III. LA POLITIQUE FRANÇAISE AU CONGRÈS
DE LA PAIX DE WESTPHALIE ET LES NÉGOCIATIONS
SUR LA CONSTITUTION DE L'EMPIRE
Les préliminaires de Hambourg du 25 décembre 1641 avaient prévu l'ouverture
du congrès de Münster et d'Osnabriick en 1642. Mais les envoyés tardèrent à ar-
river pour plusieurs raisons pratiques et politiques; personne ne voulait arriver en
premier et devoir attendre les autres diplomates1. Arrivant successivement à partir
de l'été 1643, les plénipotentiaires des puissances européennes et les envoyés des
états de l'Empire ne furent à peu près au complet qu'à partir du mois de janvier
1646. Les deux ambassadeurs français, Claude de Mesmes, comte d'Avaux et
Abel Servien, arrivèrent à Munster au printemps 1644 et furent rejoints par leur
chef de délégation, Henri II d'Orléans, duc de Longueville, en 1645.
À Paris, Mazarin fixait les objectifs de la politique française, approuvés, le cas
échéant, par la régente Anne d'Autriche et par le Conseil d'en haut. Le secrétaire
d'État aux Affaires étrangères, Brienne, avait pour responsabilité d'envoyer aux
plénipotentiaires français leurs instructions souvent minutées, sous la direction de
Mazarin, par Hugues de Lionne, secrétaire du cardinal et de la régente et futur se-
crétaire d'État aux Affaires étrangères, à partir de 1663. La délégation française
en Westphalie comptait, en outre, plusieurs ministres résidents à Osnabrück et à
Münster; les ambassadeurs plénipotentiaires étaient assistés par leurs secrétaires
et par leurs conseillers, dont le jurisconsulte du roi, Théodore Godefroy, qui était
l'un des meilleurs spécialistes français de la Constitution du Saint-Empire avant
1648. Avant d'étudier la politique française en Westphalie, il est important de
connaître le profil biographique des principaux personnages chargés de projeter et
d'appliquer les directives de cette politique ainsi que leur connaissance du monde
germanique.
1. Le profil biographique des hommes d'État
et des diplomates français
Au congrès de Münster, la France était représentée par trois ambassadeurs pléni-
potentiaires: le duc de Longueville, le comte d'Avaux et Servien. Ces trois per-
sonnages avaient des profils biographiques tout à fait différents, notamment con-
cernant leur rang social, leur expérience diplomatique et leur connaissance de
l'Allemagne. Il est donc nécessaire d'étudier chaque biographie en particulier. En
outre, la France comptait plusieurs ministres résidents à Munster et à Osnabrück,
ainsi que plusieurs envoyés français auprès des principales cours et dans les plus
1 C'est pourquoi l'ambassadeur suédois Axel Oxenstierna se tint à l'écart, à proximité de la
ville d'Osnabriick, en attendant que d'autres envoyés s'y installent avant lui.
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128 La diplomatie française et la Constitution du Saint-Empire
grandes villes d'Allemagne. On peut donc parler d'un véritable réseau diplomati-
que français dans l'Empire qui fournissait des informations indispensables aux
ambassadeurs de Münster. Les chancelleries des ambassadeurs comprenaient éga-
lement tout un personnel qualifié (secrétaires, conseillers juridiques, interprètes,
etc.) qui pouvait aider les ambassadeurs dans leurs tâches quotidiennes.
Henri II d'Orléans, duc de Longueville et comte de Neuchâtel (1595-1663),
était issu d'une lignée illégitime de la dynastie Valois-Orléans. Il avait d'abord
fait une brillante carrière militaire, mais sa fidélité au roi n'était pas toujours res-
e inébranlable2. De 1613 à 1618, il avait été gouverneur de Picardie, puis gou-
verneur de Normandie à partir de 1619. Après la mort de Bernard de Saxe-Wei-
mar, en 1639, il était devenu commandant en chef de ses anciennes troupes dans
l'Empire; puis, en 1642, il commanda les troupes françaises dans le Piémont. Il
faut donc noter que le premier plénipotentiaire de France à Münster n'était pas un
diplomate expérimenté mais un représentant de la haute noblesse d'épée3 et un
militaire de premier rang. En revanche, quand il fut nommé ambassadeur de
France au congrès de la paix, il connaissait déjà l'Allemagne de par ses campa-
gnes militaires. D'ailleurs, il n'était point non plus un néophyte en matière de pro-
blèmes administratifs et politiques: le duc de Longueville avait entre autres fait
partie, en 1643, du Conseil de régence instauré après la mort de Louis XIII, jus-
qu'à ce que cette assembléet supprimée par le parlement de Paris. Le duc était
considéré comme un concurrent de Mazarin; sa nomination comme ambassadeur
à Münster Γ éloignait certes du centre du pouvoir4, mais il fut en même temps
nommé au Conseil d'en haut. Il représenta la France à Münster en tant que chef de
délégation du mois de juin 1645 à février 1648, date à laquelle il demanda et ob-
tint la permission de retourner en France. Selon l'image traditionnelle que l'histo-
riographie a forgée de ce prince, il n'aurait été que le représentant des splendeurs
de la France au niveau des festivités et du cérémonial (avec sa ravissante épouse,
Anne-Geneviève de Bourbon-Condé), sans emprise réelle sur les vraies questions
politiques5. Pendant son séjour en Westphalie, Longueville resta dans une oppo-
sition latente au gouvernement de Mazarin; par contre, après son retour en France,
en 1648, il participa activement à la Fronde6.
