Difficultés inhérentes à l`insertion des musulmans en Europe

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Conference of European Churches (CEC)
Consilium Conferentiarum Episcoporum Europae (CCEE)
Conférence des Eglises européennes (KEK)
Council of European Bishops’ Conferences (CCEE)
Konferenz Europäischer Kirchen (KEK)
Rat der Europäischen Bischofskonferenzen (CCEE)
COMITÉ ISLAM EN EUROPE
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Deuxième lettre aux Eglises en Europe
« Le rôle des Eglises chrétiennes dans la société pluraliste vu par des
musulmans d’Europe »
Les membres du Comité « Islam en Europe »
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ont interrogé des musulmans ou leurs écrits
pour comprendre ce qu’ils attendent du rôle des Eglises dans la société européenne.
Au début, les Eglises ont pris en charge l’intégration des musulmans par le biais de multiples
actions humanitaires. Aujourd’hui, il arrive que les Eglises apportent leur aide dans les
différents processus d’institutionnalisation, dessinant ainsi de nouveaux rapports entre Etat,
Eglise et communauté musulmane. Les musulmans sont bien conscients que la médiation
des Eglises est parfois inévitable car elles connaissent mieux les rouages de l’Etat.
Cependant, il n’est pas rare de rencontrer une certaine méfiance chez les musulmans, qui
craignent que cette aide ne cache un but de prosélytisme. Certains dénoncent la peur des
Eglises depuis qu’ils s’institutionnalisent comme « religion » dans les différents pays
d'Europe.
Lorsque le processus d’intégration est atteint, l’attitude des musulmans par rapport aux
Eglises peut se diversifier : soit ils gardent un bon rapport d’estime, soit ils se solidarisent
avec certaines structures laïques et se trouvent parfois en position de polémique avec la
religion chrétienne ou deviennent tout simplement indifférents. Quant aux tendances
mystiques, elles ont plutôt une attitude empreinte de respect à l'égard de la religion
chrétienne.
Bien qu’il existe des noyaux « purs et durs », certains musulmans tiennent un discours de
plus en plus souple sur la société occidentale et sur les Eglises. Ils constatent, par exemple,
en Grande Bretagne, que « les Eglises ont adopté un rôle plus pro-actif par rapport aux
mosquées en essayant de les comprendre et d’entrer en relation avec elles. Cette
interaction nous a aidés à nous rendre compte que l’Eglise n’était pas pour convertir mais
pour établir des relations avec nous et comprendre nos préoccupations »
2
.
A ces attitudes diverses, il convient d’ajouter qu’il est impossible de raisonner de façon
globale, l’Islam n’étant pas monolithique. Les populations musulmanes qui s’implantent de
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Le CCEE et la KEK ont fondé conjointement en 1987 le Comité Islam en Europe pour aider
les Eglises au dialogue avec les musulmans vivant en Europe.
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Interview de Philippe Lewis, maître de conférences en Etudes religieuses à l’Université de
Leeds et conseiller multi-confessionnel auprès de l’évêque anglican de Bradford, avec Monsieur Iqbal
Sacranie, Secrétaire Général du « Muslim Council of Britain »
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façon progressive mais définitive au sein des différents pays d’Europe de l’ouest sont
d’origines diverses.
Dans certains pays d’Europe, les générations se succèdent déjà tout en réaffirmant, pour
une partie d’entre elles, leur appartenance à l’Islam, culturellement et religieusement dans
une société de plus en plus sécularisée et plurielle.
Difficultés inhérentes à l’insertion des musulmans en Europe
L’Islam entre de façon visible dans l’espace public. Cela provoque quelques difficultés.
Les musulmans, quant à eux, se trouvent à la croisée de plusieurs systèmes juridiques :
celui du droit occidental, celui inspiré du droit coranique et celui du pays d’origine. Certains
pays (comme la Bosnie, l’Allemagne….) n'ont pas encore déterminé la ligne de conduite à
tenir. Faut-il oui ou non introduire un droit familial musulman ?
Certains Etats, de leur côté, se trouvent confrontés à un problème de représentativité. Ce
processus se greffe sur des modalités différentes selon les pays et certains l’ont déjà mis en
place ou sont en train de le faire.
