur à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne.
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Le thème bénéficiant d’une importante littérature et d’un intérêt croissant de la part des
cercles militaires et universitaires, nos travaux ne peuvent prétendre qu’à une mise en
perspective des approches développées sur ce thème, de la colonisation et des conflits qui s’en
suivirent, aux opérations extérieures actuelles menées par les pays occidentaux.
De par le nombre de sources et travaux disponibles, il nous a fallu sélectionner, piocher parmi
eux, les principes que nous pensions les plus adaptés à une meilleure appréhension des
conflits irréguliers, parfois en opposition avec les recommandations de certains auteurs. Cette
étude ne peut prétendre à l’exhaustivité, elle révèle, en l’état actuel de nos connaissances,
notre représentation de la lutte irrégulière et de ses interactions avec l’Occident. Elle ne
cherche pas à s’ériger en modèle, mais entend contribuer aux réflexions critiques sur ce
thème.
Cette analyse critique des différentes approches développées n’a pu être réalisée qu’après
d’importants travaux de recherches, en commençant par les incontournables ouvrages
classiques dédiés à ce thème. Des guerres de colonisation menées par les maréchaux Lyautey
et Gallieni, aux guerres de décolonisation théorisées par Trinquier, Galula et Thompson, sans
oublier les écrits de Mao, Che Guevara et bien d’autres ; tous ces auteurs, porteurs d’une
expérience pratique de la guerre irrégulière, ont contribué à la définition et la compréhension
de l’irrégularité. Ces lectures ont également été complétées par des ouvrages collectifs et des
anthologies, capables à la fois de synthétiser la diversité des approches de la guerre irrégulière
et d’offrir en même temps des points de vue originaux sur la question. Enfin, nous avons
analysé un nombre important d’articles, traitant de la spécificité de certaines approches et de
leurs mises en application sur le terrain.
De ces recherches, nous avons tiré un certain nombre d’hypothèses relatives à la
compréhension de la guerre irrégulière, et la première d’entre elles tient à la relation ambigüe
qu’entretient l’Occident2 avec le reste du monde. Nous avons cherché à savoir comment les
profondes mutations que les sociétés ont connues sous l’impact de la mondialisation, et
l’attitude d’un Occident dominant les relations internationales, ont constitué le terreau
favorable à la nouvelle dynamique des mouvements irréguliers.
Notre première hypothèse de recherche s’exprime donc en ces termes ; les guerres irrégulières
sont réapparues en ce début de XXIème siècle comme conséquences de l’affirmation et/ou de
la contestation d’un ordre international représenté par la domination des puissances
occidentales et principalement des Etats-Unis sur le reste du monde.
2
Nous nous appuierons sur la définition donnée par Wikipédia (http://fr.wikipedia.org/wiki/Occident) :
« L'Occident, ou monde occidental, est un concept géopolitique qui s'appuie généralement sur l'idée d'une
civilisation commune, héritière de la civilisation gréco-romaine dont est issue la société occidentale moderne.
Son emploi sous-entend également une opposition avec, soit le reste du monde, soit une ou plusieurs autres
zones d'influences du monde comme l'Orient, le monde arabe, le monde chinois ou encore la sphère d'influence
russe. ». Alors qu’on considère généralement l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) comme
l’émanation du concept d’Occident, nous préfèrerons, dans le cadre de cette étude, restreindre cette notion aux
pays de l’Europe de l’Ouest, aux Etats-Unis et Israël.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse
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Nous émettons ensuite l’hypothèse que la mondialisation des échanges a profondément
bouleversé à la fois les cadres d’analyse et les moyens de lutte des mouvements irréguliers. Il
serait illusoire aujourd’hui de concevoir les conflits irréguliers comme les théoriciens de la
guerre révolutionnaire le faisaient dans les années 60. Les motivations des acteurs ne peuvent
plus être expliquées selon une conception dualiste du monde, aujourd’hui prévalent les
revendications d’identité et d’autonomie, ce qui apparait bien plus complexe à gérer.
Enfin, notre dernière hypothèse de recherche rend compte de la prépondérance de la légitimité
des « Causes » et des actions pour expliquer les succès ou les échecs dans les conflits
irréguliers. Cette dernière hypothèse est d’ailleurs intimement liée aux deux précédentes.
Ayant postulé que l’Occident présentait un déficit de légitimité pour les populations des pays
du Sud, et que le caractère de ces conflits est avant tout perceptif, la légitimité de l’action des
belligérants apparait alors comme une condition sine qua none de leur réussite. La
communication à destination des opinions publiques prend donc ici une valeur stratégique.
Nous tenterons de vérifier ces hypothèses au travers d’un plan en trois grandes parties. La
première partie traitera essentiellement des mutations du phénomène irrégulier au XXIème
siècle. Il s’agira d’expliquer la réémergence du phénomène dans un contexte de
mondialisation. Plus précisément, nous nous intéresserons à l’adaptation des mouvements
irréguliers, face à la généralisation des technologies de l’information et de la communication,
et aux faiblesses des sociétés démocratiques contemporaines. Cette première partie est
d’autant plus importante qu’elle servira à circonvenir le sujet et les enjeux de la lutte
irrégulière.
Dans une seconde partie, nous nous focaliserons sur les erreurs commises par les démocraties
occidentales dans la décision d’intervention. Nous verrons que la légitimité d’une intervention
dépend en grande partie des justifications avancées et de l’étude du théâtre d’opération. Nous
évoquerons les écueils dans lesquels tombent trop souvent les démocraties et la nécessité de
repenser en conséquence leur modèle de force, inadapté aux besoins de la guerre irrégulière.
Enfin, notre troisième et dernière partie s’attachera à présenter quelques principes et règles de
la lutte irrégulière, à partir desquels formuler une stratégie d’action cohérente. Elle arrive à la
fin de notre étude, comme la suite logique des parties précédentes, puisqu’elle rend compte à
la fois des modifications de la guerre irrégulière et des erreurs à éviter pour les démocraties
occidentales. Dans cette même perspective, nous nous interrogerons sur la modulation de
l’usage de la force et de la violence dans ce type de conflits. En se positionnant d’emblée
contre le recours à la terreur, nous évoquerons les marges de manœuvre dont bénéficient les
armées occidentales.
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PARTIE I
La guerre irrégulière au XXIème siècle
La guerre irrégulière n’est pas une nouveauté du XXème ou du XXIème siècle, elle est même
aussi vieille que la guerre elle-même. Son principe est resté le même : celui d’un conflit entre
deux forces, l’une au moins, n’étant rattachée à aucune armée étatique avec une hiérarchie de
commandement établie. Ainsi, des hommes « sans uniforme » se battent-ils contre une
puissance étatique. Cette force, dite « irrégulière », privilégie en outre le combat d’embuscade
au choc frontal, car elle connait son infériorité dans ce domaine. Pour éviter d’être découvert,
les protagonistes se cachent au milieu des populations, où la répression menée par le camp
étatique leur permet de diffuser leur propagande et de s’assurer des soutiens.
Tel est le schéma caractéristique de la guerre irrégulière depuis l’émergence de ce type de
conflit jusqu’à nos jours. Si le schéma est resté le même, les moyens et modes d’action, eux,
ont considérablement évolué au cours du XXème siècle, des changements qui se sont encore
accentués au XXIème siècle. Ce sera l’objet de cette partie que de témoigner des évolutions
survenues au cours de cette période.
I - Les faiblesses des sociétés démocratiques occidentales
Si nous choisissons d’évoquer dès la première partie de notre exposé les faiblesses des
sociétés démocratiques occidentales, c’est que nous estimons que ces dernières, en raison
paradoxalement de leur trop grande puissance, sont les plus à mêmes d’être prises pour cibles
par des mouvements irréguliers. En tant qu’épicentre de la mondialisation économique,
l’Occident a activement contribué à la diffusion d’un mode de vie et de pensée qui
conditionne aujourd’hui les relations internationales et les perceptions qui s’y rattachent, et
qui là encore, a fini par jouer en sa défaveur et le rendre d’autant plus vulnérable.
A. Mondialisation et interventionnisme
Nous évoquerons premièrement les raisons qui expliquent aujourd’hui le recours aux
stratégies irrégulières sur la scène internationale, en particulier face à un Occident considéré
comme impérialiste. Nous tenterons d’expliquer les profondes mutations occasionnées par la
mondialisation, autant au sein des sociétés dites « traditionnelles » que celles démocratiques,
et leur influence sur la perception des relations internationales.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse
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PARTIE I
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1. La mondialisation bouleverse les équilibres internationaux
La mondialisation, sous le paradigme de la pensée libérale, a considérablement bouleversé les
sociétés et les pratiques sociales, au point que nous pouvons parler aujourd’hui d’un
déséquilibre global.
En tant que principale force de mutation de l’environnement, la mondialisation n’est pas
neutre, elle est porteuse de symboles, de revendications. La mondialisation économique telle
que nous la connaissons aujourd’hui, reste largement marquée par l’empreinte des pays
occidentaux. Elle impose à l’échelle internationale des règles de bon fonctionnement, dans un
système où tous les pays ne se voient pas accorder la même importance, et où le principal
critère d’influence reste économique. Ainsi, pour nombre d’Etats et de cultures laissés à la
marge du système, ne pouvant en profiter mais ne pouvant également y échapper, la
mondialisation est souvent perçue comme une ingérence ou une agression. Les sociétés
traditionnelles n’ont pas le temps d’assimiler les innovations qui peuvent remettre en cause les
structures traditionnelles.
« L’Occident tend à oublier que certaines pratiques, certains phénomènes s’intègrent chacun
dans une cohérence sociale, culturelle ou économique qui s’est établie au fil des siècles. »3
Dans ce cas, l’intervention de la mondialisation n’a pour effet que de stimuler le réflexe
identitaire dans les sociétés traditionnelles et prédispose à l’affrontement idéologique.
Les relations internationales entre états étant perçues par les sociétés comme de plus en plus
inégalitaires et chaotiques, le ressentiment et la colère se manifestent à l’encontre d’un
Occident ultra dominateur et impérialiste.
Toutefois, en l’absence d’alternative face à ce modèle occidental des relations internationales,
les états ne peuvent pas faire grand-chose. Ils savent que s’opposer publiquement à l’Occident
les exposerait à des sanctions. Alors que pendant la Guerre Froide, les états pouvaient se
ranger au sein de blocs, à même de les protéger, les relations internationales contemporaines
sont marquées par la multiplication d’acteurs égoïstes. Chacun de ces états poursuit ses
propres intérêts, mais le fait de façon à éviter la confrontation directe. Ils cherchent à éviter
l’opposition de l’Occident, mais également le conflit interétatique classique, jugé bien trop
couteux, financièrement et humainement.
Dans ces conditions, les états vont alors avoir de plus en plus recours à des stratégies
« irrégulières » sur la scène internationale. La mondialisation a remis en cause leur place
prépondérante en tant qu’acteurs principaux du système international. Sous la forme de
stratégies d’influence indirectes, les états vont donc permettre, en les finançant et en les
équipant, l’émergence de mouvements irréguliers qui, eux, pourront assumer une certaine
opposition à ce système, ou déstabiliser des régions entières. Les états peuvent donc jouer le
rôle de « parrains » pour les mouvements irréguliers en permettant leur développement. Ainsi
3
Jacques BAUD, La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, Paris, Editions du Rocher, 2003, page 156.
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La guerre irrégulière au XXIème siècle
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en est-il de l’Iran, soutenant le Hezbollah libanais, ou jusqu’il y a peu, de l’Arabie Saoudite,
liée à Al Qaïda.
Toutefois, ce serait une erreur de considérer cette relation à l’aune de ce qui s’est fait sous la
Guerre Froide, où les deux superpuissances contrôlaient à distance des mouvements
irréguliers dans une partie d’échec mondiale. On ne peut parler ici que d’influence indirecte
de la part des états, tant la capacité de nuisance de ces mouvements irréguliers est aujourd’hui
importante. Les états ne sont pas en mesure de contrôler des entités susceptibles de
déstabiliser des régions entières, dans un monde globalisé sans frontière. L’Arabie Saoudite
en a cruellement fait les frais, quand, après avoir permis le développement de mouvements
irréguliers, elle a été victime sur son territoire d’une série d’attaques en 2012, qui l’ont incité
à revoir la pertinence de sa stratégie « irrégulière ».
La mondialisation bouleverse donc les équilibres internationaux, en alimentant un certain
ressentiment à l’encontre du mode de vie occidental, qui ne trouve à s’exprimer que de
manière indirecte, par le recours aux mouvements irréguliers.
2. L’intervention humanitaire et le devoir d’ingérence
Suite à la mondialisation économique qui efface les frontières étatiques, et avec le
développement des nouvelles technologies de l’information et la communication, les opinions
publiques ont tendance à se sentir plus concernées par ce qui les entoure à une échelle globale.
Elles ont ainsi la possibilité d’émettre des opinions sur des phénomènes se passant à l’autre
bout de la planète, l’impact psychologique des images leur fournissant le ressenti émotionnel
sur lequel s’appuyer. Les gouvernements démocratiques occidentaux subissent de ce fait la
pression de leurs opinions publiques quant à l’opportunité d’intervenir dans des situations de
crise.
Si on ajoute à cela, la répulsion des opinions publiques occidentales pour la violence (depuis
la fin des grandes guerres sur le continent européen), on assiste à la montée d’un humanisme
d’intervention.
En effet, depuis la fin de la Guerre Froide, les préoccupations internationales ont changé ; en
l’absence de l’ennemi soviétique, il a fallu réinventer de nouvelles menaces, de nouveaux
enjeux pour le camp des vainqueurs. Celui-ci a donc élaboré le concept de sécurité humaine,
repris par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en 1994, qui tend
à la propagation et à la protection de l’Etat de droit, tel que défini par l’Occident. Cette
conception internationaliste de la juste gouvernance incite les Etats occidentaux à s’engager
dans des opérations de maintien de la paix et des interventions humanitaires, allant même
jusqu’à parler de « devoir d’ingérence ». Par voie de conséquence, les pays victimes de
situations humanitaires préoccupantes étant souvent issus du Sud, et les pays capables de
projeter des forces capables de stabiliser une région souvent issus du Nord, il en découle une
situation parfois oppressante dans les relations internationales entre pays, et l’image d’un
Nord impérialiste envers un Sud chaotique.
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« La sécurité humaine apparaît alors essentiellement comme un outil politique et culturel à
même de justifier des interventions par la force. Elle amplifie alors le sentiment, né de la
mondialisation, d’une culture dominante s’imposant à tous sans aucune réciprocité. Cette
relation asymétrique favorise le développement d’un sentiment de frustration et de tromperie
aisément récupérable par des communautés ou mouvements. »4
De l’abolition des frontières et de la mise en relation des sociétés sur l’ensemble de la planète,
(phénomène de mondialisation), naissent la prise de conscience des déséquilibres
internationaux et la volonté d’y remédier. Nous verrons maintenant comment les opérations se
sont complexifiées du fait de la multiplication des acteurs intervenants.
B. Une politique ambitieuse et schizophrène
L’interventionnisme occidental requiert de formidables ressources que les états occidentaux
ne pourraient pas mobiliser individuellement. Aussi, nous assistons depuis quelques années à
la multiplication d’interventions se faisant dans le cadre de coalitions internationales. La
rencontre d’acteurs très différents les uns des autres, aux motivations diverses, rend l’exercice
périlleux. D’autant que les organismes privés ont également un rôle à jouer dans ce nouveau
type d’intervention.
Il nous faut également prendre en compte la nouvelle sensibilité des opinions publiques eu
égard à la violence, qui rend les interventions plus compliquées en imposant des restrictions
quant aux moyens utilisés.
1. Des acteurs trop hétérogènes
La récente crise économique, a contribué à réduire les dépenses publiques au sein des
démocraties occidentales et a impacté très fortement les budgets militaires nationaux. Sous
cette contrainte, les armées occidentales ont vu leurs effectifs se réduire considérablement.
Comment, dans cette position, lutter contre un ennemi irrégulier ? La nature même de ce type
de conflit oblige les armées dites régulières à contrôler étroitement un territoire, ce qui n’est
définitivement plus possible avec les effectifs actuels. Les armées occidentales sont donc
obligées de mutualiser leurs interventions, d’agir au sein de grandes coalitions internationales
à même de combler les déficits nationaux en effectifs. On les retrouve notamment au sein des
interventions décidées par l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’Union Européenne
(UE), ou encore l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Ces coalitions ne
sont pourtant pas exemptes de problèmes, elles ont pour principale difficulté le manque
d’homogénéité de leurs effectifs et de leur moyens. Le matériel et la qualité des troupes
varient grandement au sein d’une coalition en fonction de leur pays d’origine. Même lorsque
la chaîne de commandement est relativement unifiée sous un commandement central, comme
c’est le cas dans l’OTAN, les troupes ont tendance à être divisées et assignées à différents
objectifs en fonction de leurs nationalités, ce qui nuit à la cohérence de l’intervention. Il existe
4
Aymeric BONNEMAISON et Tanguy STRUYE DE SWIELAND, « Le « mobile » ontologique et politique de
la guerre irrégulière », in COUTAU-BEGARIE Hervé, Stratégies Irrégulières, Paris, Economica (Coll.
« Bibliothèque stratégique »), 2010.
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dans le cadre de l’UE un projet de création d’une armée européenne qui pourrait en partie
remédier à ce manque d’homogénéité mais le projet manque de soutien politique.
Il faut également ajouter dans cette partie la prise en compte sur la scène internationale, de
plus en plus d’acteurs privés issus de la société civile. En effet, depuis les années 90, et
surtout 2000, certains Etats sont amenés à délaisser le secteur de la sécurité et de la défense à
des organismes privés, que ce soit pour la création de logiciels, la formation de personnels,
l’entretien de matériels ou même le combat. Cette privatisation généralisée qui s’est faite sous
l’impulsion de la pensée libérale, tend à conférer à ces entrepreneurs de sécurité une nouvelle
légitimité qu’ils ne possédaient pas avant et en diminue d’autant le contrôle que l’Etat peut
exercer sur ces secteurs pourtant hautement stratégiques. L’exemple le plus parlant que puisse
nous fournir l’histoire contemporaine reste le conflit irakien. On comptait alors sur le
territoire irakien plus de personnels privés au sein de la coalition que de militaires américains
(près de 185 000). Certaines de ces Sociétés Militaires Privées (SMP) se sont ainsi illustrées
par des actes de cruauté et des massacres comme la société Blackwater, ternissant l’image et
la légitimité de toute la coalition à une échelle stratégique.
Les Organisations Non Gouvernementales enfin ; depuis leur apparition dans les années 70,
elles ont considérablement modifié les agendas des relations internationales en s’insérant dans
les plus hautes sphères de négociation. Aujourd’hui elles sont des acteurs à part entière des
relations internationales, intervenant dans plusieurs pays parfois simultanément, et ayant pour
interlocuteurs directs les états. Lors d’interventions ou de conflits irréguliers, ces acteurs ne
peuvent être négligés, ils fournissent bien souvent des rapports fiables et détaillés de
situations locales, quand même les organismes internationaux ne peuvent effectuer ces
démarches. Dans bien des cas, ils viennent suppléer aux déficiences de l’état dans des
domaines aussi variés que la santé, le social ou l’équipement. Et pour cette même raison, les
ONGs sont souvent victimes de tentatives de récupération par les états et leurs armées. Dans
une tension permanente entre communication et indépendance, les ONGs doivent assurer leur
rôle, qu’aucune force d’intervention (ou coalition) ne peut ignorer.
2. Des opinions publiques occidentales sensibles à la violence
Outre l’apparition du phénomène des Organisations Non Gouvernementales et sa persistance
dans le temps, la sensibilité des opinions publiques à la violence occasionne de graves
difficultés aux armées occidentales sur un plan opérationnel. On demande à ces dernières
d’intervenir à chaque crise humanitaire tout en leur refusant l’usage de la violence. L’exemple
des casques bleus de l’ONU montre bien pourtant à la fois, la difficulté de la tâche et son
inefficacité politique à rassembler les sociétés dans un processus de paix. D’autant plus que la
présence d’une force d’intervention sur un sol étranger alimente le ressentiment et la colère.
Dans le cadre d’un conflit irrégulier, la sensibilité des opinions publiques a aussi pour
conséquence de limiter la marge de manœuvre des démocraties en lutte contre les irréguliers.
Les démocraties ne peuvent pas se permettre d’user des mêmes méthodes que les mouvements
irréguliers ou même d’appliquer dans le règlement du conflit un seuil de violence trop élevé.
Il existe un fort risque que la violence agisse en défaveur du belligérant démocratique. Ainsi,
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La guerre irrégulière au XXIème siècle
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Les conflits irréguliers
2013 - 2014
les recours au meurtre, à la torture, à la violence généralisée et indiscriminée, ne sont pas
considérés comme des armes dignes d’une démocratie. Ces pratiques que l’on peut regrouper
sous le terme de Terreur, (« pratique systématique de violences, de crimes en vue d’imposer
un pouvoir. »5) tendraient même à fragiliser la position du gouvernement démocratique qui les
utiliserait sur le long terme, malgré les bénéfices immédiats retirés sur le terrain proprement
militaire. Les démocraties en lutte contre les irréguliers ne devraient donc plus avoir recours à
ce type de méthode, leur révélation par la presse occasionnant de sérieux dommages à l’image
du pays et à la légitimité de l’intervention.
Même sans aller jusqu’à l’exercice de la Terreur, les démocraties occidentales doivent être
très vigilantes quant au niveau de tolérance à la violence exprimé par les opinions publiques.
Il est admis que la culture définit des seuils de tolérance à la violence différents, auxquels les
forces d’intervention doivent pouvoir s’adapter. Les sociétés du Sud présentent en effet un
seuil de tolérance à la violence bien plus élevé que nos démocraties occidentales, une
différence significative dont il faut prendre acte. Trop de violence nuirait à la légitimité de
l’intervention et conduirait une partie de l’opinion occidentale à se détourner ; pas assez de
violence, et c’est alors notre crédibilité vis-à-vis des populations hôtes et de l’ennemi
irrégulier qui en serait diminuée d’autant. Afin d’assurer la légitimité de l’intervention, il
s’agira de faire coïncider le seuil réel de violence appliqué avec les perceptions des acteurs,
ou bien d’agir directement sur les perceptions des acteurs en abaissant ou élevant leur propre
seuil.