Parce qu'il fut longtemps considéré comme un diplomate négligeable, les his-
toriens ont prêté peu d'attention à l'étude de la politique de Longueville à Müns-
2 A l'âge de 18 ans, il avait déjà participé à une révolte contre la régente Marie de Médicis.
3 Pourtant, il ne fut reconnu prince du sang qu'en 1653.
4 Selon Servien, cet éloignement fit l'objet de discussions entre Longueville et les représen-
tants des autres Etats à Münster; cf. son mémoire envoyé à son neveu Lionne, [Münster],
11 septembre 1646, publié dans: KELCH-RADE, TISCHER, APW II Β 4, n° 152, p. 435^T40,
ici p. 439^140.
5 Martin PHILIPPSON le qualifie même de »zéro brillant« (»glänzende Null«), ID., Der
Große Kurfürst Friedrich Wilhelm von Brandenburg, première partie: 1640 bis 1660, Berlin
1897, p. 100.
6 Pour la biographie du duc de Longueville, cf. TISCHER, Französische Diplomatie, p. 99-
105 (avec les références bibliographiques des principaux ouvrages et articles antérieurs en
français et en allemand).
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III. La politique française au congrès de la paix de Westphalie 129
ter. Or, le fait que Longueville ait mené seul les négociations avec l'Espagne
pendant une période décisive de presque quatre mois, de janvier à avril 1647,
remet sérieusement en question ce jugement. Les recherches récentes ont souligné
l'influence majeure du duc sur certaines décisions cruciales de la diplomatie fran-
çaise à Münster7. On constate aussi que les dépêches qu'il envoyait seul à Paris, et
qui avaient été rédigées sans le concours de ses collègues d'Avaux et Servien,
attestent une bonne connaissance des matières de la négociation8. Toutefois, il est
vrai que l'emprise de Longueville sur les négociations relatives aux questions al-
lemandes n'a pas été aussi grande qu'à l'égard des pourparlers franco-espagnols,
et qu'il est arrivé à ses collègues d'émettre parfois des doutes sur ses capacités de
négociateur9. Néanmoins, une fois le duc rentré en France, Servien conseilla au
gouvernement, à l'été 1648, de le consulter au sujet de la condition juridique des
états immédiats de l'Empire dont les territoires étaient situés en Alsace, une ma-
tière très complexe mais que le duc connaissait bien, selon le jugement de son an-
cien collègue10. Par ailleurs, certaines questions traitées à Münster intéressaient
personnellement Longueville, par exemple le problème de la cession de l'Alsace
à la seule descendance légitime de la maison de Bourbon, à l'exclusion des
lignées illégitimes11.
Claude de Mesmes, comte d'Avaux, né en 1595 et mort en 1650, fut ambassa-
deur extraordinaire de France au congrès pour la paix de Westphalie à Münster du
18 mars 1644 jusqu'à sa révocation au printemps 1648. Il fit plusieurs voyages à
Osnabrück et entretint de très bonnes relations avec les députés protestants, no-
tamment avec le Suédois Salvius, tout en veillant avec la plus grande attention
aux intérêts du parti catholique; au moment crucial des pourparlers entre le comte
de Trauttmansdorff, principal ambassadeur impérial au congrès de Westphalie, les
Suédois et les états protestants sur le droit de religion allemand, d'Avaux accom-
plit deux missions très importantes à Osnabrück du 16 janvier au 18 mars et du
3 au 26 avril 1647.
D'Avaux était issu de l'une des principales et des plus illustres familles de la
noblesse de robe, comptant parmi ses membres une longue tradition de juristes12.
