BSFE N°194

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Nove mbr e 2 015 -M a r s 2 016 | n o s  193 -194
nos 193-194 10,00 €
ISSN : 0037- 9379
bu lletin de l a société fr a nç a ise d’égy p tologie
Le Bulletin de la Société française d’égyptologie, qui paraît depuis 1949,
fait le compte rendu des réunions organisées régulièrement par cette
association, et livre le texte complet des communications qui y sont
faites par des chercheurs spécialisés dans les différentes facettes de
la recherche en archéologie égyptienne.
Il s’adresse aux personnes qui s’intéressent à l’étude de l’Égypte, de
ses origines à la période copto-byzantine, et les informe sur les derniers
développements des travaux en cours, notamment sur le terrain.
Il permet de mettre en relation des professionnels avec un public
féru d’égyptologie, tant en France qu’à l’étranger.
nos 193-194
Novembre 2015-Mars 2016
Bulletin de la Société française d’égyptologie
novembre 2015 - mars 2016 nos 193-194
- Compte rendu des réunions de novembre 2015
et mars 2016
2
ii
-Focus sur les membres
4
i
Nouvelles de la Société et de l’égyptologie
iii -
Listes des nouveaux membres, bienfaiteurs et donateurs 2015
Communications
- Ivan Guermeur
10
CNRS, Université Paul Valéry-Montpellier 3 - MCC (UMR 5140 - ASM)
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn
- Claire Somaglino
29
Université Paris-Sorbonne – CNRS (UMR 8167)
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta
à l’Ancien et au Moyen Empire
- Claude Traunecker & Isabelle R égen
52
Université de Strasbourg – CNRS (UMR 7044)
Université Paul Valéry-Montpellier 3 – CNRS (UMR 5140)
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux
N.B. : La communication du 12 novembre 2015 de M. Laurent C oulon
sera publiée ultérieurement
En couverture : Le dignitaire Héni, détail de sa stèle conservée au musée de plein air d’Héliopolis
(photo Cl. Somaglino) – Le cénotaphe de la tombe de Padiamenopé (photo Cl. Traunecker).
2 | BSFE 193-194
Ce Bulletin regroupe des conférences qui ont eu lieu lors de nos réunions de
novembre 2015 et de mars 2016 au grand auditorium de l’Institut national
d’histoire de l’art (INHA), 2 rue Vivienne, 75002 Paris.
I – COMPTE RENDU DE NOS DEUX DERNIÈRES RÉUNIONS
Réunion du jeudi 12 novembre 2015
La séance s’est ouverte à 17 heures sous la présidence de M. Pierre Tallet,
assisté de Mme Dominique Valbelle et de M. Olivier Perdu, vice-présidents.
Nouvelles de la Société
Pierre Tallet a brièvement rappelé l’entrée en vigueur des nouveaux contrats
de publication relatifs au Bulletin et à la Revue d’égyptologie, ainsi que leurs
implications ; il a en outre mis l’accent sur le contenu dorénavant plus dense
et la présentation remaniée du nouveau BSFE.
Mme Nathalie Lienhard a fait le point sur les adhésions et a tenu à remercier
personnellement M. Lobstein, fidèle donateur de la Société et particulièrement généreux cette année ; elle a en outre rappelé que les membres de la SFE
pouvaient, lors des réunions, inviter des personnes extérieures moyennant
une modique participation, volontaire, de 5 euros.
Nouvelles de l’égyptologie
M. Vincent Rondot a pris la parole pour annoncer la journée d’étude organisée par le département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre,
à l’École du Louvre, le 9 décembre 2015 : Les cahiers de l’égyptologue. Notes et
journaux de Georges Legrain (1895-1916).
Mme Lienhard a évoqué ensuite deux personnalités dont toute la communauté égyptologique déplore la récente disparition : M. Silvio Curto, décédé
le 24 septembre à l’âge de 96 ans, et M. Sergio Donadoni, mort le 31 octobre
2015 à l’âge de 101 ans.
Silvio Curto a exercé les fonctions de directeur du musée égyptien de Turin
durant plus de vingt ans et Sergio Donadoni fut, entre autres, un éminent
savant de l’université de Rome, La Sapienza ; tous deux ont grandement
contribué à la littérature et à la recherche égyptologiques.
Avec la disparition de ces deux grands professeurs, c’est une page de l’égyptologie qui s’est tournée ; mais de nouveaux chapitres prometteurs s’écrivent,
Réunions du 12 novembre 2015 et 19 mars 2016 | 3
notamment avec les travaux de MM. François Leclère (EPHE Ve section) et
Frédéric Payraudeau (Paris IV-Sorbonne) : Mme Lienhard annonce que le
prix 2015 de la Fondation Leclant de l’Académie des inscriptions et belleslettres a été remis aux deux chercheurs pour récompenser leurs travaux dans
le cadre de la Mission française des fouilles de Tanis.
Réunion du samedi 19 mars 2016
La séance s’est ouverte à 10 heures sous la présidence de Mme Dominique Valbelle, assistée de M. Olivier Perdu, en l’absence de notre président
M. Pierre Tallet et de notre secrétaire générale Mme Nathalie Lienhard, tous
deux en mission.
Nouvelles de la Société
Mme Dominique Valbelle, vice-présidente de la Société, a remercié très chaleureusement Mme Marie-Claire Cuvillier, présente dans la salle, d’avoir
assumé la fonction de secrétaire générale de notre association de 2000 à 2009.
Durant cette période et jusqu’au BSFE 191-192 (2015), Mme Cuvillier s’est également chargée de l’édition et de la traduction en français, lorsque la conférence avait eu lieu en anglais, du Bulletin. Lors de nos réunions, maintes fois
assistée de son époux Philippe Cuvillier, récemment disparu, elle a contribué
de manière significative au rayonnement et à l’image de notre société par la
qualité des relations qu’elle et son mari ont entretenues avec nos membres.
Mme Valbelle tenait à saluer ce dévouement sans faille envers la Société.
M. Olivier Perdu a ensuite pris la parole pour honorer la mémoire d’une
personne qui fut membre fidèle de notre Société : Mme Michelle Thirion,
décédée le 28 juin 2015. Elle avait géré durant de longues années la bibliothèque du Centre Golénischeff, quand celui-ci était dirigé par Jean Yoyotte.
Son intérêt pour l’onomastique (et pour les anthroponymes formés sur un
nom de divinité) l’avait conduite à publier dans la RdE quatorze séries de
notes destinées à compléter les travaux de Hermann Ranke. Dans le BSFE,
Michelle Thirion avait par ailleurs entrepris avec Jean Yoyotte un répertoire
des sujets de thèses menées en France en égyptologie, dont on possède onze
livraisons. Une dernière étude sur le nom Inimennayefnebou était parue dans
les Hommages à Jean Yoyotte en 2012. Qui a côtoyé Michelle Thirion gardera le
souvenir d’une personne réservée, dont la discrétion ne doit pas faire oublier
combien elle était dévouée à sa tâche.
4 | BSFE 193-194
M. Olivier Perdu a annoncé la parution, retardée mais prochaine, d’une RdE
rénovée : une nouvelle couverture entre tradition et innovation, une présentation faisant la part belle à la quadrichromie.
Nouvelles de l’égyptologie
Mme Annie Gasse est intervenue pour annoncer une exposition qui
sera inaugurée en juillet à Montpellier : À l’école des scribes : les écritures de
l’Égypte ancienne. Elle durera jusqu’au lundi 2 janvier 2017.
Coproduite par le Site archéologique Lattara-Musée Henri Prades et l’équipe
Égypte nilotique et méditerranéenne (ENIM), LabEx ARCHIMÈDE, de l’université Paul Valéry de Montpellier, l’exposition présentera au grand public
une vision claire et renouvelée des diverses écritures (hiéroglyphique, hiératique et démotique) de l’Égypte ancienne et illustrera non seulement les différentes étapes de sa (trans)formation, mais encore ses spécificités (capacité
d’adaptation au support et caractère vivant), sans oublier une évocation du
cercle restreint des lettrés.
Mme Valbelle a salué la présence dans l’auditorium du plus jeune membre
de la SFE, Grigor Avanessyan (en classe de CM2 !), et cédé la parole à M. Ivan
Guermeur pour le papyrus de Brooklyn…
II – FOCUS SUR LES MEMBRES
En ces temps difficiles pour toutes les associations de type Loi 1901, la Société
française d’égyptologie perdure néanmoins et accueille même régulièrement
de nouveaux membres ; c’est uniquement grâce à ces adhésions – des étudiants aux donateurs, de longue date ou récentes – que l’Association maintient ses activités et continue à livrer deux publications égyptologiques de
qualité.
Merci à tous les passionnés qui font vivre et évoluer cette Association
depuis 93 ans !
Nouveaux membres depuis novembre 2015
Vanessa Benkimoun, Raymond Billon, Marthe Bizien, Pierre-André Bizien,
Hélène Bouillon, Guillaume Boulmier, Mélodie Boussalmi, Thomas Bruneau,
Olivier Cabon, Marcos Caldas, Floriane Canovas, Chim Cholin, Florence
et Pascal Ciavatti, Marion Claude, Robert Feiss, Micheline Garbarini,
Focus sur les membres | 5
Pascal Gervais, Marie-Charlotte Horny, Agneta Karlberg de Jonghe,
Christophe Kunicki, Marc Maillot, Carole Marmontel, Bruno Martin, Elsa Oréal,
Jean-Pierre Papocchia, Paul Péricchi, Jean-Marie Rosay, Corinne Rougalle,
Tsubasa Sakamoto, Robert Schoirfer, Lucienne Vergne, Jean-Pierre VincentCarrefour, Sergio Volpi.
M. Khaled El-Enany, professeur d’égyptologie à l’université de Helwan,
ancien collaborateur scientifique à l’IFAO, membre associé à l’UMR 5140,
CNRS – université Paul Valéry Montpellier III où il a obtenu sa thèse en 2001,
a été nommé il y a peu ministre des Antiquités de l’Égypte. Il a dirigé
successivement le musée national de la Civilisation égyptienne (NMEC) et le
musée égyptien du Caire.
C’est avec grand plaisir que nous accueillons ce savant francophile et francophone parmi les membres d’Honneur de la Société française d’égyptologie.
Membres bienfaiteurs et donateurs 2015
Membres donateurs 2015
Membres bienfaiteurs 2015
Mme BEGELSBACHER Barbara
M. BIZIEN Gérard
Mme BOLZINGER Paule
M. BREVET Thierry
Mme CAUVILLE-COLIN Sylvie
M. COLAS Michel
M. DEMIDOFF Georges
Mme GASSE Annie
M. LECLANT Philippe
M. LOBSTEIN Philippe
M. MAESTRACCI Alain
Mme NOVEL Hélène
M. OLIVIER Dominique
Mme PIACENTINI-MIES Patrizia
Mme PABLO Patricia
M. PONS Bernard
M. PROU-GAILLARD Christian
Mme RIVIÈRE Sylvie
M. VERNUS Pascal
M. ZISKIND Bernard
Association Reine Élisabeth BRUXELLES
Association Papyrus LILLE
Association égyptologique de Gironde PESSAC
Association Rencontres égyptologiques STRASBOURG
M. AFFUSO Egidio
M. ALAVOINE Michel
Mme ALEGRE-GARCIA Susana
M. ALLARD-COULUON Michel
M. ALTENMÜLLER Hartwig M. ANDRÉ Paul
Mme ANDREU-LANOË Guillemette
Mme ANTHOINE-
MILHOMME Geneviève
M. ANTOINE Jean-Christophe
M. ARMINGAUD François
Mme AUCLAIR Anick
M. AVANESSYAN Grigor
Mme BAKECH Brigitte
M. BALS Jean-Louis
M. BARDINET Thierry
M. & Mme BARGES Jacques
Mme BARRA Sylvie
Mme BATIQUE-SCHEUER Noëlle
Mme BAZART Dominique
Mme BELOT-GUERY Martine
M. BELTRI Gilles
M. BENDERITTER Thierry
Mme BENKIMOUN Vanessa
Mme BERGER-EL
NAGGAR Catherine
M. BESNARD Damien
Mme BILLERY Marianne
M. BIZIEN Pierre-André
Mme BIZIEN Marthe
M. & Mme BONA Philippe
Mme BORDIÉ Roselyne
M. BOULMIER Guillaume
M. BOURGEOIS Nicolas
M. BOURGET Jacques
M. BOYER-CHAMMARD Gabriel
M. BRANDT Michel
M. BRIXHE Jean
Mme BRUALLA Marie-Claude
M. BRUNEAU Thomas
Mme BRUWIER Marie-Cécile
6 | BSFE 193-194
M. BRY Jean-Marc
M. BURDIN Louis-Édouard
Mme CAILLOT Anne
M. CANNUYER Christian
Mme CARDIN Christine
M. CARLOTTI Jean-François
M. CARNEAU Patrice
Mme CAROFF Sylvie
M. CARREZ-MARATRAY Jean-Yves
M. CARRIER Claude
M. CASANOVA Jean
Mme CERUTI Sabrina
M. CHAFFANJON Patrick
Mme CHAILLOUX Stéfanie
M. CHAMBOST Gérard
M. CHAPPAZ Jean-Luc
M. CHARRON Alain
Mme CHEVALIER Annie-
Dominique
M. & Mme CIAVATTI Pascal
M. CLAUS Benoît
M. CLOUIN Pierre
M. COLBERT Vincent
M. COLLOMBERT Philippe
M. COMTE Jean-Noël
Mme COQUARD Danielle
M. CORTEGGIANI Jean-Pierre
M. COSTA-TALENS Pedro
M. COULON Laurent
Mme COUTTET Sophie
Mme CUVILLIER Marie-Claire
Mme DAVID Arlette
M. DÉGARDIN Jean-Claude
Mme DELANGE Elisabeth
M. DELAVAULT Bernard
Mme DEMÉRÉ Viviane
M. DENIZON Jean-Marc
Mme DEPAILLAT Fabienne
M. DEPRINS Yves
Mme DESCLAUX Vanessa
M. DESRUES François
Mme DÉTRIE-PERRIER Martine
M. DEVAUCHELLE Didier
M. DHENNIN Sylvain
M. DILS Peter
M. DONATI Jean Roger
M. DRACHKOVITCH Jean-
Baptiste
Mme DU FAYET DE LA TOUR Gwenola
M. DUBOIS Jean-Pierre
Mme DUBRULE Béatrice
M. DUCHER Gérard
M. DUHARD Arnault
Mme DUPRAT Martine
Mme ÉBERWEIN-
CASILLI Antonia
Mme ÉPERVRIER Danielle
Mme ESPOSITO Serena
M. EUVERTE Vincent
Mme EYRAUD Ève
M. EYRE Christopher
Mme FANTIN Christine
M. FAROUT Dominique
M. FAURÉ Michel
Mme FAVRE-BRIANT Sylvie
M. FENEUILLE Serge
M. FERAUT Bernard
Mme FERREOL Monique
M. FINITZER Régis
Mme FORGEAU Annie
M. FORTIER Alain
M. FOURNIER Didier
M. FREYSSINGEAS Hubert R.
M. GABOLDE Luc
M. GARDON Erik
M. GHOUGASSIAN Michel
M. GILLES Xavier-Bruno
M. GILOT Jean-Pierre
Mme GLASER Susanne
M. GOSSART Hervé
M. GOSSELIN Luc
Mme GOUPIL Noélie
M. GOURDON François
M. GOYON Jean-Claude
Mme GRABER Marie-Christine
Mme GREFFET Nicole
M. GRIMAL Nicolas
M. GRODDEK Franz Detlev
Mme GROLL Christine
Mme GROS Brigitte
M. GUÉRICOLAS Bernard
M. GUERMEUR Ivan
M. HAILLARD François
M. HIS Jean-Pierre
M. HÖLBL Günther
Mme HUOT Claudine
M. JACQ Christian
M. JAMOT Jean-Claude
M. JEAN Richard-Alain
Mme JÉBRAK Jocelyne
M. JOANNE Serge
M. JOSSET Patrice
Mme JURET Michèle
M. KARG Frank
M. KETTEL Jeannot
M. KITA Jean-Claude
Mme LABBÉ-TOUTÉE Sophie
Mme LABRIQUE Françoise
M. LAGANT Daniel
Mme LAMARRE Ginette
M. LAURANS Frédéric
Mme LAURENT Véronique
Mme LAVALLARD Marie-Hélène
M. LAWNICZAK Christian
Mme LE ROY Frances G.
