l’émergence d’une nouvelle bulle, bien plus effrayante encore, autour de l’immobilier
américain. Pour maintenir leurs niveaux de vies, les ménages américains, et européens dans
une moindre mesure, poursuivent et amplifient leur course folle à l’endettement. Mais début
2007, le marché immobilier américain se retourne. La crise des subprimes commencera en
août 2007, débouchant sur la faillite de la banque américaine Lehman Brothers en septembre
2008 et sur une crise financière inédite et de grande ampleur. En 2009, le monde développé
connaîtra sa pire année de récession depuis les années 1930. Cette crise de l’endettement
débouchera en Europe sur une crise majeure des dettes publiques, contribuant à enfoncer un
peu plus le Vieux continent dans la sinistrose et l’absence de croissance. Pourtant, les Etats de
la zone euro ne cumulent pas, en comparaison de leur PIB, un endettement supérieur aux
Etats-Unis ou au Japon. Mais la zone euro paie l’aveuglement initial des années 1990 qui a
présidé à la création de la monnaie unique, monnaie politique, dans un climat d’optimisme
résolu.
Zone euro : un « climatiseur unique »
« Dès le départ, il y avait un vice de forme. L’introduction de l’euro devait assurer la
convergence des économies, elle sera une machine à produire de la divergence ! En
instituant une banque centrale calquée sur les règles allemandes, la plupart des pays
européens se sont privés d’un outil utile pour réguler leur économie. On a installé un
climatiseur unique pour toutes les pièces de la maison européenne qui n’ont pourtant pas le
même degré d’exposition au soleil » s’amuse François Lenglet. La métaphore est cruelle mais
révélatrice. La crise a mis la zone euro face à ces contradictions. « Or, pour sortir de la spirale
de l’endettement, il n’existe que trois solutions : la croissance, l’inflation et le « hair cut ». Les
deux premières ne se décrétant pas facilement, tout du moins la première, nous
n’échapperons pas à l’annulation massive de dettes. Dans l’histoire, les crises des dettes
publiques sont nombreuses et à chaque fois, le créancier doit finir par admettre qu’il ne sera
pas payé » pense François Lenglet.
Une réflexion qui amène immédiatement une autre interrogation. Pourquoi les créanciers
s’accrochent-ils à ce point et continuent d’imposer leurs conditions drastiques à des débiteurs
exténués par le chômage et les politiques de rigueur (cf plans d’austérité en Europe du Sud) ?
Pour François Lenglet, il faut en rechercher la cause principale dans la démographie et le
conflit intergénérationnel qui prévaut en Europe. « Les seniors, en position de force,
détiennent l’épargne et ne veulent surtout pas ni « hair cut » ni inflation. On comprend
d’ailleurs leurs réticences à « euthanasier le rentier ». Un pays comme l’Allemagne, dont la
démographie décline, illustre à souhait ce paroxysme » se désole François Lenglet qui ne
mentionne pas toutefois les plans de restructuration et d’annulation d’une partie de la dette
grecque qui bien qu’insuffisants (PSI) ont le mérite d’exister. Mais le constat général est sans
appel pour la génération du baby-boom. Le capital est concentré entre les mains d’une
génération qui aura au final profité au maximum des vertus de la libéralisation de l’économie
et qui laisse en bout de course une montagne de dettes aux générations suivantes.
1979-2009 : il aura donc fallu trente années pour que le grand cycle libéral s’achève.
Désormais, on parle introduction de nouvelles normes, règles contraignantes en pensant
qu’elles suffiront à empêcher une nouvelle catastrophe financière (supervision bancaire au
niveau européen, réforme des banques en France etc.), on évoque les nationalisations comme
un outil possible des deux côtés de l’Atlantique (General Motors aux Etats-Unis a été
nationalisé et restructuré avec succès en 2009), on pointe du doigt les inégalités de
patrimoines et de revenus qui ont explosé au cours des dernières décennies et qui sont de
moins en moins acceptées par les opinions publiques. L’état d’esprit a commencé à évoluer
depuis 2007 dans les pays développés tout du moins. Pourtant, l'ampleur de l'endettement
limite considérablement les marges des manoeuvres des gouvernements. Il est en fait
beaucoup trop tôt pour décrire précisément le nouvel ordre économique qui se dessine
laborieusement sous nos yeux. Nous sommes entrés dans cette phase gramscienne, du nom
du philosophe italien Antonio Gramsci (1891-1937) à qui est attribué cette citation célèbre : «
La crise, c'est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître »...
Julien Gautier
redaction@boursorama.fr