Il était devenu conseiller d'État en 1623 et fut un diplomate de carrière avant la
7 Cf., en particulier, BRAUN, Einleitung, APW II Β 5/1, p. CXXX.
8 Cf. TISCHER, Französische Diplomatie, p. 104.
9 Cf., par exemple, la lettre de [Servien] à Lionne, [La Haye], 5 mars 1647; publiée dans:
BRAUN, APW II Β 5/1, n° 162, p. 765-767, ici p. 767: »[Longueville] est si facile et ne peut
pas sçavoir l'energie ny la véritable différence de termes dont il faut se servir dans un traité.
L'humeur vétilleuse, piquotante et pointilleuse de monsieur d'Avaux est utile en de sembla-
bles rencontres«.
10 Dans une dépêche envoyée par Servien à Louis XIV, [Münster], 24 août 1648, cf.
TISCHER, Französische Diplomatie, p. 104-105.
11 Servien évoqua ce conflit d'intérêts dans son mémoire à Lionne, Münster, [8 mai] 1646,
publié dans: JARNUT, APW II Β 3/2, n° 262, p. 910-915, ici p. 913.
12 Au sujet de la généalogie de cette famille connue depuis le XIIIe siècle, cf. Jean-Paul LE
FLEM, Recherches sur Jean-Jacques Ier de Mesmes, seigneur de Roissy-en-France (1490-
1569), dans: Société des sciences, lettres et arts de Pau, 4e série, VII (1972), p. 129-152.
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130 La diplomatie française et la Constitution du Saint-Empire
lettre à une époque où les emplois diplomatiques étaient souvent éphémères. De
1627 à 1632, il représenta la France à Venise, puis à Rome à partir de 1632, en-
suite dans d'autres États d'Italie. Après l'apprentissage de la diplomatie dans son
berceau natal d'Italie, d'Avaux devint spécialiste de l'Europe du Nord et de l'Eu-
rope centrale: de 1634 à 1637, il fut ambassadeur extraordinaire au Danemark, en
Suède et en Pologne, avec des lettres de créance qui valaient aussi pour les princes
de l'Empire; en 1635, il fut médiateur pour le traité de trêve de Stuhmsdorf entre
la Suède et la Pologne. Il fut également l'un des ambassadeurs de France choisis
pour participer au congrès de Cologne. De 1637 à 1642, il s'installa à Hambourg
en tant qu'envoyé extraordinaire de la France, et c'est en cette qualité qu'il signa
en décembre 1641 le traité préliminaire de Hambourg, conclu par les Français et
les Suédois avec les Impériaux. En 1643, il fut nommé surintendant des finances
et ambassadeur extraordinaire de France pour le congrès de la paix générale de
Westphalie. Avec son collègue Abel Servien, il fut d'abord chargé de négociations
diplomatiques avec les Provinces-Unies des Pays-Bas, qui durèrent de novembre
1643 à mars 1644. Après sa révocation du congrès de Westphalie au printemps
1648 et une disgrâce éphémère, d'Avaux se vit confirmé dans sa charge de minis-
tre d'État et de membre du Conseil en décembre 1648. Le 9 novembre 1649, il
reprit des fonctions de surintendant des Finances, mais se démit définitivement de
cette dernière charge au mois de mai 1650. En septembre 1650, le duc d'Orléans
le chargea encore une fois de négocier la paix avec l'Espagne, mais ces pourpar-
lers échouèrent puisque les négociateurs espagnols ne se présentèrent pas au lieu
prévu, à Nanteuil13. Malgré une très riche carrière de diplomate au service de
Louis XIII, puis de Louis XIV, le nom du comte d'Avaux reste surtout attaché aux
traités de Westphalie14.
En 1643, d'Avaux disposait d'une expérience diplomatique longue de seize
ans, ce qui était très rare à l'époque. En ce qui concerne l'Allemagne, on peut dire
que ni Longueville ni Servien ne pouvaient rivaliser avec les connaissances du
comte d'Avaux. Toutefois, cela n'empêcha pas que le comte ne commît lui-même
des erreurs: au début du congrès de Westphalie, il partagea par exemple avec ses
collègues et avec le gouvernement français l'opinion selon laquelle il serait pos-
sible d'engager tous les états de l'Empire contre l'empereur15. Cependant, les-
pêches et mémoires qu'il envoya à Paris montrent qu'il connaissait extrêmement
13 Pour la biographie du comte d'Avaux, cf. TISCHER, Französische Diplomatie, p. 105-118
(avec des références bibliographiques, p. 105, n. 32); au sujet de ses disputes avec son collè-
gue Abel Servien de 1644 à 1647 - disputes qui avaient des raisons personnelles et politiques
- et au sujet de sa révocation, voir ibid., p. 127-157 et p. 171-180. Cf. également EAD.,
Claude de Mesmes, Count d'Avaux (1595-1650): The Perfect Ambassador of the Early 17th
Century, dans: International Negotiation 13 (2008), p. 197-209.