M. LEBLANC Christian
Mme LEBLOIS Angélique-
Kristel
Mme LECARDONNEL Marie-
Lucie
Mme LECLANT Marie- Françoise
M. LECUYOT Guy
M. LEDUC Étienne
M. LEFEVRE André
M. LEFÈVRE Dominique
Mme LÉGER Annie
M. LEGRAND Gilles
M. LEHNARDT Rainer
M. LEITZ Christian
M. LEMOIGNE Yvon
Mme LENZO-MARCHESE Giuseppina
Mme LEROUX Agnès
M. LEVALLOIS Jean-Pierre
Mme LIENHARD Nathalie
M. LIMME-ELPERS Luc
M. LODOMEZ Guy
M. LOFFET Henri
Focus sur les membres | 7
M. LOUVEL Bertrand
M. LUSTMAN Jacqueline
M. MAROUARD Grégory
M. MARTIN Bruno
M. MARTINET Xavier
Mme MASQUELIER-
LOORIUS Julie
M. MATHIEU Bernard
Mme MATHIEU-THIBAUD Marie-Laure
Mme MAUBERT Élisabeth
M. MAUDET Jean-Claude
M. MAUPIN Fabrice
Mme MAURIC-BARBERIO Florence
Mme MEFFRE Raphaële
Mme MELENDEZ-MUÑOZ Elea
Mme MENU Bernadette
M. MERLETTI Flavio
Mme MERMET-GUYENNET Isabelle
M. MEURER Georg
Mme MICHAU Nicole
Mme MICHAUX Danièle
Mme MIDANT-REYNES Béatrix
Mme MONCADE Jacqueline
M. MONCOUSIN Charles
M. MONFORT Raymond
M. MONFORT Yves
Mme MONIER Véronique
M. MONTILLET Louis-Thierry
M. MOURET Alain
M. MUSTIN Julien
Mme NAULEAU Martine
M. NEVEU François
Mme NOËL Marie-Thérèse
M. OLLIVIER Jean
M. OSING Jürgen
Mme OUILLON Annie
M. PADRO-PARCERISA Josep
M. PALOMBO Jacques
M. PAMMINGER Peter
Mme PANTALACCI Laure
M. PAPOCCHIA Jean-Pierre
Mme PARISOT Sylvie
Mme PATEREAU Claude
M. PERDU Olivier
M. PÉRICCHI Paul
Mme PERO Pierrette
Mme PERRIER Solange Mme PEYTHIEU Antoinette
Mme PLANTINET Marie-
Chantal
M. POIRSON Jacques
M. PRÉVOT Pierre
Mme PRÉVOT-GUYOT Nathalie
Mme PUIG-CAPELLO Rosa
M. RANNOU Eric
M. RAYON Éric
M. RAZANAJAO Vincent
M. REBOUL François
M. RELATS-MONTSERRAT Felix
M. REVEZ Jean
Mme RIGAULT Patricia
Mme ROBILLARD Patricia
M. RONDOT Vincent
M. ROSMORDUC Serge
Mme ROTTHIER - DE BUYL Dominique
M. ROUET Pascal
M. ROUFFET Frédéric
Mme ROUGALLE Corinne
M. ROUGEMONT Jean
M. ROUQUIER Pierre
M. RUETSCH Didier
M. SABLON Jean
M. SAHUN Jean-Louis
Mme SAIGET Fabienne
Mme SALLES Chantal
M. & Mme SAMBACH-
NUFER Eckhard
M. SARTRE Pierre-Loup
Mme SASSIER Paule
M. SAURON Alain
M. SCHENKEL Wolfgang
M. SCHMITT François M. SCHULER François
Mme SCHWEITZER Annie
M. SIBILLEAU Yvon
Mme SILVERT-LEPERRE Aline
M. SIMONET Jean-Luc
M. SOLERY Jean-Pierre
Mme SOMAGLINO Claire
M. SOUDAIS Dominique
M. STUCKEL Franck
M. SUSSEL Philippe
M. TALLET Pierre
Mme TAPULLIMA Marie-
Caroline
Mme TESSIOT-LAIPSKER Stéphanie
Mme THÉVENET Marie-Josée
M. THIERS Christophe
M. TIRADRITTI Francesco
M. TORCOL François
M. TRANCHART Christian
M. TRISTANT Yann
Mme UNAL Françoise
Mme VALBELLE Dominique
M. VALLOGGIA Michel
M. VAN DER MAESEN Charles
M. VANDE WALLE Étienne
M. VANESSE Raphaël
M. VARIN Éric
Mme VAUTHIER Marie-
Françoise
M. VESZ Thierry
M. VILLANOVA Charles
M. VILLOTEAU Fabien
M. VINCENT-CARREFOUR Jean-Pierre
M. VIOLA Lucien
M. VLEEMING Sven
M. VOLOKHINE Youri
Mme VON DROSTE Vera
Mme VON HABSBURG Margherita
Mme VUILLEUMIER Sandrine
M. WARE Andrew
M. WILLEM Gauthier
M. WINTER Erich
M. WORMSER Didier
Mme YELLIN Janice
M. ZAMPIERI Fabio
Mme ZIEGLER Christiane
M. ZIGNANI Pierre
III - communications
10 | BSFE 193-194
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2
du musée de Brooklyn 1
Ivan Guermeur
CNRS, Université Paul Valéry-Montpellier 3 - MCC (UMR 5140 - ASM)
La médecine de l’Égypte ancienne constitue assurément un des domaines
de l’égyptologie qui a été le mieux étudié, notamment depuis la seconde
guerre mondiale, et pour lequel il existe un nombre important de publications remarquables 2. Cependant, on doit noter que les recherches ont porté
jusqu’ici presque exclusivement sur le second millénaire avant notre ère,
période pour laquelle il existe des sources de toute première importance,
aujourd’hui dans l’ensemble bien publiées 3.
Ce relatif désintérêt, jusqu’à ces dernières années, pour les sources plus
récentes – il est vrai trop souvent peu connues ou assez mal éditées, tels
les papyrus démotiques médicaux de Vienne 4 – avait conduit la pensée
commune­à admettre une dégénérescence de la science, notamment
médicale, du fait d’une influence supposée accrue des pratiques magiques,
selon les principes d’alors où un Âge d’Or était immanquablement suivi de
Temps obscurs. C’est pourquoi nous ne sommes pas tout à fait surpris de lire
les remarques du grand démotisant danois Wolja Erichsen (1890-1966) qui,
1. Je remercie chaleureusement mes collègues et amis du Brooklyn Museum à New York, le Dr Edward
Bleiberg, le Dr Yekaterina Barbarsh, Kathy Zurek-Doule et le Dr Paul F. O’Rourke qui m’ont confié
les droits d’édition de ce document et qui m’ont offert toutes les facilités au cours de mes séjours
successifs sur place.
2. On notera en particulier : G. L efebvre , Essai sur la médecine égyptienne de l’époque pharaonique, 1956 ;
le monumental Grundriß der Medizin der alten Ägypter qui a paru en neuf volumes à Berlin entre 1954 et
1973, publié par H. Grapow – H. von Deines – W. Westendorf ; plus récemment, Th. Bardinet, Les papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique, 1995 ; J.F. Nunn, Ancient Egyptian Medicine, 1996 ; W. Westendorf,
Erwachen der Heilkunst. Die Medizin im Alten Ägypten, 1992 ; id., Handbuch der altägyptischen Medizin (HdO 36),
1999 ; H. Vymazalova – B. Vachala – E. Strouhal , The Medicine of the Ancient Egyptians, I, Surgery,
Gynecology, Obstetrics and Pediatrics, 2014 ; etc.
3. Voir le tableau présenté par J.F. Nunn, op. cit., p. 25.
4. Ainsi l’édition de E.A.E R eymond, From the Contents of the Libraries of the Suchos Temples in the Fayum, I,
A Medical Book from Crocodilopolis (P. Vindob. D. 6257) (MPER X), 1976, est notoirement insuffisante
(cf. D. Devauchelle – M. Pezin, CdE 53 [1978], p. 57-66) et une nouvelle édition est en préparation par
Fr. Hoffmann, « Zur Neuedition des hieratisch-demotischen Papyrus Wien D 6257 aus römischer Zeit »,
dans A. Imhausen – T. Pommerening (éd.), Writings of Early Scholars in the Ancient Near East, Egypt, Rome,
and Greece. Translating Ancient Scientific Texts (BzA 286), 2010, p. 201-218.
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 11
Fig. 1 Colonne x + iii du pBrooklyn 47.218.2 (© Brooklyn Museum)
12 | BSFE 193-194
publiant un texte médical démotique, ne peut s’empêcher de préciser que le
texte est « contaminé » par une supposée dégénérescence de l’art médical
au profit de pratiques magiques 5. Ces présupposés négatifs se retrouvent
aussi souvent dans les remarques émises par de nombreux historiens de la
médecine antique 6. Pourtant, cette vision moderne des choses, qui considère
que la magie est un phénomène de dégradation et qu’elle est inférieure à
ce que nous qualifions de médecine, ne correspond évidemment pas à la
pensée antique où ces deux notions étaient très imbriquées ; aussi parle-t-on
généralement de textes médico-magiques ou iatromagiques, pour reprendre
l’expression en usage chez nos collègues hellénistes et historiens de la
médecine 7. Il serait inopérant d’essayer d’opposer la pratique du médecin
antique à celle du sorcier, tant ces deux approches de l’art de la guérison, qui
nous semblent aujourd’hui si contradictoires, ne l’étaient pas à l’époque ; et
des textes qui, a priori, nous paraissent purement médicaux, au sens le plus
orthodoxe du mot, tels les papyrus Ebers ou Edwin Smith, comportent aussi
des passages que nous qualifierions aisément de « magiques ».
De fait, depuis la publication de nouveaux documents médicaux datant
de l’époque tardive (vie s. av. J.-C. – iiie s. apr. J.-C.), qui ont éclairé d’un jour
nouveau les recherches dans ces domaines, cette approche doit désormais
être abandonnée. Les innovations, évolutions, progrès et adaptations de la
science égyptienne ne sont en effet analysables jusqu’à présent que très partiellement, la majeure partie de la documentation d’époque tardive étant
encore inédite.
Par ailleurs, avec les textes des époques récentes, surgit aussi la question des relations qui auraient pu exister entre les médecines égyptienne et
grecque, une problématique qui a été abordée de temps à autre, particulièrement pour ce qui est de l’école cnidienne, l’école du médecin Hippocrate
(460-370 av. J.-C.). Des auteurs anciens – tels Homère et Hérodote, voire les
médecins Hippocrate et Gallien eux-mêmes – accordèrent une grande réputation aux médecins égyptiens ; de nombreux souverains orientaux souhaitèrent ardemment bénéficier au sein de leurs cours des compétences de ces
savants thérapeutes 8 et certains spécialistes de la médecine grecque recon5. W. E richsen, « Aus einem demotischen Papyrus über Frauenkrankheiten », MIO 2 (1955), p. 363-377.
6. H. von Staden, Herophilus. The Art of Medicine in Early Alexandria, 1989, passim ; M. Vegetti, « Entre le
savoir et la pratique : la médecine hellénistique », dans M.D. Grmek (éd.), Histoire de la pensée médicale en
Occident, I, 1995, p. 77, qui parle à propos de la médecine égyptienne d’un « inextricable enchevêtrement
d’expérience clinique et de magie ».
7. K.E. Rothschuh, Iatromagie: Begriff, Merkmale, Motiv, Systematik, 1978 ; id., Konzepte der Medizin in
Vergangenheit und Gegenwart, 1978.
8. P.F. O’Rourke , « La codification du savoir médical à l’époque saïte », EAO 71 (2013), p. 33.
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 13
naissent à l’occasion une éventuelle influence sur leur discipline 9. Toutefois,
la plupart des discussions sur une survivance éventuelle de la médecine
égyptienne dans la tradition grecque, et a fortiori dans les traditions médicales occidentales, demeurent souvent anecdotiques, en relevant quelques
faits qui peuvent prêter à discussion : le concept égyptien des corruptions
naturelles, les oukhedou (wḫdw), qui aurait influencé la théorie cnidienne des
résidus et de la montée et descente des flux, perîssoumata (περισσώματα) 10,
mais qui demeure peu vraisemblable 11, ou bien des éléments de terminologie
adoptés – quasi littéralement – en grec, comme le nom égyptien du mal de
tête, ges-dep (gs-dp), « moitié de tête », qu’on retrouverait traduit mot à mot
hémicrânia (ἡμικρανία), « migraine ». Mais pour aller plus loin dans la comparaison avec les données médicales grecques, il conviendrait de disposer de
plus de textes égyptiens édités datant des époques récentes.
Parmi ces documents tardifs qui demeurent inédits, figure en bonne place
le papyrus de Brooklyn 47.218.2. De fait, c’est en août 2009 que m’ont été
confiés, conjointement avec mon collègue Paul O’Rourke, par les autorités
du Brooklyn Museum de New York, les droits de publication de ce papyrus
médical et magique qui traite de la protection pré- et post-natale de la mère
et de son enfant. Le manuscrit est datable, d’après la paléographie et avec les
aléas que cela induit, des ve-iiie siècles av. J.-C.
Ce document fait partie d’un important lot de papyrus, essentiellement hiératiques, démotiques et araméens, légués au musée en 1947 par
Mme Theodora Wilbour, en souvenir de son père l’égyptologue et collectionneur Charles Edwin Wilbour (1833-1896) 12. Ce dernier avait vécu deux vies :
la première était celle d’un homme d’affaires avisé qui devint un magnat de
l’édition et de la presse, traducteur américain des Misérables de Victor Hugo ;
la deuxième, celle d’un égyptologue-collectionneur, commença par son implication dans un scandale politico-financier, le « Tweed ring (Tammany Hall)
scandal » 13, qui le contraignit à émigrer à Paris vers 1874. Il y entreprit alors
des études d’égyptologie sous la conduite de Gaston Maspero, et l’accompagna
en Égypte en 1880 14. Chaque hiver ou presque, entre 1880 et 1896, il parcourut
9. J. Jouanna, Hippocrate. Pour une archéologie de l’école de Cnide (Collection d’Études Anciennes 141), 2e éd.,
2009, p. 508-509 avec notes.
10. R.O. Steuer – J.B. Saunders, Ancient Egyptian & Cnidian Medicine: the Relationship of their Ætiological
Concepts of Disease, 1959 ; J.F. Nunn, op. cit., p. 61-62.
11. J. Jouanna, op. cit., p. 508-510 ; Th. Bardinet, op. cit., p. 128-138.
12. W.M. Dawson – E.P. Uphill – M.L. Bierbrier, Who was who in Egyptology, 4e éd., 2012, p. 576-577.
13. K.D. Ackerman, Boss Tweed: The Rise and Fall of the Corrupt Poll who Conceived the Soul of Modern
New York, 2005.
14. C.E. Wilbour , Travels in Egypt (December 1880 to May 1891): Letters of Charles Edwin Wilbour, édité par
J. Capart à New York, 1936.
14 | BSFE 193-194
le Nil à bord de sa dahabiyeh, « Les Sept Hathor », et acheta toutes sortes
d’antiquités de grande qualité 15. Il mourut à Paris le 17 décembre 1896 et
son importante collection rejoignit les États-Unis. C’est sa veuve qui chargea
ses enfants d’organiser la donation de la collection, de la bibliothèque et des
archives de son époux au Brooklyn Museum de New York. Toutefois, ce n’est
que dans le courant des années quarante que la découverte inopinée, dans la
maison familiale, d’une malle contenant des papyrus, suscita le dernier legs
de la famille Wilbour. Ce « trunk » était demeuré à Paris, dans l’hôtel où avait
résidé Charles E. Wilbour, longtemps après sa mort. C’est l’égyptologue et
historien de l’art J.D. Cooney 16 qui en fit l’inventaire 17.
Sir Alan H. Gardiner, en 1948, puis Georges Posener et Michel Malinine,
dans les années cinquante, examinèrent cet ensemble. Mais ce n’est que vers
1966 que Serge Sauneron fut chargé de leur publication par B.V. Bothmer 18. Au
cours de deux séjours à Brooklyn, à l’automne 1966, puis en septembre 1968,
Sauneron assura le déroulement, le regroupement et entama l’étude de cet
ensemble 19. Il suggéra, après avoir étudié le contenu de la majeure partie des
documents, qu’ils devaient provenir d’une même officine : ce lot de documents avait sans doute constitué un groupe de papyrus trouvés ensemble,
en un même endroit, et acquis, à une date indéterminée et en lieu inconnu,
par Charles E. Wilbour, au cours de ses séjours en Égypte, entre 1880 et 1896.
Toutefois, dans ses « Notebooks », qui s’arrêtent en mai 1895 20, il n’évoque
nullement ces documents et leur acquisition.
15. J.A. Wilson, Signs and Wonders upon Pharaoh. An engaging account of America’s share in the exploration
of Ancient Egypt, 1964, p. 73-76, 87-88, 92-93, 99-109.
16. W.M. Dawson – E.P. Uphill – M.L. Bierbrier, op. cit., p. 130.
17. Je dois au Dr Paul F. O’Rourke toutes les informations présentées ici au sujet de ce « trunk » et
de son contenu, c’est lui qui a pu mesurer l’intérêt des notes et remarques de Cooney, qui procéda à
son inventaire. Ce dernier vida la malle avec beaucoup de méthode et releva nombre d’informations
capitales, notamment pour déterminer la provenance des documents qu’elle contenait. Il publiera
prochainement un article à ce sujet : P.F. O’Rourke , « Charles Edwin Wilbour and the Provenance of
His Papyri », dans le cadre du projet « Localizing 4000 Years of Cultural History. Texts and Scripts
from Elephantine Island in Egypt » (ERC Grant, dir. V. Lepper, Berlin), dans un volume de Ägyptische
und Orientalische Papyri und Handschriften des Ägyptischen Museums und Papyrussammlung Berlin (ÄOP).
18. À l’exception du papyrus oraculaire (47.218.3) publié par R.A. Parker : A Saite Oracle Papyrus from
Thebes in the Brooklyn Papyrus (Pap. Brooklyn 47.218.3) (BES 4), 1962 et du texte littéraire 47.218.135,
réservé par Georges Posener et finalement publié par R. Jasnow, A Late Period Hieratic Wisdom Text
(P.Brooklyn 47.218.135) (SAOC 52), 1992.
19. S. Sauneron, « Som newly unrolled papyri in the Wilbour Collection of the Brooklyn Museum »,
BMA 8 (1966-1967), p. 98-102 ; id., Le papyrus magique illustré de Brooklyn (Brooklyn Museum 47.218.156), Wilbour
Monographs, III, 1970 ; id., « The Wilbour Papyri in Brooklyn: A Progress Report », BMA 10 (1968-1969),
p. 109-113 ; id., Un traité égyptien d’ophiologie. Papyrus du Brooklyn Museum 47.218.48 et 85 (BiGén 11), 1989.
20. Brooklyn Museum Archives. Wilbour Archival Collection, Notebook 2Q (December 1894 - May 1895).
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 15
Serge Sauneron 21, tirant argument du contenu du papyrus mythologique, publié depuis par Dimitri Meeks 22, où la région héliopolitaine
occupe une place centrale, suggéra que ces textes étaient originaires de la
cité du soleil. Il notait toutefois qu’il ne s’agissait là « que d’une bien fragile hypothèse » et il supposait que c’était au cours des fouilles conduites à
Héliopolis par Édouard Naville, pour le compte de l’Egypt Exploration Society,
en décembre 1887, ou à leur suite, que des ouvriers ou des paysans auraient
pu déterrer une jarre pleine de papyrus, dont un nombre important aurait
été acquis chez un antiquaire du Caire par Wilbour. L’hypothèse de Serge
Sauneron a été unanimement admise, malgré certaines difficultés, notamment celles ayant trait à la conservation de papyrus dans ces zones où la
nappe phréatique est très haute et où l’humidité les aurait donc immanquablement détériorés, même conservés dans une jarre. Par ailleurs, il ignorait un certain nombre de nouvelles données : des papyrus, mis au jour au
cours des fouilles conduites à Éléphantine en 1905-1908 par Otto Rubensohn
et Friedrich Zucker, pour le compte des musées de Berlin, présentent des
caractéristiques qui permettent de les rapprocher de ceux de Brooklyn, tant
du point de vue paléographique que de leur contenu. Et, même s’ils sont très
fragmentaires, un rap­pro­chement s’impose 23. Ainsi, le manuscrit publié par
W. Westendorf 24, comme d’autres textes qui sont en cours d’étude ou récemment publiés 25, peut être rapproché de certains documents de cet ensemble.
D’autres données internes laissent par ailleurs entendre que Wilbour aurait
pu acquérir ces documents au même moment que les papyrus araméens de
Brooklyn, qui proviennent eux assurément d’Éléphantine 26.
Ces éléments conduisaient déjà à suggérer Éléphantine comme provenance – de préférence à Héliopolis – lorsque Paul O’Rourke s’intéressa de plus
près à certaines archives ignorées de l’« Office of the Registrar » et du département des antiquités du Brooklyn Museum. C’est là qu’il mit la main sur
les minutes de John D. Cooney, qui détaillent le déroulement des opérations
21. Le papyrus magique illustré, p. VII-IX et n. 8.
22. Mythes et légendes du Delta d’après le papyrus Brooklyn 47.218.84 (MIFAO 125), 2006.
23. H.-W. Fischer-E lfert, LingAeg 19 (2011), p. 331 ; id., LingAeg 20 (2012), p. 281 ; Fr. Hoffmann –
J.Fr. Quack , Anthologie der demotischen Literatur (EQÄ 4), 2007, p. 361, n. a ; id., WdO 43 (2013), p. 246.