C. Une pression économique grandissante
Enfin, il nous faut aborder dans cette partie la question des ressources financières. Evoquer
l’économie comme une des faiblesses des sociétés occidentales peut paraitre surprenant, leur
domination sur le reste du monde s’exprimant avant tout en termes économiques. On est en
droit de se demander comment un mouvement irrégulier aux ressources nécessairement
limitées est en mesure de s’opposer dans ce domaine aux états occidentaux. Nous verrons que
l’explication peut venir d’un contexte de crise économique internationale impactant fortement
les budgets militaires nationaux et surtout, de la nature même du conflit. Les mesures de
contre-insurrection (ou contre-rébellion pour la terminologie française) sont en effet
extrêmement dispendieuses.
1. Un contexte de crise économique et de restriction budgétaire
Durant la Guerre Froide, les Etats occidentaux ont tous fait le choix de privilégier la recherche
de nouvelles technologies au détriment de l’entretien de leurs forces terrestres.
Cette conception s’intégrait plus généralement dans le cadre de la guerre interétatique
classique, mais la question de la pertinence d’une telle orientation peut aujourd’hui se poser
quand les conflits irréguliers se dessinent comme l’horizon le plus probable des prochaines
décennies. Or, à ce niveau-là, la France, comme toutes les autres puissances occidentales,
accuse un retard considérable. La réduction systématique des budgets alloués aux forces
5
Définition donnée par le dictionnaire Larousse
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La guerre irrégulière au XXIème siècle
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Les conflits irréguliers
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terrestres après la chute du mur de Berlin au profit des nouvelles technologies et de l’arme
aérienne ont contribué à fragiliser notre pouvoir d’intervention et surtout de stabilisation. Les
équipements sont dits vétustes et les forces très largement insuffisantes, malgré leur grande
capacité.
Dans le contexte actuel de crise économique, la tendance s’accentue plus qu’elle ne semble
dévier de cette orientation, au point que le ministre de la défense Jean Yves Le Drian tire la
sonnette d’alarme6. Devant la pression budgétaire du Conseil Européen, le gouvernement
français a choisi de sacrifier une partie de ses forces de projection et de décaler dans le temps
l’acquisition d’un certain nombre de ses équipements, au risque là encore de se décrédibiliser
sur la scène internationale, auprès de ses alliés comme de ses adversaires potentiels. Avec une
capacité de projection actuelle inférieure à trente mille hommes, la France est-elle encore en
mesure de tenir son rôle de puissance internationale ?
La crise économique a aussi pour effet d’éreinter la légitimité de nos interventions auprès de
la société civile. Sans un discours adéquat, la société civile ne pourra que s’étonner et
s’indigner de nos interventions militaires très coûteuses, alors même que l’Etat et les
populations civiles sont plongés en plein marasme économique. C’est exactement ce qui s’est
passé à l’occasion des interventions françaises au Mali ou en Centrafrique. Alors que l’Etat
vantait la restriction budgétaire et demandait aux populations de se « serrer la ceinture », les
opérations extérieures et les milliards d’euros qu’elles nécessitent, apparurent soudain aux
populations comme suspectes et non nécessaires.
Nous noterons cependant que les deux décisions d’intervention avaient premièrement reçu un
accueil plutôt enthousiaste de la part des opinions publiques, qui par la suite a évolué vers une
remise en cause, compte tenu des difficultés rencontrées et de la durée des interventions.
La crise économique et ses conséquences à l’échelle stratégique jouent donc bel et bien en
défaveur des capacités des états occidentaux face aux mouvements irréguliers. De plus, la
pression économique pour les démocraties occidentales est d’autant plus importante que les
conflits irréguliers se caractérisent par une importante asymétrie des coûts entre belligérants.
2. L’asymétrie des coûts dans le conflit irrégulier
Pour décourager son adversaire, le combattant irrégulier peut faire valoir l’énorme disparité
des coûts caractérisant ce type de conflit. Pour se donner un ordre d’idée, « les Etats-Unis ont
dépensé quinze millions de dollars par heure en Irak, depuis la chute de Bagdad le 9 avril
2003 7». Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie américain, estime quant à lui que près de
2000 milliards de dollars auront été nécessaires aux deux conflits irréguliers (Irak,
Afghanistan) jusqu’en 2010. Si les Etats-Unis, compte tenu des ressources financières dont
6
Nous renvoyons le lecteur intéressé à l’article du quotidien Le Figaro.
(http://www.lefigaro.fr/politique/2014/05/22/01002-20140522ARTFIG00332-budget-des-armees-dans-unelettre-le-drian-alerte-valls-sur-les-risques-encourus.php?cmtpage=0#comments-20140522ARTFIG00332)
7
Vincent DESPORTES, La Guerre Probable. Penser autrement, Paris, Economica, (Coll. « Stratégie et
doctrines »), 2007, page 12
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Les conflits irréguliers
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dispose le pays, peuvent se permettre ce genre de dépenses, il convient de rappeler que, dans
les deux conflits, la situation n’a pas pu être stabilisée malgré les sommes engagées. Et
pourtant, face à ces milliards, les ressources financières des adversaires irréguliers ne se
comptent qu’en dizaines, voire centaines de millions de dollars, pour les plus importants.
Le pouvoir de nuisance des irréguliers est à la juste mesure des sommes dépensées par le
camp occidental, et il n’existe pas toujours une solution à présenter face à cette inégalité.
L’Etat intervenant prenant en charge les dépenses afférentes à la reconstruction du théâtre
d’intervention, (dans une optique de lutte contre l’influence des mouvements irréguliers), les
irréguliers peuvent par la destruction et le sabotage d’infrastructures publiques, plonger le
pays et la force d’intervention dans le chaos. Arnaud de la Grange et Jean-Marc Balencie8
évoquent ainsi des cas de sabotage du réseau de distribution des eaux, des destructions
d’oléoducs ; opérations très peu onéreuses pour les irréguliers mais qui engendrent par leurs
conséquences des dépenses astronomiques pour la force d’intervention. Les exemples des
kamikazes et des EEI (Engins Explosifs Improvisés) sont également très parlants, leur pouvoir
de destruction et l’impact psychologique qu’ils occasionnent sont sans commune mesure avec
leur coût effectif. Les irréguliers peuvent ainsi durablement déstabiliser la force d’intervention
à moindre coût, cette dernière, au contraire aura à sa charge les dépenses visant à prévenir
l’usage de ces armes.
Ces deux photos illustrent l’asymétrie des moyens déployés à l’occasion du conflit irakien. A
droite, un EEI fait à partir de vieux obus et de matériaux courants, à gauche, un robot
démineur américain de plusieurs millions de dollars.
D’après le Général Vincent Desportes, « selon certains analystes américains, les Etats-Unis
auraient engagé autant, entre 2004 et 2006, pour le seul projet de lutte contre les engins
explosifs improvisés (EEI), que pour l’ensemble du projet Manhattan qui produisit les deux
premières bombes atomiques (celles d’Hiroshima et de Nagasaki), quand Al Qaïda, avec toute
sa richesse, serait probablement incapable financièrement d’acheter un seul F22-Raptor, le
dernier avion d’armes de l’US Air Force. 9»
8
Jean-Marc BALENCIE, Arnaud DE LA GRANGE, Les guerres bâtardes. Comment l’occident perd les
batailles du XXIe siècle, Paris, Perrin, 2008.
9
Vincent DESPORTES, La Guerre Probable. Penser autrement, op. cit. , page 12
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Les conflits irréguliers
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Ce constat, quelque peu provocateur, cherche à souligner l’importance du facteur économique
dans les conflits irréguliers actuels, particulièrement en contexte de crise économique.
Toutefois, les mouvements irréguliers se doivent, eux aussi, de sécuriser leurs moyens de
financement. Si l’argent n’est plus « le nerf de la guerre », il n’en reste pas moins l’une des
composantes les plus importantes. A ce titre, les irréguliers, profitant de la mondialisation et
de l’ouverture internationale des marchés et des frontières, ont su s’assurer des voies de
financement occultes à l’abri de la répression des Etats occidentaux. Ces voies sont
essentiellement de trois ordres ; l’appel à la diaspora lorsque le mouvement irrégulier présente
une identité ethnique ou religieuse forte, le financement par un Etat tiers qui bénéficie alors
des actions irrégulières, ou enfin, l’alliance avec la criminalité transnationale, nouvel acteur
prépondérant dans les relations internationales. Les trafics en tous genres se sont multipliés
ces dernières années et alimentent les stratégies irrégulières de différents mouvements. De par
les voies qu’ils empruntent, ces financements se trouvent pour l’instant à l’abri de toute
action.
Pour conclure, les sociétés démocratiques occidentales, de par leur nature, et malgré leur
puissance et leur domination internationale, ne sont finalement pas exemptes de faiblesses,
surtout face à des adversaires irréguliers refusant de se soumettre aux règles de la guerre
« classique ». En privilégiant des stratégies irrégulières de contournement de la puissance, les
mouvements irréguliers montrent, qu’au contraire de l’Occident, ils connaissent leur
adversaire et savent profiter de ses faiblesses. L’une des principales faiblesses de ce dernier se
trouvant au sein même des sociétés qui le composent, le recours aux actions psychologiques
s’est généralisé. Pour cela, les irréguliers peuvent s’appuyer sur les nouvelles technologies de
l’information et de la communication, capables de transmettre des messages d’un bout à
l’autre de la planète et portant la guerre psychologique à des sphères inconnues jusqu’alors.
II - Les nouvelles technologies de l’information et de la communication
dans les conflits irréguliers
Nous avons décidé d’accorder un chapitre à part aux nouvelles technologies de l’information
et la communication (NTICs), car nous estimons que ces dernières ont considérablement fait
évoluer les conflits irréguliers. En effet, en tant que support des nouveaux médias et donc
outils de la mondialisation, ces technologies ont recentré la lutte irrégulière autour des
perceptions des sociétés. Peu importe dorénavant le nombre de victoires militaires ou de
morts, l’image et le ressenti que se font les sociétés du conflit et de ses belligérants valent
bien davantage. « Les faits s’estompent au profit de l’effet », une maxime qui résume à elle
seule la nouvelle réalité de la guerre irrégulière.
Dans une grande mesure, ces nouvelles technologies sont d’origine militaire. Dans le cadre de
la Guerre Froide, la course à la technologie menée par les deux grandes puissances (et qui
verra la chute de l’URSS) a permis l’invention d’un certain nombre d’outils aujourd’hui
indispensables à nos sociétés : de puissants ordinateurs, des réseaux, des appareils de
télécommunication, l’Internet, des moyens de localisation satellite et bien d’autres, les
inventions se poursuivant, par la suite, à un rythme effréné, malgré la disparition de l’ennemi
d’hier. Premièrement tournées vers des finalités militaires, ces technologies se sont peu à peu
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Les conflits irréguliers
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perfectionnées et généralisées au point de se répandre dans les sociétés civiles, facilitant la vie
de tout un chacun et permettant l’émergence de cette nouvelle ère qu’est la mondialisation des
échanges à l’échelle globale.
Les irréguliers ne s’y sont pas trompés en récupérant ces technologies comme moyens de
lutte, et en considérant la communication comme une arme stratégique à grande échelle. Ils
ont su profiter des avantages offerts par les technologies de l’Occident pour exploiter ses
faiblesses, et sont aujourd’hui en mesure de toucher le cœur des sociétés occidentales par la
diffusion de leurs actions.
Nous nous trouvons donc devant une situation doublement paradoxale où les occidentaux,
malgré leur évidente supériorité technologique et leurs ressources, accusent un temps de
retard sur la communication des irréguliers, alors qu’eux-mêmes se réapproprient au fur et à
mesure les inventions occidentales.
A. La place des médias dans les stratégies irrégulières
Avec l’apparition des NTICs, les mouvements irréguliers se sont montrés capables de
produire une communication continue et très aboutie, pierre angulaire de leur stratégie
irrégulière. Les actions revendiquées par ces mouvements, filmées puis diffusées sur internet
ou au cœur des médias occidentaux, ne doivent pas être appréhendées comme une fin en soi,
mais comme une nouvelle forme de communication propre à ce type de conflit. Elles
témoignent du décalage existant entre les irréguliers et les Etats occidentaux quant à
l’utilisation des médias dans le cadre de la lutte, et plus généralement des espaces de maitrise
et d’action des différents belligérants.
1. Les différents espaces de la guerre irrégulière
Nous devons à Jacques Baud10 d’avoir su remarquablement théoriser et schématiser les
différents espaces de la lutte irrégulière en fonction de leur investissement par les belligérants.
Ainsi, selon lui, la guerre irrégulière s’étend sur six espaces : l’espace humain (les sociétés et
leurs structures), l’espace terrestre (la domination au sol), l’espace aérien (la domination des
airs), l’espace hertzien (qui fait référence à la guerre électronique), l’infosphère (espace dédié
à la guerre psychologique), et enfin, le cyberespace (espace de circulation de l’information).
Selon lui, si les armées occidentales se distinguent par leur domination dans les champs
classiques de la guerre : les espaces terrestre, aérien et hertzien, les irréguliers, eux, se
caractérisent par leur investissement dans l’espace humain et l’infosphère, le cyberespace
constituant l’enjeu des luttes actuelles et futures.
10
Jacques BAUD, La Guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, op. cit.
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Les conflits irréguliers
Occident
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Rebelles
Cyberespace
Infosphère
Espace hertzien
Espace aérien
Espace terrestre
Espace humain
Emploi des espaces dans la guerre asymétrique selon Jacques BAUD
En résumé, les irréguliers s’assurent de la connaissance et de la compréhension des sociétés
au sein desquelles ils évoluent (ce à quoi la force d’intervention ne peut pas prétendre), et
s’assurent également du contrôle des perceptions de celles-ci par une communication
(propagande) agressive. Dans le même temps, les irréguliers refusent d’intégrer les espaces
favorables au camp occidental, tout en luttant avec acharnement pour la conquête de
nouveaux espaces (cyberespace).
Les irréguliers ont donc volontairement abandonné les espaces au sein desquels la domination
occidentale était trop assurée pour se concentrer sur des espaces délaissés, selon une logique
toute militaire de contournement de puissance. En contrôlant à la fois l’espace humain et son
environnement médiatique, support de la guerre psychologique, l’irrégulier est capable de
« brouiller » les rapports de force et la situation concrète sur le terrain. Ainsi, le Fort, malgré
sa supériorité militaire et ses victoires tactiques qui le désignent objectivement comme
vainqueur du conflit, ne peut rien car son adversaire irrégulier ne se résout pas à cet état de
fait. Ce dernier n’a qu’un objectif, que nous rappellent Arnaud de la Grange et Jean-Marc
Balencie : « Survivre médiatiquement et refuser l’idée d’avoir été vaincu. Tout geste de
résistance, même mineur, chaque jour qui passe où la normalité n’a pas été totalement
rétablie, constitue autant de ‘petites victoires’11 ». L’irrégulier parvient ainsi à user la
capacité de résistance et de mobilisation de son adversaire qui, ne pouvant perdre, mais
voyant chaque jour la victoire se dérober, finira par se lasser et abandonner
Ce constat nous conduit, à la suite de nombreux auteurs, à postuler que la guerre irrégulière
doit s’entendre avant tout comme une guerre de communication. Il nous faut considérer les
actions militaires de la lutte irrégulière comme autant de messages, adressés tout à la fois à
l’adversaire, aux populations du pays d’intervention, à l’opinion publique du pays intervenant,
et à soi-même.
11
Jean-Marc BALENCIE, Arnaud DE LA GRANGE, Les guerres bâtardes. Comment l’Occident perd les
batailles du XXIe siècle, op. cit. , p 44.
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2. L’utilisation des médias par les mouvements irréguliers
De par leur capacité à relayer l’information à une échelle quasi-planétaire, les médias sont les
principales « cibles » des mouvements irréguliers. Ici, le mot cible ne doit pas s’entendre au
sens militaire, les irréguliers n’auraient en effet aucun intérêt à éliminer les médias. Bien au
contraire, il faut l’entendre au sens marketing et communicationnel du terme, les médias sont
avant tout, les premiers destinataires des actions des mouvements irréguliers. En effet, ces
derniers pensent chacune de leurs actions en fonction de la publicité que celles-ci peuvent leur
rapporter, du temps d’antenne qui leur sera ensuite consacré. Le premier objectif des
irréguliers est d’arriver à se faire connaître et à se positionner en tant qu’acteur important dans
l’imaginaire des opinions publiques. Ainsi en est-il des actions de Boko Haram, lorsque le
mouvement se décide à capturer prés de 200 jeunes lycéennes au Nigéria et prétend ensuite
les vendre en esclavage. L’action en elle-même n’a aucune valeur stratégique, si ce n’est celle
d’émouvoir les opinions publiques. Toute cette opération est minutieusement préparée à
destination des médias, (comme en laisse témoigner la vidéo du mouvement revendiquant ce
crime). La mise en scène devient partie intégrante des actions irrégulières.
Exemples de mises en scène médiatiques des actions du groupe islamiste Boko Haram.
Une fois reconnus par l’opinion publique internationale, les mouvements irréguliers peuvent
utiliser les médias pour diffuser leur message à destination du plus grand nombre possible.
Les médias restent, comme déjà signalé, le principal vecteur de la propagande pour les
belligérants. Les mouvements irréguliers ont développé dans ce domaine, des capacités
remarquables à même de mettre en échec les puissances occidentales, et ce, malgré la
disproportion des moyens.
Nous laisserons François Géré évoquer ces dites capacités :
« Les Insurgés d’Irak et d’Afghanistan, le Hezbollah au Liban reproduisent avec succès dans
leur utilisation des médias modernes, les procédés traditionnels de la guérilla sur le terrain : la
concentration des forces pendant un temps limité contre une cible précise, l’attaque soudaine,
meurtrière, puis la disparition avant même d’avoir été localisés. La vitesse d’exécution
constitue le facteur tactique essentiel 12».
12
François GERE, « Contre-insurrection et action psychologique : tradition et modernité », Focus stratégique,
n°25, septembre 2010, page 26.
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Plus généralement, selon le même auteur, les mouvements irréguliers se distinguent par leur
mépris absolu pour l’objectivité de l’information (« il n’est de vérité que celle qui est bonne à
dire »), une très forte réactivité par rapport à un événement donné (celui qui s’exprime en
premier ayant l’avantage en ce domaine) et enfin, une manipulation systématique des médias
et ONGs occidentaux.
B. Des pays occidentaux dépassés
Face à ces offensives psychologiques, les Etats occidentaux se montrent dépassés ; non
seulement, ils accusent systématiquement un temps de retard sur leurs adversaires irréguliers,
leur laissant l’initiative mais pire, leurs réponses ne cadrent pas avec les exigences de ce type
de conflit. S’ensuit une méfiance auto-entretenue entre décideurs militaires et médias
occidentaux qui handicape très fortement la perspective d’une meilleure gestion des
perceptions des populations. Nous verrons comment expliquer ce constat, alors même que les
états occidentaux présentent en la matière des ressources auxquelles les irréguliers ne peuvent
prétendre.
1. Une méfiance envers les médias
Si les décideurs militaires se méfient tant des médias, c’est que ces derniers ont trop souvent
tendance à se faire les relais involontaires de la propagande adverse, que ce soit par la
révélation de certaines pratiques, ou simplement par la mise à disposition d’un espace public
de communication avec la retransmission de leurs actions. La course à l’audimat qui anime les
plus grands réseaux médiatiques transnationaux, CNN en tête, conduit à ce type de situations,
où finalement, les médias occidentaux s’avèrent une menace pour la force d’intervention. La
révélation de scandales impliquant les forces occidentales est aussi devenue monnaie courante
dans les médias, ce qui joue fortement en faveur des irréguliers qui n’ont plus qu’à relayer
l’information pour délégitimer leur adversaire. Les opinions publiques, se sentant trahies par
le gouvernement démocratique accusé du scandale, vont alors regarder avec un œil plus
complaisant l’adversaire irrégulier, se battant contre le gouvernement « dévoyé ».
A cela, nous pouvons ajouter les grandes difficultés des armées occidentales dans la
communication à destination des opinions publiques. Cultivant le secret, les armées
occidentales n’ont pas pour habitude de communiquer sur leurs actions et ne connaissent donc
pas les dangers et les codes du milieu médiatique. Elles peinent ainsi à mobilier les opinions
publiques internationales. François Géré13 nous conte ainsi les difficultés éprouvées par
l’armée israélienne face aux médias : une faible capacité à attaquer l’image de l’ennemi, une
mauvaise gestion de l’image de ses troupes, des difficultés à prouver la véracité de certaines
situations, et à faire passer des messages positifs à destination des opinions publiques
internationales, et enfin, une incapacité à mettre en évidence les violations du droit dans la
guerre de l’adversaire. L’auteur ajoute que cette incapacité communicationnelle a pour effet
de tendre les relations avec les ONGs, entretenant un climat de méfiance et de rejet. Tiré du
13
François GERE, Ibid., page 21
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cas israélien, ce constat peut malheureusement s’appliquer à l’ensemble des armées
occidentales.
Les outils médiatiques des Etats occidentaux se retournent ainsi contre eux, en portant une
image défavorable de la guerre et de la conduite de leurs armées. Le phénomène est connu
depuis la Guerre du Vietnam, avec ce que l’on a appelé le « syndrome du Vietnam »14, où les
opinions confrontées aux images de la guerre s’y montrent de moins en moins favorables.
Nombreux sont les auteurs et personnels militaires qui préconisent de ce fait, le secret absolu
envers les médias, ou leur encadrement sévère. La Guerre en Irak menée par les Etats-Unis
était représentative de cette méfiance envers les médias, étrangers ou nationaux. Les
journalistes suivaient des parcours prédéfinis ou étaient assignés au sein d’unités. Les médias
avaient également l’interdiction de filmer les cadavres américains et les cercueils « rentrant au
pays ».
Malgré la sévérité de l’encadrement des médias par l’armée américaine, celle-ci n’a pas été
épargnée par les scandales, tout d’abord par les révélations de Manning, puis par la diffusion
de photos de la prison d’Abu Ghraib. L’échec patent de ce contrôle n’en apparait que plus
clairement. Aujourd’hui, il semblerait que les armées occidentales soient prêtes à finalement
repenser leur approche de la communication et la nécessité de mener des opérations
psychologiques dans ce type de conflit mais, si nous pouvons vanter les efforts fournis,
l’insuffisance dans la prise en compte de ce domaine au niveau stratégique apparait
préjudiciable. Un rejet que nous estimons d’autant plus incohérent que les armées
occidentales bénéficient dans ce domaine de formidables avantages face à leurs adversaires. Il
convient donc de s’interroger sur la nécessité de repenser la communication.