14 Cf. [Claude de Mesmes, comte D'AVAUX], Correspondance inédite du comte d'Avaux
(Claude de Mesmes) avec son père Jean-Jacques de Mesmes, Sr de Roissy (1627-1642),
publiée par Auguste BOPPE, Paris 1887, introduction, p. III-XXVII, ici p. III.
15 Cf. Derek CROXTON, Peacemaking in Early Modem Europe. Cardinal Mazarin and the
Congress of Westphalia, 1643-1648, Selinsgrove, Londres 1999, p. 137; TISCHER, Franzö-
sische Diplomatie, p. 127.
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III. La politique française au congrès de la paix de Westphalie 131
bien les structures politiques et confessionnelles de l'Empire. Parmi les diploma-
tes et les hommes d'État français, c'est lui qui prônait le plus ouvertement une
véritable politique allemande menée indépendamment des Suédois et des alliés
protestants de la France. Il mérite d'être souligné que le meilleur connaisseur du
Saint-Empire parmi les plénipotentiaires français en Westphalie préféra à l'au-
tomne 1648, après sa révocation, que l'Alsacet cédée à la France comme fief de
l'Empire16.
Abel Servien, né en 1593 et mort en 1659, issu d'une vieille famille de la no-
blesse de robe du Dauphiné17, fut l'un des trois ambassadeurs extraordinaires
envoyés par la France au congrès de la paix de Westphalie à compter du 5 avril
1644; Mazarin l'avait choisi comme remplaçant de Chavigny le 23 septembre
1643. Après le départ du duc de Longueville et la révocation du comte d'Avaux,
il fut le seul plénipotentiaire français à signer le traité de Westphalie en octobre
1648 et quitta Münster après l'échange des ratifications en février 1649. Servien,
protégé de Mazarin, recevait des instructions secrètes d'Hugues de Lionne, qui
était son neveu et le secrétaire du cardinal et d'Anne d'Autriche. Servien avait
occupé plusieurs fonctions importantes dans l'administration française depuis
161618, avait été secrétaire d'État à la Guerre de 1630 à 1636 et envoyé extraordi-
naire aux négociations de la paix de Cherasco en 1631. En 1636, il était tombé en
disgrâce auprès de Richelieu, mais s'était de nouveau vu confier des fonctions
politiques par Mazarins 164319. En 1643 et 1644, il avait accompli une pre-
mière mission à La Haye avec son collègue d'Avaux afin de négocier un nouveau
traité d'alliance avec les Provinces-Unies, alliées calvinistes du Roi Très Chrétien
depuis 1634 et 1635. De janvier à août 1647, il fut chargé d'une deuxième mission
auprès des États-Généraux et des princes d'Orange pour négocier un traité d'assis-
tance mutuelle garantissant l'exécution de la paix que les deux puissances de-
vaient conclure avec l'Espagne. Rappelons encore que, après son retour en France,
Servien, ministre d'État depuis 1648, fut nommé surintendant des Finances en
1653, aux côtés de Nicolas Foucquet20. Avant 1644, Servien ne connaissait pas
personnellement l'Allemagne, et il est certain qu'à la veille du congrès de West-
phalie Servien n'était pas un spécialiste de ce pays21. Toutefois, il est évident que
les négociations du traité de paix de Cherasco et sa fonction de secrétaire d'État à
16 Ibid., p. 115.
17 Comte de la Roche-des-Aubiers, depuis 1652 marquis de Sablé et Boisdauphin.
18 II avait été procureur général au parlement de Grenoble de 1616 à 1624, nommé conseiller
d'État en 1618, maître des requêtes en 1624, intendant de justice et police en Guyenne de
1628 à 1629.
19 Servien avait rencontré à plusieurs reprises Mazarin en Italie entre 1629 et 1633; à cette
époque, ils étaient devenus amis. En 1643, Servien devint la créature de Mazarin, le cardinal
son patron. L'ambassade à La Haye et en Westphalie fut son premier emploi après sa réhabi-
litation.
20 Pour la biographie de Servien, cf. TISCHER, Französische Diplomatie, p. 119-126 (avec
des références biographiques très riches p. 119, n. 97).
21 Tischer réfute à juste titre l'assertion selon laquelle Servien aurait été le spécialiste des
affaires d'Allemagne du cardinal de Richelieu durant les années 1630, ibid., p. 127.
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