24. « Papyrus Berlin 10456. Ein Fragment des wiederentdeckten medizinischen Papyrus Rubensohn »,
dans W. Müller (éd.), Festschrift zum 150 Jährigen Bestehen des berliner ägyptischen Museums, 1974, p. 247254, pl. 33. Voir aussi G. Vittmann, « The Hieratic Texts », dans B. Porten (éd.), The Elephantine Papyri in
English. Three Millennia of Cross-Cultural Continuity and Change (DMOA 22), 1996, p. 71-73.
25. Voir en particulier le papyrus Berlin p15784 a + b (= p. 10469) : H.-W. Fischer-Elfert, Magika hieratika
in Berlin, Hannover, Heidelberg und München (ÄOP 2), 2015, p. 146-151.
26. E.G. K raeling, The Brooklyn Museum Aramaic Papyri. New Documents of the Fifth Century B.C. from the
Jewish Colony at Elephantine, 1953, p. 3-18.
16 | BSFE 193-194
d’enregistrement. En fait, les papyrus étaient généralement, ou contenus
dans des boîtes en métal pour les plus fragmentaires, ou soigneusement
emballés dans du papier pour les rouleaux mieux préservés, et ces papiers
portaient régulièrement des annotations que Cooney releva méthodiquement. Pour plusieurs rouleaux hiératiques d’époque tardive, il était indiqué
« Elephantine, Feb. 1896 », c’est-à-dire au moment du dernier séjour de
Wilbour en Égypte (automne 1895 – printemps 1896), pour lequel aucun
« Notebook » n’est conservé.
Enfin, ultime élément montrant qu’Éléphantine est très vraisemblablement le lieu d’origine et d’acquisition des papyrus, Paul F. O’Rourke et
Joachim Fr. Quack ont retrouvé, à Brooklyn et à Berlin, de nouveaux fragments appartenant au papyrus magique illustré édité par Sauneron ; ils permettent de reconstituer le haut d’une page complémentaire (x + 0) tandis
que d’autres peuvent être replacés dans la partie déjà publiée. Or, les fragments conservés à Berlin proviennent précisément des fouilles RubensohnZucker, et ils complètent parfaitement cette nouvelle page du papyrus de
Brooklyn 47.218.156 27.
Voyons plus en détail le papyrus : il mesure dans son état actuel – en
dehors de quatre-vingt-treize fragments (fig. 2) appartenant aux deux ou
trois premières pages, découverts à l’occasion de deux séjours sur place, en
novembre 2009 et en mai 2015 28 – 2,43 mètres de longueur et contient la
partie supérieure de neuf pages, dont huit écrites, comportant de vingt à
vingt-trois lignes.
Le texte est de nature « obstétrique », c’est-à-dire qu’il traite ex­clu­si­
vement de la femme enceinte et de la femme qui vient d’accoucher. Il concerne
aussi la protection du nouveau-né. De ce point de vue, il est assez différent du
traité gynécologique de Kahun, daté de la fin du Moyen Empire – avec lequel
il présente pourtant quelques parallèles – qui, lui, traite de toutes sortes de
problèmes médicaux dont peut être atteinte une femme 29 ; il se distingue
27. P.F. O’Rourke – J.Fr. Quack, « New Fragments of the Late Hieratic Illustrated Magical Papyrus at the
Brooklyn Museum (pBrooklyn 47.218.156) and Related Fragments at Berlin », étude à paraître dans le
cadre du projet « Localizing 4000 Years of Cultural History. Texts and Scripts from Elephantine Island
in Egypt » (ERC Grant, dir. V. Lepper), dans un volume de ÄOP.
28. Le séjour effectué au Brooklyn Museum en novembre 2009 a été financé par l’université de Heidelberg
et l’Exzellenzcluster Asien und Europa im globalen Kontext: Die Dynamik der Transkulturalität, et celui
effectué en mai 2015 l’a été dans la cadre de l’axe thématique 4, « représentations symboliques », du
programme scientifique du Labex ARCHIMEDE, programme IA- ANR-11-LABX-0032-01.
29. M. Collier – St. Q uirke , The UCL Lahun Papyri: Religious, Literary, Legal, Mathematical and Medical
(BAR IS 1209), 2004, p. 53-69.
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 17
Fig. 2 Quelques nouveaux fragments du papyrus (© Brooklyn Museum)
aussi nettement du Mutter und Kind de Berlin 30 qui s’apparente plus à un
papyrus magique qu’à un véritable traité médical.
Ce texte peut être divisé en plusieurs parties qui s’organisent très
logiquement :
I) Dans les divers fragments retrouvés en 2009 et 2015, qui sont peutêtre des éléments du début du texte, on reconnaît notamment la mention
d’un « début des [formules …] », plus loin « de maintenir l’œuf de la patiente
[enceinte] » ; sur un autre fragment « dans le ventre de la patiente enceinte
[…] », etc. Il s’agit d’embryologie et de la préservation du fœtus in utero, ce
qui correspond bien à ce que l’on retrouve dans la suite, aux colonnes x + i à
x + iv. Si l’on prend en compte ces deux ou trois pages aujourd’hui réduites
à l’état de fragments, et les trois pages bien conservées, il faut admettre que
cette thématique constituait l’objet principal du traité.
30. N. Yamazaki, Zaubersprüche für Mutter und Kind. Papyrus Berlin 3027 (ACHET B/2), 2003.
Fig. 3 Synopse du pBrooklyn 47.218.2 col. x + iii, 2-4 et du pBerlin 15784 a + b
pBrooklyn
pBerlin
pBrooklyn
pBerlin
pBrooklyn
pBerlin
pBrooklyn
pBerlin
18 | BSFE 193-194
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 19
Les théories développées s’inscrivent dans ce que l’on connaît des
conceptions égyptiennes sur la génération et le développement du corps 31,
à savoir que l’élaboration et la transformation in utero du sperme est l’œuvre
du démiurge, généralement Khnoum, qui, sur son tour, façonne et surtout
« fige » (ṯs) la semence masculine 32. C’est selon ces principes que diverses
formules évoquent le fœtus et le sperme, lui-même issu, selon la théorie
égyptienne assez communément admise dans l’Antiquité, des os, de la moelle
épinière 33. À côté de cette activité de Khnoum, il est aussi question de la
préservation du fœtus, appelé « ce qui est dans le ventre » (ỉmj-ẖ.t), de la
protection de la matrice (ḳrḥ.t) et de l’œuf (swḥ.t). En effet, pour les Égyptiens,
tous les êtres vivants étaient issus d’œufs, qu’ils incubent et éclosent dans le
ventre des mères, ou bien qu’ils soient pondus. Il convenait donc de s’assurer
que cet œuf et cette matrice ne se brisassent point et, à cette fin, le praticien
usait d’une des techniques classiques de la magie égyptienne : l’identification
du cas terrestre avec un cas analogue divin.
Voyons un premier exemple (fig. 1 et 3) : en haut de la page x + iii. Le
début de la formule se situe sans doute dans le bas de la page précédente
puisque chaque page comportait entre 22 et 23 lignes, on peut imaginer qu’il
manque une ou deux lignes au texte. Tout ce passage, en dehors de la formule
de prescription du rite manuel, est connu par un parallèle dans un papyrus
conservé à Berlin (pBerlin 15784 a + b = pBerlin 10469) et récemment publié
par H.-W. Fischer-Elfert, qui provient des fouilles Rubensohn-Zucker d’Éléphantine et qui date, a priori, de l’époque saïte 34. Ce parallèle assure la restitution des lacunes :
Ô le ciel, ô la terre, ô le monde inférieur, ô l’eau, ô les dieux qui sont en eux, venez
et écoutez tout ce que j’ai [à dire] : ‟je suis Nout, qui a mis au monde les dieux, en
[ce sien nom] de Neith (c), je guérirai (d) [l’œuf qui est dans le ventre d’Unetelle né
d’]Unetelle, comme Rê a guéri dans le corps d’[Amonet qui vit dans] le Sycomore”.
Réciter sur ces di[eux dessinés su]r une feuille de papyrus neuve, placée au cou
de la femme, c’est véritablement efficace un million de fois !
31. Th. Bardinet, op. cit., p. 139-153 ; Chr. L eitz , « Zwischen Zauber und Vernunft: Der Beginn des
Lebens im Alten Ägypten », dans A. Karenberg – Chr. Leitz (éd.), Heilkunde und Hochkultur I. Geburt, Seuche
und Traumdeutung in den antiken Zivilisationen des Mittelmeerraumes, 2000, p. 133-135.
32. S. Sauneron, « Le germe dans les os », BIFAO 60 (1960), p. 19-27.
33. J. Yoyotte , « Les os et la semence masculine à propos d’une théorie physiologique égyptienne »,
BIFAO 61 (1962), p. 139-146.
34. Magika hieratika in Berlin, Hannover, Heidelberg und München (ÄOP 2), 2015, p. 146-151.
20 | BSFE 193-194
On fait ici allusion aux dieux qui devaient être reproduits dans l’espace qui a été ménagé, en haut de la page, mais qui n’a pas été décoré de sa
vignette (fig. 1). Sur le papyrus de Berlin en revanche, une partie de celle-ci
est conservée. Le motif représente une vache au centre, un dieu (Rê) est assis
entre ses cornes, une divinité à tête de cochon, avec un dos d’oiseau ou de crocodile, est placée derrière le bovidé et lui tient la queue ; on songe à une forme
de Réret/Taoueret. Les restes d’un personnage figurent devant le groupe.
Dans les cas où cette stratégie ne suffisait pas, le médecin-sorcier pratiquait une technique plus radicale, mais non moins attestée : la menace d’un
désordre cosmique.
C’est toute la manœuvre qui est déployée dans cette formule (x + iii, 9 –
x + iv, 2) 35 pour lutter contre ce qu’il faut peut-être assimiler à des fausses
couches, ou à la naissance d’enfants mort-nés. Dans un premier temps, le praticien suscite la compassion du monde divin et convoque une longue litanie
de dieux pour leur faire part de l’état de désespérance de sa patiente et de
l’iniquité dont elle est la victime ; ensuite, il leur décrit l’état dans lequel
serait le monde si une telle chose leur arrivait pour ainsi les contraindre à
intervenir. Voici la première partie :
Autre amulette destinée à une femme dont les enfants viennent au monde sans
que vive sa progéniture. Ô Rê, ô Atoum, ô Khépry, ô Chou, ô Tefnout, ô Geb, ô Nout,
ô Osiris, ô Isis, ô Bê, ô Nephthys, ô les dieux et déesses qui sont dans le ciel et dans
la terre, voyez-vous ce qu’un ennemi, une ennemie, un mort et une morte, et ainsi
de suite, les dieux, les gens, les hommes, les femmes qui accomplissent toutes sortes
de méfaits ont fait contre Unetelle née d’Unetelle ? Ils ne permettent pas que vive
pour elle un fils ou bien une fille !
Puis le texte évoque les conséquences de cette situation, en une série de
onze exemples où l’animal emblématique de diverses divinités est évoqué. Le
premier exemple mentionne l’âne et Seth :
Et voilà que les âne(s) entendirent ça et aussitôt les âne(s) moururent et leurs
ânons trépassèrent. Donc ce pays sera privé d’incarnation de Seth ! Comment se
comportera donc ce pays sans que n’y existe plus d’incarnation de Seth ?
Cette formule se répète ensuite avec Ba et les agneaux, Apis et les bovins,
Ounout et les caprins, Chésémou et les porcs, Baba et les chiens, Sobek et les
poissons, Sekhet et les oiseaux, Ouadjyt et les serpents, Âmâm et les souris.
35. I. Guermeur , « À propos d’un passage du papyrus médico-magique de Brooklyn 47.218.2 (x + iii, 9 –
x + iv, 2) », dans Chr. Zivie-Coche – I. Guermeur (éd.), « Parcourir l’éternité ». Hommages à Jean Yoyotte
(BEHE SR 156/1), 2012, p. 541-556.
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 21
(…)
(…)
Fig. 4 PBrooklyn 47.218.2 col. x + iv, 7 – x + v, 2
II) Aux col. x + iv – x + v, la naissance approchant, la parturiente se retirait dans un lieu que le texte nomme pr-ms.t, que l’on traduit commodément par « mammisi », selon le néologisme copte créé par Jean-François
Champollion pour désigner l’édifice où s’accomplissait le mythe de la naissance divine dans les temples tardifs. Les formules traitent de la protection
de cet endroit, ici profane, sorte de maternité, depuis l’espace le plus large,
c’est-à-dire l’édifice, la pièce, jusqu’au plus restreint, la couche. C’est un lieu
que l’on se propose d’identifier à la Wochenlaube, i. e. la « salle de travail » des
maternités modernes, qui est connue au Nouvel Empire par des mentions et
des représentations 36.
Les divinités convoquées pour assurer la protection de la parturiente,
pendant ce délicat moment, sont celles connues comme les préposées à la
naissance divine et à celle des êtres humains : les « Quatre Augustes » du
domaine de Ptah, à faciès d’hippopotame, qui sont chargées d’assurer la
36. E. Brunner-Traut, « Die Wochenlaube », MOI 3 (1955), p. 11-30 ; ead., dans LÄ VI, col. 1282-1284,
s.v. « Wochenlaube » ; G. Pinch, « Childbirth and female figurines at Deir el-Medina and el-‘Amarna »,
Orientalia 52 (1983), p. 405-414 ; A.R. Schulman, « A Birth scene(?) from Memphis », JARCE 22 (1985),
p. 97-103 ; E. Feucht, Das Kind im alten Ägypten. Die Stellung des Kindes in Familie und Gesellschaft nach
altägyptischen Texten und Darstellungen, 1995, p. 101.
Fig. 5 Synopse du pBrooklyn 47.218.2 col. x + v, 22 – x + vi, 2 et du pKahun UC 32057, col. I, 8-12, cas no 3
—————–
B
(…)
B
K
B
K
K
(…)
22 | BSFE 193-194
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 23
garde du nouveau-né et qui chassent les influences maléfiques, ainsi qu’Isis,
Nephthys et Rénénet. Ces formules de protection sont donc tout à fait compa­
rables à celles qui sont mises en œuvre dans les mammisis des temples ou
dans les Veillées horaires pour la protection nocturne du roi (pCaire CGC 58027),
et font référence aux mêmes mythes 37. Toutefois, dans la formule I (x + iv, 7 –
x + v, 2) on développe un système de protection tout à fait original, qui fait
appel à des escouades de sept flèches :
Chapitre de protéger la chambre de la parturiente : Unetelle née d’Unetelle dort
sur une natte de roseaux – variante : une natte pure d’alfas –, tandis qu’Isis se
tient en son giron, que Nephthys se tient derrière elle, Hathor étant sous sa tête et
Rénénet sous ses jambes ; Ipetouret assurant sa protection et les dieux et déesses
la gardant. Au cas où viendrait un ennemi, une ennemie, un mort, une morte, un
adversaire, une adversaire, et ainsi de suite, toute chose mauvaise et douloureuse
qui surviendrait contre Un(e)tel(le) né(e) d’Unetelle, à l’heure du jour, alors
les Sept-de-combat (flèches) seront très efficaces en repoussant un adversaire
d’Unetelle née d’Unetelle, chacune d’entre elles assurant sa protection.
Plus loin interviennent d’autres groupes de sept, placées sous l’autorité
d’Horus, Seth, Thot et Sobek et associées à certaines heures. Ainsi le premier
groupe :
Au cas où viendrait un ennemi, une ennemie, un mort, une morte, un adversaire,
une adversaire, et ainsi de suite, contre Unetelle née d’Unetelle, à l’heure d’Horus,
alors les sept exorcistes exorciseront Unetelle née d’Untelle, chacun d’entre eux
assurant sa protection, etc.
III) La naissance et les problématiques de l’accouchement ne sont pas
abordées dans le traité, sans que l’on puisse vraiment avancer d’hypothèse
convaincante à ce propos. Peut-être que l’assistance de la parturiente ne relevait que de la seule activité de la sage-femme 38 et que les hommes, fussent-ils
sorciers-praticiens, n’étaient pas les bienvenus. Aux colonnes x + v et x + vi, le
traité ne concerne que les problèmes physiologiques de la femme pendant la
période du post-partum. Ainsi le début de ce passage :
Commencement des diagnostics et des remèdes qui sont faits pour une femme
qui a récemment donné naissance. Si tu procèdes à l’examen d’une femme qui
a récemment donné naissance et qui souffre de son bas-ventre, alors tu devras
faire pour elle : caroube : 1/64 ; bourgeons-chacha : 1/4 ; lait : 1/4 ; miel : 1/8 ;
37. A. P ries, Das nächtliche Stundenritual zum Schutz des Königs und verwandte Kompositionen (SAGA 27),
2009.
38. E. Brunner-Traut, dans LÄ II, col. 1075-1075, s.v. « Hebamme ».
24 | BSFE 193-194
bière douce : 15 ro. Chauffer. Filtrer. Absorber pendant quatre jours. Et le verser
avec de la graisse d’oie neuve dans ses parties génitales.
La procédure mise en œuvre est classique : description des symptômes,
diagnostic de la maladie qui produit les troubles, douleurs, etc., décision de
traiter ou non et médication. Les cinq cas évoqués sont tous des troubles
situés au niveau du vagin-périnée. La formulation est classique et commune
à l’ensemble des traités médicaux. Une théorie physiologique égyptienne
faisait de l’utérus un organe mobile, et ses déplacements inopinés étaient
considérés comme responsables de la plupart des maux dont étaient atteintes
les femmes, et les douleurs et autres complications consécutives à l’ac­cou­
chement n’échappaient pas à cette analyse.
Notons que la formule qui suit (x + v, 22 – x + vi, 2) trouve un parallèle exact
dans les papyrus gynécologiques de Kahun 39, de près de mille cinq cents ans
plus anciens, du moins pour la partie descriptive et analytique ; en effet, le
traitement proposé est différent, dans la mesure de ce que nous pouvons
entrevoir dans deux textes aussi fragmentaires (fig. 5) :
[Diagnostic d’]une femme qui a [récemment] donné naissance : [Si tu procèdes
à l’examen d’une femme] qui a récemment donné naissance et qui souffre [de
l’anus, du bas-ventre, de la racine [des cuisses (= l’aine) tu dois conclure à propos
d’elle : ‟ce sont des excrétions de son] utérus”. Alors tu devras faire [pour elle : …]
graisse de cochon mâle (ou sauvage) ; feuille d’acacia ; lait (de femme ayant mis
au monde un garçon). Mélanger en une masse homogène, très tôt le matin pendant quatre jours.
Dans cette partie du texte, les références mythologiques sont absentes ;
sans doute trouverait-on quelques données relatives aux pratiques iatromagiques usuelles du simile-similibus, si l’on pouvait déterminer avec plus de
précision la nature exacte de la plupart des ingrédients prescrits dans la pharmacopée. Mais, il faut le reconnaître, en matière de botanique, les données
précises sont rares et les identifications proposées sont trop souvent fondées
sur des rapprochements peu convaincants.