2. Repenser la communication dans la guerre psychologique
Nous l’avons dit, les conflits irréguliers font appel aux perceptions des populations et des
opinions publiques internationales ; en l’absence d’une communication stratégique portée par
les décideurs militaires et politiques, les opinions publiques ne peuvent que subir l’action
psychologique adverse. Une propagande, même rudimentaire, aurait au moins le mérite d’être
présente face au vide occidental. Elle proposerait une grille de lecture du conflit, en exposant
les raisons qui poussent les belligérants à se battre (ce qui fait cruellement défaut dans le
camp occidental).
Cette absence de communication de l’armée est également mise à mal par deux phénomènes
directement issus de l’émergence des NTICs. Tout d’abord, l’importance des images dans nos
sociétés occidentales ne peut pas être ignorée. Avec les médias et les NTICs, les opinions
publiques se trouvent directement immergées au sein des théâtres d’opération par la
retransmission de la violence de la guerre ou des opérations extérieures. Les sociétés des pays
14
Sur la question de la communication de l’armée française, voire le reportage de l’émission Com’ en Politique
(numéro 6 : La communication de guerre) de la chaîne télévisée LCP. (http://www.lcp.fr/emissions/com-enpolitique/vod/144633-la-communication-de-guerre).
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intervenants dans un conflit, même à l’abri chez eux, subissent par la violence des images ce
recours à la force armée.
Il faut, de plus, prendre en compte les nouvelles formes de communication interindividuelles
qui se sont développées avec les NTICs. Ainsi, les outils de communication contemporains
que sont les réseaux sociaux, acquièrent-ils une valeur stratégique en tant qu’espaces de
communication individuels et publics. La société de l’information dans laquelle nous vivons a
pour effet de redonner une place stratégique aux individus. Ces derniers se voient émancipés
de la tutelle hiérarchique ou groupale. Les nouvelles habitudes communicatives mettent à mal
non seulement le devoir de réserve et le secret qui doivent caractériser les opérations
militaires et leurs agents –nous pouvons citer en exemple les photos postées sur les réseaux
sociaux par les soldats eux-mêmes lors d’intervention, donnant ainsi de précieuses
informations à l’adversaire– mais en plus, par la production d’un discours constant diffusé à
l’échelle globale, chaque individu devient lui-même acteur actif du conflit. L’exemple de la
bataille que se livrent les internautes autour du conflit israélo-palestinien est évocateur.
Dans ces conditions, l’absence de communication est terriblement dangereuse. Les sociétés
civiles internationales, qui subissent la dureté du conflit par la violence des images, sont
également les cibles d’un ensemble de discours autonomes alimentant une certaine méfiance à
l’égard des forces occidentales. Cette méfiance est d’autant plus grande que les armées
occidentales ne prennent pas la peine de répondre à ces soupçons.
La première chose à faire est donc de repenser la guerre irrégulière sous l’angle de la
communication stratégique. Les actions militaires doivent être conçues comme l’un des
vecteurs de cette communication globale qui en compte accessoirement beaucoup d’autres.
Cette communication doit avoir pour but essentiel de renforcer et d’assurer la légitimité de
nos actions et de notre intervention sur le théâtre d’opérations mais aussi sur la scène
internationale. Elle doit donc s’étaler dans le temps en amont et en aval de l’opération.
L’ensemble des forces armées doit s’impliquer et s’investir dans la propagation de messages
positifs à destination des populations. Le maintien et le contrôle du niveau de violence sont
les premières conditions à la réussite d’une telle entreprise et impliquent notamment le respect
des cultures locales et une adéquation entre les moyens et les fins poursuivies, la destruction
par bombardements successifs ayant peu de chance d’entrainer le ralliement de la population à
notre cause. La définition des cibles militaires et des objectifs de la guerre doit suivre un
raisonnement médiatique en fonction des effets psychologiques recherchés.
En ce sens, les armées occidentales sont amenées depuis quelques années à reconsidérer
l’arme psychologique, très largement abandonnée au sortir de la Guerre Froide. Les
opérations psychologiques ont notamment été remises au goût du jour à la suite du conflit en
Afghanistan, auquel la majorité des puissances occidentales a participé, d’une manière ou
d’une autre. Toutefois, comme nous l’avons dit, ces opérations sont limitées, du fait de leur
manque d’intégration en une stratégie globale de communication. De même, la focalisation
qu’accordent les puissances occidentales aux outils de haute technologie les amènent à
délaisser d’autres vecteurs de communication, pourtant parfois plus accessibles et plus
efficaces (médias télévisés et réseaux sociaux).
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Les conflits irréguliers
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En conclusion de ce chapitre, il convient de rappeler l’importance de la légitimité dans les
conflits irréguliers. Celle-ci se voit distribuée de manière très hétérogène entre les belligérants
puisque l’un des acteurs est issu de la société dans laquelle il combat, tandis que l’autre est
perçu comme un envahisseur par les populations. De même, alors que les acteurs irréguliers
peuvent se permettre n’importe quel recours dans leur stratégie de communication, les états
occidentaux en sont tenus au respect de certaines règles imposées par le type de régime
politique qu’ils promeuvent. D’ailleurs, ne dit-on pas en Occident, qu’un mensonge découvert
tue cent vérités. Pour terminer sur la question de la communication, nous nous arrêterons dans
un troisième chapitre sur les mutations des mouvements irréguliers face à l’émergence de ces
nouvelles technologies.
III - L’adaptation des mouvements irréguliers
Contrairement à ce qui a pu être dit par certains auteurs, les guerres irrégulières ne doivent pas
être considérées comme des guerres « nouvelles » ou « postmodernes », l’essence de la guerre
irrégulière n’a pas changé, elle a juste muté en fonction de son contexte comme n’importe
quelle pratique sociale. Aujourd’hui, il faut entendre l’évolution de ces conflits comme un
élargissement du champ militaire, où la technologie en vient à constituer un enjeu et un
moyen de lutte.
Le terrorisme et son usage systématique sur les théâtres d’opérations modernes, doit
également être conçu comme une adaptation et une mise à profit de la nouvelle sensibilité
occidentale. Malgré son efficacité mineure sur le plan purement militaire, le terrorisme
s’appréhende comme une forme de communication très efficace.
A. La mutation technologique
Les mouvements irréguliers ont considérablement évolué au contact de la mondialisation que
l’Occident a imposé au système international. Comparer les mouvements irréguliers
contemporains à leurs prédécesseurs n’a aujourd’hui de sens, que si l’on reste conscient des
profondes mutations qui les séparent. Au premier rang de ces mutations, la technologie joue
un rôle très important, elle permet l’adaptation des irréguliers au contexte contemporain.
1. Un fonctionnement en réseau
Nous avons déjà dit qu’il ne fallait pas considérer les mouvements irréguliers contemporains à
l’aune de leurs prédécesseurs. L’héritage est certes évident, mais des évolutions profondes les
différencient, et empêchent un parallèle analytique qui nuirait à la compréhension du
phénomène contemporain. Parmi ces différences, Thomas Hammes15, qui a lancé le concept
de Guerre de Quatrième Génération (G4G) pour évoquer les conflits irréguliers
contemporains, nous parle aujourd’hui de mouvements irréguliers « glocalisés », dont les buts
15
Thomas HAMMES, The Sling and the Stone : On War in the 21st Century, Zenith press, 2006
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Les conflits irréguliers
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stratégiques se situent au niveau régional, voire mondial mais dotés de structures
hiérarchiques locales.
Au niveau local justement, ces mouvements se distinguent par leur capacité à nouer des
contacts et des alliances avec différents acteurs eux aussi structurés en réseaux, que ce soient
les diasporas, les organisations criminelles ou d’autres mouvements irréguliers. L’exempletype du mouvement irrégulier glocal peut être représenté par Al Qaïda. Toutefois, Simon
Murden16 nous rappelle qu’il ne faut pas penser ce concept dans l’absolu, des mouvements
irréguliers contemporains, parfois très importants, sont plus proches de mouvements sociaux
classiques que de leurs cousins de la G4G (Hezbollah, Hamas, Talibans). Ces derniers restent
structurés autour d’une forte hiérarchie et de revendications circonscrites territorialement,
avec toutefois une intégration au sein de réseaux d’acteurs transnationaux.
Cette aspiration des mouvements irréguliers à se constituer au sein de réseaux transnationaux
d’acteurs divers, s’entend comme une réponse apportée aux formidables capacités
technologiques et militaires des puissances occidentales. Les mouvements irréguliers
cherchent à ne pas s’exposer à cette puissance, la meilleure solution étant le refus de la
concentration. La puissance occidentale, confrontée à une multitude de cibles, ne sait plus où
faire peser sa force, d’autant plus que la dilution des forces ennemies empêche les
occidentaux de donner la pleine mesure de leurs capacités destructives.
On assiste donc à l’émergence de mouvements structurés en réseaux, constitués de cellules
indépendantes dispersées sur un large territoire, autonomes entre elles et vis-à-vis d’une
hiérarchie centrale. Ce genre de réseau « en constellation », se montre particulièrement
flexible et adapté à ce type de conflit. Alors que le « centre » (les leaders du mouvement)
conserve un leadership puissant, notamment dans la définition des objectifs politiques et de la
mission, la « périphérie » (l’ensemble des cellules) garde son entière autonomie quant à la
mise en œuvre locale et les moyens d’actions de cette stratégie. La répression du mouvement
par l’adversaire régulier s’en trouve ainsi bien plus compliquée, il ne suffit plus comme dans
les structures pyramidales d’éliminer le chef pour faire s’écrouler la structure. Les derniers
mouvements fonctionnant encore de cette manière, on peut penser aux Tigres Tamoules, ont
justement dû renoncer à la lutte après la perte de leur chef historique et charismatique, V.
Prabhakaran. Alors qu’avec une structure en réseau, dont l’exemple type est Al Qaïda, on
peut éliminer autant de chefs que l’on veut, les unités de la structure étant parfaitement
autonomes les unes des autres, le mouvement ne cesse pas et les cellules éliminées sont très
vite remplacées.
Citant Donald Schon17, théoricien des mouvements contestataires des années soixante, Simon
Murden résume ainsi l’avantage des réseaux en constellation dans la guerre irrégulière :
16
Simon MURDEN, « Comprendre l’Insurrection glocale contemporaine : vers une cartographie des effets de la
guerre mondiale contre le terrorisme », in GOYA Michel, Res Militaris, Paris, Economica (Coll. « Stratégie et
doctrines »), 2000, pp 31-53
17
Donald SCHON, Beyond the Stable State, Random House, 1971, 254 pages.
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« Dans un contexte insurrectionnel, un système en constellation peut certes manquer de la
cohérence nécessaire pour défier des forces plus organisées, mais peut témoigner d’une
certaine efficacité quand il s’agit de définir et de diffuser des messages subversifs ainsi que
d’une réelle résilience en cas de pertes. »18
Toutefois, il rappelle que ces réseaux se montrent également fragiles face au risque de perte
de coordination et de dissolution.
Ci-dessous, un exemple de différents types de réseaux. Les noms divergent mais le principe
reste le même. Les réseaux centralisés sont les plus cohérents mais se montrent les moins
résilients face à des attaques. La perte du centre névralgique entrainant l’effondrement de la
structure. A l’inverse, les réseaux distribués ne présentent aucun centre et se montrent donc
très difficiles à détruire. En revanche, du fait de cette même caractéristique, ils présentent peu
de cohérence, il existe donc un fort risque de dilution. Enfin, les réseaux décentralisés
s’imposent comme un compromis entre les deux extrêmes, à la fois relativement cohérents et
résilients.
Il appartient à la force intervenante de déceler au plus tôt, les caractéristiques des réseaux
irréguliers qui s’opposent à elle.
Réseaux centralisés, décentralisés ou distribués
2. La technologie, un facteur égalisateur
La supériorité technologique des armées occidentales a longtemps été incontestable, leur
offrant un avantage stratégique indéniable face à des armées plus démunies.
18
Simon MURDEN, « Comprendre l’insurrection globale contemporaine : vers une cartographie des effets de la
guerre mondiale contre le terrorisme », op cit, p.45
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Mais à la surprise générale, les mouvements irréguliers se montrent aujourd’hui en mesure de
détenir et d’adapter un certain nombre de développements technologiques, jusqu’alors
privilège exclusif de l’Occident. Pire, les mouvements irréguliers ont témoigné de leur
capacité à suivre la course à la technologie organisée par les forces occidentales. Passée la
première surprise, la technologie utilisée perd vite son avantage comparatif. On remarque
ainsi que d’un conflit à l’autre, les irréguliers savent s’adapter à toute avance technologique,
et réduire par la même les avantages qu’elle conférait au camp occidental. La capacité
d’adaptation des adversaires irréguliers est encore une fois très impressionnante.
Leur maitrise de la haute technologie et leur capacité à rivaliser avec les puissances
occidentales ont conduit un certain nombre d’auteurs à parler de « techno-guérillas »19,
évoquant ainsi les profondes mutations que la technologie amenait au sein de ces
mouvements.
Cette nouvelle puissance technologique a en effet profondément affecté les capacités d’action
des irréguliers. Dans le domaine de la communication premièrement ; comme nous l’avons
vu, les irréguliers bénéficient grâce aux NTICS de capacités de diffusion et de communication
internationales, leur conférant un avantage stratégique indéniable, (le cyberespace est en ce
sens souvent présenté comme le champ des futures guerres irrégulières). D’un point de vue
historique, nous pouvons également noter l’augmentation de la puissance de feu des
irréguliers, par l’achat des dernières technologies militaires auprès de circuits transnationaux
occultes, ou par la réadaptation de matériels militaires anciens aux tactiques irrégulières
modernes. A ce titre, les mouvements irréguliers ont su profiter du sentiment de supériorité
que la technologie conférait aux forces occidentales, comme lors du conflit de 2006, où Israël
s’est laissé surprendre par les tactiques de confrontation directe utilisées par le Hezbollah,
accusant des pertes nombreuses face à un adversaire à la puissance de feu redoutable.
L’Occident entrevoit tout juste les possibilités offertes par la technologie aux mouvements
irréguliers, ce qui devrait l’amener dans le futur à reconsidérer la diffusion de technologies
critiques au sein des sociétés civiles. En effet, « la dissémination des technologies
relativement simples à utiliser fait que la technologie semble disposer, dans les faits, d’un
pouvoir égalisateur »20. Les technologies civiles, d’emploi relativement simple et au coût
abordable, sont à mettre en balance avec les technologies militaires et les milliards dépensés,
pour une efficacité comparable.
Ainsi, aujourd’hui les téléphones cellulaires, l’Internet, les GPS et beaucoup d’autres
inventions d’origine militaire peuvent être utilisés très facilement par n’importe quel citoyen.
Les irréguliers ne s’en privent donc pas, toutes ces technologies diffusées partout dans le
monde sont maintenant réutilisées lors de conflits irréguliers, à la grande surprise des armées
occidentales. Elles ont ainsi retrouvé leur utilité d’origine en tant qu’outil militaire ; le
19
Joseph HENROTIN, « Les adaptations de la guerre irrégulière aux nouvelles conditions technologiques : vers
la techno-guérilla », in COUTAU-BEGARIE Hervé (Dir.), Stratégies Irrégulières, Economica, Paris, 2010
20
Vincent DESPORTES, « Préambule », in CHALMIN Stéphane (Dir.), Gagner une guerre aujourd’hui ?,
Paris, Economica (Coll. « Stratégies et doctrines »), 2013.
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téléphone cellulaire devient un détonateur à distance de bombes (en plus des incroyables
facilités de communication qu’il offre, dans un relatif anonymat), l’Internet, dorénavant
champ de bataille de la cyberguerre, sert également d’appui à la propagande des irréguliers, à
la diffusion de leurs messages et de certaines informations (on trouve très facilement des
manuels expliquant la fabrication de bombes, la réalisation d’attentats, …etc.). Enfin, le GPS,
pour ne citer que les technologies les plus courantes et accessibles, permet aujourd’hui le
guidage très précis de missiles, sans oublier les facilités de reconnaissance qu’il permet.
Nombreux sont les attentats préparés grâce aux images satellites de sites sensibles (Google
Earth).
Au final, si l’on parle du pouvoir égalisateur de la technologie, il est à rechercher dans
l’asymétrie des coûts occasionnée par la course à la technologie des Etats occidentaux. Nous
pouvons évoquer ce paradoxe par l’exemple des EEI (Engins Explosifs Improvisés), arme
caractéristique du conflit irakien, dont le coût s’avère dérisoire mais qui a engendré une
réaction disproportionnée de la part du Pentagone, conduisant l’industrie militaire américaine
à investir des milliards de dollars dans des engins blindés de catégorie MRAP (Mine Resistant
Ambush Protected), pour une efficacité somme toute limitée. Un paradoxe qui se retrouve
également dans le recours au terrorisme, où l’impact psychologique d’une telle pratique
conduit les Etats occidentaux à engager des politiques de lutte extrêmement coûteuses.
B. Le terrorisme au XXIème siècle
Il s’avère très compliqué d’étudier le terrorisme, tant il soulève les passions et les
controverses. En témoignent les différentes définitions du terme, jamais consensuelles. Pour
expliquer cette difficulté, on peut rappeler que le terrorisme est une « étiquette » apposée par
certains acteurs à d’autres, et que cette appellation est très chargée péjorativement, le
terroriste s’apparentant dans l’imaginaire commun à un barbare sanguinaire. Ainsi, aucun
acteur n’a intérêt à revendiquer cette appellation et tous cherchent à définir l’objet du
terrorisme en fonction de leurs propres intérêts, pour s’exclure de cette catégorie et/ou pour
délégitimer un adversaire. Pour complexifier encore les choses, les définitions données du
terrorisme incorporent, dans bien des cas, des mouvements qui se disent « résistants », une
étiquette cette fois très valorisante. La distinction entre les deux appellations, terroriste et
résistant, est ici essentiellement relative à la légitimité de l’acteur dans l’usage de la violence.
« Ce qui est terrorisme pour les Occidentaux est considéré par des millions de gens comme
légitime défense face à une violence d’Etat (celle qui s’arroge le droit de dire quelle violence
ou quel combattant est légitime). L’argument est bien connu : « Vos héros et résistants
n’étaient-ils pas hier condamnés comme terroristes 21».
21
Huyghe François-Bernard, « Entre ravage et message », Les cahiers de médiologie 1/ 2002 (N° 13), p. 37-47
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C’est donc avant tout une question de jugement politique et par définition, la conclusion de ce
débat ne pourra jamais être consensuelle ou neutre (voire par exemple le cas du Hamas
palestinien22).
Nous citerons tout de même la définition donnée par l’Encyclopédie Universalis, qui par sa
neutralité et son caractère englobant, pose très clairement, à la fois les enjeux du débat, et la
spécificité de l’action terroriste : « Le terrorisme, […] dépassant souvent le stade de
l'initiative ponctuelle pour devenir une véritable stratégie, postule l'emploi systématique de la
violence, pour impressionner soit des individus afin d'en tirer profit, soit, plus généralement,
des populations, soumises alors, dans un but politique, à un climat d'insécurité. Dans l'un et
l'autre cas, il a pour caractéristique majeure de rechercher un impact psychologique, hors de
proportion, comme le souligne Raymond Aron dans Paix et guerre entre les nations, avec les
effets physiques produits et les moyens utilisés. »
1. Les logiques du terrorisme
Afin de ne pas se perdre dans un débat stérile, nous choisissons ici de ne considérer que le
terrorisme des mouvements irréguliers. Toutefois, l’importance prise par ce mode d’action ne
peut s’expliquer sans faire référence à la politique de lutte menée par les puissances
occidentales. « De nos jours, le système agit par la terreur généralisée de plus grande
envergure, s’étendant à l’échelle internationale sous forme de guerres vaines et préventives,
imposant la démocratie par des moyens militaires, au nom de la sécurité nationale et
mondiale23». Le système international, par le durcissement constant 24 de la lutte contre le
terrorisme (atteintes aux libertés individuelles, désignation et sanction d’Etats voyous,
suspicion à l’égard d’une partie de la population,…), tend par la même à produire de plus en
plus de terroristes. On entre dans un cercle vicieux, où l’action des terroristes cherche la
réaction disproportionnée des Etats occidentaux, (au premier rang desquels les Etats-Unis) ;
une réaction qui alimentera par son contenu la frustration d’une partie de la population
mondiale et viendra grossir les rangs des terroristes. Terrorisme et « guerre contre la
Terreur », en se constituant mutuellement comme adversaires, ont tendance alors à se poser
comme les équations d’un même système. D’autant plus, que les politiques de lutte
internationale contre le terrorisme ne s’intéressent nullement aux causes de cette
manifestation de violence, elles ont tendance, au contraire, à considérer le terrorisme comme
un adversaire plutôt que comme un moyen, ce qui conduit inévitablement à des erreurs
d’analyse.
22
Audes SIGNOLES, « Le Hamas, organisation de résistance ou organisation terroriste ? », in GOYA Michel,
Res Militaris, Paris, Economica (Coll. « Stratégie et doctrines »), 2000, pp 55-75
23
Ivekovic RADA, « Terror/isme comme politique ou comme hétérogénéité. Du sens des mots et de leur
traduction », Rue Descartes, 2008/4 n°62, p. 68-77
24
La France n’est pas épargnée par le durcissement constant de mesures antiterroristes
(http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/07/08/le-gouvernement-alourdit-l-arsenalantiterroriste_4453013_3224.html).
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Peu nombreux sont finalement les mouvements à pouvoir dépasser le stade du terrorisme. Si
la guérilla nécessite beaucoup d’hommes, avec une formation militaire et un soutien populaire
conséquent, le terrorisme lui se suffit de quelques spécialistes agissant de manière autonome.
C’est ce qui fait à la fois la faiblesse du terrorisme moderne et sa force. L’impact actuel des
actions terroriste est relativement limité (et nous pouvons postuler qu’il le restera, compte
tenu des mesures de sécurité prises à la suite des attentats des années 2000) ; en revanche, du
fait de leur dissémination et autonomie, les terroristes sont de plus en plus difficiles à
contrôler ou arrêter.