Qu’attendent les musulmans aujourd’hui des Eglises dans la société européenne ?
1. Des attitudes par rapport à l’Islam
Certains musulmans comptent sur les chrétiens pour que les principes de la démocratie leur
soient appliqués. Ils souhaitent que les Eglises soutiennent une nouvelle législation visant à
rendre illégale la discrimination religieuse. Enfin, ils voudraient que les Eglises les aident à
faire tomber les préjugés à leur égard. Certains veulent être considérés comme des
musulmans et non pas fragmentés en communautés ethniques différentes, alors que
d’autres préfèrent être définis par la nationalité. Reconnaissance, indifférence ou hostilité
peuvent modifier le devenir des attitudes des populations musulmanes.
2. Des critiques par rapport au christianisme
Des musulmans critiquent la faiblesse des Eglises chrétiennes en Europe. Pour certains
radicaux, les sociétés occidentales auraient perdu leur « pilier biblique » un avis que les
Eglises elles-mêmes ne partagent pas , le seul pilier qui leur reste étant celui reçu en
héritage de l’antiquité païenne. D’autres affirment la supériorité de l’Islam par rappport à
l’Occident. Ainsi, un musulman vivant en Suisse souligne que l’Occident apprécie le Titan
Prométhée, symbole de la volte contre les dieux, tandis que l’Islam reste fidèle à la foi
d’Abraham
3
.
Ils perçoivent cependant les Eglises comme des éléments potentiels de moralisation de la
société, mais dont l’influence est malheureusement en pleine décadence. Cela est
facilement interprété comme une démonstration de la supériorité de la religion islamique, qui
n’admet pas de division entre temporel et spirituel.
Quant aux musulmans eux-mêmes, certains pensent qu’ils sont prêts à une insertion
positive dans la société européenne. Dans un contexte moderne, ils voudraient réfléchir aux
3
Tariq Ramadan, professeur de philosophie, d’islamologie et de littérature française en Suisse.
Voir : Islam, le face à face des civilisations, Ed. Tawhid, 1995, p 276-295).
Pareille idée apparaît chez Akbar Ahmed (musulman pakistanais, professeur à Cambridge)
sur l’Europe post-moderne. « Rambo c’est l'Achille de l’Antiquité grecque, tandis que le pilier biblique
n’existe plus ». (Akbar Ahmed : Postmodernism and Islam. Predicament and Promise. London,
Routledge, 1992).
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fondements de leur religion et intégrer les aspects positifs du monde contemporain, tout en
restant attachés au sacré et voulant échapper au phénomène de sécularisation.
3. Attitudes et moyens d’action communs
Dans la vision d’autres musulmans, désislamisation et déchristianisation vont de pair. Les
chrétiens et les musulmans se demandent comment formuler leur identité dans un contexte
qui change. La foi ne se transmet plus par tradition et sa transmission devrait être
davantage prise en compte. Il y a un véritable analphabétisme religieux, une
méconnaissance de sa propre histoire. Une éducation solide est nécessaire afin de pouvoir
comprendre la culture et la religion de l’autre.
Ils demandent qu’ensemble, nous examinions les problèmes de la société et les valeurs qui
lui sont nécessaires, les religions étant toutes confrontées à ce défi. Ils en définissent
certains :
la religion peut apporter des valeurs et il faut donc œuvrer pour en donner une image
correcte;
des voies nouvelles communes sur le plan de la spiritualité (les points de repère ont
disparu) ou sur le plan d’actions communes sont à trouver;
d’après un musulman de Grèce, les membres des différentes religions peuvent
s’asseoir autour d’une même table pour discuter des questions fondamentales
affectant la société (l’environnement, la pauvreté, les injustices, le respect des
personnes, les droits de tous sans différenciation raciale, nationale, religieuse ou
sociale, la criminalité, le divorce, les grossesses d’adolescentes, les abus sexuels, la
bio-éthique…).
« On a à affronter les grands problèmes de l’environnement et de la pauvreté… Les
grandes religions du monde portent la sagesse des siècles. On est tous des créatures de
Dieu et de là, on voit les hommes. On doit exploiter cette sagesse, on peut parler de ce
respect des personnes, des droits pour tous. On doit s’opposer à toute différence… Il n’y
a aucun avantage à diviser les hommes… »
4
.