Les colonnes x + vi, x + vii et x + viii contiennent des formules de protection
de l’enfant. L’enfant est né, et comme tout nouveau-né, il pleure. On assimile
ses cris et ses pleurs à des angoisses. La protection de l’enfant est la grande
affaire de Thouéris, Ipetouret, la déesse « hippopotame » à corps composite 40.
39. M. Collier – St. Quirke , op. cit., p. 58, pl. IV.
40. P. Vernus – J. Yoyotte , Bestiaire des Pharaons, 2005, p. 686-697.
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 25
C’est elle qui est invoquée dans la formule qui suit :
Livre pour chasser crainte et effroi d’une fillette : je suis Réret qui punit au moyen
de son grognement – son grognement est un cri mauvais –, mais qui protège celui
qui sort de son corps, qui s’empare du cœur, d’un mort, d’une morte, l’influence
d’un dieu, [l’influence d’une dées]se, le fantôme d’un dieu, ceux qui sont dans
son ba, tous […], la très crainte, à l’attaque cruelle, enragée contre ses [enne]mis,
(…) tous les dieux] de Babylone, venez et faites la protection du garçon fiévreux
pendant ces quatre heures, faites revivre le cœur d’Unetelle née d’Unetelle ; sauvez-le de toute crainte, de tout effroi, d’un mort, d’une morte, de la truie, de la
sorcière (?), de la dévoreuse de l’Occident.
Récitation sur ces dieux qui sont en dessin. Écrire sur un phylactère et mettre au
cou de l’enfant qui est dans la crainte et l’effroi.
Thouéris, outre son aspect monstrueux et redoutable, possède une voix,
ou grondement, qui est un moyen d’action caractéristique et elle menace d’en
faire usage. Cette formule trouve d’ailleurs un parallèle intéressant dans une
statue de Thouéris du musée du Louvre (E 25479) 41.
Les rites manuels qui sont utilisés consistent en la récitation de la formule
sur des images dessinées sur des phylactères qui sont ensuite mis au cou des
enfants. Notons que le texte distingue les actions réalisées pour le garçonnet
et pour la fillette. La pratique ici développée est la plus courante et les images
de Thouéris sont fréquemment employées, notamment sur le mobilier de la
chambre. À côté de ces traditionnelles formules, dont on a vu qu’il existait
des parallèles, en particulier sur la statue de Thouéris, et qui s’inscrivent dans
une thématique bien illustrée par un important ensemble d’artefacts, le sorcier-guérisseur, dans les formules suivantes, met en œuvre des moyens moins
connus pour lutter contre les pleurs et les cris des enfants (x + vii, 11-17) :
Autre livre pour repousser la crainte et l’effroi, (car) un cri de douleur dentaire
qui s’élève rapidement est une souffrance de tout dieu et toute déesse. Salut à
vous les sept étoiles du ciel qui sont dans la Grande Ourse, qui se dressent à leur
place quotidienne, leurs visages sont tournés vers la Mer (Méditerranée) – aucun
dieu, aucune déesse ne connaît leurs noms et celui de l’enfant qui est à l’intérieur
du lotus –, venez et sauvez Untel né d’Unetelle de toute chose mauvaise. Mais si
vous n’écoutez pas mes propos, alors je prononcerai vos noms devant les autres,
et je vous retiendrai vers l’Ouest, comme les (autres) étoiles du ciel, et Osiris vous
fera des mutilations.
41. K. Jansen -Winkeln, « Vier Denkmäler einer thebanischen Offiziersfamilie der 22. Dynastie »,
SAK 33 (2005), p. 140-146, pl. 9-11 et id., Inschriften der Spätzeit, II, Die 22.-24. Dynastie, 2007, p. 92-93 (avec
bibliographie antérieure).
26 | BSFE 193-194
Les hurlements, ici, résultent sans doute d’un trouble dentaire (trismus) et
le praticien interpelle les sept étoiles de la constellation de la Grande Ourse et
les menace d’une catastrophe cosmique, en révélant leur nom véritable et en
leur interdisant de renaître au matin, les condamnant à demeurer à l’occident
du ciel, tels des êtres morts, qui plus est martyrisés par Osiris, dans l’empire
des défunts où ils se trouveront. Une telle pratique est à ma connaissance
unique. Dans la formule suivante (x + vii, 17 – x + viii, 3), il procède autrement,
toujours pour repousser les cris et les larmes :
Chapitre de repousser les geignements et les larmes : ‟arrière ! Ennemi, ennemie,
mort, morte, adversaire, adversaire, et ainsi de suite. Ô geignements et larmes
qui sont dans tous les membres d’Untel né d’Unetelle (…) ta protection, puisses-tu
ne pas pousser des cris avec ta voix, (mon) fils, Horus, tu es dans l’abattement
et je suis exténuée, mon cœur est malheureux à cause de (mon) fils, Horus” – et
alors Isis lança [son] cri [vers] le ciel et ceux qui sont dans l’horizon ont écouté
ce qu’elle disait – ‟mon cœur est faible, mes membres sont recroquevillés, je suis
malheureuse à cause de (mon) fils Horus, car il est un fils dont le père est mort ;
alors que je suis démunie, mon frère aîné est dans son sarcophage”.
Cette fois-ci, il pratique le transfert – une technique employée à de nombreuses reprises dans le texte –, et l’historiola identifie l’enfant en larmes à
Horus et sa mère à Isis. C’est un Horus justifié et vainqueur de son oncle qui
est évoqué, tandis qu’Isis est décrite comme épuisée et affaiblie, accablée par
le deuil de son frère-époux, Osiris. Le praticien cherche à susciter la compas­
sion de l’assemblée des dieux, les incitant ainsi à agir pour reconnaître à
Horus ses droits et donc chasser ses peurs, cris, angoisses et pleurs. Si ici la
technique et les mythes évoqués sont bien connus, ils ne sont pourtant généralement pas mis en œuvre dans ce contexte, mais plutôt dans les formules
pour guérir des morsures et piqûres de scorpions et autres nuisibles, que l’on
retrouve habituellement sur les cippes d’Horus ou la stèle Metternich et la
statue de Djed-her le guérisseur.
La colonne x + viii, la dernière inscrite du manuscrit, traite des cauchemars
provoqués par incubes et succubes. Ici le texte semble changer de nature et
ne plus se concentrer uniquement sur l’univers de la naissance et le monde
de l’enfance mais s’élargir aux procédures pour chasser, chez tout un chacun,
les activités nocturnes des êtres nuisibles que sont les morts et mortes dangereux. Ceux-ci profitent de la vulnérabilité des dormeurs pour s’introduire
en eux et provoquer des cauchemars.
Dans la formule qui se développe aux lignes 4 à 19, les moyens déployés
par le praticien sont classiques dans leur méthode, mais tout à fait exceptionnels par le développement qui est accordé à l’histoire de la main d’Atoum.
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 27
Il ne s’agit pas de la main des « Enfants de la déchéance », dont le papyrus
mythologique du Delta nous narre les tribulations 42, mais de celle qui est
un puissant moyen de protection du démiurge 43. Celle-ci est identifiée à
une déesse-flamme-uræus et les doigts sont individualisés par un nom, qui
est aussi celui de déesses-flammes. Le texte est particulièrement difficile à
suivre, le copiste a peut-être commis plusieurs oublis : il semble que la main
est redoutable et qu’on cherche tout à la fois à s’en préserver mais aussi à
l’utiliser pour lutter contre ces incubes. C’est ainsi que se laisse entendre le
rite manuel, il s’agit en effet de dessiner une main, avec du sang de chauvesouris, et d’y inscrire le nom des doigts-flammes. Les incubes s’introduisant
par l’anus qui, dans l’étiologie égyptienne, est la voie naturelle de pénétration
de tous les agents pathogènes 44, on y place le phylactère ainsi formé.
La dernière formule, aux lignes 22-23 (ou 24 ?), réduite à des bribes, semble
incomplète : le manuscrit s’interrompt en bas de cette page, la suivante étant
demeurée vierge de texte.
Donc, comme on le voit, si dans ce texte médecine et magie sont mêlées,
c’est d’une manière assez logique : la magie traite de la protection tandis
que le pronostic et l’éventuelle intervention relèvent exclusivement du
domaine médical. Les formulaires magiques employés procèdent des techniques ordinaires et bien connues de cette pratique : le recours à l’analogie,
on assimile le cas terrestre au cas divin analogue, et donc le dieu étant victorieux, le patient, par extension, l’est aussi ; le jeu d’intimidation, on menace
le mauvais génie de rétorsions s’il ne cesse pas de troubler le patient ; mais,
s’il reste sourd aux injonctions du magicien et de son arsenal de formules,
on se doit d’impliquer les dieux, qui possèdent un pouvoir très supérieur à
celui des génies ; c’est le jeu de la solidarité forcée et, si les dieux ne répondent
pas à l’appel du praticien et demeurent inactifs, alors on les menace à leur
tour de catastrophes d’ordre cosmique.
Ce texte présente donc une parfaite intégration des pratiques que nous
qualifions de magiques à celles que nous traitons de médicales, quand bien
même le praticien semble, tout au long du texte, être le même. Mais il n’y a
là rien de surprenant.
42. D. M eeks, Mythes et légendes du Delta, p. 188-189, 192-195, 199-205 ; Chr. Zivie-Coche , « Des scarabées, un ‟coffret”, une main. Atoum à Tanis », dans Chr. Zivie-Coche – I. Guermeur (éd.), « Parcourir
l’éternité ». Hommages à Jean Yoyotte (BEHE SR 156), 2012, p. 1135-1165.
43. E. Jelínková-R eymond, Les inscriptions de la statue guérisseuse de Djed-Ḥr-le-sauveur (BdE 23), 1956,
p. 7-21.
44. J. Yoyotte , « Une théorie étiologique des médecins égyptiens », Kêmi XVIII (1968), p. 79-84.
28 | BSFE 193-194
English abstract
Presentation of the hieratic papyrus Brooklyn Museum no. 47.218.2, a magico-medical
treatise about the protection of the expectant mother and her child which belongs to
a group of papyri coming from Elephantine. The treatise mixes magic and medicine
in order to ensure the well-being of the fetus and the pregnant woman, to cure physiological disorders of the afterbirth stage, and to preserve the baby from crying and
nightmares.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 29
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale
du Delta à l’Ancien et au Moyen Empire 1
Claire Somaglino
Université Paris-Sorbonne – CNRS (UMR 8167)
Les villes se décomposent, la terre :
un cortège de poussière
seule la poésie peut se fiancer à un pareil espace
Adonis 2
Lors de fouilles menées à Héliopolis dans les années 1980, une stèle et une
architrave appartenant à l’édifice d’un dignitaire nommé Héni, usurpé peu
après par un certain Khéty-ânkh, furent retrouvées à environ 1 km à l’est
du temple de Rê et de l’obélisque de Sésostris Ier. Les deux monuments sont
actuellement conservés au musée de plein air d’Héliopolis, dans le quartier
de Matariyah 3. Il s’agit de pièces exceptionnelles, datant d’une période pour
laquelle la documentation est rare en Basse-Égypte : la fin de la Première
Période intermédiaire et/ou le début du Moyen Empire. Chacune d’entre
elles a déjà été publiée 4, mais une réflexion restait encore à mener sur le
1. Il m’est agréable de remercier ici les collègues qui m’ont apporté leurs conseils ou fourni des références bibliographiques à un point ou un autre de la conception de cet article : N. Favry, Y. Gourdon,
D. Lorand, A. Pillon et D. Raue. Je tiens à saluer R.A. Milek de l’IFAO dont l’aide précieuse m’a permis
d’accéder au musée d’Héliopolis, ainsi que le personnel du CSA pour son accueil et sa diligence sur
place. Enfin, je remercie P. Tallet et S. Dhennin pour leurs relectures.
2. « Ô ami, ô fatigue », 1982, traduit de l’arabe par A. Velter et Adonis.
3. Architrave : Héliopolis 1048.
4. S’y reporter pour leur description détaillée. Pour la stèle : W.K. Simpson, « Studies in the Twelfth
Dynasty IV: the Early Twelfth Dynasty False-Door: Stela of Khety-ankh / Heni from Matariya / Ain
Shams (Heliopolis) », JARCE 38 (2001), p. 9-20 et R. L andgráfová , It is my Good Name that You Should
Remember, Egyptian Biographical Texts on Middle Kingdom Stelae, 2011, p. 94-96 (no 31) ; pour l’architrave :
D. Franke , « Zur Chronologie des Mittleren Reiches II », Or. 57 (1988), p. 267-268 ; M. Z aki, « Une architrave "anonyme" d’Héliopolis », DE 63 (2005), p. 85-94 ; A. I lin -Tomich, « King Seankhibra and the
Middle Kingdom Appeal to the Living », dans G. Miniaci – W. Grajetzki (éd.), The World of Middle Kingdom
Egypt (2000-1500 BC), I, Middle Kingdom Studies, I, 2015, p. 145-168, qui fournit un très bon fac-similé de
la pièce. Les deux monuments sont par ailleurs analysés par A.E. D emidchik , « The History of the
Herakleopolitan King’s Domain », dans H.-W. Fischer-Elfert – R.B. Parkinson (éd.), Studies on the Middle
30 | BSFE 193-194
Fig. 1 La stèle de Héni, usurpée par Khéty-ânkh (photo Cl. Somaglino)
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 31
Fig. 2 Fac-similé de la stèle : en vert, zones martelées et réinscrites par Khéty-ânkh et en rose, ajouts de
Khéty-ânkh (d’après le fac-similé publié par W.K. Simpson, « Studies in the Twelfth Dynasty IV : the Early Twelfth
Dynasty False-Door : Stela of Khety-ankh / Heni from Matariya / Ain Shams (Heliopolis) », JARCE 38 [2001], p. 12)
32 | BSFE 193-194
statut et les titres du premier propriétaire, Héni, ainsi que sur la région au
sein de laquelle il exerce ses fonctions : Héliopolis et la frange orientale du
Delta. Ces deux monuments permettent ainsi d’envisager le rôle qu’a pu
jouer Héni sur cette vaste zone stratégique en perpétuelle recomposition.
Description
La stèle (fig. 1) est une pièce de dimensions monumentales (H. 1,82 m et
l. 0,98 m). Un bandeau de deux colonnes / lignes de textes – titres, nom et
épithètes du défunt, suivis de chaque côté, en bas, par une représentation
de celui-ci – encadre une zone centrale, couronnée par une corniche à gorge
et entourée d’un tore. Dans sa partie supérieure, un texte livrant là encore
titres, nom et épithètes, entoure la représentation classique depuis le début
de l’Ancien Empire du repas funéraire et une paire d’yeux-oudjat. Dans la
partie basse, la scène principale est composée de quatre personnages se
faisant face deux à deux, le groupe de droite rendant hommage au défunt
représenté à gauche. Sous cette scène, deux figurations de petite dimension
et leur légende ont été ajoutées lors de la réutilisation du monument. Elles
sont de bien moindre qualité. Réalisée pour un dignitaire nommé Héni, la
stèle a en effet été usurpée durant la XIIe dynastie, peut-être dès le règne de
Sésostris Ier, par un certain Khéty-ânkh, ou Khéty-ânkhty, dont le nom est
parfois abrégé en Khéty 5.
Khéty fit marteler une partie des noms et titres de Héni pour les remplacer par les siens (fig. 2). On les devine cependant encore souvent sous les
martelages et regravures, et une occurrence du nom du personnage précédé
de son titre principal apparaît même encore intacte en haut à gauche de la
stèle (fig. 3). Si la majorité des épithètes et formules funéraires, ainsi que les
figurations, ont été reprises à son compte par Khéty-ânkh, plusieurs épithètes
ont été martelées et n’ont pas été remplacées. Le nouveau propriétaire du
monument a également fait procéder à des ajouts : une légende est placée
au-dessus du petit personnage de droite dans la scène du bas de la stèle,
le désignant comme son fils aîné Sehetepibrê-ânkhi ; tout en bas, les deux
personnages ajoutés sont, à droite, le scelleur Khnoumhotep, et à gauche
l’épouse de Khéty-ânkh, sans doute nommée Nebiou.
Kingdom in Mamroy of Detlef Franke (Philippika Marburger altertumskundliche Abhandlungen 41), 2013,
p. 105-106 et D. R aue , « Königsbekannte. Inschriften zur «anderen» Ersten Zwischenzeit im Norden
Ägyptens », dans B. Backes – C. von Nicolai (éd.), Kulturelle Kohärenz dirch Prestige (Münchner Studien zur
Alten Welt 10), 2014, p. 179-200.
5. Sur les hypothèses quant à la date de cette usurpation, cf. W.K. Simpson, op. cit., p. 9-10.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 33
Fig. 3 Angle supérieur gauche de la stèle : le nom et le titre de Héni n’ont pas été martelés
(photo Cl. Somaglino)
L’autre pièce envisagée, une architrave (fig. 4), présente également des
traces d’usurpation. Elle est ornée sur les deux tiers droits de sa longueur de
trois lignes de texte orientées de droite à gauche ; le tiers gauche présente
quant à lui une scène figurant deux porteurs d’offrande – le frère du défunt et
un prêtre funéraire – apportant une oie et un cuisseau de bœuf au défunt, qui
leur fait face, assis sur un fauteuil à pieds de taureaux et tenant les insignes de
sa fonction : sceptre et bâton. L’architrave appartient sans trop de doute à la
même tombe que la stèle : en effet, les représentations des figures humaines
sont très semblables (fig. 5), de même que la paléographie ou certains éléments du texte 6. Enfin, à la fin de la ligne 3, on devine dans une partie abîmée,
sous les martelages plus tardifs et la réinscription du titre de « directeur du
temple » ((j)m(y)-r(ȝ) ḥw.t-nṯr) de Khéty-ânkh, le titre de « directeur de la
Basse-Égypte » ((j)m(y)-r(ȝ) Tȝ-mḥw) et le nom de Héni 7.
Le texte de l’architrave, assez classique en contexte funéraire et fortement
inspiré des précédents de l’Ancien Empire – ce qui ne surprend guère pour un
monument de la région memphite – présente la particularité de mentionner
un protocole royal inédit :
(1) Quant à cette tombe de la nécropole qui est dans le désert Djedit-âat d’Héliopolis, c’est l’Horus Séânkhibtaouy, le roi de Haute et de Basse-Égypte Séânkhibrê,
qu’il vive éternellement, qui (m)’a donné son emplacement (2) en raison de mon
efficacité, étant grand et estimé dans le cœur de Sa Majesté, plus que tout sien
6. D. Franke avait signalé en particulier la même graphie rare du mot « nécropole » (l. 1), ou encore
le fait que le toponyme désignant la nécropole d’Héliopolis apparaît sur les deux monuments dans sa
version développée, sm.t Ḏd.t-ʿȝ.t n(y).t Jwnw, inhabituelle avant la période tardive (cf. W.K. Simpson,
op. cit., p. 10, qui cite les remarques de D. Franke).