Le terrorisme vise premièrement à délégitimer le pouvoir en place par le sentiment
d’insécurité qu’il propage au cœur des populations. La capacité à protéger sa population étant
le premier critère de la légitimité d’un pouvoir, si celle-ci n’est plus assurée, la population en
vient à se détourner de ce pouvoir.
Deuxièmement, l’acte terroriste cherche à communiquer sur la puissance de l’organisation
irrégulière, il est à destination de l’extérieur (du monde) mais aussi de l’intérieur (le message
s’adresse également à l‘organisation interne). Alia Brahimi25 met en évidence ce phénomène à
travers l’exemple de l’organisation terroriste Al Qaïda. Par chaque attentat réussi, Al Qaïda
revendique sa puissance et son dynamisme dans sa lutte contre les forces occidentales.
Troisièmement, les mouvements irréguliers insistent par le terrorisme sur le caractère
psychologique de la lutte qui les oppose aux pouvoirs réguliers, et s’adressent directement aux
opinions publiques internationales. En effet, une cause pour laquelle des hommes sont prêts à
littéralement donner leur vie ne vaut-elle pas qu’on s’y intéresse quelque peu ?
Quatrièmement, les mouvements irréguliers cherchent par le terrorisme à provoquer une
réaction disproportionnée de la part des autorités adverses. En répondant par une répression
excessive contre les populations, ces dernières jouent le jeu des irréguliers qui n’ont plus qu’à
condamner le dévoiement moral des autorités et justifier ainsi leur combat auprès des
populations. Ce mode d’action reste typique de la lutte irrégulière, depuis les mouvements
anarchistes russes aux mouvements marxistes sud-américains des années 60-70.
Nous parlerons donc d’une double dimension de l’acte terroriste, à la fois destructeur (en
biens et matériels, mais aussi en vies humaines) et producteur de sens par le recours aux
symboles.
Au XXIème siècle, c’est bien le terrorisme islamiste qui se présente comme le plus actif à
l’échelle planétaire, et en conséquence, celui qui tend à être désigné par les puissances
occidentales comme le principal danger. On lui associe souvent la figure de la « bombe
humaine », de l’attentat suicide. Bien que ne détenant pas le monopole de ce type d’actions, il
est vrai que les mouvements islamistes se distinguent par la systématicité et l’exemplarité de
leurs attentats suicides. Cette mort-spectacle se trouve remarquablement bien adaptée à nos
25
Alia BRAHIMI, « L’asymétrie morale et la gestion de la population », in MALIS Christian, STRACHAN
Hew et DANET Didier (Dir.), La guerre irrégulière, Paris, Economica (Coll. « Bibliothèque stratégique »),
2011.
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sociétés de l’information où le recours aux images est constant. On retrouve ici la dimension
communicative du terrorisme.
2. Le terrorisme comme arme de communication
Avec les évolutions récentes des opinions publiques occidentales, de moins en moins
tolérantes à la violence, le terrorisme apparait comme la meilleure publicité des mouvements
irréguliers. Certains de ces mouvements n’ont d’ailleurs pas d’autres recours possibles dans la
lutte que celui du terrorisme, nous pouvons prendre l’exemple des mouvements palestiniens
qui, souffrant du silence international sur leur situation, n’ont eu d’autres choix que le recours
à la violence. Comme le dit Gérard Chaliand, spécialiste en géopolitique, « si la guérilla est
l’arme du faible, le terrorisme est l’arme du plus faible encore ». Il est le premier moyen de
communication des exclus du système international.
Le terrorisme au XXIème siècle doit donc être pensé comme une stratégie de communication
des irréguliers à l’égard de la scène internationale. Il ne serait alors que l’arme du dernier
recours, celle qui permettrait de publiciser son message et ses revendications, celle qui
permettrait de légitimer son action de lutte. Cette vocation propagandiste du terrorisme n’est
pas nouvelle, Kropotkine, écrivain anarchiste russe du début du XXème siècle, parlait déjà au
sujet de la terreur de « propagande en acte », ou du terrorisme comme une forme de
communication.
L’histoire du terrorisme moderne accompagne d’ailleurs celle de l’évolution des moyens de
communication de masse. « Depuis la fin du XIXe siècle, l’histoire du terrorisme accompagne
les progrès techniques qui ont permis, d’abord une diffusion plus large et plus rapide de la
presse, plus tard l’intégration de dessins, puis de photos, qui amplifiaient l’écho des attentats.
L’invention de la télévision, puis du reportage en direct au début des années 1970, la création,
enfin, de networks planétaires n’ont fait que renforcer ce phénomène, terroristes et médias
s’utilisant pour atteindre leurs objectifs respectifs : une publicité maximale d’un côté, une
audience maximale de l’autre, les deux logiques convergeant vers la recherche de l’effet le
plus spectaculaire possible26. »
En ce sens, terrorisme et médias peuvent constituer un « couple pervers », où la nécessité de
l’information passe parfois au second plan au profit d’un certain sensationnalisme, qui tend à
démultiplier les effets du terrorisme. Compte tenu de la sensibilité des opinions occidentales,
les effets psychologiques de ces actions sont totalement hors de proportion avec les dégâts
réels infligés.
Mais comme nous l’avons vu, le message terroriste n’est pas destiné qu’aux victimes, il n’est
pas simple publicité, il a aussi une fonction communicative à destination des alliés potentiels,
des membres de l’organisation, et plus généralement, il prend à témoin le monde entier. Par
les symboles mobilisés, l’acte terroriste évoque les revendications de son auteur.
26
Patrice GUENIFFEY, « Généalogie du terrorisme contemporain », Le Débat, no 126 (septembre-octobre
2003), p.159.
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Nous aimerions illustrer cette rapide explication du phénomène terroriste par l’exemple de la
mouvance Al Qaïda qui, depuis 2001, est entrée en lutte ouverte au nom du djihad mondial.
Nous nous appuierons sur l’article de Philippe Migaux27, publié au sein de l’anthologie de
Gérard Chaliand. L’organisation Al Qaïda préexiste bien entendu aux attentats du 11
septembre 2001 mais cette date marque indubitablement un tournant stratégique. L’opération
en elle-même est couronnée de succès, son retentissement à travers le monde mène la guerre
psychologique vers des ampleurs inconnues jusqu’alors. Les raisons de ce traumatisme en
Occident sont diverses ; il s’explique tout d’abord par le nombre de victimes (près de 3000),
ce qui en fait l’attentat le plus meurtrier de l’histoire du terrorisme. Ensuite, il s’explique par
les symboles mobilisés lors de cette attaque : le suicide de l’équipe, le détournement d’avions,
alors considérés comme le symbole de la nouvelle mondialisation. Les cibles, les deux tours
jumelles du World Trade Center en plein cœur de Manhattan, et le Pentagone sont elles aussi
chargées symboliquement puisque les pouvoirs économique, militaire et politique de l’Etat
américain sont touchés.
Les réactions disproportionnées prises par le gouvernement Bush et la déclaration de guerre à
l’Axe du Mal participent elles aussi du succès de cette opération, puisque dans sa hâte, le
gouvernement américain a organisé une rupture avec le monde arabo-musulman, qui permet à
Al Qaïda de se poser en champion et en martyr de la lutte contre un Occident impérialiste. La
violente répression mise en place par la coalition occidentale est donc venue légitimer le
recours aux armes et l’appui d’une partie du monde musulman à Al Qaïda. La mouvance
djihadiste, dont Al Qaïda continue de représenter le fer de lance, sait également manier à la
perfection les technologies de l’information et de la communication, et faire usage des
médias, amplifiant à l’extrême toute menace et participant de la généralisation de la Terreur.
Al Qaïda s’est posé en champion et en martyr de la lutte face aux Occidentaux
Les mutations de la guerre irrégulière que nous venons de relayer ont pour effet de changer sa
nature et la manière dont on doit l’appréhender. Les puissances occidentales n’ont pas encore
complètement perçu ce changement ; aujourd’hui, la guerre irrégulière repose essentiellement
27
Philippe MIGAUX, « Le terrorisme islamiste : idéologies, acteurs et menaces », in CHALIAND Gérard, Les
guerres irrégulières XXe-XXIe siècle, Paris, Folio Actuel (Coll. « Inédits »), 2008
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sur la légitimité. Elle est le nouveau nerf de la guerre et les efforts à fournir en ce sens,
impliquent un changement paradigmatique de la pensée militaire occidentale.
La légitimité ne peut, bien entendu, assurer la victoire à elle seule mais elle autorise cette
probabilité, ce que son absence ne permet pas. Les conflits irréguliers ayant pour particularité
d’intégrer totalement la population, en tant qu’enjeu mais aussi espace de lutte, la perception
que cette dernière développe à l’encontre des belligérants est cruciale.
Nous reviendrons tout au long de notre étude sur l’importance de cette légitimité et nous
expliciterons ce qu’elle recouvre, mais nous pouvons affirmer que celle-ci est à la fois un prérequis et un enjeu. Selon Le Petit Larousse, la légitimité est « la qualité d’un pouvoir d’être
conforme aux croyances des gouvernés quant à ses origines et à ses formes ». Nous pouvons
également ajouter « qu’au sens sociologique, la légitimité est un accord tacite subjectif et
consensuel axé selon des critères éthiques et de mérite quant au bien-fondé existentiel d'une
action humaine. »28
C’est donc un processus qui prend place dans le temps long des conflits irréguliers, elle n’est
pas seulement une déclaration d’intention préalable ou le résultat de l’aval des institutions.
Chaque action, chaque opération aura pour effet d’influer sur la légitimité d’un belligérant et
donc sur celle de son adversaire par effet de balance.
28
Définition de la légitimité donnée par Wikipédia.
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PARTIE II
Quand l’Occident refuse de se remettre en cause…
Au regard des mutations que nous avons évoquées, de la nature changeante de la lutte
irrégulière, il importe que les puissances occidentales soient en mesure de faire évoluer leur
doctrine. La force militaire, bien qu’instrument indispensable à tout conflit prend ici un sens
restrictif, qui va à rebours des doctrines stratégiques issues de la guerre industrielle. C’est l’un
des grands paradoxes militaires de ce temps, que d’avoir des puissances militaires
hégémoniques à l’échelle mondiale, mais dont le potentiel ne pourra jamais être mobilisé lors
de ces conflits. La solution doit donc être recherchée dans d’autres domaines, et comme nous
l’avons dit en soulignant la nouvelle importance de la légitimité des interventions, le caractère
politique de la lutte atteint ici son paroxysme. David Galula29 l’avait déjà souligné au sortir de
la guerre d’Algérie, les conflits irréguliers sont par essence et avant tout politiques, il importe
que la solution le soit également.
Cette intervention du politique ne doit pas seulement venir conclure le conflit en posant les
termes de la reddition ou de la future paix, c’est d’un processus politique qu’il s’agit, avec une
véritable stratégie élaborée sur le long terme intervenant en amont et en aval du conflit. Il
importe pour cela de se défaire de l’ethnocentrisme occidental qui a trop longtemps
caractérisé nos relations internationales pour prendre en compte la diversité des points de vue
et des situations sur la scène internationale.
Malgré l’urgence de la situation, les puissances occidentales présentent des difficultés à
repenser leur doctrine et leur interventionnisme, ce qui constituerait en soi une véritable
révolution au regard de l’évolution de ces dernières décennies. Surpuissantes militairement,
sans ennemi directement déclaré à l’échelle internationale, les puissances occidentales
cherchent encore à récolter les dividendes de la paix, l’effort que demande une réorientation
de cette ampleur peut paraitre démesuré à certains.
De plus en plus d’auteurs se montrent ainsi très critiques quant aux chances de l’Occident de
l’emporter face à des ennemis irréguliers non déclarés.
29
David GALULA, Contre-insurrection. Théorie et pratique, Paris, Economica (Coll « Stratégie et doctrines »),
2008, 213 pages.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse
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PARTIE II
30
Les conflits irréguliers
2013 - 2014
I - Les errements de l’interventionnisme occidental
Nous avons évoqué lors de notre première partie le ressentiment qui accompagnait
l’interventionnisme occidental dans les pays du Sud, et la possibilité pour ces opérations de se
transformer en véritable conflit irrégulier. Sans préjuger davantage du bien-fondé de ce droit
d’ingérence, nous aimerions maintenant évoquer dans cette partie les principales erreurs des
gouvernements démocratiques dans la définition du cadre de leurs interventions. Elles
témoignent encore une fois de l’incompréhension qui entoure cette notion d’irrégularité et ont
pour effet d’affaiblir la légitimité des démocraties occidentales dès les premiers instants du
conflit, et ce pour une durée plus ou moins longue.
A. L’intervention pour les sondages
Une tendance lourde de ces dernières années voudrait que les présidents des démocraties
occidentales, contestés à l’intérieur de leurs frontières et en perte de soutien populaire,
cherchent à « redorer » leur image par des interventions extérieures dans des pays du Sud.
Une intervention rapide et stabilisatrice dans un pays présenté comme chaotique bénéficierait
à l’image de ces hommes politiques, « capables de prendre de graves décisions et d’engager la
responsabilité de leur pays à l’international ».
Si la réussite d’une telle intervention est possible et souhaitable, elle constitue davantage
l’exception que la règle. Dans la grande majorité des cas, l’intervention sera longue, coûteuse
et au lieu de la stabilisation attendue, cette dernière bouleversera des équilibres régionaux
fragiles. L’image du pays intervenant, tout d’abord favorable, finira par s’émousser avec sa
capacité à assurer la stabilisation du pays. Dans le plus probable des cas, le même président
qui s’était avancé seul en jurant de ses capacités, réclamera l’appui d’une coalition d’états ou
directement celui des Nations Unies, une fois que la situation lui aura échappé.
Les bénéfices attendus dans les sondages nationaux ne seront également que temporaires car
très vite, l’opinion publique se lassera de cette intervention qui s’étire dans la durée, des
pertes occidentales et de la pression exercée sur les finances nationales.
Au final, l’intervention extérieure, lorsqu’elle est décidée dans un tel contexte, constitue
davantage un pari. Un pari dont les chances de succès paraissent bien minces ; comment lutter
efficacement lorsque les tenants et aboutissants de la situation à traiter ne sont pas connus,
lorsque le pays intervient seul sans le consentement international. Il est également impossible
de prévoir les profonds bouleversements que cette action occasionnera à une échelle
régionale. Ce type de réaction contribue à la stigmatisation d’un camp occidental
« impérialiste et méprisant » ne voyant dans les pays du Sud que des ressources dignes d’être
exploitées.
C’est donc bien souvent les irréguliers combattus qui profitent le plus grandement de ce type
d’interventions. Leur adversaire, partiellement délégitimé, ne connaissant pas le milieu dans
lequel il évolue, multiplie les erreurs. Il sert alors d’ennemi commun aux différents
mouvements irréguliers qui voient en lui un envahisseur.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Quand l’Occident refuse de se remettre en cause…
31
Les conflits irréguliers
2013 - 2014
B. Des concepts occidentaux tronqués
Face à ce phénomène irrégulier, les Etats occidentaux ne savent pas comment réagir. Ils ont
tendance à appréhender toutes les formes de lutte irrégulière comme un ensemble homogène,
comme lors de la Guerre Froide (où tous les mouvements nationaux de libération étaient
immédiatement catégorisés comme communistes). Ces mouvements constitueraient, dans
l’imaginaire occidental, une organisation criminelle et militaire globale, avec pour principal
objectif de mettre à bas leur mode de vie. Hier communiste, aujourd’hui islamiste, ce front
irrégulier représenterait donc une menace directe pour le monde occidental.
L’absurdité d’un tel raisonnement prêterait à sourire s’il n’était pas aussi lourd de
conséquences. Qu’on le veuille ou non, certaines personnes se laissent aisément convaincre
par ce type de raccourcis logiques, au point que l’on réactualise aujourd’hui la logique des
blocs, ou pire celle de la confrontation des civilisations. Dans ce registre, où la victoire ne
peut venir que de l’annihilation du bloc adverse, la solution militaire a tendance à prévaloir au
détriment du dialogue et de la négociation.
1. L’image d’un Grand Occident, cible idéale des irréguliers
Depuis les évènements du 11 septembre 2001, le terrorisme islamiste international a pris une
importance considérable en tant que matrice et foyer de nombreux mouvements irréguliers.
Ces mouvements irréguliers ont en commun, outre leur interprétation rigoriste de l’islam, le
rejet de l’impérialisme occidental et de son style de vie, jugé décadent.
Exacerbée par les irréguliers et par certains penseurs ou hommes politiques occidentaux, cette
rhétorique amène à superposer une dimension culturelle à des conflits irréguliers. De là, il n’y
a plus qu’un pas avant de présenter cette nouvelle opposition sous les traits d’un « Choc des
civilisations », pour reprendre un ouvrage célèbre30. Ce choc des civilisations, tant fantasmé
par les extrémistes des deux bords, veut présenter le conflit comme inéluctable, au regard des
valeurs fondamentalement opposées des deux camps.
Par extension, ces mêmes extrémistes prêtent à toutes les parties constituant l’ensemble
adverse, les mêmes caractéristiques ; ils homogénéisent l’adversaire en lui appliquant des
stéréotypes, (« les musulmans sont des terroristes », « les occidentaux sont des
impérialistes »). Ce qui n’est pas sans conséquence à l’occasion d’un conflit irrégulier, dont
l’enjeu est la légitimité.
D’où la crainte exprimée dans ces lignes de voir le camp occidental se solidifier autour d’un
Grand Occident, qu’il soit culturel, économique ou militaire. Toute formation visant à
homogénéiser le monde occidental ne peut qu’être utilisé aux dépends de ce dernier lors d’un
conflit irrégulier. Car la partie prenante au conflit sera toujours assimilée à l’ensemble auquel
elle appartient et héritera de tous les stéréotypes qui lui sont attachés. Au final, l’adversaire
30
Samuel P. HUNTINGTON, Le choc des civilisations, Odile Jacob, 2000, 545 pages
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Quand l’Occident refuse de se remettre en cause…
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Les conflits irréguliers
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irrégulier n’aura qu’à utiliser cette intégration pour délégitimer le pays intervenant aux yeux
d’une partie de l’opinion publique.
Si le souhait exprimé par les militaires occidentaux d’une intégration plus poussée peut être
entendu au sens où le recours croissant à des coalitions d’acteurs oblige à une meilleure
coordination, il faut également prendre en compte les risques d’une telle démarche. La
multiplication d’acteurs indépendants est peut-être même préférable dans certains cas (ainsi
en est-il de l’Union Européenne et de ses membres, qui doivent servir de contrepoids à la
domination anglo-saxonne sur les relations internationales).
2. Des concepts juridiques inadaptés
Dernière erreur de jugement que font souvent les démocraties occidentales engagées dans des
conflits irréguliers : la diabolisation de l’adversaire. Nous ne le répèterons jamais assez, la
guerre irrégulière est essentiellement une guerre de perceptions, elle fait donc une large place
à la légitimité des belligérants. Or, les démocraties occidentales tendent à justifier leurs
interventions par le droit humanitaire et la diabolisation de leurs adversaires. On se souvient
de l’Axe du Mal décrit par Georges W. Bush ou du terme « terroriste » accolé bien souvent à
tous les mouvements contraires aux intérêts des puissances occidentales. Cette diabolisation
de l’adversaire n’est pas sans conséquence sur la conduite de la guerre elle-même. En
présentant un camp comme celui du « mal absolu », on amène les populations qui croient
alors en la volonté d’annihilation du camp « malfaisant », à soutenir l’intervention.
Cette rhétorique s’appuie sur des théories biaisées, celles de la guerre juste où le conflit est dit
légitime seulement dans certaines conditions. En invoquant le non-respect de certains
principes par l’adversaire irrégulier, les états occidentaux tentent de promouvoir leur
intervention. En effet, selon la logique défendue, face à un adversaire ne respectant plus aucun
principe ni morale, il en va de la sécurité collective d’intervenir pour mettre cet adversaire
hors d’état de nuire. C’est ce type de raisonnement qui est sollicité par les démocraties
occidentales.
Or, comme le dit Herfried Münkler31, « dans tous les cas, les théories de la guerre juste
distribuent la justice et l’injustice de manière radicalement inégale : alors que tous les droits
sont attribués à l’une des parties, ces derniers sont niés à l’autre partie. La guerre n’est pas
considérée comme une lutte entre parties égales, mais comme une application du droit ou de
la justice par la force ». Nous pouvons dire alors que la théorie de la guerre juste est
injustement biaisée en faveur des acteurs les plus forts.
Il est d’autant plus compliqué dès lors de présenter des objectifs de victoire limités, de faire
valoir le jeu des alliances démocratiques avec les ennemis d’hier au lieu de l’annihilation
complète (de toute façon, compliquée à mettre en place au regard du droit international). En
clair, les populations favorables à l’intervention se sentiront trahies lorsque le pays
intervenant, ne pouvant (ou ne voulant) pas venir à bout des ennemis initiaux (présentés
31
Cité dans Jean Marc FLUKIGER, Guerres nouvelles et théorie de la guerre juste, Infolio (Coll. « Illico »),
2011
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Quand l’Occident refuse de se remettre en cause…
33
Les conflits irréguliers
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jusqu’alors comme « diaboliques »), choisira de les intégrer au jeu démocratique pour les
désarmer. Après avoir criminalisé les adversaires irréguliers, comment justifier auprès des
opinions publiques internationales les négociations où prendront place les « terroristes » ?
Pour l’image des démocraties occidentales, le discours autour de la guerre juste pourrait
occasionner un coup sévère, celui de renier ses engagements et d’abandonner ses alliés
locaux.
La référence au droit est également constante dans la rhétorique légitimatrice des démocraties
occidentales, or le droit ne reconnait pas l’existence de combattants irréguliers. Deux
solutions peuvent alors s’exprimer : soit le droit du pays intervenant les assimile à de simples
criminels de droit commun et les juge en tant que tels ; soit, comme c’est le cas aux EtatsUnis, des catégories juridiques sont créées afin d’échapper au droit humanitaire international
et aux conventions de Genève, avec à la clé, des exactions et des condamnations
internationales.
Dans les deux cas, l’absence de référence juridique au statut de combattant irrégulier est un
problème pour les démocraties occidentales qui doivent y faire face. Les irréguliers refuseront
de se considérer comme criminels de droit commun (exemple des soldats de l’IRA), et les
mauvais traitements qui leur seront infligés participeront directement de la perte de légitimité
des démocraties occidentales belligérantes (Guantanamo pour les Etats-Unis).
