Les Français et l'école
Louis MAURIN
Les Français seraient-ils lucides ? L'inefficacité de l'école en matière de réduction des
inégalités que fait apparaître le constat statistique semble avoir un reflet dans l'opinion de la
grande majorité des Français. Selon une enquête du ministère de l'Education nationale (1),
42% pensent que l'école n'a pas d'effet sur les inégalités sociales et 32% qu'elle les augmente
même. Pourtant, une demande existe: les deux tiers des sondés estiment que l'un des rôles de
l'école est de réduire les inégalités sociales.
(1) Ministère de l'éducation, DEP, enquête réalisée par sondage auprès de 1500 personnes en
février 1994.
Mais c'est après le bac que se créent les plus gros écarts. Au sommet de la hiérarchie scolaire
française, les enfants d'ouvriers se font rares: à la rentrée 1992, ils représentaient 6,5% des
élèves des écoles d'ingénieurs, alors que près de la moitié étaient des enfants de cadres
supérieurs. La ségrégation est la même à l'Université, mais elle s'effectue davantage par le jeu
des filières d'enseignement et de la durée d'étude. Les enfants d'ouvriers, qui représentaient
13,4% des étudiants en premier cycle à la rentrée 1991 ne sont plus que 7,3% en troisième
cycle. Dans le même temps, la proportion d'enfants des professions libérales et cadres
supérieurs passe de 34,8 à 46,8%.
Tout en haut de la pyramide scolaire, il semble même que le recrutement soit de plus en plus
élitiste. La part des enfants d'origine populaire dans le saint des saints, les quatre grandes
écoles les plus prestigieuses (Polytechnique, l'ENA, Normale sup et HEC), n'a cessé de
décroître depuis les années 50, passant de 29 à 8,6%. Dans le même temps, leur part dans
l'ensemble des jeunes a diminué beaucoup moins rapidement, de 91 à 68% (2).
Malgré le boom scolaire, le système ne s'est donc pas réellement démocratisé. " L'école
s'ouvre à tous, les diplômes se multiplient, mais les inégalités ne diminuent pas. Seul
changement, la sélection se fait plus tard dans le cursus ", explique Dominique Goux,
chercheur à l'Insee, qui vient de réaliser, avec Eric Maurin, une analyse sur l'évolution des
inégalités scolaires de 1970 à 1993 à partir des enquêtes formation-qualification de 1993.
L'étude de l'Insee qui porte sur les diplômes obtenus confirme les données parcellaires. En
1993 comme en 1970, un jeune issu d'un milieu modeste n'a toujours qu'une chance sur dix
d'être mieux diplômé qu'un enfant de cadre ou de chef d'entreprise. Seul changement, les
inégalités liées à la situation sociale et aux revenus des parents ont tendance à légèrement
diminuer au profit des inégalités liées au niveau de diplôme.
Les inégalités dans la carrière professionnelle ne se sont ni accrues ni
réduites
Ce constat sur la formation initiale n'a pas grand sens s'il ne prend pas en compte l'insertion
dans le monde du travail. Un diplôme n'a de valeur qu'au sens où il offre l'accès à une
profession, un statut social. Qu'en est-il du lien entre niveau de diplôme et mobilité sociale?
Là aussi, l'inégalité bat son plein. " Etre issu d'un milieu aisé est un atout à l'école, cela le
reste en début de vie active, puis tout au long de la carrière ", note Dominique Goux. Si l'on