7. Observations faites sur place ; voir également le fac-similé d’A. I lin-Tomich, op. cit., p. 145, fig. 1.
Fig. 4 L’architrave de la tombe de Héni, usurpée par Khéty-ânkh (photo Cl. Somaglino)
34 | BSFE 193-194
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 35
Fig. 5 Comparaison des représentations humaines entre la stèle (en haut)
et l’architrave (en bas) (photos Cl. Somaglino)
dignitaire qui était avec lui. Ô les vivants qui êtes sur terre et qui passez (3) devant
cette tombe : votre roi vivra pour vous, vos dieux vous loueront dans la mesure
où vous direz : « 1000 pains et bières, 1000 bovidés et volailles, 1000 pièces de tissu
et d’albâtre, pour l’imakh auprès du grand dieu, le directeur du temple […] / de
Basse-Égypte Héni 8 né de [...] 9.
Datation de la construction de la tombe
La conjonction du nom d’Horus Séânkhibtaouy, « celui qui fait vivre
continuellement le cœur des Deux-Terres » (sʿnḫ-jb-tȝ.wy) et du nom de
8. Le titre et le nom de Héni ont été martelés et remplacés par le titre de « directeur du temple » et
sans doute par le nom et la filiation de Khéty-ânkh, comme sur la stèle.
9. (1) jr js pn n ẖr.t-nṯr nt(y) m sm.t Ḏd.t-ʿȝ.t n(y).t Jwnw jn Ḥr Sʿnḫ-jb-tȝ.wy n(y)-sw.t bjt(y) Sʿnḫ-jb- Rʿ
ʿnḫ(=w) ḏ.t rd~n(=j) s.t=f (2) n mnḫ=j wr=k(wj) šsp=k(wj) ḥr jb n ḥm=f r sʿḥ=f nb nt(y) ḫr=f j-ʿnḫ.w
tpy.w tȝ swȝ.t(j)=sn (3) ḥr js pn ʿnḫ n=ṯn n(y)-sw.t=ṯn ḥsy=ṯn nṯr.w=ṯn ḏd=ṯn t ḥ(n)q.t ḫȝ jḥ ȝpd ḫȝ šs
mnḫ(.t) ḫȝ n jmȝḫ ḫr nṯr ʿȝ (j)m(y)-r(ȝ) ḥw.t-nṯr […]/[tȝ-]mḥw Hnj ms(w)~n […]
36 | BSFE 193-194
cou­ron­nement, Séânkhibrê (Sʿnḫ-jb-Rʿ), « Rê fait vivre le cœur », est en
effet inconnue par ailleurs et a focalisé l’attention des commentateurs du
monument. Séânkhibtaouy était le nom d’Horus de Montouhotep II, dans
la première des trois versions attestées de sa titulature 10. Il n’a pas alors
de véritable nom de couronnement, puisque le titre « roi de Haute et de
Basse-Égypte » est suivi d’un cartouche contenant la mention « fils de Rê
Montouhotep », soit son nom de naissance et l’épithète qui le précède habituellement. On précisera cependant que cette première version de sa titulature n’est gravée que sur trois monuments de Haute-Égypte. À noter qu’un
fragment de corniche de la chapelle de Montouhotep II à Gebelein porte la
mention d’un nom de couronnement du roi qui n’est pas attesté par ailleurs.
Le souverain y est désigné par le nom d’Horus Netjery-hedjet (nṯry-ḥḏ.t),
qui correspond à la deuxième version de sa titulature, mais son nom de
couronnement, malheureusement partiellement préservé, commence par la
composante inédite sʿnḫ-. Il a été proposé que le nom d’Horus de la première
version de la titulature du roi (Séânkhibtaouy) ait ici été repris, afin de faire
le lien entre les deux premières versions de la titulature royale, mais rien
ne peut le confirmer 11. Une autre hypothèse – tout aussi fragile cependant –
pourrait être de restituer ici Séânkhibrê (sʿnḫ-jb-Rʿ).
Ce nom de couronnement est autrement attesté pour deux rois de la
Deuxième Période intermédiaire : Amenemhat VI de la XIIIe dynastie – mais
ce dernier porte le nom d’Horus Sehertaouy (shr-tȝ.wy) 12 –, et un roi de
la XIVe dynastie dont le nom est connu uniquement grâce au Canon de
Turin 13. Le rapprochement entre l’architrave et la stèle de Héni, ainsi
que l’analyse stylistique et textuelle des deux monuments, conduit
cependant rapidement à éliminer une datation de la Deuxième Période
intermédiaire, pour privilégier la période de la fin de la Première
Période intermédiaire et du début du Moyen Empire 14. Les rois de la
IX-Xe dynastie héraklépolitaine sont mal connus, mais il me semble dif10. Sur la titulature du roi, son évolution et son analyse, voir L. Postel , Protocole des souverains égyptiens
et dogme monarchique au début du Moyen Empire (MRE 10), 2004, p. 134-135 et 319.
11. Ibid., p. 140 et 236, doc. 86b.
12. K.S.B. Ryholt (The Political Situation in Egypt during the Second Intermediate Period c. 1800-1550 B.C.
[CNI Publications 20], 1997, p. 338), suivi par M. Z aki (op. cit., p. 90), propose que le nom d’Horus du roi
puisse alterner entre Seheraouy et Séânkhibrê, en se fondant justement sur le linteau d’Héliopolis.
Mais aucun document sûrement daté du règne d’Amenemhat VI ne vient conforter cette hypothèse.
13. J. von Beckerath, Handbuch der Ägyptischen Königsnamen (MÄS 49), 1999, p. 111.
14. Sur les critères de datation de la stèle, cf. E. Brovarski, « False Doors and history: The First
Intermediate Period and Middle Kingdom », dans D.P. Silverman – W.K. Simpson – J. Wegner (éd.),
Archaïsm and Innovation: Studies in the Culture of Middle Kingdom Egypt, 2009, p. 397-399 et 406 ; sur la
datation de la formule funéraire de l’architrave, cf. A. I lin-Tomich, op. cit.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 37
ficile de retenir une datation de cette dynastie : le fait que la titulature
royale n’ait pas été martelée, alors que le monument, réutilisé durant la
XIIe dynastie, était encore visible, élimine me semble-t-il cette hypothèse 15.
De plus, la structure des deux noms royaux correspond très bien à la
tendance de composition des titulatures durant la XIe dynastie, telle que
Lilian Postel l’a analysée : celui-ci remarque qu’à partir du milieu de cette
dynastie, les noms royaux comprennent régulièrement les composantes
tȝ.wy, « les Deux-Terres » et sʿnḫ, « faire vivre » 16. Enfin, W. K. Simpson a
proposé de considérer le roi mentionné sur l’architrave comme un souverain
inconnu de la fin de la XIe dynastie, l’un de ces rois au nom malheureusement
en lacune dans le Canon de Turin 17. En tout état de cause, l’hypothèse d’un
souverain rival des rois de la nouvelle monarchie unifiée me semble encore
devoir être écartée, puisque le protocole royal a été laissé intact.
Bref, il n’est pas possible de tirer de conclusion claire ou assurée quant à
l’identité et la position chronologique de ce roi Séânkhibtaouy-Séânkhibrê,
mais les hypothèses proposant l’un des rois de la seconde moitié de la
XIe dynastie, ou une titulature inconnue d’Amenemhat Ier 18, sont les plus
vraisemblables. Ceci converge avec l’analyse des critères stylistiques et textuels – qui orientaient vers une datation fin XIe-début XIIe dynastie – et nous
limite donc à la période de soixante-dix à quatre-vingt-dix ans maximum
comprise entre les règnes de Montouhotep II et d’Amenemhat Ier.
Titulatures de Héni et Khéty-ânkh
Le réexamen des martelages sur la stèle permet de rétablir les séquences de
titres relatives à chacun des deux propriétaires successifs du monument. Le
propriétaire originel, Héni, est :
1. « directeur de la Basse-Égypte » ((j)m(y)-r(ȝ) Tȝ-mḥw), ; 2. « prince et
comte » ((j)r(y)-pʿ.t ḥȝty-ʿ) ; 3. « comte » (ḥȝty-ʿ) ; 4. « chef du pays tout entier »
(ḥry-tp n(y) tȝ r-ḏr=f ) ; 5. « grand chef du nome Héqa-ândj-est » (ḥry-tp
15. On notera justement que le protocole du roi Meriibrê/Mérikarê sur les reliefs du tombeau de
Sobekouseri, retrouvés eux aussi à Héliopolis, a été détruit : M. A bd el-Gelil – A. Saadani – D. R aue ,
« Some Inscriptions and Reliefs from Matariya », MDAIK 52 (1996), p. 145-147.
16. L. Postel , op. cit., p. 176-177 et passim ; sur le sens et les implications du verbe sʿnḫ, voir J. R izzo,
« À propos de sʿnḫ, "faire vivre", et de ses dérivés », ENIM 8 (2015), p. 73-101.
17. W.K. Simpson, op. cit. p. 10 ; on notera qu’il avait attribué l’architrave à la Deuxième Période intermédiaire, avant que le rapprochement ne soit fait avec la stèle (D. Franke , loc. cit.).
18. Proposition d’H. Willems , « The First Intermediate Period and the Middle Kingdom », dans
A.B. Lloyd (éd.), A Companion to Ancient Egypt, I, 2010, p. 90.
38 | BSFE 193-194
ʿȝ n Ḥqȝ-ʿnḏ-jȝb) ; 6. « chancelier du roi de Basse-Égypte » (ḫtmty-bjty) ;
7. « directeur de l’audition des jugements » ((j)m(y)-r(ȝ) sḏm.t wḏʿ.t) ;
8. « directeur des connus du roi (?) » (ḫrp rḫw n(y)-sw.t (?)).
Le titre privilégié par Héni dans sa présentation est celui de « directeur
de Basse-Égypte », qui figure dans au moins sept des douze séquences principales de titres de la stèle ; c’est également le seul qui soit gravé sur l’architrave. Apparu sous le règne de Montouhotep II, ce titre est attesté pour
trente-deux dignitaires jusqu’à la fin du Moyen Empire 19. Si les termes qui
le composent évoquent une autorité sur l’ensemble de la Basse-Égypte, il
semble surtout que la fonction a trait aux expéditions, car nombre de « directeurs de la Basse-Égypte » prennent part aux missions envoyées vers la Nubie
et surtout vers le Sinaï. Peut-être parce qu’ils jouaient un rôle dans le recrutement du personnel qui y prenait part.
Héni paraît avoir assumé aussi des fonctions d’ordre judiciaire, en sa qualité de « directeur de l’audition des jugements » 20, titre mentionné immédiatement après une série d’épithètes relatives au même domaine, « celui
qui détermine les lois et qui promeut les fonctions » (dd hpw sḫnt jȝwt) 21.
Le titre le plus surprenant de cette séquence est sans aucun doute celui de
« grand chef du nome Héqa-ândj-est », dont le caractère exceptionnel n’a,
me semble-t-il, pas suffisamment été souligné à ce jour. Nous y reviendrons
en détail plus loin.
Les autres titres de Héni, qu’ils expriment une fonction véritable ou un
rang, confirment le statut élevé du dignitaire dans la hiérarchie de son temps :
les « chefs du pays tout entier » ne sont en effet guère nombreux au Moyen
Empire, et le titre de « directeur des connus du roi (?) », dont la transcription
et la traduction restent incertaines, indique selon D. Franke, l’habilitation par
le roi à un emploi 22. On ne connaît qu’une dizaine de ces directeurs à partir du
début de la XIIe dynastie ; W. Grajetzki souligne qu’au début du Moyen Empire,
19. Le titre a été étudié en détail par D. Stefanovic , dans son ouvrage The Title mr tȝ-mḥw in the Middle
Kingdom Documents (Serbian Archaeological Society Occasional Papers 1), 2000.
20. On peut le rapprocher d’un titre du vizir Montouhotep sous le règne de Sésostris Ier, ḥry-tp n wḏʿ
mdt, « chef des cas jugés » (stèle Caire CG 20539 I, 3).
21. Sur cette épithète, voir A. Bats, « La loi hp dans la pensée et la société du Moyen Empire », Nehet 1
(2014), p. 108-110.
22. W.A. Ward, Index of Egyptian Administrative and Religious Titles of the Middle Kingdom: with a
Glossary of Words and Phrases Used, 1982, no 1156 ; voir aussi D. Franke , Das Heiligtum des Heqaib auf
Elephantine: Geschichte eines Provinzheiligtums im Mittleren Reich (SAGA 9), 1994, p. 56 et W. Grajetzki, Die
höchsten Beamten der ägyptischen Zentralverwaltung zur Zeit des mittleren Reiches: Prosopographie, Titel und
Titelreihen (Achet A2), 2000, p. 70-71 (il y donne la liste des dignitaires qui le portent au Moyen Empire,
à partir de la fin de la XIe dynastie).
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 39
ce sont des fonctionnaires possédant parmi les plus hauts titres de rang 23.
Tous ces indices correspondent bien à ce qu’indiquaient déjà la taille de la stèle
et la qualité de sa réalisation, ainsi que la mention du don de l’emplacement
de la tombe par le roi lui-même sur l’architrave. Autre élément de prestige :
les nombreuses épithètes dont est pourvu Héni sont pour partie identiques
ou très semblables à celles du vizir de Sésostris Ier Montouhotep, sur sa stèle
d’Abydos 24.
Le second propriétaire de la tombe, Khéty-ânkh, conserve – et se réapproprie donc –, la plupart des épithètes ainsi que certains titres (2, 3, 4, 5, 7 et 8)
de la titulature de Héni, mais fait tout de même inscrire les titres suivants, en
lieu et place de ceux de son prédécesseur :
1. « directeur du temple » ((j)m(y)-r(ȝ) ḥw.t-nṯr) ; 2. « directeur des scribes »
((j)m(y)-r(ȝ) sš) ; 3. « prêtre-lecteur en chef » (ẖry-ḥb ḥry-tp) ; 4. « prêtre-sem
et directeur de tous les pagnes royaux » (sm ḫrp šnḏy.t nb.t)25.
Le titre de « directeur du temple » semble correspondre à sa fonction
principale ou à celle qu’il juge la plus importante, puisqu’il apparaît dans cinq
des douze séquences de titres et est repris sur l’architrave. Les titres qui lui
sont propres sont dans l’ensemble très nettement orientés vers le domaine
du temple et il y a donc une nette différence de profil de carrière par rapport à Héni. On constate cependant qu’il ne porte pas le titre de « grand des
voyants » (wr mȝw), qui caractérise habituellement le grand-prêtre de Rê à
Héliopolis. De quel temple assume-t-il alors la direction ? Quant aux titres de
Héni conservés dans les séquences de Khéty-ânkh, ils correspondent pour la
plupart à des titres exprimant le prestige du personnage et n’étaient peutêtre pas considérés comme de véritables titres de fonction, en tout cas au
moment de l’usurpation de la stèle.
Héni, « grand chef du nome Héqa-ândj-est » (ḥry-tp ʿȝ n Ḥqȝ-ʿnḏ-jȝb)
J’ai mentionné plus haut le fait que le titre de « grand chef du nome Héqaândj-est » porté par Héni est exceptionnel. Tout d’abord, parce que c’est la
23. Ibid.
24. Six sur quinze (si l’on n’inclut pas les mentions de jmȝḫ et ses variantes). Sur la stèle de
Montouhotep Caire CG 20539, cf. traduction et ensemble de la bibliographie dans Cl. Obsomer, Sésostris I.
Étude Chronologique et historique du règne (Connaissance de l’Égypte ancienne 5), 1995, p. 521-531 (doc. 27).
Pour la translittération et traduction des épithètes de Héni ainsi que les références les concernant,
cf. W.K. Simpson, op. cit., p. 18-19.
25. Il s’agit d’un titre d’accompagnement qui apparaît très régulièrement après le titre de ẖry-ḥb ḥry-tp.
40 | BSFE 193-194
seule attestation du titre de « grand chef de nome » (ḥry-tp ʿȝ + nome) pour
un nome du Delta. Toutes les attestations qui en sont connues depuis la fin de
l’Ancien Empire sont en effet en relation avec des nomes de la vallée du Nil
uniquement – depuis les origines, la gestion administrative des provinces de
la Vallée et du Delta diffère 26.
Ce titre de « grand chef de nome » apparaît lors de la dernière réforme de
l’administration provinciale de l’Ancien Empire, fin Ve-début VIe dynastie. Il
est généralement traduit par « nomarque », même si plusieurs chercheurs
ont montré que d’autres dignitaires, avant l’apparition de ce titre, avaient
pu exercer des responsabilités sur l’ensemble d’un nome, ou qu’au contraire
ce titre ne recouvrait pas toutes les charges relatives à une seule et même
région 27. Il n’est d’ailleurs pas attesté pour l’ensemble des nomes de Haute et
Moyenne-Égypte à l’Ancien Empire et l’on a de toutes les façons trop souvent­
considéré qu’il existait un système uniforme de gestion de l’ensemble des
provinces, ce que les recherches récentes ont largement remis en cause.
Pendant le Moyen Empire, en particulier durant la première moitié de la
période, le titre de « grand chef de nome » est encore en usage. Son emploi
décroît puis disparaît à partir du règne de Sésostris III 28. Là encore, il n’est pas
utilisé, dans l’état actuel des sources, en relation avec des nomes de BasseÉgypte. Le titre de Héni constitue donc une exception remarquable – signalons cependant que les sources concernant le Delta pour l’Ancien et le Moyen
Empires sont très lacunaires –, exception que l’on retrouve seulement sous
forme de titre honorifique à la XVIIIe puis à la XXVIe dynastie. Le héraut royal
Râ, qui exerça vraisemblablement des fonctions diplomatiques à l’étranger au
milieu de la XVIIIe dynastie avant d’être intégré à l’administration civile, portait en effet le titre de « grand chef de Héqa-ândj » 29. Deux autres exemples
de l’usage du titre « grand chef de nome » sont attestés à la XVIIIe dynastie ;
ils concernent toujours des nomes de la vallée du Nil qui avaient été dirigés
par de tels dignitaires à l’Ancien ou au Moyen Empires 30. Peut-être faut-il
26. H. Willems , Les Textes des Sarcophages et la démocratie. Éléments d’une histoire culturelle du Moyen
Empire, 2008, p. 5-36 ; J.C. Moreno Garcia , « The Territorial Administration of the Kingdom in the
3rd Millenium », dans id. (éd.), Ancient Egyptian Administration (HdO 104), 2013, p. 85-152.
27. H. Willems, op. cit. ; J.C. Moreno Garcia, op. cit.
28. P. Tallet, Sésostris III et la fin de la XIIe dynastie, 2005, p. 86-88.
29. Modèle de sarcophage en calcaire (Caire CG 48483) : pour l’ensemble des références, se reporter à
D. R aue , Heliopolis und das Haus des Re: eine Prosopographie und ein Toponym im Neuen Reich (ADAIK 16), 1999,
p. 224-226.