A gauche, « Blanket Protest » des prisonniers de l’IRA (refus de passer l’uniforme des
détenus et réclamation d’un statut de prisonnier politique). A droite, Guantanamo et le refus
de se plier aux exigences du Droit International.
La seule solution pour les démocraties occidentales est de considérer la question des
combattants irréguliers en fonction du rôle qu’ils auront à jouer dans la société une fois la
guerre terminée. C’est seulement ainsi que sera résolue la question de leur traitement.
Dès lors, à la suite de Jean Jacques Roche32, nous pouvons estimer préférable de considérer
chaque intervention occidentale du point de vue d’un enlisement probable, et des conditions
de sortie acceptables qui devraient permettre aux populations de cohabiter pacifiquement.
32
Jean Jacques ROCHE, « La société civile et la guerre », in CHALMIN Stéphane (Dir.), Gagner une guerre
aujourd’hui ?, Paris, Economica (Coll. « Stratégie et doctrines »), 2013
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Ainsi, la théorie de la guerre juste devrait laisser sa place à celle de la « paix juste », censée
garantir une cohabitation pacifique entre communautés.
Les cadres d’analyse, dans lesquels les démocraties occidentales sont amenées à penser leurs
interventions, ne sont pas adaptés au type de conflit qui nous intéresse. Nous verrons par la
suite que ce constat peut manifestement s’étendre à la conduite même des conflits irréguliers.
Pour cela, nous évoquerons un certain courant d’auteurs, pour qui l’Occident n’a actuellement
ni les moyens, ni la volonté suffisante pour s’imposer face à un adversaire irrégulier.
II - L’Occident peut-il encore gagner un conflit irrégulier ?
D’après ce que nous venons de voir, il convient de s’interroger sur les chances objectives de
l’Occident de l’emporter dans ce type de conflit. Compte tenu des faiblesses intrinsèques aux
démocraties occidentales et de leur incapacité à comprendre le phénomène irrégulier, le
pessimisme est de rigueur.
Grâce aux statistiques de Ivan Arreguin-Toft33, nous savons désormais que les acteurs
puissants ont, au fil du temps, perdu de plus en plus souvent les conflits irréguliers. Au point
que, selon ces mêmes statistiques, l’adversaire irrégulier usant de méthodes indirectes, aurait
aujourd’hui, trois fois plus de chances de l’emporter que le fort.
Partant du postulat qu’un conflit irrégulier tourne rarement en faveur de l’acteur
objectivement le plus puissant, certains auteurs se sont interrogés sur ce qui faisait
cruellement défaut aux démocraties occidentales dans ce type de conflit. Nous relaterons ici
quelques unes de leurs observations.
A. Des difficultés à faire valoir sa légitimité politique sur les théâtres
d’intervention
L’une de leurs premières observations tient à la difficulté de prendre en compte l’unicité du
théâtre d’opération dans lequel les démocraties occidentales interviennent. Celles-ci devraient
en effet privilégier l’étude des données susceptibles de leur assurer le maximum de légitimité
politique. Cette étude impose un processus, de plus ou moins long terme, en amont de la
décision d’intervention, afin de bien connaître le futur théâtre d’opération dans ses dimensions
culturelles et politiques, démographiques et géographiques.
Nous reprendrons ici l’essentiel des idées avancées par François Cailleteau dans son ouvrage
Guerres Inutiles ? 34. Avec ce titre, pour le moins évocateur, l’auteur cherche à pointer du
doigt les difficultés, pour les démocraties occidentales, à faire valoir leur légitimité sur les
théâtres d’intervention. Pour étayer sa thèse, il évoque les nombreuses conditions nécessaires
33
Ivan ARREGUIN-TOFT, How the Weak Wins Wars, Cambridge university Press, 2008, 274 pages.
34
François CAILLETEAU, Guerres inutiles ?, Paris, Economica (Coll. « Stratégie et doctrines »), 2011, 144
pages.
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35
Les conflits irréguliers
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à l’émergence et au développement d’une certaine légitimité, conditions qui, selon lui, font
cruellement défaut aux interventions occidentales contemporaines.
L’auteur s’intéresse tout d’abord à la probabilité objective de ralliement de la population à
l’action des forces intervenantes. Ce processus doit passer par l’étude des populations, il s’agit
de connaitre leurs caractéristiques et d’adapter son discours politique en conséquence. Les
données ethnographiques se révèlent en ce sens cruciales ; comme le soulignait le maréchal
Gallieni, « un officier qui réussit à dresser une carte ethnographique suffisamment exacte de
sa zone est bien près d’en avoir obtenu la pacification complète ».
Il faut également s’assurer de la disponibilité immédiate et future des moyens nécessaires à ce
ralliement. Les guerres irrégulières s’inscrivant dans la durée, il est nécessaire de prévoir la
mobilisation d’importantes ressources. Les opinions publiques doivent également soutenir
l’intervention dans la durée, elles ne doivent pas faire pression sur les gouvernements pour
entrainer le retrait des troupes, ce qui serait interprété comme un échec.
A propos du conflit lui-même, François Cailleteau énonce un certain nombre de données à
considérer, parmi lesquelles nous pouvons citer le caractère indigène ou non de la force
principale de lutte contre l’irrégulier, la légitimité d’une force non-indigène étant plus limitée
et ayant pour effet pervers d’affaiblir la cause des opposants locaux aux irréguliers. La
solution pourrait venir d’un soutien indirect de la part des démocraties occidentales, à travers
le financement par exemple. Mais, ce soutien signifierait également une perte de contrôle
importante de ce qui se passe réellement sur le terrain.
La démographie et la géographie sont également à prendre en compte. Une population
nombreuse nécessite en effet des forces déployées, capables de quadriller et contrôler un
territoire. Pierre Pagney35 évoque ainsi un ratio minimal forces armées/population (qui sera
évoqué un peu plus loin) pour espérer une victoire de la force intervenante, en se basant sur
des exemples historiques. Dans le contexte actuel de réduction des effectifs militaires des
forces occidentales, cette condition semble plus que compromise.
De même, plus le pays est étendu et accidenté ou difficile d’accès, et plus les forces
irrégulières pourront bénéficier de sanctuaires en cas d’insuffisance de troupes. Les
concentrations urbaines ne doivent pas non plus être négligées, elles rendent difficile l’usage
de la force et un contrôle strict de la population, les mégalopoles actuelles de plusieurs
millions d’habitants rendant toutes perspectives de contrôle désuètes.
Enfin, les démocraties occidentales doivent s’intéresser à la situation politique du pays,
situation à la base de l’insurrection. Les valeurs défendues par les irréguliers peuvent-elles
être reprises par la puissance intervenante afin d’endiguer le soutien de la population, ou
non ? L’auteur nous rappelle à juste titre que toute action dans la lutte irrégulière doit
s’accompagner de réformes politiques visant à l’amélioration des conditions de vie et de
gouvernance des populations. Mais il faut ici s’intéresser plus particulièrement au socle
35
Pierre PAGNEY, Les guerres de partisans et les nouveaux conflits, Paris, Economica (Coll. « Guerres et
guerriers »), 2013, 168 pages
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Les conflits irréguliers
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politique sur lequel se base la frustration des populations. Est-il possible pour la force
intervenante de s’attaquer à ces profondes revendications qui conditionnent le conflit ?
Certaines d’entre elles sont malheureusement difficilement négociables (création d’un nouvel
état, sécession,…), réduisant les modalités d’action de la puissance intervenante.
Avec toutes ces difficultés et au regard des exemples contemporains de conflits irréguliers,
nous comprenons un peu mieux le pessimisme de l’auteur. Il a pourtant raison, ces conditions
sont essentielles à la conduite d’un conflit irrégulier mais aussi difficilement réalisables pour
une démocratie occidentale dont les intérêts vitaux ne sont pas en jeu.
Les puissances occidentales ne réalisent pas ces études préalables, leurs décisions
d’intervention ne s’inscrivent d’ailleurs que rarement dans délai suffisamment long pour
permettre ces analyses. L’urgence motive certaines interventions et les troupes arrivent
démunies sur les théâtres d’opérations. Les démocraties considèrent encore pouvoir gérer ces
conflits selon des modèles préétablis, alors que chaque situation est unique et nécessite des
stratégies adaptées. Pour l’Occident, qui peine à s’approprier les ressorts de la guerre
irrégulière, la force doit permettre de pallier aux nombreux déficits de son action. Ce mode de
pensée pouvait certainement s’appliquer aux conflits précédents, où la légitimité d’une
intervention n’était même pas prise en compte, mais la situation a évolué. La guerre
irrégulière demande des efforts particuliers auxquels les démocraties doivent se plier si elles
veulent inverser la tendance victorieuse des irréguliers.
B. Le pessimisme des auteurs occidentaux sur les chances de victoire
En conclusion de son ouvrage, François Cailleteau nous délivre sans détour son impression
quant à la probabilité que l’Occident gagne un conflit irrégulier ; pour lui, cette victoire est
impensable et pour trois raisons, que nous trouverons au centre du pessimisme de nombre
d’auteurs.
La première raison est l’essor démographique très important que connaissent les sociétés du
Sud les moins stables. On peut difficilement imaginer l’effort que demanderaient le
quadrillage et le contrôle d’une mégalopole de plusieurs dizaines de millions d’habitants
comme Le Caire.
Deuxièmement, les sociétés occidentales ont tendance depuis quelques années à
considérablement réduire leurs effectifs militaires pour cause de déficit budgétaire et de crise
économique. Pour reprendre un exemple tiré de l’ouvrage de Pierre Pagney, la guerre
d’Algérie a mobilisé près de 500 000 soldats français pour une population d’environ 10
millions d’habitants. Aujourd’hui, avec quatre fois moins d’effectifs, on se propose de
contrôler des territoires contenant plusieurs dizaines de millions d’habitants.
Et le Général Vincent Desportes de rajouter : « L’histoire montre en effet sans ambigüité
qu’aucune contre-insurrection ne peut être victorieuse sans un déploiement de forces sur le
terrain qui atteigne 4 à 5 % de la population concernée et que, même lorsque ce ratio est
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Quand l’Occident refuse de se remettre en cause…
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Les conflits irréguliers
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atteint (Algérie, Vietnam), le succès n’est pas assuré. Et qui pourrait aujourd’hui engager les 4
à 500 000 hommes qui ont été déployés sur ces théâtres ? »36
Enfin, l’auteur cite l’extrême médiatisation entourant les opérations extérieures des
démocraties occidentales. Chaque action entreprise peut ainsi être relayée partout dans le
monde, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, rendant le
secret de plus en plus difficile. D’où l’importance de la maitrise de la force par les armées
intervenantes, les opinions publiques occidentales se montrant de plus en plus sensibles aux
pertes humaines (des soldats occidentaux, comme des populations locales).
Devant tant de difficultés et des statistiques aussi défavorables, un certain nombre d’auteurs
ont pris le parti de s’opposer à toute intervention extérieure et à toutes les situations pouvant
mener à des conflits irréguliers, tant que les intérêts vitaux des états occidentaux ne sont pas
en jeu.
Leur constat est en effet sans appel, l’interventionnisme de ces puissances est perçu comme de
l’impérialisme par les autres acteurs du système et les troupes sont accueillies comme des
envahisseurs. Loin de récolter les dividendes de la paix, on assiste à la délégitimation des
puissances occidentales.
Dans un contexte actuel marqué tout à la fois par une crise économique et une crise de
conscience des opinions occidentales, il est de plus en plus difficile de faire accepter aux
populations l’intervention de leurs forces armées. Plus fondamentalement, à la question:
« l’enjeu vaut-il les sacrifices économiques et humains consentis ? », la réponse apparait de
plus en plus négative à la majorité des populations.
Depuis les déconvenues de l’armée américaine en Irak et les difficultés de la coalition en
Afghanistan, une frange non négligeable d’auteurs s’intéressant à ce type de conflits,
envisagent avec un certain fatalisme, l’inéluctable défaite des démocraties occidentales dans
la lutte irrégulière.
Il en est ainsi de John McKinlay37 qui voit dans l’échec des interventions post-Guerre Froide
un ensemble de raisons qui lui apparaissent à l’heure actuelle, comme un handicap
insurmontable. Il évoque notamment le besoin de programmes massifs de reconstruction
d’infrastructures par une multitude d’agences civiles, en plus des objectifs militaires. Il craint
également la forte probabilité d’un rejet culturel et d’une résistance armée ou encore, la perte
de contrôle des opérations, avec la nécessité de donner au pays d’accueil la responsabilité de
la campagne au niveau opérationnel. Cet ensemble de raisons l’amène à considérer les guerres
irrégulières comme d’hasardeuses aventures bien trop couteuses, humainement et
financièrement. D’où son conseil final, celui de recentrer la lutte autour de la défense des
intérêts nationaux.
36
Vincent DESPORTES, « Préambule », in CHALMIN Stéphane, Gagner une guerre aujourd’hui ?, op.cit.
37
John McKinlay, « Placer la sécurité nationale avant les campagnes expéditionnaires », in MALIS Christian,
STRACHAN Hew et DANET Didier (Dir.), La guerre irrégulière, op. cit.
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Toutefois, il serait réducteur de s’en tenir au pessimisme de ces auteurs. Face aux formidables
capacités d’adaptation des irréguliers qui ont su transformer toutes les interventions
occidentales en un probable piège, il existe une solution : celle de repenser la doctrine
d’emploi des forces occidentales. Face au défi posé par les irréguliers, les puissances
occidentales ont les ressources pour s’adapter, encore faut-il qu’elles prennent la bonne
direction.
III - L’échec de la RAM dans les conflits irréguliers.
L’enlisement, connu par les armées occidentales en Irak et en Afghanistan, a conduit à une
remise en cause de la puissance et de ses moyens d’action classiques. Le débat initié aux
Etats-Unis et poursuivi dans tous les pays occidentaux, autour de ce que l’on a appelé la
Révolution dans les Affaires Militaires (RAM), révèle en ce sens le décalage existant entre la
réalité concrète des conflits de demain et celle fantasmée par les décideurs stratégiques
occidentaux. La guerre irrégulière ne peut pas être appréhendée selon le modèle classique de
la confrontation technique entre deux arsenaux. L’importance des capacités techniques
s’efface dans ce type de conflit face à la substance et la volonté politique des belligérants.
A. La Révolution dans les Affaires Militaires
Au sortir de la Guerre Froide, nombreux sont les auteurs et penseurs à tenter de prophétiser ce
que sera l’avenir du monde et ce qu’il adviendra du « moteur de l’Histoire », la guerre. Selon
eux38, le développement des connaissances dans les sociétés occidentales conduirait ces
dernières vers une civilisation du « savoir ». L’art militaire de ces pays en serait
profondément transformé en faveur de la haute technologie, notamment dans le secteur de
l’information et de la maitrise des pertes humaines.
Les auteurs appuient leurs thèses sur un contexte particulier, celui de la multiplication des
guerres infra étatiques et l’absence durable de conflits dans les sociétés occidentales. Comme
nous l’avons déjà vu, cette situation a participé de l’évolution des mentalités occidentales où
la préservation de la vie humaine est devenue une priorité dans tous les domaines.
L’importance de la médiatisation des opérations extérieures, elles-mêmes se multipliant sous
l’impulsion de l’ONU, a également imposé le contrôle de l’information comme une des
nouvelles clés de la stratégie des Etats occidentaux.
Ces analyses, relayées au niveau des décideurs politiques et militaires, vont avoir un impact
important puisqu’elles seront à l’origine d’une doctrine, la Révolution dans les Affaires
Militaires (RAM).
38
Alvin et Heidi TOFFLER, Samuel P. HUNTINGTON, Bernard LAVARINI. Tous ces auteurs sont cités au
sein du rapport d’étude de LEONE et PONTAILLER Pascal, « La guerre sans mort », Enseignement militaire
supérieur du 2ème degré, Délégation Générale pour l’Armement, mars 1998.
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Les conflits irréguliers
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Dès ses débuts, la doctrine a divisé les observateurs et engendré des débats passionnés. Nous
pouvons faire reposer la RAM sur trois piliers : la précision, la détection et la communication,
tous trois ayant pour caractéristique commune de faire appel aux plus hautes technologies.
En ce qui concerne la précision, l’objectif est d’appliquer à l’ennemi les principes de
proportionnalité et de discrimination, réduisant considérablement de fait les « dommages
collatéraux ». De même, cette précision supérieure est censée placer les forces dans une
position idéale, à distance de sécurité des frappes adverses qui, elles, resteraient vulnérables.
Outre l’avantage militaire conféré par cette précision supérieure, celle-ci s’intègre
parfaitement dans « l’air du temps » et devrait contenter les opinions publiques par
l’économie de vies humaines qu’elle préconise.
La haute technologie devrait aussi être capable de dissiper le « brouillard de la guerre », selon
l’expression chère à Clausewitz, à travers de nouveaux systèmes d’acquisition de
l’information, une détection améliorée renforçant également les avancées réalisées dans le
domaine de la précision.
Enfin, la communication ne devrait pas être en reste, les progrès technologiques réalisés ces
dernières années permettant d’imaginer un traitement de l’information en temps réel et la
possibilité de frappes et réactions simultanées à l’échelle d’un théâtre d’opération. Le contrôle
de l’information apparait ainsi prépondérant sur le champ de bataille moderne.
A terme, cette doctrine prévoit l’utilisation de robots (à mettre en parallèle avec le
développement actuel des drones), d’armes intelligentes et d’armes non létales. Nous voyons
donc bien le souci permanent de cette doctrine d’épargner le plus possible de vies humaines
grâce à une maitrise toujours plus pointue de la technologie. Aujourd’hui, seuls les états
occidentaux, et encore, peut-être même seuls les Etats-Unis, sont en mesure d’y souscrire
totalement au vu des coûts élevés que cette Transformation nécessite (du nom de la doctrine
opérationnelle initiée par Donald Rumsfeld39 et qui s’appuie en grande partie sur les théories
de la RAM).
Confrontées à l’épreuve des faits lors de la Seconde Guerre du Golfe, la nouvelle doctrine est
pourtant loin d’avoir fait ses preuves. Si elle s’est montrée d’une efficacité tout à fait
redoutable face à une armée étatique classique acceptant le choc frontal, elle se révéla en
revanche très limitée à l’occasion du conflit irrégulier qui s’en suivit.
Car, comme le dit Etienne de Durand40 : « Que valent une précision absolue et un traitement
en temps réel de l’information s’il n’y a pas de cible ? ».
39
Donald Rumsfeld a été le très polémique secrétaire à la Défense des Etats-Unis de 2001 à 2006 (date de sa
démission). Son action a été notamment très critiquée à l’occasion de l’intervention en Irak.
40
Étienne DE DURAND, « Révolution dans les affaires militaires », Hérodote 2/ 2003 (N°109), p. 57-70
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Quand l’Occident refuse de se remettre en cause…
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Les conflits irréguliers
2013 - 2014
B. La toute puissance militaire, ou l’impuissance politique.
Issue d’une culture militaire particulière, fondée sur l’idée de la toute puissance technologique
et une dimension essentiellement technique de la guerre, la RAM relève plus du fantasme
stratégique : celui d’imposer à l’ennemi le type et les conditions de guerre qui nous
avantagent le plus. Fondé sur l’émergence et la compétition avec une autre probable
superpuissance, ce modèle se trouve inadapté dans le cadre des conflits irréguliers. Les
irréguliers ne chercheront pas ce type de confrontation mais tenteront au contraire de
retourner les avantages comparatifs de leurs adversaires contre eux. Ainsi en est-il de la
puissance destructrice et mortifère des forces occidentales, immédiatement exploitées
médiatiquement pas les irréguliers pour délégitimer ce recours.
Après avoir si longtemps contribué à éloigner la politique de la conduite des conflits, la
technique en est venue, à travers cette doctrine, à se penser comme une fin en soi. La
technologie s’est faite stratégie, et la pertinence d’un tel choix s’est révélée limitée à
l’occasion des conflits contemporains (Irak, Afghanistan, Liban).
En effet, la technologie n’est pas en mesure aujourd’hui de permettre la maîtrise à distance du
théâtre d’opération. Relayer les forces terrestres au strict minimum et ne les employer que
sous forme de commandos apparaît réducteur, car le contrôle effectif de l’espace est une des
conditions de la stabilisation, et ne peut se faire que par des effectifs importants. Ce serait
ensuite négliger les facteurs moraux et psychologiques de ce type de conflit où l’Autre doit
être approché et sa culture appréhendée. La présence effective de troupes au sol constitue le
meilleur des apprentissages et permet une interaction avec les populations. La légitimité ne
saurait se construire sur une absence et sur le refus de l’engagement physique.
Plus important, compte tenu du type de conflits qui nous intéressent, la puissance militaire des
armées est à relativiser. Elle reste indispensable mais n’est plus l’instrument central de la
victoire. Il nous faut l’appréhender au sein d’un tout, d’une stratégie globale s’appuyant sur
divers secteurs. Les armées occidentales doivent donc repenser l’usage de cet instrument,
compte tenu des coûts astronomiques des équipements modernes et de leur faible pertinence
face à un ennemi évitant le choc direct. Le Général Vincent Desportes dit d’ailleurs : « Plus
l’adversaire s’écarte de la norme sur laquelle la force s’est traditionnellement fondée, plus il
se détourne de l’étalon de la puissance occidentale, plus cette dernière perd de sa pertinence.
On peut aujourd’hui aisément détruire, mais sans triompher, disposer d’une technologie
infiniment supérieure et ne pas gagner. […] L’écart s’accroit donc entre la puissance militaire
classique et les gains que l’on peut en attendre41. »
Plus généralement, il nous propose de repenser le modèle de la puissance des états.
Aujourd’hui, celle-ci ne peut plus entièrement reposer sur ses capacités militaires. Il ne s’agit
41
Vincent DESPORTES, La Guerre Probable. Penser autrement, op. cit., p 15.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Quand l’Occident refuse de se remettre en cause…
41
Les conflits irréguliers
2013 - 2014
plus d’imposer, mais de convaincre, l’outil militaire n’étant qu’un des moyens de cette
finalité. L’influence doit être revalorisée car elle accroit la légitimité des acteurs.
Face à cette évolution qui bouleverse la vision stratégique des états, il est tentant de fermer les
yeux. Nous comprenons aisément que pour des états ayant patiemment bâti un tel avantage
stratégique, le voir brutalement remis en cause, peut conduire à la frustration ou au déni.