Ce que suggèrent des musulmans :
Aujourd’hui, l’Islam et les musulmans se situent dans le contexte d’une Europe
démocratique et pluraliste qui s’est donnée pour fondement le respect des droits de
l’homme, des libertés fondamentales et le respect des minorités. En tant que religion,
culture et groupe minoritaire, les musulmans voudraient être accueillis et traités comme il
se doit.
On a trop souvent ignoré la « religion » en tant que composante importante de l’identité et
de l’auto-définition des communautés minoritaires. Il faut leur garantir la possibilité de
jouer un rôle à part entière dans la vie publique, locale et nationale. Voici le souhait d'un
musulman en Tchéquie : « Les musulmans apprécieraient que les Eglises chrétiennes les
aident à obtenir une reconnaissance officielle auprès du Ministère de l’Intérieur en tant
que société religieuse (l’équivalent des Eglises), à la place de la reconnaissance actuelle
en tant qu’association culturelle »
5
. Il arrive que les Eglises soient l’obstacle principal à
franchir
6
, comme c’est l’avis de musulmans en Italie.
4
Lettre du 23 juin 2000 au Prof. Alexandre Kariotoglou à Athènes, de la part du Mufti de
Komotini, Monsieur Metso Tzemali.
5
Interview avec M. Mohammed Ali Silhavy (converti à l’islam en 1938, leader reconnu d’El
Ittihad El Islami, centre des musulmans en Tchéquie). Interview rapporté par le Prof. Lubos Kropacek
de Prague.
6
Des responsables de l'UCOII (Unione delle Comunita de Organizzazioni Islamiche in Italia)
ont publiquement affirmé que l'Eglise catholique est le principal obstacle à franchir pour la diffusion de
l'Islam en Italie. Ils parlent aujourd'hui des musulmans en tant que minorité qui désire la coexistence et
la collaboration avec les autres communautés religieuses du pays.
4
Ils souhaiteraient aussi que les Eglises oeuvrent à tout prix contre une culture du mépris
à l’égard des deux religions. Un musulman de Tchéquie s’exprime :
« Il existe plusieurs courants et tendances dans l’Islam comme dans le christianisme. Il y
a des radicaux et des modérés des deux côtés. Nous pensons qu’il ne serait pas juste de
juger la chrétienté d’après l’Inquisition des 16ème et 17ème siècles, au même titre qu'il
n’est pas juste de juger l’Islam d’après ses extrémistes actuels. Les deux religions
contiennent plusieurs valeurs morales dont la société a besoin. Il faut œuvrer pour donner
l’image correcte des deux religions dans les médias afin de faciliter l’intégration des
immigrés dans la société »
7
.
D’après l’avis d’un musulman d’Allemagne :
« L’Eglise a également un rôle de médiation entre les différents groupes de la société.
Cela signifie qu’elle a à contribuer à plus d’entente mutuelle, de tolérance, de respect, à
détruire les préjugés, à bâtir et entretenir des relations ouvertes, l’unité et la fraternité
entre les hommes, les valeurs des religions des peuples eux-mêmes, de la société, de
l’institution et de l’Etat »
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. L’Eglise peut donc soutenir les valeurs morales et religieuses
pour faciliter la convivance des cultures, des personnes, des religions au sein de la
diversité.
D’autre part, certains demandent d’agir ensemble pour ne pas tomber dans le
communautarisme. Réfléchir ensemble les questions de foi, de modernité, de société et
intervenir au niveau social, politique et économique.
Tout en espérant une collaboration, ils exigent que chacune des religions garde ses
convictions et même les précise, comme par exemple en Grande Bretagne :
« Là nous pouvons travailler ensemble, nous collaborons étroitement avec les
organisations des Eglises et d’autres religions... du moment que nous tenons fermement
à nos convictions et au message d’origine donné par le Coran, la Bible… Je voudrais que
les Eglises soient plus fermes et plus intransigeantes à l'égard des valeurs éducatives en
particulier, pour faire respecter les valeurs familiales »
9
.