30. Au milieu de la XVIIIe dynastie, Iamou-Nefer est « prince, gouverneur, nomarque de Ounet (XVe
nome de Haute-Égypte), scribe des offrandes royales de Thot maître d’Hermopolis ((j)r(y)-pʿ.t ḥȝty-ʿ
ḥry-tp ʿȝ n(y) Wnt, sš-ḥtpw-nṯr n(y) Ḏḥwty nb Ḫmnw) sur la statue BM 1782 (I.E.S. Edwards, Hieroglyphic
texts from Egyptian stelae, VIII, 1939, pl. 2-3). Sur ce dignitaire, voir A.P. Zivie , « Une statue stéléphore au
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 41
y voir une coquetterie archaïsante chez certains responsables provinciaux.
L’administration provinciale n’était en tout cas plus, à cette époque, gérée par
des personnages portant ce titre. Durant la période saïte enfin, un dignitaire
nommé Paouenhatef, enterré aux environs de l’actuel quartier de Fostat, portait le titre de « grand chef de Héqa-ândj » (ḥry-tp ʿȝ Ḥqȝ-ʿnḏ) 31. Là encore, on
connaît bien le goût des dignitaires de l’époque saïte pour les titres anciens.
Il est à remarquer qu’au Moyen Empire, des régions qui n’avaient jamais
eu de « grand chef de nome » auparavant ont pu s’en voir attribuer. L’exemple
typique est celui de Sarenpout, pourvu par Sésostris Ier de ce titre pour le
Ier nome de Haute-Égypte, une région hautement stratégique au moment où le
roi se lance à la conquête de la Basse-Nubie 32. Pourrait-on observer le même
phénomène dans le cas de Héni, puisque la frange orientale du Delta, à la tête
de laquelle il se trouvait, était justement une zone sensible ?
Le découpage de la frange orientale du Delta à l’Ancien
et au Moyen Empire
Le nome dans lequel Héni exerce ses fonctions est nommé Héqa-ândj-iab
(Ḥqȝ-ʿnḏ-jȝb) sur la stèle, un toponyme qui a été lu soit « l’est du nome Héqaândj » – qui était le XIIIe nome de Basse-Égypte dans la nomenclature classique avec Héliopolis pour ville principale –, soit « le nome Héqa-ândj et le
nome de l’Orient », ce qui traduirait l’autorité de Héni sur deux nomes de
l’est du Delta33. Un toponyme Iab-Héqa-ândj (Jȝb-Ḥqȝ-ʿnḏ) est connu dès
l’Ancien Empire et c’est donc l’occasion ici de réexaminer le découpage de la
frange orientale du Delta, qui a constamment changé depuis l’époque thinite.
Malheureusement, les sources permettant de reconstituer son évolution sont
fort peu nombreuses.
Les sources thinites ou se référant à cette époque, comme les Annales
de la Ve dynastie, présentent très tôt une vision d’un Delta scindé en deux
grandes zones géographiques 34, l’est et l’ouest 35. Les « nomes de l’ouest » sont
nom d’Imaounefer d’Hermopolis Magna », BIFAO 75 (1975), p. 321-342. Enfin, un Montouherkhepeshef
sous Thoutmosis III est « nomarque dans la Haute-Égypte, nomarque de Ouadjet (Xe nome de HauteÉgypte) (ḥry-tp ʿȝ m Šmʿ, ḥry-tp ʿȝ n(y) Wȝḏt) d’après les peintures de sa tombe de Dra Abou el-Naga
(TT 20 : N. De G. Davies, Five Theban Tombs [EEF Archaeological Survey 21], 1913, pl. VIII).
31. A. H amada, « Tomb of Pawen-Hatef at Al-Fostât », ASAE 37 (1937), p. 135-142 ; J. Yoyotte , « Prêtres
et sanctuaires du nome héliopolite à la Basse-Époque », BIFAO 54 (1954), p. 115.
32. N. Favry, Le Nomarque sous le règne de Sésostris Ier (IEA 1), 2004, p. 301-303.
33. D’après D. Franke , cité par W.K. Simpson, op. cit., p. 14 et 18.
34. J.C. Moreno Garcia, « Administration territoriale et organisation de l’espace en Égypte au troisième millénaire avant J.-C. (V) : gs-pr », ZÄS 126 (1999), p. 119 s.
35. Les « nomes de l’ouest » sont sans doute déjà mentionnés dans une inscription rupestre de Djer au
42 | BSFE 193-194
mer Méditerranée
mer Méditerranée
Bouto
Bouto
Xoïs
Xoïs
Saïs
Mendès
Mendès
Saïs
Bousiris
Imet
Bousiris
Imet
XIV
XIV
Kom el-Hisn
Kom el-Hisn
Étendue
maximale
des lacs
Étendue
maximale
deslittoraux
lacs littoraux
etet
marais
à l’époque
dynastique
marais
à l’époque
dynastique
Boubastis
Gezira (sable)
Gezira (sable)
Athribis
Cordon littoral sableux
XIII
Athribis
Boubastis
Ouadi Toumilat Ouadi Toumilat
XIII
Cordon littoral sableux
Trait de côte actuel
Trait
côte
actuel
Trait
dede
côte
entre
4000 et 3000 av.
J.-C.
XIII
XIV
XIII
XIV
0
0
Trait de côte entre 4000 et 3000 av.
Nomes
J.-C. Héqa-ândj et Khentet-Iab
Nomes Héqa-ândj et Khentet-Iab
Létopolis
Héliopolis
Létopolis
Héliopolis
50 km
mer
Rouge
50 km
Fig. 6 Carte du Delta (Carte réalisée d’après K.W. Butzer, Early Hydraulic Civilization in Egypt, 1976,
p. 24, fig. 4 et id., « Geoarchaeological Implications of Recent Research in the Nile Delta »,
dans E.C.M. Van den Brink – T.E. Levy [éd.], Egypt and the Levant. Interrelations from the 4th
through the Early 3rd Millenium B.C.E., 2002, p. 88, fig. 4.5)
aussi mentionnés sur une empreinte de sceau datant du règne de Djoser à la
IIIe dynastie et retrouvée dans une tombe de Beit Khallaf 36. « L’Ouest » devient
ensuite la dénomination de l’une des grandes régions de l’ouest du Delta, le
IIIe nome de Basse-Égypte, et « l’Est » semble aussi désigner, comme nous le
verrons, un nome de l’est du Delta durant l’Ancien Empire. L’intérêt des tout
ouadi Ameyra (Sinaï) : P. Tallet, La Zone minière pharaonique du Sud-Sinaï (MIFAO 132/2), 2015, p. 23-27,
doc. 306, pl. 32. Deux empreintes de sceau datant du règne de Den, retrouvées dans la tombe de sa mère
Merneith à Umm el-Qa’ab, mentionnent un ou des pressoirs à vin, situés « au nord », dans les « nomes/
bassins de l’ouest » et les « nomes/bassins de l’est » (IÄF III, 238-239). L’interprétation à donner au signe
qui ressemble au hiéroglyphe spȝt de l’Ancien Empire n’est pas complètement assurée. Correspond-il
déjà à la valeur spȝt et à la désignation d’une région ? Le symbole de l’est apparaît également sur deux
autres empreintes datant du même règne (IÄF III, 121 et 148). Enfin, une case-année se référant au règne
de Den dans les Annales de la Ve dynastie conserve la mémoire de « l’organisation des terres agricoles
du nord-ouest et des habitants de l’est » (ro, l. 3, x+4) : T.A.H. Wilkinson, Royal Annals of Ancient Egypt.
The Palermo Stone and its Associated Fragments, 2000, p. 108-110.
36. IÄF III, 319.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 43
premiers souverains égyptiens pour la frange orientale du Delta pourrait être
lié à une volonté de réorganisation à leur profit des échanges déjà anciens
et intenses avec la zone syro-palestinienne 37. Dès les origines également, il
semble que la fondation de grands domaines royaux fut un moyen d’encourager la colonisation agricole de l’est et de l’ouest du Delta. La production de
vin et l’élevage étaient déjà des spécificités de ces deux régions 38.
Quant aux premières occurrences de noms de nomes, elles apparaissent
vraisemblablement sur des empreintes de sceau de la IIe dynastie – en particulier parmi les milliers de fragments d’empreintes retrouvés dans la tombe
de Khasekhemouy à Umm el-Qa’ab (Abydos) 39. Ces signes ont en effet le même
aspect que les dénominations de nomes mieux connues à partir du début de
l’Ancien Empire : un emblème sur un pavois, qui peut être régulièrement
accompagné de ce qui ressemble au signe hiéroglyphique-sepat
, traduit
par convention « nome » dans la littérature égyptologique. Il semble donc
bien que des régions aient été reconnues dès la naissance de l’État égyptien
– quelle que soit, et je ne rentre pas ici dans ce débat, la réalité administrative
qu’il faille y reconnaître.
Toutefois, ce découpage de la Basse-Égypte à partir de la IIe dynastie en
différents districts ou entités administratives – au nombre de seize à l’Ancien
comme au Moyen Empire –, n’empêche pas la reconnaissance de grandes
régions dans le Delta (ouest, centre et est), comme on le constate à l’analyse
de certaines titulatures de dignitaires de l’Ancien Empire 40 ou de plusieurs
passages des Textes des Pyramides. Ainsi dans le Spruch 224, une invocation
appartenant au rituel des insignes : « une offrande royale consistant en tous
tes (le roi) insignes dans toutes tes places, ton sceptre-nehebet étant en tête
des vivants, ton bâton à la tête des akhou, c’est Anubis à la tête de ceux de
l’ouest, c’est Andjeti à la tête des nomes de l’est » 41. Il s’agit ici de désigner
37. T.A.H. Wilkinson, Early Dynastic Egypt, 1999, p. 139-140, 363-364.
38. J.C. Moreno Garcia, « Ḥw.t-jḥ(w)t, the administration of the Western Delta and the ‟Libyan question” in the Third millenium BC », JEA 101 (2015), p. 25-61.
39. E.-M. E ngel , « Die Entwicklung des Systems der ägyptischen Nomoi in der Frühzeit », MDAIK 62
(2006), p. 154. On y note même déjà ce qui semble être la personnification d’un nome.
40. Ouserkafânkh, sous le règne de Niouserrê, était ainsi « directeur des nomes de la Basse-Égypte dans
ses deux bordures » ((j)m(y)-r(ȝ) spȝ.wt Tȝ-mḥw m gs.wy-pr) et « supérieur des secrets des portes des
pays étrangers dans les deux bordures » (ḥry-sštȝ n(y) rȝ-ȝw ḫȝs.wt m gs.wy-pr) : voir les remarques de
J.C. Moreno Garcia sur ces gs.wy-pr, dans son article « La gestion des aires marginales : pḥw, gs, ṯnw,
sḫt au IIIe millénaire », dans A. Wood – A. McFarlane – S. Binder (éd.), Egyptian Culture and Society, Studies
in Honour of Naguib Kanawati (CASAE 38/II), 2010, p. 55-56.
41. ḥtp dj n(y)-sw.t m sʿḥ=k nb m s.wt=k nb nḥb.t=k ḫnt ʿnḫ.w mdw=k ḫnt ȝḫ.w Jnpw js ḫnt Jmntyw, ʿnḏty
js ḫnt spȝ.wt jȝbt.(yw)t (PT 224 ) ; J.P. Allen, The Ancient Egyptian Pyramid Texts (Writing from the Ancient
World 23), 2005, p. 28 (W135). Le spruch 650 livre une formule semblable (ibid., N319, p. 264).
44 | BSFE 193-194
la totalité de la Basse-Égypte par l’énumération de ses deux moitiés, objectif
qui peut également être atteint en citant uniquement deux des nomes des
franges occidentale et orientale, puisque dans le Spruch 222 le pouvoir est
donné au roi sur l’ensemble du pays par la formule « Tu gagneras contrôle
sur ton corps, sans adversaire, car tu es né en tant qu’Horus et tu as été conçu
pour Seth, après t’être purifié dans le nome L’Ouest et avoir reçu ta pureté
dans le nome Héqa-ândj, auprès de ton père Atoum » 42.
Venons-en maintenant au découpage de la frange orientale. Durant
l’Ancien Empire, cinq toponymes distincts s’appliquent à cette région
(cf. ci-après Tableau 1) : Héqa-ândj (Ḥqȝ-ʿnḏ) ; Iab-Héqa-ândj (Jȝb-Ḥqȝ-ʿnḏ) ;
Iab (Jȝb) ; Iab-peh (Jȝb-pḥ) ; Khentet-iab (Ḫntt-jȝb). Ils traduisent tâtonnements, évolutions et recompositions… phénomènes logiques, le Delta
étant alors une région en pleine colonisation agricole, dont la géographie a
constamment évolué. On se souviendra en particulier que la côte méditerranéenne n’a cessé de progresser vers le nord dans la partie orientale du
Delta durant toute l’Antiquité et le Moyen Âge 43. Plusieurs propositions ont
été faites quant à la localisation de ces divers toponymes de la frange orientale, leur évolution et les relations qui existaient entre eux 44. On se réfère
généralement à celle de H.G. Fischer, mais il me semble que certaines de ses
conclusions peuvent être révisées.
Héqa-ândj apparaît dès le règne de Snéfrou dans la liste de domaines,
classés par nomes, du temple de la pyramide rhomboïdale de Dahchour 45.
Il n’est employé qu’à trois reprises à l’Ancien Empire, uniquement dans des
sources royales. Iab-Héqa-ândj est attesté également par trois fois durant cette
période, mais dans des sources de nature plus variée : titulature d’un dignitaire,
42. sḫm=k m ḏ.t=k n jmy-rd=k ms=k m Ḥr jwr=k n Stẖ wʿb~n=k m Jmnt sšp~n=k ʿ wʿb=k m Ḥqȝ-ʿnḏ
ḫr jt=k ḫr Tm (PT 222) ; ibid., W155, p. 40.
43. B. M arcolongo, « Évolution du paléo-environnement dans la partie orientale du Delta du Nil
depuis la transgression flandrienne (8000 BP) par rapport aux modèles de peuplements anciens »,
CRIPEL 14 (1992), p. 23-31 ; J.-D. Stanley, « Configuration of the Egypt-to-Canaan Coastal Margin and
North Sinai Byway in the Bronze Age », dans E.C.M. Van den Brink – T.E. Levy (éd.), Egypt and the Levant,
2002, p. 98-117 ; K.W. Butzer , « Geoarcheological Implications of Recent Research in the Nile Delta »,
dans id., ibid., p. 83-97.
44. H.G. Fischer , « Some Notes on the Easternmost Nomes of the Delta in the Old and Middle
Kingdoms », JNES 18 (1959), p. 129-142 ; H. G oedicke , « Two lost Old Kingdom ostraca », dans Festschrift
zum 100-jährigen Bestehen der Papyrussammlung der Österreichischen Nationalbibliothek. Papyrus Erzherog
Rainer (P. Rainer Cent.), 1983, p. 159-164 ; H. Jacquet-G ordon, Les Noms de domaines funéraires sous l’Ancien
Empire égyptien (BdE 34), 1962, p. 109-113 ; L. Postel – I. R égen, « Annales héliopolitaines et fragments de
Sésostris Ier réemployés dans la porte de Bâb al-Tawfiq au Caire », BIFAO 105 (2005), p. 239-241.
45. Se référer aux tableaux 1 et 2 pour les références de toutes les attestations citées.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 45
listes de domaines royaux et privés. C’est en réalité Iab, « L’Est », qui est le
toponyme le plus souvent attesté à l’Ancien Empire, là aussi dans des sources
à la fois royales et privées. Quant à Iab-peh, « l’Est d’aval », son usage est limité
à la IVe dynastie. Enfin Khentet-iab, « le front de l’Est » n’apparaît qu’au début
de la Ve dynastie, dans les sources royales et privées.
Au Moyen Empire, on assiste dès le règne de Sésostris Ier, sur la Chapelle
blanche de Karnak, à une certaine fixation du « canon géographique » égyptien, tel qu’il est ensuite repris et enrichi durant toute l’époque pharaonique
(cf. Tableau 2). À partir de son règne, seuls les nomes Héqa-ândj et Khentet-iab
trouvent leur place – jusqu’aux versions tardives d’époque gréco-romaine –
dans la liste canonique des nomes d’Égypte. Les toponymes Iab et Iab-Héqaândj disparaissent donc après le règne d’Amenemhat Ier.
L’analyse de cette documentation me semble favoriser les hypothèses
suivantes :
– Iab-Héqa-ândj et Héqa-ândj seraient deux désignations équivalentes.
Elles n’apparaissent en effet jamais ensemble dans la documentation, comme
cela aurait sans doute été le cas si, comme le suggère H.G. Fischer, Iab-Héqaândj désignait la partie orientale d’un nome plus grand nommé Héqa-ândj. Ces
découpages de grands nomes en deux sous-ensembles sont bien attestés dans
la documentation égyptienne. Ils peuvent se présenter sous trois formes :
l’ajout de « moitié orientale » (gs jȝbty) ou « moitié occidentale » (gs jmnty)
avant la désignation proprement dite du nome 46 ; l’ajout de « amont » ou
« aval » (ḫnt.t ou pḥ) après ce nom 47 ; enfin l’ajout de « nord » (mḥtyt) ou « sud »
(rsyt), toujours après le nom du nome 48. La désignation Iab-Héqa-ândj diffère
donc du schéma habituel. On notera que sur la stèle de Héni la mention des
deux composantes est inversée dans le toponyme Héqa-ândj-Iab. Je ne crois
cependant pas à la mention de deux nomes différents sur un même signe sepat
comme le propose D. Franke, mais plutôt à une erreur d’interprétation d’un
toponyme ancien.
– Considérons maintenant le tandem Iab et Iab-peh (« L’Est » et « L’Est
d’aval ») : ces deux toponymes apparaissent côte à côte dans le testament
de Nikaourê, durant le règne de Mykérinos. Certains des domaines légués
par le dignitaire à des membres de sa famille se situaient en effet dans ces
deux régions. La structure du toponyme Iab-peh, « L’Est d’aval », trouve des
parallèles bien attestés pour d’autres nomes (cf. supra). Il désigne sans trop
46. Ainsi gs jȝb(ty) Ḥwww et gs jmn(ty) Ḥwww, le harpon de l’est et le harpon de l’ouest, pour les VIIe
et VIIIe sepat de Basse-Égypte.
47. Pour les XIIIe-XIVe nomes et XXe-XXIe nomes de Haute-Égypte par exemple.
48. Voir la désignation des IVe et Ve nomes de Basse-Égypte.
46 | BSFE 193-194
de doute la partie la plus septentrionale du nome Iab. Sa disparition après la
IVe dynastie, et le fait qu’à la Ve dynastie apparaisse le toponyme Khentet-iab
semblent autoriser à postuler le détachement de la partie nord du nome, qui
formerait dès lors une entité administrative distincte. D’une dénomination
« L’Est d’aval », on passerait donc à l’appellation « le glacis » ou « le front de
l’Est » pour reprendre la traduction proposée en son temps par J. Yoyotte
pour Khentet-iab, qui exprime parfaitement la position frontalière du nome.