Comme l’outil militaire accompagne bien souvent les mutations de la société dont il est issu,
c’est donc une transformation des modes de pensée qui doit toucher l’ensemble de la société,
avec d’inévitables conséquences économiques et sociales.
Cette évolution est d’autant plus nécessaire que les conflits irréguliers s’annoncent comme les
conflits probables de demain. Si l’Occident veut continuer à jouer un rôle prépondérant sur la
scène internationale, il doit lui-même être le moteur de ce changement. En démontrant ses
capacités d’adaptation, la prise en compte des divers points de vue internationaux, en
renonçant à l’usage systématique et unique de l’outil militaire au profit d’une vision politique
d’ensemble sur le long terme, l’Occident gagnera une légitimité qui lui fait actuellement
défaut.
Dans cette seconde partie, nous avons voulu montrer les incohérences et les maladresses de
l’Occident dans sa gestion des conflits irréguliers. Les puissances occidentales souffrent en
effet d’un déficit de légitimité important, qu’elles cherchent à combler par des références mal
avisées et par un recours massif à la force et à la technologie au détriment d’autres vecteurs
plus adaptés. Les difficultés rencontrées ces dernières années ont conduit à l’émergence d’un
courant pessimiste au sein même des états occidentaux, pour qui la guerre irrégulière mènerait
irrémédiablement à la défaite.
Bien qu’il nous faille souligner la pertinence des observations et recommandations des auteurs
pessimistes, nous sommes loin de partager leur constat final. Les démocraties occidentales ont
les capacités pour relever le défi imposé par les irréguliers, encore faut-il comprendre ce
phénomène et lui trouver les réponses adaptées.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Quand l’Occident refuse de se remettre en cause…
42
Les conflits irréguliers
2013 - 2014
Partie III
Les fondamentaux de la lutte irrégulière
Nous aborderons maintenant dans une troisième et dernière partie les principes de la lutte
irrégulière, ceux-là même qui définissent une stratégie d’actions face à un adversaire
irrégulier. L’exercice est périlleux, chaque conflit étant unique, chaque contexte bien
différent, beaucoup d’auteurs s’y refusent. Le but de cette partie n’est pas de proposer une
recette stratégique, qui garantirait le succès des armées occidentales sur les irréguliers. Nous
n’avons ni les compétences ni la prétention d’agir ainsi. Cette dernière partie s’inscrit dans
une démarche, celle de rendre plus compréhensible un phénomène complexe. Après avoir
exploré les mutations du phénomène qui nous intéresse et avoir relevé les principales erreurs
commises par les puissances occidentales dans le traitement de l’irrégularité, il nous semblait
opportun de relayer l’opinion de certains auteurs quant à la meilleure manière d’appréhender
la lutte irrégulière.
Il est toutefois possible que les principes que je serai amené à développer paraissent
redondants au lecteur. Des parties précédentes en effet, un certain nombre de principes ont
déjà pu être tirés, que ce soit de manière directe ou implicite. Mais face à la complexité du
thème qui nous intéresse, nous prenons le parti que la répétition de certains principes et leur
intégration au sein d’une approche originale ne peut qu’être salutaire.
La partie qui va suivre a donc également une portée illustrative. Par l’évocation de principes
de lutte et de certaines stratégies d’actions correspondantes, nous serons mieux à même de
comprendre le phénomène irrégulier et les difficultés éprouvées par les armées occidentales
dans la résolution des conflits actuels.
A l’image de ce que nous avons déjà réalisé dans les précédentes parties, nous assumerons un
certain parti pris, par la sélection de certains auteurs et le rejet d’autres. L’objectif étant
d’assurer une certaine cohérence entre toutes les parties de notre étude, nous ne pourrons
prétendre à l’exhaustivité. Le lecteur intéressé pourra trouver au sein de notre bibliographie,
un échantillon plus ou moins important des différentes approches stratégiques que nous
connaissons actuellement, et peut-être, certaines lui paraitront mieux adaptées à la résolution
du phénomène irrégulier que celle proposée ci-dessous.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Partie III
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Les conflits irréguliers
2013 - 2014
I - Principes et règles de la lutte irrégulière
L’objectif de ce chapitre est ambitieux, il s’agit de synthétiser les différentes approches de la
lutte irrégulière au sein d’un ensemble cohérent. Pour ce faire, il a fallu trouver à tous les
auteurs ce qui s’apparente le plus à un dénominateur commun, une base sur laquelle édifier
ensuite une stratégie d’actions. Ce n’est pas chose aisée compte tenu de l’abondance de la
littérature dans ce domaine. Tous les auteurs, ou presque, ont leurs propres principes, leurs
propres règles quant à la conduite des opérations en conflit irrégulier. Les plus grands noms se
sont prêtés à l’exercice ; Robert Thompson, David Galula, David Kilcullen, …etc. Tous les
principes énoncés, plus ou moins généraux, semblent pouvoir se ranger au sein de trois grands
ensembles42, qui sont, à nos yeux, le cœur d’une stratégie d’actions adaptée face à l’irrégulier.
A. Légitimité, adaptation et marginalisation
1. La légitimité de l’intervention
Définie comme « un accord tacite subjectif et consensuel axé selon des critères éthiques et de
mérite quant au bien-fondé existentiel d'une action humaine », la légitimité est le principe le
plus important de la lutte irrégulière, sur lequel reposent tous les autres. L’enjeu essentiel des
conflits irréguliers est, rappelons-le, d’influer et de maitriser les perceptions des opinions
publiques. Si celles-ci ne perçoivent pas l’un des belligérants comme légitime, c’est-à-dire
qu’elles ne se reconnaissent pas dans son action, qu’elles ne lui accordent pas le droit d’agir
en leurs noms, alors celui-ci a déjà perdu la guerre.
Cette légitimité suppose un travail politique approfondi et étendu dans le temps. Se
positionner comme un acteur politique légitime dans un conflit est très compliqué, d’autant
plus si l’un des acteurs n’appartient pas au même « monde » que l’opinion publique qu’il
prétend représenter ou qu’il souhaite mobiliser. Elle suppose donc que les acteurs soient prêts
à s’engager dans un conflit pour une durée suffisamment longue qu’elle leur permette de
récolter le fruit de leurs efforts de légitimation.
Dans un conflit, dont la solution est essentiellement politique, la légitimité apparait à la fois
comme un objectif et une ressource. On aurait ainsi tort de déconnecter la légitimité politique
d’un acteur de son pendant militaire. Toute action, armée ou non, doit prendre en compte ce
principe de légitimité. Les opérations doivent être pensées comme autant d’opportunités
d’acquérir plus de légitimité sur la scène locale et internationale, la sélection des cibles et leur
traitement doivent donc suivre cette logique.
Le champ médiatique est ici primordial et doit faire l’objet d’une attention toute particulière.
Il est l’instrument de la légitimité internationale. Alors que pour les populations du théâtre
42
Les trois grands principes cités sont repris aux auteurs Hervé DE COURREGES, Nicolas LE NEN, Emmanuel
GERMAIN, Principes de contre insurrection, Paris, Economica (Coll. « Stratégie et doctrines »), 2010, 128
pages.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
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Les conflits irréguliers
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d’opération, la légitimité doit se constater par l’impact des acteurs sur leur quotidien ; pour les
opinions publiques internationales, il en va autrement. Celles-ci sont dépendantes de certains
relais, en l’occurrence médiatiques (et de plus en plus de l’Internet). La maitrise du
cyberespace et de l’infosphère doit donc constituer un enjeu de lutte, la communication est
essentielle pour éviter que l’irrégulier ne monopolise cet outil. La communauté internationale
et les opinions publiques qui la composent sont des acteurs à part entière qu’il s’agit
également de convaincre de sa légitimité.
Ce constat nous renvoie à la gestion de la légitimité sur le plan national. Nous l’avons évoqué,
les opinions publiques occidentales se montrent de plus en plus frileuses face à la violence et
à la mort. Il faut donc que les pays intervenants soient capables de pouvoir mobiliser leurs
populations et de justifier auprès d’elles, la nécessité d’une intervention. Ceci demande une
véritable vision politique, qui s’appuie sur des objectifs clairs et limités, des objectifs
irréalisables nuiraient à la légitimité de l’acteur. Compte tenu des logiques de la guerre
irrégulière, il faut également s’assurer de pouvoir conserver cette mobilisation pour une durée
relativement longue.
C’est là qu’intervient notre deuxième grand principe : l’adaptation au contexte local. En effet,
à l’occasion de longues opérations en territoire étranger, il est indispensable que les forces
d’intervention ne soient pas considérées comme des troupes d’occupation. Elles doivent donc
s’adapter au contexte local du théâtre d’opération, il en va de la légitimité même de
l’opération.
2. L’adaptation au contexte local
Une adaptation réussie doit reposer premièrement sur un apprentissage de la culture locale.
Comprendre les normes d’une société est indispensable. Non seulement cette connaissance
permet une relative intégration au sein d’un tissu sociétal complexe, mais en plus, elle aide à
la compréhension des marges de manœuvre accordées aux belligérants. Chaque culture est
particulière, donc chaque action doit être adaptée à la culture du pays. Les forces occidentales
doivent donc faire un effort important pour apprendre à penser leurs stratégies d’opération
selon des critères culturels différents. L’exemple le plus couramment cité est celui de l’usage
de la force, la tolérance à la violence n’étant pas la même pour toutes les cultures.
Connaître la culture aura également un impact significatif sur la connaissance de l’adversaire
irrégulier. Il est plus facile d’appréhender les modes d’actions et les opérations d’un acteur si
l’on considère la culture comme autant de règles et normes qui finalement restreignent sa
liberté de penser, donc sa liberté d’actions.
L’objectif étant d’amener les populations à tolérer notre présence et à nous considérer comme
un acteur légitime, il faut à tout prix éviter de se couper des populations par une
méconnaissance ou un non-respect des us et coutumes locaux. Au contraire, pouvoir
communiquer dans la langue locale des populations, témoigner du respect pour leur culture,
ne peut qu’être bénéfique à la force d’intervention et favorisera son rapprochement avec les
populations et par voie de conséquence, l’échange d’informations.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
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Les conflits irréguliers
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Il s’agit également de pouvoir appréhender avec plus de clarté la situation politique locale.
Les luttes de pouvoir, les rivalités claniques, ethniques ou religieuses doivent être connues. Si
l’on en croit l’adage bien connu, il est possible de devenir l’ami de l’ennemi de son ennemi ;
instrumentaliser ces enjeux socio-culturels peut donc s’avérer productif, à condition
cependant de ne pas antagoniser la société en parties rivales sans possibilité future de
coopération. L’objectif de ce type de conflit pour les forces occidentales est d’amener une
certaine stabilisation, pas de provoquer une guerre civile. Ces enjeux doivent être pris très au
sérieux, favoriser telle faction peut, certes, s’avérer payant sur le court-terme, mais il faut
anticiper et imaginer les réactions de la société réunifiée, une fois notre intervention terminée.
Nous pouvons encore une fois citer l’exemple irakien, l’intervention anglo-saxonne a
bouleversé les équilibres politiques du pays entre les différentes confessions. Le régime
baasiste de Saddam Hussein s’appuyait essentiellement sur la minorité sunnite du pays,
organisant l’exclusion du pouvoir de la majorité chiite. Lors de l’intervention, les deux
confessions luttèrent à la fois entre elles et contre les intervenants occidentaux. Pour parvenir
à stabiliser cette situation de guerre civile, les américains organisèrent le ralliement des
milices sunnites, avec qui ils purent contenir les milices chiites. Au départ des troupes
américaines, et malgré le calme apparent, il restait en présence deux parties antagonistes
frustrées. Les chiites avaient espéré obtenir plus de pouvoir après des décennies de
persécutions, tandis que les sunnites regrettaient leur exclusion du pouvoir et craignaient les
représailles. Aussi, il n’a pas fallu longtemps pour que le conflit confessionnel reprenne, sous
la bannière cette fois-ci de l’Etat Islamique (EI), qui a su regrouper tous les sunnites déçus du
nouveau pouvoir et organiser la création de son « califat », avec les conséquences que l’on
connait aujourd’hui.
Démonstration de force de l’Etat Islamique, emmené par son « calife »
Abou Bakr Al-Baghdadi
Le constat reste également valable en cas de critères socio-économiques, manipuler les parties
d’un tout aussi complexe que les sociétés contemporaines, peut donc s’avérer dangereux, et
cette situation est d’autant plus vraie pour les pays du Sud où les sociétés sont relativement
jeunes…..
Pour toutes ces raisons, l’adaptation est une condition essentielle au choix d’une option
politique locale capable de mobiliser les populations face à l’adversaire irrégulier. Il est
important pour la légitimité d’une intervention de pouvoir déléguer au plus vite de plus en
plus de tâches aux pouvoirs locaux. Avec un allié politique local, le pouvoir intervenant
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
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pourra se tenir en retrait et ne plus focaliser la lutte autour de sa présence, ce qui permettra
l’émergence de nouveaux enjeux politiques plus à même d’être mobilisés par les forces
s’opposant aux irréguliers. Cette situation nécessite toutefois d’établir une relation de
confiance avec ces pouvoirs et de comprendre les enjeux politiques du conflit irrégulier. « Le
choix d’une option politique locale est une donnée de niveau stratégique fondée sur un
compromis entre des exigences de court-terme (l’appui à la lutte contre l’insurrection), et des
perspectives de long terme (la reconstruction d’une classe politique fiable)43. »
Le pouvoir local doit également pouvoir s’appuyer sur une force armée capable de rétablir le
monopole de la violence et stabiliser la société. Sa crédibilité et sa légitimité en dépendent, il
doit se montrer progressivement apte à s’opposer à toutes formes de violence sur son
territoire, premièrement avec l’appui de la force d’intervention mais à terme, seul. Pour cela,
la force armée locale doit se montrer adaptée aux besoins et aux conditions du théâtre
d’opération. Ainsi, il ne sert à rien de construire cette force sur le modèle de la puissance
d’intervention, le contexte d’utilisation n’étant pas le même. Nous avons vu précédemment
que les armées occidentales se trouvaient souvent mal adaptées face à ce type de conflit,
pourquoi donc calquer ce schéma défaillant au niveau local ? Au contraire, la force locale doit
davantage ressembler à l’adversaire irrégulier et se montrer aussi réactive que lui. Elle doit en
outre bénéficier de l’expérience de la puissance d’intervention acquise dans les premiers
temps de l’opération pour ne pas reproduire les mêmes erreurs et, surtout hériter des réseaux
de confiance et d’informations mis en place précédemment.
L’adaptation est seule capable de prendre en compte les attentes primordiales d’une
population donnée. Ces attentes devront ensuite être traduites politiquement pour espérer
obtenir la faveur des populations. A ce propos, Serge Duval et ses collaborateurs nous disent
ceci : « Ainsi, la population locale est en réaction face aux bienfaits que lui apportent les
acteurs de terrain tout comme aux erreurs politiques, stratégiques et tactiques qu’ils peuvent
commettre. Agir dans le bon sens nécessite donc une parfaite connaissance des attentes de la
population, dans sa diversité historique, ethnique, culturelle, religieuse et sociale. 44 » Un peu
plus loin, les auteurs ajoutent : « la gestion des attentes est un facteur essentiel dans
l’évolution du comportement de la population, pour qui toute erreur est imputable à
l’opération et en particulier à la force militaire. Sécurité, amélioration des conditions de vie,
respect et intégrité sont des impératifs qui incombent à l’ensemble des acteurs occidentaux et
locaux45. »
Finalement, comme le rappellent Aymeric Bonnemaison et Tanguy Struye de Swieland :
« Dans ce contexte, la connaissance optimum des acteurs, de leurs référents, de leurs
interactions, de ce qui les unit et les sépare, de ce qui les motive et les rassure doit s’ajouter à
43
Serge DUVAL, Thierry MARCHAND, Dionigi LORIA, Benoît HOUSSAY, Thierry OROSCO, Vaincre la
guerre irrégulière : quelle stratégie pour quelle bataille ?, Le Fantascope, 2010, page 74
44
Serge DUVAL, Thierry MARCHAND, Dionigi LORIA, Benoît HOUSSAY, Thierry OROSCO, Ibid, page 47.
45
Serge DUVAL, Thierry MARCHAND, Dionigi LORIA, Benoît HOUSSAY, Thierry OROSCO, Ibid, page 50
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
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la connaissance de l’environnement physique et matériel46 ». Dans cette optique les étatsmajors doivent chercher le soutien des sciences sociales, (la sociologie, l’anthropologie, la
psychologie, les sciences politiques,…etc.), afin de mieux comprendre les enjeux et les
contextes socioculturel et socio-économique du théâtre d’opération.
Nous voyons donc l’importance du principe d’adaptation dans la lutte irrégulière, elle confère
aux acteurs opposés aux irréguliers, la légitimité dont ils ont besoin pour agir ; et dans le
même temps, elle leur permet de s’insérer entre les populations et les irréguliers. Ce qui nous
renvoie bien évidemment à notre troisième grand principe de la lutte irrégulière, la
marginalisation de l’ennemi.
3. La marginalisation de l’irrégulier
La capacité à exclure l’adversaire irrégulier des points d’accès à la société constitue pour la
force d’intervention et ses alliés un enjeu de très haute importance. Ce procédé global, car
englobant les aspects stratégiques et tactiques de la lutte, ne doit pas être pensé comme
purement militaire, il fait au contraire appel à de très nombreux domaines. C’est un procédé
qui s’inscrit dans la durée, il faut être en mesure d’identifier les points d’accès à une société
donnée, puis parvenir à s’établir durablement dans ses interstices. Tout d’abord légère, cette
implantation se fera plus lourde et spacieuse avec le temps, au point de finir par chasser
l’irrégulier et le remplacer par un dispositif adapté.
En parallèle de cette marginalisation interne de l’adversaire irrégulier, il incombe aux forces
intervenantes de mettre à jour les éventuels points de contacts externes que le mouvement
irrégulier entretient avec ses divers alliés (puissances régionales, groupes criminels ou
terroristes,…). On parle alors de marginalisation externe. Elle vise à peser sur les réseaux de
financement, de soutien, d’équipements que les mouvements irréguliers ont pu créer et ainsi
affaiblir leur impact sur le théâtre d’opérations. Finalement, la marginalisation a pour but
essentiel de circonvenir l’adversaire irrégulier et de l’amener à se modifier ou se transformer,
selon la volonté et les avantages de la puissance intervenante.
Ce processus doit s’accompagner sur toute sa durée d’une politique adaptée aux irréguliers,
dite de la « main tendue ». Il s’agit d’inviter les irréguliers les moins radicalisés à rejoindre le
jeu politique et à faire valoir leurs revendications de manière légale. C’est une donnée
essentielle de la marginalisation de l’ennemi ; en leur laissant l’opportunité de rejoindre à tout
moment la société et de déposer les armes, elle exclut encore davantage les irréguliers qui s’y
refuseraient. Ceux-ci seraient alors déconsidérés par la population en tant qu’artisans du
conflit et non plus comme simples acteurs. Les populations prises à témoin de ce choix
seraient également tentées de faire pression sur les combattants irréguliers pour que cesse le
conflit. Il faut toutefois s’assurer au préalable que certaines revendications des irréguliers
peuvent être intégrées au jeu démocratique. Dans le cas contraire, il sera difficile de faire
accepter cette « politique de la main tendue ».
46
Aymeric BONNEMAISON, Tanguy STRUYE DE SWIELAND, « Le « mobile » ontologique et politique de
la guerre irrégulière », op. cit.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
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Les conflits irréguliers
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La marginalisation de l’ennemi requiert également une mobilisation importante au sol pour
quadriller le territoire et contrôler les points d’accès à la société. Dans le cadre contemporain
de réduction des budgets militaires et des effectifs terrestres, il peut être nécessaire d’avoir
recours à une force alliée locale, suffisamment importante pour combler les déficits de la
puissance interventionniste. Mais même dans ces conditions, il est illusoire d’espérer
maintenir un contrôle efficace sur l’ensemble du territoire. Nous avons déjà évoqué ce
problème précédemment, l’explosion démographique de ces dernières années a rendu toute
perspective de contrôle impossible. Plutôt que de chercher à tout contrôler simultanément, il
faut bien au contraire tolérer et accepter que certains espaces nous échappent premièrement.
Du fait des dimensions géographiques et démographiques des pays modernes, il apparait
beaucoup plus efficace de se concentrer sur certains espaces réduits, qui offriraient des
conditions jugées optimales à l’implantation et au développement de notre action de
marginalisation. Ces espaces doivent concentrer des densités de population et un secteur
économique importants et certaines infrastructures nécessaires au type d’opération que les
forces d’intervention auront à mener.
Ces espaces recevront dans un premier temps l’essentiel des efforts de la puissance
d’intervention, l’objectif étant premièrement de chasser les irréguliers de ces zones et
deuxièmement, de montrer aux populations que l’on y vit nettement mieux que sous le régime
irrégulier. On peut imaginer que cette disparité occasionnera un flux de migration des zones
irrégulières vers celles contrôlées par les occidentaux et leurs alliés. Sur le plan national et
international, ces flux témoigneront de la légitimité de l’intervention.
Bien entendu, la situation d’un pays coupé en deux ne pourra être jugée satisfaisante, petit à
petit les zones périphériques à ces espaces devront être « grignotées ». Une fois que la
stabilité d’une zone sera acquise, qu’une force locale fiable se montrera en mesure de
contrôler le territoire et que des mesures politiques auront permis aux populations de faire
entendre leurs revendications alors, les forces d’intervention pourront se déplacer vers de
nouvelles régions. C’est le procédé d’action popularisé par le maréchal Gallieni sous le nom
de « la tâche d’huile ». Il impose une gestion du temps nécessairement long et pour cette
raison, David Galula47 préconise de ne pas laisser l’irrégulier se développer dans les autres
régions au dessus d’un certain stade, à partir duquel il deviendrait très difficile de l’écarter de
la population et de le chasser. Selon l’auteur, des raids armés conventionnels seraient en
mesure de retarder ce développement. Il faut toutefois être prudent en présentant ces
opérations purement militaires comme un outil adapté, il se peut bien au contraire que ces
frappes soient très mal perçues par les opinions publiques. En frappant des zones où le
renseignement fait défaut, nous prenons le risque d’impliquer des civils, de nous tromper de
cibles. Aussi, si nous suivons la recommandation de ne pas laisser l’irrégulier sanctuariser un
territoire, nous pensons qu’il serait préférable que la contestation ne se fasse pas seulement
dans le domaine militaire, mais s’insère dans une stratégie d’influence. Les outils politiques,
communicationnels, psychologiques et militaires doivent être mobilisés conjointement, pour
reproduire à l’échelon tactique ce qui se fait au niveau stratégique.