De plus, ils voudraient que les croyants soient à l’écoute les uns des autres, organisent
des rencontres et des débats, par exemple sur le plan de la formation, tiennent compte
de la culture et de la religion de l’autre dans les programmes scolaires, mettent les élèves
en situation de dialogue avec les croyants des religions étudiées, forment des
enseignants compétents, aient un débat de fond sur le contenu de la formation et sur les
objectifs et s’engagent ensemble à poser des questions, à susciter le débat.
Conclusion
Des Eglises se sont mises sur la voie d’un engagement en faveur de la pluralité
religieuse. C’est pourquoi les membres du Comité « Islam en Europe » pensent qu’il est
important de faire connaître aux Eglises les différents points de vue des musulmans sur
le rôle de celles-ci dans cette société plurielle. Il va de soi que ce n'est pas la vision du
Comité « Islam en Europe » et que nous ne nous identifions guère aux affirmations ou
aux critiques de certains musulmans et que nous n’avons pas l’intention d’y répondre.
Il a été dit que beaucoup de musulmans perçoivent l’Occident comme une civilisation qui
a perdu son âme, que les Eglises ne sont plus ce qu’elles étaient, que la religion
7
Interview par le Prof. Lubos Kropacek de Prague, de M. Salah El-Din Sayedi (docteur en droit,
avocat, résidant en Tchéquie depuis 17 ans, très actif dans la communauté musulmane de Prague. Il
participe assez souvent aux rencontres de dialogue interreligieux organisées par l’Académie
Chrétienne (une association éducative).
8
Extrait de la lettre du 9 juin 2000 de Hasan Demirbag, président de la « Türkisch Islamische
Union der Anstalt für Religion e.V. / Diyanet Ysleri Türk Islam Birligi (DITIB) » de Cologne.
9
Interview de Philippe Lewis avec Monsieur Iqbal Sacranie. Cit. supra.
5
chrétienne a séparé le spirituel du temporel. Il faudrait prendre également en
considération que les Eglises d'Orient adressent la même critique que les musulmans aux
Eglises d'Occident. Les Eglises d'Orient ne peuvent facilement accepter la séparation
entre spirituel et temporel. C'est ainsi que les Eglises pourraient s'aider à mieux
comprendre ces critiques et à faire connaître le dynamisme et l’inspiration biblique dont
elles sont capables. Ensemble, elles pourraient donner un témoignage de foi dans la
société pluraliste européenne, tout en collaborant avec tous les membres de la société.
* * * * * * * *
Bibliographie
Tariq Ramadan : Islam, le face à face des civilisations. Ed. Tawhid, 1995 (surtout p.
276-295).
Akbar Ahmed : Postmodernism and Islam. Predicament and Promise. London,
Routledge, 1992.
Shaykh Abd al-Khaliq Al-Shabrawi : The Degrees of the Soul, Spiritual Stations of the
Sufi Path.The Quilliam Press, London, 1997, prologue, p IX.
Philippe Lewis : De la marge au cœur du système ? in Confluences Méditerranée
n°32. Hiver 1999-2000.
Michel Guillaud : Faire France avec les jeunes musulmans, in Chemins de dialogue
n°14, 21 juin 1999.
Tariq Oubou : Les quatre clés de la réussite. La Medina n° 1, mai-juin 1999.
Didier Bourg : Des dignitaires catholiques dénoncent le « péril islamique » en
Europe… Pouah. La Médina n° 3, décembre 1999.
Jacques Neirynck et Tariq Ramadan : Peut-on vivre avec l’Islam ? Lausanne. Favre,
1999.
Soheib Bencheik : Marianne et le Prophète. Grasset, 1998.
Note de l’Exécutif des Musulmans de Belgique. 1999.
Murad Wilfried Hofmann : Der Islam als Alternative. Muenchen, 1992.
Murad Wilfried Hofmann : Der Islam im 3. Jahrtausend Eine Religion im Aufbruch.
Diederichs Verlag Muenchen, 2000.
Nadeem Elyas : Das weiche Wasser wird beziegen den harten Stein. Aachen, 1997.
Comité Islam en Europe
Juin 2001
Langue originale : Française
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