Cette autonomisation pourrait avoir été
causée par l’extension naturelle de la
région et la colonisation agricole qui s’y
accéléra, comme en témoigne la fondation
de domaines attribués à des temples sous
Sahourê, mais surtout sous Neferirkarê
durant la Ve dynastie. Sous ce dernier
règne, l’une des cases-années de la Pierre
de Palerme indique la fondation d’un
domaine de 3 aroures dans le Ier nome de
Basse-Égypte, de 10 aroures dans le nome
Iab, et de pas moins de 352 aroures dans
« le front de l’Est » 49.
– La question des relations entre les
toponymes Héqa-ândj, Iab-Héqa-ândj et
Iab demeure la plus complexe. Iab-Héqaândj et Iab sont nommés conjointement
dans une liste de domaines du mastaba de
Sabou à la VIe dynastie. Héqa-ândj et Iab
apparaissent ensemble uniquement sur la
liste de nomes de l’autel d’Amenemhat Ier
au début du Moyen Empire. Faut-il considérer alors que Héqa-ândj et Iab étaient
deux entités complètement différentes
ou bien que Héqa-ândj était une partie
de Iab ? C’est ce dernier parti que prend
H. Jacquet-Gordon, qui lit Iab-Héqa-ândj
Fig. 7 Représentation de Héni dans
« Héqa-ândj (qui est dans) l’Orient » 50.
la partie inférieure droite de sa stèle : il tient
un arc et une hache (photo Cl. Somaglino)
La liste de l’autel d’Amenemhat Ier serait
49. Verso IV, 3 : Urk. I, 246, 12-247, 4 ; T.A.H. Wilkinson, Royal Annals of Ancient Egypt. The Palermo Stone
and its Associated Fragments, 2000, p. 172-176.
50. H. Jacquet-G ordon, op. cit., p. 110.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 47
le seul document qui puisse s’opposer à une telle reconstitution, puisque
chacune des deux régions y est personnifiée de manière distincte, les deux
personnifications étant même séparées par un autre nome alors que les
deux parties d’un même nome apparaissent généralement l’une à la suite
de l’autre. Ce monument est cependant plus tardif et reflète peut-être la
phase de réorganisation qui aboutit avec le règne de Sésostris Ier à un nouveau schéma.
– Le scénario d’une grande région Iab des origines, qui se scinde en une
région Khentet-Iab de petite superficie et une grande région Iab, comprenant
elle-même une subdivision Héqa-ândj, aurait l’avantage de ne pas trop dénoter
par rapport au schéma à deux régions finalement établi sous Sésostris Ier :
une grande région Héqa-ândj et une petite région Khentet-iab (si l’on suit les
chiffres donnés sur la Chapelle blanche). Le changement de dénomination
reste quant à lui inexplicable à ce stade. Héqa-ândj, dont la traduction pose
problème, fut peut-être jugé plus prestigieux ou davantage en relation avec
des thématiques royales et religieuses. Cette grande région Iab puis Héqa-ândj
occupait une zone à l’est d’Héliopolis et s’étendait au moins jusqu’à Boubastis
– comme en atteste entre autres la mention de Bastet parmi les divinités de la
région sur la Chapelle blanche – et à l’entrée du Ouadi Toumilat. La principale
ville de la région est en tout cas Héliopolis, qui diffuse dans toute la frange
orientale du Delta le culte de Rê-Atoum 51. Ce grand ensemble occupait ainsi
une position stratégique pour la défense de l’Égypte et les échanges avec le
Sinaï et la Syrie-Palestine.
La seule source qui permette de se faire une idée de la nature de IabHéqa-ândj est la tombe de Nésout-Nefer à Giza à la IVe dynastie. Nésout-Nefer
assumait d’importantes responsabilités dans trois nomes égyptiens : Ta-our
et Ouadjet dans la vallée du Nil, Iab-Héqa-ândj en Basse-Égypte. Si pour les
deux nomes de la Vallée, il porte la même séquence de titre, en relation avec
les grands domaines royaux et leur personnel 52, pour Iab-Héqa-ândj, il est
« directeur des fortins, des déserts et de la forteresse royale » ((j)m(y)-r(ȝ)
rtḥ.w zmy.wt mnnw-n(y)-sw.t). Ceci montre parfaitement bien la position
stratégique de cette zone sur la frontière orientale de l’Égypte, à un endroit
pourvu d’un système de fortification protégeant l’accès du pays. Il s’agit sans
doute de l’entrée du Ouadi Toumilat, l’une des deux voies de passage privilégiées entre le Delta et le Sinaï.
51. M. Bietak, Tell el-Dab’a, II, Der Fundort im Rahmen einer archäologisch-geographischen Untersuchung über
das ägyptische Ostdelta (ÖAW IV), 1975, p. 157.
52. jmy-rȝ : swnw.w, nswtyw, wp.t, sšm-tȝ, ḥqȝ ḥw.t-ʿȝ.t (directeur des tours-sounou, directeur des colons
royaux, directeur de mission, administrateur, directeur d’un grand domaine royal).
48 | BSFE 193-194
Héni, à l’orée du Moyen Empire, pourrait lui aussi avoir joué un rôle dans
la défense du territoire ou dans les expéditions qui partaient de la région
d’Héliopolis. On se souvient qu’il est « directeur de la Basse-Égypte », un titre
qui est régulièrement porté par des dignitaires participant aux expéditions.
Or, une piste part justement d’Héliopolis pour gagner le fond du golfe de
Suez. Elle était utilisée dès le Moyen Empire au moins si l’on en croit le graffito d’un grand-prêtre d’Héliopolis de la XIIe dynastie, Nebou-Kaou-Rê, situé
au Ouadi al-‘Anqabiya ar-Rawiyana, à 22 km sur la route Le Caire-Suez 53. On
pouvait également facilement rejoindre depuis Héliopolis la zone de Boubastis
puis l’entrée du Ouadi Toumilat pour gagner le Sinaï 54.
Deux éléments supplémentaires pourraient renforcer l’idée d’une participation de Héni à des opérations vers les marges orientales de l’Égypte : il
est représenté, en bas à droite de sa stèle, portant un arc et une hache (fig. 7) ;
l’une de ses épithètes indique qu’il est « celui qui pacifie les Héryou-sha » (sgrḥ
ḥry.w-šʿ), et une autre, malheureusement lacunaire, faisait allusion au fait de
répandre la crainte du roi dans les pays étrangers (col. 8) 55.
L’épithète relative aux Héryou-sha, peuples du sud de la Palestine ou seminomades du Sinaï 56, n’est attestée par ailleurs que dans la stèle abydénienne
du vizir Montouhotep sous Sésostris Ier. On notera également que l’est du
Delta a régulièrement fourni des troupes pour des expéditions en Nubie : un
« connu du roi » (rḫ-n(y)-sw.t) originaire de Iab-peh y mène une expédition
sous la IVe dynastie qui aboutit à la capture de 17 000 hommes d’après un
graffito de Khor el-Aqiba ; une autre inscription rupestre, datant cette fois de
l’an 41 de Montouhotep II, mentionne la présence d’un « commandant (ḫrp)
dans Heqa-ândj » dans la région d’Assouan.
Titres, épithètes et iconographie me semblent constituer un faisceau d’indices solides pour proposer la participation de Héni soit à des expéditions
vers les mines et carrières, soit à des campagnes militaires contre des populations de l’est de l’Égypte qui menaçaient potentiellement la frontière. Ce
53. PM IV, 73 ; R. Engelbach – T.C. Townsend, « A XIIth dynasty inscription near the Cairo-Suez road »,
ASAE 33 (1933), p. 1-5. Des repérages effectués par P. Tallet et G. Castel montrent qu’il y avait aussi une
carrière à proximité (communication personnelle de P. Tallet).
54. Un canal reliait semble-t-il dès les époques anciennes la ville d’Héliopolis à l’Est du Delta. Il est
connu sous le nom de canal-Ity dans les sources (pour un résumé, cf. P. Grandet, Le Papyrus Harris I
[BdE 109/2], 1994, p. 122-125).
55. W.K. Simpson, op. cit., p. 16 et 19.
56. P. de M iroschedji, « Egypt and Southern Canaan in the Third Millennium BCE: Uni’s Asiatic
Campaigns Revisited », dans M. Gruber et al. (éd.), All the Wisdom of the East. Studies in Near Eastern
Archaeology and History in Honor of Eliezer D. Oren (OBO 255), 2012, p. 265-292.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 49
rôle aurait pu justifier la dévolution quelque peu exceptionnelle par le roi du
titre de « grand chef de nome » à Héni, un dignitaire à coup sûr fort important, si l’on en juge par la taille et la qualité de sa stèle, dans une tombe dont
l’emplacement avait été choisi par le souverain lui-même.
La menace sur la frontière orientale est en tout cas évoquée à plusieurs
reprises, en particulier dans des textes littéraires ayant pour cadre narratif
la fin de la Première Période intermédiaire ou le début du Moyen Empire,
comme l’Enseignement pour Mérikarê et la prophétie de Néferty – Néferty
est d’ailleurs présenté comme « un savant de l’Est 57, celui qui appartient à
[Ba]stet à son lever, un enfant du nome Héqa-ândj » 58 et indique que dans les
temps de confusion, « le nome de Héqa-ândj ne sera plus sur terre, la place
de naissance de tous les dieux » 59. Ces deux textes sont certes à manipuler
avec précaution, d’autant qu’ils pourraient avoir été composés à la fin du
Moyen Empire ou au début de la XVIIIe dynastie 60. D’autres sources évoquent
la construction d’un dispositif de sécurisation de la frontière orientale sous
le règne d’Amenemhat Ier, les fameux « murs du Prince » faits pour repousser
les Asiatiques, que franchit nuitamment l’infortuné Sinouhé lors de sa fuite 61.
Ce ou ces forteresses devaient se situer dans les environs du Ouadi Toumilat.
Peut-être bien là où Nésout-Nefer, en son temps, était directeur de la forteresse royale et des fortins de Iab-Héqa-ândj. Drôle de coïncidence… mais les
coïncidences existent-elles vraiment ?
English abstract
During excavations at Heliopolis in the 1980s, a stele and an architrave belonging to an
official named Heni were found. They seem to date from the end of the First Intermediate
Period or the very beginning of the Middle Kingdom, a period for which very little
documentation from Lower Egypt is known. These monuments were usurped by a
Khety-ankh at the beginning of the XIIth dynasty. The quality of the monuments, the
inclusion of an otherwise unknown royal titulature, as well as the titles of Heni and the
name of the region where he performed his duties, Heqa-andj-east in the eastern part
of the Delta, are all exceptional.
57. Déterminé ici par le signe de la section de terrain irrigué
(N23) et le signe du désert
(N25).
58. rḫ-ḫ.t pw n jȝb n(.y)-sw [Bȝ]s.t m wbn=s msw pw n(y) Ḥqȝ-ʿnḏ (pErmitage 1116B, l. 17).
59. nn wn Ḥqȝ-ʿnḏ r tȝ msḫn.t n(y).t nṯr nb (pErmitage 1116B, l. 57).
60. Pour les références sur la datation de ces textes et une nouvelle analyse plutôt en faveur du début
de la XVIIIe dynastie, cf. A. Stauder , Linguistic Dating of Middle Egyptian Literary Texts (Lingua Aegypa
Studia Monographica 12), 2013, p. 175-200 et 337-434.
61. Conte de Sinouhé, B17 et R42-43 ; Prophétie de Néferty, E66.
50 | BSFE 193-194
Tableau 1. La frange orientale du Delta à l’Ancien Empire
Héqa-ândj
(Ḥqȝ-ʿnḏ)
Iab-Héqa-ândj
(Jȝb ḥqȝ-ʿnḏ)
Iab
(Jȝb)
Iab-peh
(Jȝb pḥ(.t))
Khentet-iab
(Ḫntt-jȝb)
Défilé de
domaines du
temple bas
de Snéfrou 61
IVe dynastie
Domaines du testament de Nikaourê (Mykérinos ?) 62
Titres de NésoutNefer, Giza, fin
IVe dynastie 63
Inscription
rupestre au
nord de Khor
el-Aqiba 64
Ve dynastie
Liste de domaines
du temple
funéraire de
Sahourê 65
Annales de la
Ve dynastie
Domaines
de Sahourê
Annales de la
Ve dynastie
Domaines
de Sahourê 66
Annales de la
Ve dynastie
Domaines
de Néferirkarê
Annales de la
Ve dynastie
Domaines
de Néferirkarê 67
Liste de domaines
de l’autel du
temple bas de
Niouserrê 68
Liste de domaines
de l’autel du
temple bas de
Niouserrê ?
PT 211c (sp. 222) :
Ounas et Pépi I
VIe dynastie
Liste des domaines du mastaba
de Sabou, Saqqara 69
Liste des domaines
du mastaba
de Khnoumty,
Giza (Téti ?) 70
Liste des domaines
du mastaba de
Khnoumty,
Giza (Téti ?)
Liste des domaines
du mastaba de
Méhou, Saqqara
(Téti-Pépi II) 71
Liste des domaines
du mastaba de
Méhou, Saqqara
(Téti-Pépi II)
Liste de domaines
du mastaba de
Hézi, Saqqara 72
61. A. Fakhry, The Monuments of Sneferu at Dahshur, II, 1961, p. 50, pl. 24 ; H. Jacquet-G ordon, Les Noms des
domaines funéraires sous l’Ancien Empire égyptien (BdE 34), 1962, p. 135.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 51
Tableau 2. La frange orientale du Delta au Moyen Empire
Héqa-ândj
(Ḥqȝ-ʿnḏ)
Iab-Héqa-ândj
(Jȝb ḥqȝ-ʿnḏ)
Iab
(Jȝb)
Khentet-iab
(Ḫntt-jȝb)
XIe dynastie
Tombe de Héni,
Héliopolis. Début
Moyen Empire
Inscription rupestre
entre Shellal et Assouan,
XIe dynastie,
Montouhotep II, an 41 73
Tombe de Horhotep,
Thèbes-ouest (TT 314),
XIe dynastie (=PT 211c) 74
XIIe dynastie
Liste des domaines de l’autel
d’Amenemhat Ier à Licht
(MMA 09.180.526) 75
Chapelle blanche de
Sésostris Ier, Karnak 76
Liste des domaines
de l’autel
d’Amenemhat Ier
à Licht
Chapelle blanche de
Sésostris Ier, Karnak
Prophétie de Néferty
(pErmitage 1116B, 17 et 57)
Tombe de Sénousret-ânkh,
Licht, XIIe dynastie
(=PT 211c) 77
62. Mastaba LG 87 (G8158) : Urk. I, 17 ; LD II, 15a ; H. Jacquet-G ordon, op. cit., p. 219-221.
63. Mastaba G 4970 : N. K anawati, Tombs at Giza, II (ACE Reports 18), 2002, pl. 52, 53, 56.
64. J. L opez , « Inscriptions de l’Ancien Empire à Khor el-Aquiba », RdE 19 (1967), p. 51-66 ; id., Las inscripiones
rupestres faraónicas entre Korosko y Kasr Ibrim, 1966, no 27 ; W. H elck , « Die Bedeutung der Felsinchriften
J. Lopez, Inscripciones rupestres Nr. 27 und 28 », SAK 1 (1974), p. 215-225 ; E. E ichler , Untersuchungen zum
Expeditionswesen des ägyptischen Alten Reiches (GOF IV/26), 1993, p. 112, no 260.
65. L. Borchardt, Das Grabdenkmal des Königs S’ahu-Re’, I, 1913, p. 49, fig. 51.
66. Urk. I, 244,7 - 245,2.
67. Urk. I, 246,12 - 247,4.
68. H.G. Fischer, JNES 18 (1959), p. 129-132.
69. CGC 1419 ; H. Jacquet-G ordon, op. cit., p. 416-418.
70. Mastaba Giza G2374 : ibid., p. 310-312 ; E.J. Brovarski, The Senedjemib Complex, I (Giza Mastaba 7), 2001, fig. 87a.
71. H. Jacquet-G ordon, op. cit., p. 419-426 ; H. A ltenmüller, Die Wanddarstellung im Grab des Mehu in Saqqara
(ArchVer, Deutsches Archäologisches Institut 42), 1998, p. 111-132, pl. 18-29, fig. 7.
72. N. K anawati – M. A bder-R aziq, The Teti Cemetery at Saqqara, V, The Tomb of Hesi (ACE Reports 13), 1999,
p. 40-43, pl. 36-39 et 62.
73. W.M.Fl . P etrie , A Season in Egypt: 1887, 1888, p. 8, no 243 ; J. de Morgan, Cat. Mon., I, 1894, p. 37, no 151 ;
H.G. Fischer, op. cit., p. 132, n. 7 ; W. S chenkel , MHT, 1965, § 358.
74. G. M aspero, Trois années de fouilles dans les tombeaux de Thèbes et de Memphis (MMAF I), 1889, p. 146 (l. 165).
75. H.G. Fischer, op. cit., p. 137-139.
76. P. L acau – H. Chevrier, Une Chapelle de Sésostris I à Karnak, 1969, pl. 42.
77. W.C. H ayes, Texts in the Mastabeh of Se’n-Wosret-ʿAnkh (Publications of the Metropolitan Museum of Art Egyptian
Expedition 12), 1937, pl. 7, l. 379.
52 | BSFE 193-194
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) :
éclairages nouveaux
I. Le cahier des charges de Padiamenopé
Claude Traunecker
Université de Strasbourg – CNRS (UMR 7044)
II. Au cœur du texte. Rhétorique et spatialité chez Padiamenopé
Isabelle R égen
Université Paul Valéry-Montpellier 3 – CNRS (UMR 5140)
Les verrous des portes restées si longtemps fermées ont sauté…
Mais il reste encore bien des portes closes,
bien des souterrains secrets à l’intérieur de l’édifice plein de mystères
Johannes Dümichen
(Leçon inaugurale de l’Institut d’égyptologie de Strasbourg,
prononcée le 19 novembre 1872, trad. Cl. Traunecker)
I. Le cahier des charges de Padiamenopé
De tous les monuments de la nécropole de Louqsor, la tombe de Padiamenopé
(TT 33) est certainement le plus remarquable, mais aussi le plus mythique.
Le personnage de Padiamenopé est également hors norme et comme nappé
de mystères. Comment ce contemporain des derniers rois kouchites, un
savant certes, car il est « prêtre-lecteur », probablement proche du roi
en tant que scribe chargé des archives de Sa Majesté mais dépourvu de
titres politiques ou économiques (à l’inverse de son presque contemporain
Montouemhat), a-t-il pu faire creuser le plus grand hypogée d’Égypte ? Car
cette tombe immense, ce « palais funéraire » comme aimait à l’appeler son
premier éditeur, Johannes Dümichen, se compose actuellement de vingttrois salles réparties sur quatre niveaux.
Depuis près d’une décennie, nous parcourons ce monument et, petit à
petit, au fil du temps, des discussions entre nous et avec les collègues, certaines évidences cachées par nos approches trop normatives et modernes
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 53
nous sont enfin apparues. J’aimerais, dans ce court espace, présenter
quelques aspects inattendus de ce dossier fascinant.