47
David GALULA, Contre-insurrection, Théorie et pratique, op. cit.,p.121
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
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Les conflits irréguliers
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La doctrine de la tâche d’huile est un principe qui fait toujours l’unanimité parmi la plupart
des auteurs contemporains, car elle offre également un deuxième avantage : la puissance
d’intervention peut obtenir des victoires précoces. Ces victoires dans les premiers temps du
conflit démontrent aux opinions publiques que la puissance d’intervention a la volonté et les
moyens de gagner.
Nous aimerions ici citer certains passages, d’auteurs classiques et d’autres plus récents, quant
à cette recherche d’une victoire précoce. Pour Robert Thompson, l’action des forces
intervenantes doit principalement se concentrer sur les zones les plus développées du pays,
car plus faciles à contrôler et à protéger. « […] Le gouvernement commencera sa campagne
par quelques victoires. Cela donne confiance, et la confiance est sans aucun doute le facteur
primordial des succès futurs. Une approche parfaitement méthodique du problème –même si
elle paraît lente– crée un effet d’écrasement progressif qui donne aux gens l’assurance de la
victoire finale48». David Kilcullen, lui, met en garde contre la recherche précoce du combat,
« rechercher une telle victoire peut être contreproductif en créant des dommages collatéraux –
particulièrement parce que vous ne comprenez pas encore votre secteur. […] Mais vous
pouvez obtenir une victoire en réglant des questions en suspens depuis longtemps et que vos
prédécesseurs n’ont pas abordées, ou en cooptant un chef local qui avait refusé de coopérer
jusque-là avec nos forces. Comme toute autre forme de propagande armée, obtenir une
victoire même petite mais précoce donne le ton d’emblée et aide à avoir l’initiative […]49 ».
Ces deux citations aident à mieux comprendre que la victoire doit être appréhendée dans sa
dimension subjective, l’objectif est de créer un « sentiment de victoire ». « Le « sentiment de
victoire » doit être recherché vis-à-vis de l’opinion publique en érigeant la communication au
niveau stratégique. Il s’agit d’adopter une stratégie d’influence offensive permettant de
dominer l’adversaire médiatiquement dans ces trois domaines fondamentaux que sont la
légitimité, la crédibilité et la quête de stabilité, ce qui implique que la maitrise globale de
l’information investit pleinement, voire englobe le niveau stratégique50 », nous disent encore
en guise de conclusion, Serge Duval et ses collaborateurs.
Les grands principes évoqués doivent guider l’action des forces d’intervention et de leurs
alliés locaux car ils conditionnent en grande partie la réussite d’une opération. Pour leur mise
en œuvre et application, certains paramètres-clés doivent être pris en compte, au point que
certains auteurs considèrent ces paramètres comme des principes à part entière de la lutte
irrégulière. Pour notre part, nous estimons que l’initiative et le renseignement ne sont pas des
paramètres propres aux guerres irrégulières, ils conditionnent chaque opération
conventionnelle ou irrégulière, et s’étendent à tout le spectre des modes d’action. En
revanche, nous admettons qu’ils revêtent dans le cadre de la lutte irrégulière une importance
48
Robert THOMPSON, « Les principes fondamentaux de la contre-insurrection », in CHALIAND Gérard, Les
Guerres Irrégulières XXe XXIe siècle, op. cit., p. 698.
49
David KILCULLEN, « Vingt Huit principes fondamentaux pour la contre insurrection », in CHALIAND
Gérard, Ibid, p.761.
50
Serge DUVAL, Thierry MARCHAND, Dionigi LORIA, Benoît HOUSSAY, Thierry OROSCO, Vaincre la
guerre irrégulière, op. cit., p. 40
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
50
Les conflits irréguliers
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toute considérable. Nous avons ainsi choisi de les évoquer séparément de nos grands principes
en tant que paramètres-clés de la lutte irrégulière.
B. Le renseignement et l’initiative comme clés du succès.
L’acquisition d’information et la maitrise de l’initiative ont toujours été à la base de la
réflexion militaire, l’une est indispensable à la préparation d’une opération et l’autre, permet
de conserver une marge de manœuvre plus importante que celle de son ennemi. Elles sont
profondément interdépendantes, c’est pourquoi elles ont un poids aussi déterminant dans la
réussite ou l’échec des opérations. Dans le cadre de la lutte irrégulière, cette importance est
démultipliée du fait de la centralité des populations et de leurs opinions dans la stratégie des
belligérants.
1. Le renseignement
Nous nous intéresserons tout d’abord au renseignement. Il nous faut, premièrement, définir
ce que nous entendons par ce terme. Wikipédia nous fournit cette définition : « le
renseignement est une discipline militaire qui se concentre sur le recueil, l'analyse et la
diffusion d'informations, sur l'activité adverse, ses moyens, ses méthodes, le terrain, et tout
domaine pouvant présenter un intérêt militaire51 ». Le renseignement concerne donc un
spectre très large de données puisqu’y sont centrées toutes les informations susceptibles de
présenter un intérêt militaire. Dans le cadre de la lutte irrégulière, cela regroupe l’ensemble
des données capables d’avoir un impact sur la légitimité et l’adaptation de la force
d’intervention, ainsi que sur la marginalisation de l’ennemi irrégulier. Autrement dit, le
renseignement doit être en mesure de couvrir l’ensemble des opérations menées au sein d’une
stratégie d’intervention et de stabilisation.
Pour cela, le renseignement doit faire l’objet d’une coopération entre les différents services de
l’Etat et entre les différentes sciences humaines. Plus que tout autre champ d’action, le
renseignement doit se montrer le plus englobant possible. Le décloisonnement et le partage
d’informations doivent être les nouvelles règles afin de mieux saisir la complexité du théâtre
d’opérations.
Davantage que la connaissance normative des hommes et des structures, la compréhension de
leurs motivations, objectifs et lignes de force s’avère la plus importante. Il s’agit de pénétrer
leur univers mental, ce qui suppose de s'appuyer moins sur les ressources technologiques
qu'humaines, et d'intégrer totalement le renseignement dans le processus de décision. En effet,
il est des choses comme la culture qu’il est impossible d’appréhender dans toute sa
complexité simplement par l’outil technologique. La force d’intervention doit faire
l’expérience du fossé séparant les deux cultures, pour véritablement comprendre les ressorts
de la société dans laquelle elle intervient. Nous rappelons que la guerre irrégulière prend place
« au milieu des populations », les soldats de la force d’intervention doivent donc être visibles
51
Définition du renseignement militaire donnée par Wikipédia.
(http://fr.wikipedia.org/wiki/Renseignement_militaire)
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
51
Les conflits irréguliers
2013 - 2014
et accessibles. En descendant de leurs véhicules blindés, en réinvestissant les rues des villes,
en dialoguant avec les locaux, les soldats pourront créer des contacts et d’obtenir de précieux
renseignements.
La recherche de contacts parmi les populations doit être permanente, elle assure un échange
continuel entre la population et la force d’intervention, à même d’alimenter les processus de
« feed back » et de corriger les opérations en cours ou futures. La création de réseaux de
contacts parmi toutes les couches de la population est donc à rechercher.
En revanche, dans les interventions contemporaines, le renseignement est essentiellement
focalisé autour de la répression. Traumatisé par les attaques terroristes des années 2000,
l’Occident a considérablement investi dans ses services de renseignement et la haute
technologie, notamment dans la surveillance des télécommunications internationales, ce qui
lui a permis d’obtenir une capacité de réaction très intéressante, nombre d’attentats ayant pu
être déjoués grâce à ces investissements. Toutefois, cette démarche n’est pas sans
conséquence, car en se focalisant sur la haute technologie et la répression, le renseignement
contemporain contribue à la création de ses futurs ennemis, il refuse de prendre en compte les
revendications d’une population donnée et applique une politique de la tolérance zéro qui tend
à exacerber les frustrations.
Comme le dit Stéphane Taillat52, il s’agit d’une stratégie d’attrition et de dissuasion,
« [attrition] car il s’agit d’épuiser les capacités des organisations insurgées à régénérer leurs
rangs, notamment en spécialistes et en chefs. Dissuasion car la pression constante exercée sur
ses membres doit les conduire à privilégier leur propre protection, à limiter leurs opérations,
et les expose donc à un affaiblissement de leurs capacités de subversion ». L’auteur est
d’ailleurs bien conscient du danger de cette stratégie, entre l’augmentation des soutiens aux
organisations irrégulières visées, et le risque probable d’une montée aux extrêmes.
La connaissance et la compréhension globale d’une société sont bien plus gourmandes en
temps et en effectif mais les données obtenues laissent entrevoir une solution de long terme au
conflit. Nous pouvons parler de renseignement préventif. A l’inverse, le renseignement qui
vise à la traque et à l’élimination des menaces (renseignement répressif) est un cycle
perpétuel, où la solution n’est jamais que temporaire, jusqu’à l’apparition d’une nouvelle
menace.
Ces quelques considérations autour du renseignement nous amènent à prendre connaissance
d’un aspect tout à fait fondamental des opérations militaires, la nécessité d’obtenir et de
conserver l’initiative. Celle-ci dépend en grande partie des informations obtenues, plus un
renseignement est pertinent et plus les décideurs politiques et militaires conserveront une
marge de manœuvre supérieure à celle de leurs ennemis.
52
Stéphane TAILLAT, La contre insurrection au XXIème siècle, Histoire et Stratégie, n°16, Octobre-décembre
2013, pp 46-50.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
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Les conflits irréguliers
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2. La maitrise de l’initiative
L’initiative est la capacité à agir le premier dans un contexte d’incertitude. Elle induit donc
une importante prise de risque, celui de se découvrir face à un ennemi. Ce risque est toutefois
largement compensé par les bénéfices attendus de la prise d’initiative, agir le premier oblige,
en effet, l’adversaire à rester dans une posture réactive. Il se retrouve dans l’urgence, il doit
d’abord contrer notre initiative avant de pouvoir mettre à exécution ses plans d’actions.
L’initiative permet donc de se mettre à l’abri des coups inattendus et d’envisager toutes les
réactions possibles de notre adversaire. La surprise est donc rarement au rendez-vous, tandis
que l’adversaire qui subit notre initiative doit à chaque fois évaluer un large spectre
d’éventualités. Il passe ainsi beaucoup de temps à imaginer quelle sera notre prochaine action,
et mobilise toutes ses ressources en ce sens. La capacité d’action de l’ennemi est donc
amoindrie.
Cette initiative se traduit également par le pouvoir d’influencer le comportement et les actions
de son adversaire. Quel que soit le domaine envisagé, l’initiative réduit le champ des
possibles de l’adversaire, qui sera ainsi forcé d’agir en fonction de nos conditions. Nous avons
déjà évoqué cette nécessité dans le cadre de la lutte irrégulière à l’occasion de notre chapitre
sur l’importance des médias, (dans une guerre de perceptions, il est en effet primordial de
parler et de communiquer le premier sur les opérations menées), mais l’initiative doit être
recherchée dans tous les secteurs de la lutte.
Prenons pour exemple le conflit malaisien qui vit s’opposer les forces d’intervention anglaises
à un mouvement irrégulier communiste. Le Parti Communiste Malais, prenant l’initiative,
exposa ses revendications de lutte, dont la principale était l’indépendance de la colonie
anglaise. Avec un tel objectif, le mouvement irrégulier ne pouvait que s’assurer l’approbation
d’une partie de la population et une légitimité importante sur la scène internationale. La
puissance coloniale de l’époque, au contraire, se voyait imposer les « règles du jeu » ; elle ne
pouvait dès lors agir qu’en réaction face à cette proclamation. Soit elle s’y opposait, et dans ce
cas, elle serait considérée comme l’artisan du conflit, l’obligeant sans cesse à justifier son
intervention, et handicapant son action par un manque de légitimité qu’elle devrait rattraper.
Soit elle acceptait la revendication d’une grande partie du peuple malaisien, coupant ainsi
« l’herbe sous le pied » des communistes. C’est d’ailleurs ce qu’elle fit en promettant
l’indépendance, à condition que celle-ci se fasse selon ses propres conditions. La
revendication première des irréguliers n’eut donc plus lieu d’être, l’initiative fut perdue au
profit des anglais et ce fut à leur tour d’imposer leur vision du conflit aux irréguliers. En
posture réactive, les irréguliers ne purent se résoudre à accepter les conditions anglaises, ils
perdirent et leur légitimité et l’initiative. Ils ne sauront pas la regagner face aux troupes des
généraux Briggs et Templer, et perdront de ce fait, le conflit.
On voit donc à quel point l’initiative est importante, elle conditionne les marges de manœuvre
allouées aux belligérants. Le passage précédent nous montre également que l’initiative, si elle
est d’abord perdue, peut par la suite être regagnée. Son obtention et sa conservation n’ont pas
de caractère définitif et sont remises en cause en permanence. Il appartient aux acteurs de s’en
emparer. Pour cela, nous devons là encore faire référence au renseignement, la prise
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
53
Les conflits irréguliers
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d’initiative implique l’obtention de renseignements fiables capables de délimiter le cadre des
opérations futures. Dans l’exemple cité, la reprise de l’initiative s’est traduite par un
réajustement de la stratégie d’intervention aux attentes de la population, attentes qu’il avait
fallu étudier et connaître.
Enfin, il nous faut rappeler que l’initiative concerne bien entendu tous les échelons d’une
opération, au niveau stratégique, avec la mise en place d’une vision politique et d’un plan
d’actions clair, au niveau opérationnel, avec le respect des principes évoqués précédemment,
et enfin, au niveau tactique, avec une autonomie importante accordée aux décideurs politiques
et militaires locaux dans la définition de leurs actions.
Nous laisserons à David Kilcullen le soin de résumer l’importance de l’initiative dans la lutte
irrégulière : « Dans la contre-insurrection, l’initiative est tout. Si votre ennemi réagit à ce que
vous faites, c’est vous qui contrôlez la zone. A condition que vous mobilisiez la population,
vous gagnerez. Si c’est vous qui réagissez à l’ennemi –même si vous en tuez ou capturez
beaucoup –, c’est lui qui contrôle l’environnement et à la fin vous perdrez 53».
L’auteur préconise donc de ne pas rentrer « dans le jeu » des irréguliers. Ces derniers auront
pour objectif de paralyser l’initiative de l’intervenant. Par une série d’attaques et d’esquives,
ils se montreront en mesure d’accaparer de plus en plus de moyens si l’intervenant se
concentre sur leur destruction. Au contraire, en refusant de répliquer et en se focalisant sur les
populations, l’intervenant sortira de sa posture réactive. En inventant ses propres solutions au
contact de la population, il obligera l’irrégulier à réagir. Et si la réaction prend la forme d’une
attaque, les forces d’intervention seront plus à même de réagir qu’elles seront en position de
défense, sur leur propre terrain. Les irréguliers perdront ainsi l’initiative et une partie de leur
efficacité militaire.
II - L’usage de la force et de la violence : quel degré appliquer ?
Nous aimerions maintenant nous pencher sur l’usage de la force et de la violence par les
armées d’intervention dans un conflit irrégulier. Nous avons jusqu’à présent insister sur la
nécessité pour ces forces de circonscrire l’usage de la violence à un niveau jugé tolérable par
les opinions publiques.
Nous verrons que l’adéquation entre les attentes des opinions internationales et les nécessités
de la guerre n’est pas chose aisée. Bien souvent, du fait de l’extrême médiatisation des
conflits contemporains et de la tension inhérente à un conflit au sein des populations, la
violence apparait difficilement contrôlable. Nombre d’auteurs se positionnent d’ailleurs pour
une réhabilitation de son usage massif lors de ce type de conflit. Il nous appartient d’éclairer
l’impact d’une telle violence sur les belligérants et la conduite du conflit.
53
David KILCULLEN, « Vingt huit principes fondamentaux pour la contre insurrection », op. cit., pp. 765-766.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
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Les conflits irréguliers
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A. La légalité des moyens d’action
Il nous faut revenir au principe de légitimité des actions dans le cadre de la guerre irrégulière.
L’emploi de la force et de la violence par la puissance intervenante ne doit ainsi pas échapper
aux considérations du Droit International.
Les démocraties n’ont en effet pas le même éventail d’options dans la lutte contre les
irréguliers, que par exemple une dictature. Alors qu’une dictature peut employer une terreur
généralisée sans égard aux réactions que celle-ci provoquera, les démocraties sont censées
conserver un certain nombre de principes, au nombre desquels figurent le respect des libertés
individuelles et le respect des Droits de l’Homme. Le dévoiement moral condamné
internationalement par les démocraties pour l’usage de pratiques telles que la torture, les
assassinats, ou les punitions collectives est à prendre très au sérieux dans un conflit où la
perception des opinions publiques joue un rôle aussi crucial.
Nous en avons un exemple terriblement concret dans notre actualité avec le conflit dans la
bande de Gaza, qui oppose l’armée israélienne au mouvement du Hamas. Depuis le début du
conflit, Tsahal est régulièrement condamné par les opinions publiques internationales pour
son usage massif de la violence et son action contre les civils palestiniens. Bien entendu, le
Hamas n’est pas étranger à la mise en scène médiatique des carnages, mais c’est un fait, les
bombardements israéliens ont causé la mort de nombreux civils (1400 à l’heure où nous
écrivons ces lignes, dont près de 250 enfants). Les opinions internationales ne peuvent en
effet rester insensibles aux images d’enfants désarticulés parmi les décombres.
Les bombardements israéliens et le traitement médiatique de la guerre à Gaza.
1. Un usage de la terreur contreproductif
Dans ce type de conflit, la tentation est très forte pour les armées intervenantes de sortir de la
légalité, nous l’avions évoqué à l’occasion du traitement des irréguliers détenus. Face à un
ennemi insaisissable et à une partie de la population hostile à l’intervention, les forces
démocratiques subissent une pression très importante qui peut les amener à recourir à une
violence importante.
Nous renvoyons ici à l’excellent article de Marc Hecker, Du bon usage de la Terreur 54, pour
l’analyse des conséquences de ce type de situation. Face à un adversaire usant généralement
de la Terreur pour obtenir le soutien de la population et déstabiliser le pouvoir légal, la force
54
Marc HECKER, « Du bon usage de la Terreur », Focus Stratégique, Ifri, n°6, avril 2008, 33 pages
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
55
Les conflits irréguliers
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intervenante pourrait être tentée d’utiliser une violence similaire. L’expression « terroriser les
terroristes » répond à cette problématique et est soutenue par certains grands noms de la
stratégie moderne, Edward N. Luttwack55 entre autres. Il s’agit de dissuader les terroristes
d’user de la violence par l’importance des représailles que celle-ci engendrerait (le recours à
la torture y étant également très fréquent).
Charles Krauthammer56, cité dans l’article de Marc Hecker, évoque une théorie originale
censée justifier de l’utilisation de la torture contre les terroristes. Cette règle est connue sous
le nom de ticking time bomb theory, où l’utilisation de la torture est dite acceptable, lorsque
plane un danger imminent et vital. Il cite l’exemple d’un terroriste ayant placé une bombe au
milieu des populations qui, si elle n’était pas découverte, causerait de nombreuses victimes.
La torture est alors censée donner aux autorités la capacité de réaction face à ce danger ; pour
Krauthammer, il s’agirait même d’un « devoir moral ». Or, comme le souligne Marc Hecker,
« si l’on estime que le fait de torturer est légitime pour empêcher une explosion imminente,
pourquoi ne serait-il pas légitime de torturer pour savoir qui sont les combattants qui
déposeront des bombes demain ou après-demain ? »57.
A une échelle plus importante, un pouvoir intervenant pourrait être tenté d’appliquer cette
Terreur non seulement aux irréguliers mais également aux populations d’un théâtre
d’opération. En visant à « sur-terroriser » les populations, le pouvoir intervenant démontre par
les faits que le soutien aux irréguliers s’avère bien trop couteux ; la neutralité n’étant plus une
option, les populations sont contraintes de se ranger dans le camp de l’intervention pour éviter
une violence généralisée. A ce titre, les tenants de l’usage de la Terreur rappellent à des fins
de validation empirique, les célèbres exemples historiques d’usage de la Terreur « efficaces »
envers les populations. Nous évoquerons par la suite quelques-uns des exemples les plus
couramment cités au cours de nos lectures.
Ainsi sont citées en France, les « colonnes de feu » de Bugeaud, qui pendant la colonisation
de l’Algérie, usaient des techniques de la razzia et de la terre brûlée contre les populations
autochtones pour les dissuader de tout soutien à Abd el-Kader. La stratégie de Terreur
développée par Bugeaud a notamment rencontré un grand écho en la personne du maréchal
Gallieni qui s’évertuera lors de sa carrière à perfectionner les méthodes de pacification dans
les territoires colonisés. La bataille d’Alger de 1960 sert elle aussi de référence ; quand les
parachutistes du colonel Massu usaient méthodiquement de la torture pour obtenir des
renseignements et installer la peur chez les populations.
L’action des forces britanniques en Malaisie est elle aussi aujourd’hui remise en cause par
certains penseurs. Sir Gerald Templer, considéré comme l’inventeur de l’expression
55
Edward N. LUTTWACK, « Les impasses de la contre insurrection », Politiques étrangères, 4-2006, pp. 849861.
56
Charles KRAUTHAMMER, « The Truth about Torture. It’s time to be honest about doing terrible things »,
The Weekly Standard, 12 mai 2005 in Marc Hecker, « Du bon usage de la terreur », op. cit.
57
Marc HECKER, Ibid.
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« conquête des cœurs et des esprits », a certes pu mettre en place une stratégie d’usage de la
force minimale qui s’est vue couronnée de succès, mais il aurait bénéficié en ce sens de
l’action du général Harold Briggs, promoteur du déplacement forcé de la population chinoise
de Malaisie au sein de hameaux stratégiques.
Pour les défenseurs d’une telle doctrine, « en période de guerre, l’efficacité tactique doit
primer, quitte à faire parfois quelques compromis avec la morale58 ».
Notre propos n’est assurément pas d’aller à l’encontre de ces faits historiques et de la
validation empirique qu’ils apportent. Nous admettons volontiers que la Terreur et son avatar
le plus fréquent, la torture, aient pu servir de manière efficace la lutte contre les mouvements
irréguliers. Selon les mots même d’Edward Luttwack, « un massacre de temps à autre était un
avertissement efficace pour une décennie »59. En revanche, nous aimerions insister sur les
importants changements qu’ont connus nos sociétés depuis l’avènement de la mondialisation.
Le poids prépondérant des médias et de l’opinion publique au sein de la vie politique de nos
sociétés est une donnée que les auteurs les plus radicaux semblent parfois omettre.
Il faut se rendre au constat de Marc Hecker, malgré leurs effets de court-terme, de telles
pratiques seraient totalement contreproductives sur le long terme. L’objectif de l’intervention
étant d’amener les populations à rallier un projet politique, l’usage d’une violence immodérée
aurait plutôt tendance à détourner les populations de ce projet, la terreur n’ayant que pour
effet d’écorner la légitimité de la puissance intervenante. Aussitôt l’intervention terminée, les
conflits ressurgiront, personne n’étant prêt à participer à un projet imposé par un pouvoir
étranger dans de telles conditions.
Il existe, d’autre part, une profonde asymétrie dans le recours à la force envers les
populations, entre l’intervenant étranger et l’irrégulier. Une asymétrie qui se trouve très
clairement exprimée dans cette citation de François Géré : « L’un des belligérants est chez lui
et peu importe que sa violence s’exerce puisqu’elle s’exerce dans le cadre d’une culture
commune avec la population. L’intervenant extérieur lui ne peut pas se permettre les mêmes
comportements. Le même châtiment ne comporte pas la même valeur symbolique selon
l’appartenance de celui qui l’inflige. Ainsi, tout comportement mimétique constitue en soi une
erreur stratégique.60 »
C’est donc sans nul doute et à contrario des positions prises par Luttwack que nous rejetons
totalement l’usage de la Terreur comme moyen de lutte contre l’irrégulier. Bien que pouvant
apporter une solution momentanée à un conflit, si les revendications des mouvements vaincus
ne sont pas prises en compte, elles ressurgiront tôt ou tard, et avec d’autant plus de force que
la répression aura été féroce. Ce souvenir terrible agira alors comme agent mobilisateur pour
58
Marc HECKER, Ibid, p.13
59
Edward LUTTWACK, « Les impasses de la contre insurrection », op. cit.
60
François GERE, « La contre insurrection à l’âge informationnel : le cas afghan », in COUTAU-BEGARIE
Hervé, Stratégies irrégulières, op. cit., pp 702-730
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
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Les conflits irréguliers
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la population qui sera peut-être plus encline à identifier son destin à celui du groupe irrégulier
luttant au nom de ces principes.
Ce point de vue peut être étayé par la célèbre formule de Général Juin du 6 mai 1945 qui,
après avoir sévèrement réprimé les manifestations de victoire du peuple algérien à Sétif, aurait
dit : « Je vous ai donné la paix pour dix ans ». La Terreur, en effet, n’a que des effets
momentanés et ne résout aucun des problèmes soulevés par les populations. Ceux-ci ne
peuvent dès lors que réapparaitre. Le constat du Général Juin s’est avéré cruellement exact ;
en 1954, la Guerre d’Algérie débutait.
2. Les sévices et les brimades, une alternative à la Terreur ?
Compte tenu des modifications profondes de la guerre irrégulière et de l’importance des
opinions publiques internationales, les armées occidentales sont toutefois peu susceptibles
d’avoir recours à de telles méthodes. L’utilisation de brimades et de sévices est en revanche
plus probable, comme à l’occasion des nombreux scandales lors de l’intervention en Irak.
« N’arrivant ni à protéger les populations ni à les « sur-terroriser », il arrive aux troupes
engagées dans une campagne de contre-insurrection d’opter pour une solution intermédiaire :
les brimades, les sévices et, en définitive, l’humiliation61. »
Les sévices commis dans l’enceinte de la prison d’Abu Ghraib relèvent de cette logique
d’humiliation. Les corps nus empilés dans des positions grotesques, à côté de soldats
américains souriants ont choqué les opinions publiques internationales. Face à un ennemi non
déclaré, caché au milieu des populations, dont les attaques sont très souvent meurtrières, les
soldats intervenants sont soumis à une très forte pression psychologique. La frustration de se
sentir pris pour cible sans possibilité d’atteindre l’adversaire, conduit à un stress important
qu’il faut évacuer sous peine de fracture psychologique. L’ennemi étant partout et nulle part à
la fois, les soldats opèrent une simplification de la situation en considérant tout ce qui est
étranger comme un ennemi, population y compris. La violence envers les populations, sous
forme de brimades et d’humiliations, apparait alors comme une manière d’évacuer cette
pression. L’humiliation de l’Autre a plusieurs objectifs psychologiques ; il s’agit de nier le
pouvoir que l’Autre exerce sur nous, et la peur que nous ressentons face à lui.
61
Marc HECKER, « Du bon usage de la terreur », op. cit., page 19
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
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Les conflits irréguliers
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Sévices dans la prison d’Abu Ghraib
Le conflit irakien est d’ailleurs particulièrement révélateur des défaillances psychologiques
des armées occidentales dans un conflit irrégulier. Le nombre très important de soldats
atteints de syndromes post-traumatiques ou les taux très élevés de suicide au sein de l’US.
Army à la suite du conflit, conduisent à ce constat et à une réflexion sur la manière de gérer
l’accompagnement psychologique des forces en situation de conflit irrégulier.
Le constat de l’auteur est toutefois implacable, l’usage de telles méthodes n’aurait qu’un
effet : le renforcement du mouvement irrégulier. La soif de revanche, qui animerait alors les
irréguliers et les populations, se retournerait contre la force d’intervention. La légitimité de la
puissance intervenante serait considérablement remise en cause au niveau local, et par
réaction, le projet porté par les irréguliers apparaitrait d’autant plus acceptable. La propagande
irrégulière n’ayant de cesse de condamner le dévoiement moral des Etats occidentaux, les
sévices et brimades envers les populations ne pourraient qu’accréditer cette thèse aux yeux
des opinions publiques.
Au niveau international, le pays intervenant serait condamné par les opinions publiques, y
compris à l’intérieur même de ses frontières. Une partie de la population, sensible à la
violence, se montrerait alors beaucoup plus rétive quant à la nécessité de l’intervention. Les
enjeux du théâtre d’opération n’étant pas vitaux pour le pays démocratique, la population
ferait pression pour que l’intervention cesse, occasionnant la défaite du camp occidental au
profit des irréguliers.
Laissons donc conclure Marc Hecker : « Toute démocratie tentée par la généralisation et la
systématisation des méthodes de terreur [(torture, meurtres, bombardements stratégiques,…)]
parviendra peut-être à des résultats tactiques mais risque fort d’hypothéquer ses chances au
niveau stratégique. Autrement dit, sauf à être engagé dans une guerre totale comparable aux
deux conflits mondiaux, une démocratie ne peut se permettre d’appliquer une stratégie de
terreur. Ceci découle de la conjonction d’un pur raisonnement stratégique et de la place
structurelle de la morale en démocratie. Cette première conclusion doit être considérée
comme une règle à laquelle toute démocratie engagée contre un adversaire asymétrique
devrait se plier, sous peine de défaite probable62. »
62
Marc HECKER, Ibid, p. 27
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
59
Les conflits irréguliers
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Il faut toutefois se souvenir que dans le cadre d’un conflit, la violence est inévitable, et que
l’usage de certaines méthodes doit faire l’objet d’une étude sérieuse sur ses possibles
conséquences. Il faut ainsi s’entendre sur ce qui peut être rangé dans le cadre d’une Terreur
stratégique organisée, et ce qui relève de la conduite de la guerre irrégulière, à titre
d’exemple, quelle place donner aux déplacements forcés de population ? aux attaques de
drones ?...etc.
B. La crédibilité dans l’usage de la force
Si l’usage de la force est bel et bien encadré par un certain nombre de restrictions propres aux
démocraties, elle n’en reste pas moins indispensable dans les guerres irrégulières. Elle
conditionne en grande partie la crédibilité de l’intervention. Elle fait état de la volonté de la
puissance d’intervention, elle lui permet de s’imposer comme un acteur du conflit et démontre
aux populations locales comme aux opinions internationales, sa détermination à assurer la
stabilisation du théâtre d’opération.
Nous rappelons que la guerre irrégulière ne peut être résolue que globalement au niveau
politique, mais pour permettre la mise en application d’un projet de stabilisation, l’usage de la
force est bien souvent nécessaire. « Elle doit agir à la fois contre les mouvements violents et
au profit des populations locales : par la force et au niveau stratégique contre les uns, par
l’assistance et au niveau tactique au profit des autres.63 »
Il ne s’agit pas de considérer la force militaire pour elle-même. A l’image de ce que nous
avions évoqué précédemment dans notre seconde partie, la force militaire doit être
contextualisée. Elle doit faire l’objet d’une intégration plus globale, prendre part à la
communication des forces d’intervention. C’est bien sous le prisme de la communication qu’il
faut aujourd’hui considérer les conflits irréguliers, qui sont essentiellement, nous le répétons,
des conflits de perceptions. Dès lors, comme le dit le Général Vincent Desportes : « L’usage
violent des armes s’avère d’ailleurs initialement souvent le plus important ; en effet, d’une
part il est le plus audible et, d’autre part, le fracas initial des armes est fréquemment
indispensable pour imposer « le silence stratégique » dans lequel pourront être entendus les
autres vecteurs de communication64 ».
L’exemple le plus parlant est peut-être l’intervention de la coalition internationale en
Afghanistan, les talibans ont à l’époque rapidement été chassés du territoire par le recours à la
force armée, offrant ainsi une fenêtre d’opportunité importante à la stabilisation du pays.
Toutefois, comme nous le disions, la force militaire considérée pour elle-même n’est rien, elle
ne peut à elle seule gagner les conflits irréguliers. Elle a la capacité de pallier en début
63
Serge DUVAL, Thierry MARCHAND, Dionigi LORIA, Benoît HOUSSAY, Thierry OROSCO, Vaincre la
guerre irrégulière, op. cit., page 31.
64
Vincent DESPORTES, La Guerre Probable. Penser autrement, op. cit., p. 143
Thomas Beauvais - IEP Toulouse | Les fondamentaux de la lutte irrégulière
60
Les conflits irréguliers
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d’intervention au déficit de légitimité locale de la force d’intervention mais elle ne saurait s’y
substituer.
Reprenons l’exemple précédent de l’intervention en Afghanistan pour s’en convaincre. Les
forces alliées n’ont pas respectées les principes de la lutte irrégulière, notamment en termes
d’adaptation. Retranchées au sein de forts, elles n’ont pas su saisir les attentes des
populations, qui bien souvent entraient en contradiction avec la mise en place d’un pouvoir
central fort tel que le voulaient les américains et leurs alliés. Elles se sont progressivement
coupées des populations, permettant ainsi le retour des talibans qui eux, se sont insérés au
milieu des populations. Dès lors, l’usage de la force s’est substitué à la légitimité des
intervenants.
Les Talibans en Afghanistan
L’exemple de l’Afghanistan nous permet d’évoquer un autre aspect essentiel de la crédibilité
des forces d’interventions. Il est préférable de privilégier des objectifs limités, clairs et à forte
valeur symbolique pour l’adversaire irrégulier, (ce qui rejoint la notion de traitement
médiatique des cibles). Les opérations d’envergure ou la chasse aux talibans ne sont pas des
options viables pour la force d’intervention. Elle y engage des troupes et des moyens qui
seraient bien mieux investis ailleurs. D’autant plus que traquer des talibans retranchés au sein
d’un environnement qu’ils connaissent parfaitement peut être dangereux, car les forces
d’intervention s’exposent aux embuscades et à la perte de leurs soldats ; ce qui affecte en
grande partie leur crédibilité, et nuit à l’image de l’intervention.
Il est nécessaire au préalable d’évaluer l’impact de toute action sur le soutien destiné à
l’adversaire irrégulier. Les populations seront-elles plus nombreuses à soutenir l’irrégulier,
suite à cette action, ou au contraire, moins nombreuses ? En Afghanistan, cette méthodologie
a fait défaut avec des conséquences très importantes. La culture afghane promeut un fort sens
de l’honneur et de la justice, où la vengeance familiale et clanique joue un rôle très important.
Pour chaque afghan tué lors de ces opérations d’envergure, y compris chez les talibans, les
forces d’intervention se sont créées de nombreux ennemis. Tous n’allèrent surement pas
combattre dans les rangs des talibans mais peut-être adoptèrent-ils une attitude plus
conciliante envers leur lutte. En tout état de cause, aucun ne choisit de soutenir
l’intervention...
La tâche des forces armées ne se limite cependant pas aux opérations militaires. Les conflits
irréguliers marquent en effet une tentative de fusion entre les forces militaires et de police
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pour les puissances intervenantes. On peut ainsi observer un double processus de
militarisation des forces de police, tandis que, dans le même temps, les forces armées seront
amenées à emprunter des procédures et tactiques policières. La nécessité de couvrir
efficacement tous les espaces de la lutte irrégulière induit ce brouillage de frontière entre les
forces armées et la police. Les distinctions entre ce qui relèverait de l’interne et de l’externe,
de la violence à petite échelle contre celle à grande échelle, ne sont pas bien adaptées aux
conflits irréguliers. L’important est pour l’intervenant de montrer que sa présence s’étend à
tous les espaces et ainsi marginaliser l’adversaire irrégulier en le coupant de la population.
Plus généralement, les forces d’intervention doivent se montrer extrêmement souples et
flexibles dans leur usage. Elles ne doivent pas répondre à un arbitrage entre conflits de haute
intensité et conflits irréguliers, mais intégrer les deux concepts et savoir passer de l’un à
l’autre de manière souple. Cette fluidité de la force a également pour objectif de manipuler
l’adversaire irrégulier. « Il s’agit tout à la fois de pouvoir alterner concentration et dispersion
des moyens, de limiter la perception par l’adversaire irrégulier des actions réellement
engagées, et de conduire des manœuvres de diversion et de déception spécifiques65 ».
Pour cela, le dispositif militaire doit être constitué d’éléments modulaires et flexibles à même
d’augmenter la réactivité des forces. La nécessité d’améliorer la coordination entre les
différents ensembles, (« l’interopérabilité »), doit concerner l’ensemble des acteurs du conflit
irrégulier. Elle doit devenir la règle au sein des forces militaires intervenantes mais pas
uniquement, puisque cette interopérabilité doit également prendre en compte les organismes
et les services non militaires. Il s’agit d’une approche globale et cohérente qui doit conduire
vers une meilleure crédibilité de l’intervention, et qui prend en compte tous les aspects de
l’usage de la force.
La force doit donc être comprise comme une des composantes de l’intervention ; loin d’en
être la principale, elle assure tout de même une certaine crédibilité aux intervenants,
l’engagement physique confortant leur détermination aux yeux de tous. Les forces mobilisées
doivent donc être conséquentes et capables de repousser les irréguliers, au sein d’une vision
politique claire, seule caution de légitimité pour l’intervention.
En conclusion de cette partie relative à la conduite de la lutte irrégulière, il nous semble
important de rappeler qu’il ne peut exister de solution stratégique unique aux conflits
irréguliers. Chacun d’eux est particulier et doit être appréhendé dans toute sa diversité. Les
principes présentés, l’importance du renseignement ou encore l’adéquation dans l’usage de la
force, n’ont pas d’autres buts que de saisir leurs particularités et de s’y adapter du mieux
possible.
Le débat autour des préférences stratégiques pour le recours à l’approche indirecte ou directe
est suffisamment illustrateur de ce constat. Là encore, personne ne détient LA solution.
65
Document PIA-OO-180. Concept des Opérations contre un Adversaire Irrégulier. Etat Major des armées.
N°131 DEF/CICDE/NP du 22 mai 2008.
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Chaque situation étant dépendante d’un contexte stratégique et culturel donné, c’est aux
forces en présence de donner la priorité à tel ou tel mode d’action après étude précise des
spécificités du théâtre d’opération. « Faire » ou « faire faire » ont chacun leurs points forts et
leurs faiblesses qu’il s’agira de savoir exploiter au mieux. Les échelons locaux sont les mieux
placés pour faire ce choix.
Imposer une vision politique claire et des objectifs stratégiques réalisables est le rôle des plus
hautes instances décisionnelles. Les responsables militaires et politiques doivent travailler en
étroite collaboration et coopération. C’est une constante de l’histoire des guerres irrégulières,
la collaboration des décideurs politiques et militaires entraîne très souvent le succès. A
l’inverse, les dissensions amènent des errements et finalement la défaite. Nous l’avons
souligné à de multiples reprises, la lutte irrégulière doit faire l’objet d’une approche globale,
politiques et militaires doivent être considérés comme les deux faces d’une même pièce, celle
qui conduira au succès de l’intervention.
Mais une fois fixés les objectifs stratégiques et la vision politique d’ensemble, la progression
de l’intervention doit être laissée aux échelons tactiques, l’échelle locale étant la mieux placée
pour saisir un contexte particulier et œuvrer à sa stabilisation. La multiplication des solutions
proposées par les différents commandements locaux permettra une meilleure appréhension
des spécificités du conflit et évitera la généralisation de « recettes stratégiques » mal adaptées.
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Les conflits irréguliers
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CONCLUSION
A travers notre étude sur la guerre irrégulière, nous espérons avoir su répondre avec clarté à
notre problématique de départ : expliquer pourquoi l’Occident, qui possède les armées les
plus puissantes au monde, éprouve autant de difficultés dans les conflits irréguliers.
Notre argumentation s’est décomposée en trois grandes parties, la première traitant des
évolutions de la guerre irrégulière au XXIème siècle. Nous avons ainsi vu que la
mondialisation avait offert aux mouvements irréguliers, un contexte adapté à leurs modes
d’action. L’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la
place prépondérante que prenaient aujourd’hui les médias et l’Internet, avaient su être
exploitées efficacement par les irréguliers au détriment des démocraties occidentales, pourtant
à l’origine de leur essor. La diffusion de technologies dans les sociétés civiles avait également
bénéficié à ces mouvements qui en avaient profité pour répercuter leur action à une échelle
mondiale. L’usage du terrorisme en tant que principal mode d’action suivait cette logique de
publicité mondiale à moindre frais. Celui-ci se montrait particulièrement adapté face à des
sociétés occidentales très sensibles à la violence, occasionnant des réactions complètement
disproportionnées. Face à ce renouveau irrégulier, les démocraties occidentale n’avaient pas
su réagir, handicapées par un certain nombre de difficultés : des économies en perte de
vitesse, la nécessité d’agir au sein de coalitions internationales ou encore, la montée des
mécontentements face à la domination occidentale.
En témoigne notre seconde partie qui encourage les démocraties occidentales à repenser leur
interventionnisme et leur usage de la force. Elle recense dans un premier temps les mauvaises
justifications mises en avant dans la décision d’intervention, une erreur importante lorsque
l’on connait la prépondérance de la légitimité dans la réussite ou l’échec d’une intervention.
Nous avons ensuite cité un courant d’auteurs pessimistes quant à la conduite de la guerre
irrégulière, pour qui les conditions stratégiques à une intervention étaient de toute façon en
défaveur des démocraties occidentales. Enfin, nous avons évoqué l’inadaptation de la doctrine
militaire venue des Etats-Unis pour intervenir au sein de conflits irréguliers, poussant notre
réflexion jusqu’à reconsidérer la nécessité de la haute technologie et de la puissance de feu
des armées occidentales. Ces outils avaient en effet tendance à se retourner contre les
démocraties occidentales dans le cadre d’un conflit irrégulier.
Dans notre troisième et dernière partie, nous avons voulu proposer une base à partir de
laquelle créer une stratégie dans le cadre d’un conflit irrégulier. Nous avons pour cela évoqué
certains principes propres à une bonne appréhension d’un conflit irrégulier qui, employés en
bonne intelligence avec le renseignement et l’initiative, devaient permettre la réussite
Thomas Beauvais - IEP Toulouse
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CONCLUSION
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probable d’une intervention. Enfin, nous terminâmes cette partie sur l’emploi de la force en
conflit irrégulier, et les règles auxquelles cet emploi devait se plier.
Ces parties et leur articulation nous permettent aujourd’hui d’envisager une réponse à notre
problématique de départ. L’Occident éprouve autant de difficultés dans ce genre de conflits
car les guerres irrégulières représentent une régression dans la perspective stratégique
occidentale. Elles sont à l’opposé des conceptions stratégiques qui ont marqué la supériorité et
la spécificité de l’Occident. Finie la bataille décisive qui a si longtemps marqué l’histoire
militaire… Fini le monopole de la violence légitime qui caractérisait la légitimité des Etats….
Aujourd’hui il faut non seulement communiquer sur cette légitimité, la justifier et la
démontrer mais l’usage de la force lui-même est devenu source de communication. Son
utilisation s’impose donc comme restrictif par rapport aux réelles capacités des armées
modernes, les opinions publiques ne pouvant accepter un emploi massif de la violence, dont
les populations auront à pâtir.
L’Occident s’est finalement montré trop arrogant après des siècles de domination, sa
légitimité et son modèle sont aujourd’hui remis en cause. Il n’est plus le centre du monde, il
se voit au contraire repoussé au sein du système international qu’il a lui-même créé. Les
mouvements irréguliers ont su profiter de ses faiblesses et s’adapter aux nouvelles possibilités
offertes à la fois par la mondialisation et la technologie.
Ce n’est donc pas un manque de ressources ou un manque de savoir-faire qui amène les
démocraties occidentales à autant de difficultés. Le problème est bien plus complexe car il
s’agit maintenant pour l’Occident de repenser sa place dans le système international et de
prendre en compte la multiplicité des points de vue et des cultures. Son modèle comme
institution et puissance militaire n’est plus cité en exemple. L’imposition est de moins en
moins une option alors que se développent les mécanismes de persuasion. L’Occident doit
donc revoir son modèle en ce sens.
Thomas Beauvais - IEP Toulouse
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CONCLUSION
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Les conflits irréguliers
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BIBLIOGRAPHIE
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Les conflits irréguliers
2013 - 2014
SITIOGRAPHIE
1. CDEF
2. CESAT
3. Commission française d'histoire militaire
4. Culture militaire-Ecoles de Saint-Cyr Coetquidan
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7. EMA ops
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15. L’écho du champ de bataille
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