Comme tout dans ce monument est exceptionnel, je propose d’imaginer
Padiamenopé donnant ses instructions pour l’organisation et la conception
de son tombeau bien-aimé :
« ma tombe-is, c’est le lieu de mon cœur ! » 1
Le « prêtre-lecteur » présente à ses collaborateurs un cahier des charges
absolument original ; il se composait, selon notre approche, de trois volets :
– positionner le futur monument avec des partis d’orientation nouveaux
dans la nécropole car Padiamenopé a opté pour une éternité choisie parmi
les « Immortelles », c’est-à-dire les étoiles circumpolaires ;
– exposer à son profit et à celui des visiteurs les réalisations des générations antérieures en matière d’art funéraire, tant monumentales que textuelles. Présenter son travail d’exégète et de spécialiste des vieux textes ;
– introduire dans son « Grabpalast » un tombeau d’Osiris et des salles de
culte sur le modèle abydénien (Osireion), faisant de son monument un lieu de
pèlerinage de substitution 2 à la disposition des fidèles thébains.
Avant d’aborder ces trois volets, évoquons très succinctement l’histoire
récente 3 du monument, connu comme étant la tombe thébaine 33 (TT 33).
Il n’a cessé de fasciner les visiteurs et les chercheurs. Depuis 1737, la tombe
est étudiée, son architecture est relevée et elle figure déjà sur le plan de la
nécropole thébaine de la Description de l’Égypte 4. On ne s’y aventurait alors
qu’avec crainte en raison des terribles récits des guides locaux évoquant des
chutes dans des puits traîtreusement disposés ou encore des touristes égarés,
1. TT 33 porte III, montant nord, face est.
2. Cl. Traunecker , « Un exemple de rite de substitution : une stèle de Nectanébo Ier », CahKarn VII (1983),
p. 339-354.
3. Pour une présentation générale de la TT 33 et son histoire récente, voir Cl. Traunecker, « Le palais
funéraire de Padiamenopé redécouvert (TT 33) », EA&O 51 (2009), p. 15-48 ; id., « The ‟Funeral Palace” of
Padiamenope (TT 33) : Tomb, Place of Pilgrimage, and Library. Current research », dans E. Pischikova –
J. Budka – K. Griffin (éd.), Thebes in the First Millenium BC, 2014, p. 205-234 ; Cl. Traunecker – I. R égen,
« The Funerary Palace of Padiamenope at Thebes », EgArch 43 (2013), p. 32-34 ; S. Einaudi – D. Werning,
« TT 33: the Book of the Dead and the Book of Caverns », EgArch 43 (2013), p. 35. Consulter également
les sites de l’IFAO et des universités : http://www.ifao.egnet.net/archeologie/tt33/ ; http://egypte ;
unistra.fr/les-travaux-de-terrain/la-tombe-de-padiamenope-tt33-responsable-claude-traunecker/
et http://www.montpellier-egyptologie.fr/tombe33. Pour la lecture abydénienne, voir infra n. 28.
4. R. Pococke , A Description of the East, I, 1743, p. 100 (avec un premier plan de la tombe) ; Visite et relevé
en 1799 : Description de l’Égypte, Antiquité, II, 1818, pl. 38, 39 ; plan de P risse d’Avennes, Histoire de l’art
égyptien, 1878, réédition M. Dewachter , 2002, pl. 9 et p. 29-30.
54 | BSFE 193-194
Fig. 1 Plan de la tombe de Padiamenopé, TT 33 (dessin Cl. Traunecker selon les relevés de D. Eigner)
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 55
Fig. 2 Coupes de la tombe de Padiamenopé, TT 33 (dessin Cl. Traunecker selon les relevés de D. Eigner)
sans compter la réelle difficulté de cohabitation avec les colonies de chauvessouris, proportionnelles à la taille du monument. C’est probablement en 1869
que J. Dümichen conçut 5 le projet de publier le matériel épigraphique du
« Grabpalast » du prêtre « Petuamenap ». Des sept volumes prévus, il en parut
deux en 1884 et 1885. Mais les conditions de travail étaient éprouvantes, des
dizaines de milliers de chauves-souris avaient élu domicile dans les salles
profondes, rendant l’air fortement chargé en ammoniac, éteignant de leur
bat­tement d’ailes les luminaires des épigraphistes 6. Dümichen mourut à
Strasbourg en 1894. Son élève, Wilhelm Spiegelberg, publia les quelques
planches qu’il retrouva dans les dossiers de son maître. Gaston Maspero décida
5. La première visite doit dater de son premier séjour à Louqsor en février 1864. Mais nous savons que
Dümichen faisait partie des invités au voyage en Haute-Égypte à l’occasion de l’inauguration du Canal
de Suez en 1869 et que ce groupe, ou du moins une partie, visita « la grande syringe » le 30 octobre. Ses
collègues égyptologues allemands étaient présents : Lepsius, Lieblein, mais aussi Naville et Möller. Le
récit de Taglioni, qui risque de tomber (lui aussi !) dans le puits maudit (p. 117) est riche en anecdotes
où l’on voit un Dümichen fragile, peu sportif et malchanceux, mais déterminé. À Assiout, Möller et
Dümichen, en bons romantiques allemands, décident d’assister au lever du soleil depuis les falaises
dominant la ville, et ratent ainsi le départ du bateau ! Les Français, en bon latins espiègles, les accusent
d’avoir voulu visiter les almées ! Mais tout se termine dans la bonne humeur. Ch. Taglioni, Deux mois en
Égypte, journal d’un invité du Khédive, 1872, p. 5-7, 86, 117, 118.
6. J. Dümichen, ZÄS 20 (1883), p. 12-13.
56 | BSFE 193-194
d’en finir avec cette engeance des chauves-souris et fit murer la tombe à partir
de la quatrième porte. Ainsi s’éteignirent les chauves-souris… Mais les chercheurs ne tirèrent guère de profit de cette extermination car le Service des
Antiquités transforma le porche et les salles I à III en magasin de stockage de
produits des fouilles de la région, si bien que les salles IV à XXII restèrent inaccessibles et, qu’à de rares exceptions près, la porte IV resta murée. En un siècle,
la tombe ne fut ouverte que sept fois et pour de courtes durées7, de sorte qu’en
bien des points, nous étions tributaires des copies partielles de J. Dümichen.
En 2003, le projet de poursuivre l’œuvre du fondateur de la chaire d’égyptologie de Strasbourg prit corps grâce à l’appui de Bernard Mathieu, alors
directeur de l’IFAO, et à la collaboration d’Isabelle Régen, alors membre scientifique de l’Institut. En 2004-2005, à la demande du CSA, nous avons inventorié et déplacé les quelque deux mille objets entreposés dans les premières
salles. Le 6 décembre 2005, nous pûmes enfin abattre le fameux mur scellé
et découvrir de visu le labyrinthe de Padiamenopé et les surprises qu’il nous
réservait (fig. 1-2).
Grâce à des textes encore inédits 8, nous avons pu établir que Padiamenopé
était affilié, semble-t-il, à une famille de prêtres de Montou d’Ermant 9. Il
jouait le rôle, entre autres, d’une sorte de conseiller pontifical du roi, chargé
du soin des couronnes. Il semblerait que les protagonistes du grand Assassif,
successivement Haroua, Montouemhat et Padiamenopé appartenaient à trois
générations peu éloignées l’une de l’autre 10.
7. 1936 pour Fr. W. von Bissing (3 jours) : Fr. W. von Bissing « Das Grab des Peduamenophis in Theben »,
ZÄS 74 (1938), p. 2-26 ; en 1942, 1943 et 1944 pour les travaux d’Alexandre Piankoff, assisté d’Arpag
Mekhitarian et de Charles Maystre : A. Piankoff, « Les grandes compositions religieuses dans la tombe
de Padiamenopé », BIFAO 46 (1947), p. 73-92, avec une description et une copie partielle des textes du
cénotaphe ; 1951, prise de vue du plafond astronomique du caveau XXII par Charles Nims du Chicago
House (CH 9790-95) ; 1951, collationnement des dessins du Chicago House : O. Neugebauer – R. Parker ,
Egyptian Astronomical Texts III. Text, 1969, doc. 32 p. 40 ; ibid., planches, pl. 18, 29 et 22a. En mars 1976, l’architecte autrichien Diethlem Eigner, assisté du topographe Josef Dörner, fait un relevé complet et coté
de la TT 33 en une semaine de travail. Pendant cette ouverture, plusieurs collègues entreprennent une
description épigraphique de la tombe : Jürgen Osing (salles IV à XI), Elfriede Haslauer-Reiser (le cénotaphe), Manfred Bietak (salles XVII à XXII). Wolfgang Schenkel participe à cette visite mais chute dans
le puits XII, heureusement sans blessures. En 2005, à la réouverture de la TT 33, Diethlem Eigner nous a
remis un double de ses minutes de chantier et des rapports de collègues cités : qu’il en soit remercié, ces
documents sont très précieux pour nous.
8. Face nord du linteau de la porte d’accès à la salle IV.
9. Sur la statue de Sorrente, Padiamenopé déclare qu’il serait né à Thèbes (M. d’Este , « Petamenofi a
Sorrento », EVO 20-21 [1997-1998], p. 119-124, col. 6). Je remercie Olivier Perdu qui nous a communiqué
ses notes sur ce document. Voir aussi infra le texte de Nout du cénotaphe (I. Régen, p. 82, n. 62).
10. D'une quinzaine ou vingtaine d'années. Padiamenopé serait né vers 710 et mort vers 640, Haroua
aurait vécu de 740 à 670 et Montouemhat de 722 à 640, mais ce ne sont là que des suppositions donnant un
support à la restitution possible des événements. La statue de Berlin montre un homme sévère et âgé.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 57
Les trois volets du cahier des charges de Padiamenopé
Le renversement des axes
Les tombes kouchites, les plus anciennes des deux Assassif, nord et sud, se
développent sur un parti architectural simple : un axe de culte orienté vers
l’ouest avec une succession de deux salles à piliers et la chapelle d’offrandes.
Cette orientation est soit l’ouest apparent, c’est-à-dire les falaises de Deir
el-Bahari 11, soit l’ouest réel 12. Ces salles étant creusées dans le remarquable
calcaire de Taraouane, situé sous les conglomérats friables du fond de la
vallée, l’accès se fait donc à partir d’une cour basse, 5 à 10 m sous la surface
du désert. Elles s’ouvrent par un porche donnant sur cette cour basse. Pour
atteindre ce niveau, il fallait donc prévoir une descenderie, directe ou latérale.
Les caveaux et appartements funéraires sont accessibles soit par un puits, soit
par un escalier partant d’un angle d’une des salles. Le caveau est toujours
orienté vers l’ouest comme il se doit. Le tombeau du grand Montouemhat
– deuxième prophète d’Amon et pratiquement souverain en Haute-Égypte –
répond à ces règles, tout en étant enrichi par une invention décorative d’une
qualité exceptionnelle. Le caveau caché en hauteur et orienté vers l’ouest est
d’un type nouveau 13. Le plan axial est complété par une série de lieux d’ensevelissements secondaires, formant une prolifération de diverticules. Le tout
fait penser à une sorte de nécropole privée.
Padiamenopé déroge totalement à cet usage. Nous avons trouvé dans la
tombe deux portes symboliques 14, l’une au fond du couloir XIIIb, l’autre dans
la paroi du fond, donc nord, du caveau XXII. Ces portes, exemples uniques, à
ma connaissance, dans l’architecture funéraire égyptienne, sont des sortes
de portes de « sortie au jour » du défunt à partir de la tombe. L’exemple du
couloir XIIIb est explicite : les scènes finales des livres funéraires reproduits
sur les parois du couloir XIII l’encadrent et illustrent le moment crucial du
lever du soleil. De plus, à l’entrée du couloir XIIIb, un texte exprime clai­
rement le souhait de Padiamenopé de passer son éternité parmi les étoiles
« immortelles » ou « impérissables », les étoiles circumpolaires, qui sont toujours présentes dans l’horizon nord, quelle que soit la saison. Ce désir forcené
d’une destinée stellaire septentrionale (boréale) va déterminer le plan du
« Grabpalast » et perturber, semble-t-il, la sage ordonnance de toute la plaine
11. Par exemple, Haroua (TT 37), Anch-Hor (TT 414), Padineith (TT 197).
12. Par exemple, Montouemhat (TT 34).
13. D. Eigner , op. cit., p. 137. Le caveau est dissimulé au-dessus de la salle la plus profonde de la tombe,
trait que l’on retrouvera chez Padiamenopé.
14. Il s’agit de simples niches peu profondes et anépigraphes. Cette sobriété symbolise à mon avis un
espace ouvert, sans vantail ni gond et encore moins verrou.
Fig. 3 Plan de l’Assassif et orientations des principales tombes
(dessin Cl. Traunecker, fond de plan D. Eigner)
Axe des caveaux et la "sortie au jour" de Padiamenopé
Axes des caveaux (TT 34, 197, 37)
Axes du culte funéraire ordinaire
Nord géographique
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La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 59
funéraire. Padiamenopé aurait pu alors, comme l’avait fait Haroua et comme
d’autres le feront plus tard, se contenter d’aligner les trois salles classiques sur
le « thalweg » de la vallée. Son gisement est de 296° 15, soit ouest nord-ouest.
Cet azimut est aussi celui des dromos du cirque de Deir el-Bahari, ainsi que
celui de l’axe d’Amon à Karnak. Il fait référence visuellement aux falaises qui
matérialisent un ouest apparent.
Toutefois le prêtre-lecteur tenait absolument à s’élancer réellement vers
les étoiles éternelles. On traça donc en premier cet axe sud-nord, matérialisant la direction de l’axe nord du ciel. Puis, en bonne logique, on lui subordonna l’axe de culte des trois salles, tracé à 90° de l’axe sud-nord prioritaire.
Mais cela revint à disposer la tombe en biais dans la vallée. Pour les salles
classiques Padiamenopé copia, du moins dans ses dimensions, la disposition
choisie par Haroua, mais pour disposer de place vers le nord et déployer son
projet de temple osirien souterrain et ses ambitions stellaires, il dut repousser
ces salles vers le sud.
De plus, l’espace étant limité, tant au sud par les tombes de Khérouef
avec ses cours profondes et les tombes ramessides annexes, qu’à l’est par les
tombes du Moyen Empire, il fallut se rapprocher de Haroua. La disposition
des deux tombes donne l’impression que Padiamenopé vient empêcher le
développement du projet Haroua vers l’est. Bloqué par le mur ouest de l’enceinte de Padiamenopé, l’accès normalement axial du tombeau de Haroua est
reporté à l’angle droit vers le sud.
Le problème qui se pose maintenant est d’ordre chronologique, les deux
personnages n’étant pas exactement contemporains. On admet que l’écart
était d’une, voire de deux générations. Mais nous ignorons tout de leur âge
réel et surtout de la chronologie des constructions. De plus, nous avons trop
tendance à penser qu’à la mort et l’enterrement du propriétaire de la tombe,
toute activité et travaux dans le monument funéraire cessaient. Dans le cas
de Montouemhat, la tombe était sans cesse agrandie et la famille assurait le
culte, lequel induit une activité économique. Aussi n’est-il pas extravagant
de penser que le projet de Haroua n’était pas abouti au moment de la montée
en puissance de Padiamenopé et de sa famille.
De quels appuis disposait le prêtre-lecteur pour imposer au descendant
ou successeur de Haroua une présence aussi violente ? C’est là une question à
laquelle il est impossible de répondre, mais le fait de cette intervention laisse
entrevoir un personnage puissant et protégé.
15. Référence au cercle d’orientation, nord en haut et comptage en degrés dans le sens d’une aiguille
de montre : 0 = nord ; 90° = est ; 180° = sud ; 270° = ouest ; 360° ou 0 = nord.
60 | BSFE 193-194
Le mur d’enceinte ouest de son enclos funéraire coupe de manière brutale, et de plus en travers, le chantier de Haroua (TT 37) et de son successeur
Akhimenrou (TT 404) car l’ambition « circumpolaire » de Padiamenopé ne
recule devant rien. Ce premier parti du cahier des charges de Padiamenopé va
déterminer le plan de la tombe. Chez Haroua, la paroi nord de la chapelle de
culte est occupée par une image en ronde-bosse du maître des lieux, comme
s’il sortait de l’au-delà pour assister au culte osirien de la chapelle axiale. Chez
Padiamenopé, le modèle est une chapelle de mastaba de l’Ancien Empire avec
sa fausse-porte, mais à droite, au nord, s’ouvre l’accès, toujours archaïsant,
aux salles mémoriales et aux espaces des liturgies abydéniennes. Ces salles
se déploient vers le nord.
En mesurant, d’après les relevés de Diethlem Eigner 16 ainsi que par Google
Earth, les orientations et la position exacte de la tombe 33, on relève deux
faits : 1. La construction n’est pas parfaite et on remarque quelques déviations selon les parois. 2. L’orientation vers le nord accuse une déviation de
6 à 10° vers l’ouest selon les parois. On peut dire que globalement l’écart
entre le nord géographique et l’orientation du monument de Padiamenopé
est de 7-8°. Ce qui est à la fois peu, car cela ne se remarque pas sur le terrain, et beaucoup pour une civilisation qui a su orienter avec une très grande
précision les temples solaires et les pyramides. Comment rendre compte de
cette irrégularité ? En bons rationalistes, nous avons tendance à imaginer que
Padiamenopé cherchait à déterminer exactement l’orientation du nord géographique, puisque celui-ci est un point au centre de la voûte céleste (à 25° 44’
de hauteur) autour duquel tournent la sphère céleste et les étoiles. Le nord
géographique détermine en même temps le tracé de la méridienne solaire.
Mais on peut aussi tracer la méridienne solaire – et donc le nord géographique d’un point – par l’observation de l’ombre portée d’un gnomon. Cette
dernière mesure est relativement facile à obtenir et précise, surtout avec
l’aide d’une lentille de diffraction 17 (objet de Berlin), alors que l’observation
par visée stellaire est bien plus délicate à faire. Mais par ce présupposé, nous
tiendrions pour acquis que les anciens Égyptiens, chargés de l’implantation
de la tombe, cherchaient le nord géographique absolu. Mais est-ce si certain ?
Avaient-ils conscience que la méridienne solaire et l’axe de la sphère céleste
étaient les apparences d’une même réalité mécanique ?
16. Le nord du quadrillage général de Dörner et d’Eigner est le nord magnétique de 1969. La déclinaison
magnétique était alors de 1,18° est (http://www.geomag.nrcan.gc.ca/calc/mdcal-fr.php).
17. Faire passer l’ombre à travers une fente (la nervure de palmier du musée de Berlin : A. E rman –
H. R anke , La civilisation égyptienne, 1976, p. 449, fig. 173).
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 61
Il s’agissait ici, textuellement, d’orienter le monument vers les
« Immortelles » afin que le Ba de Padiamenopé puisse profiter de l’éternité
de ces étoiles qui ne disparaissent jamais. Normalement, la précession des
équinoxes ne devait pas jouer de rôle sur l’orientation nord par visée solaire
car ce phénomène cyclique 18, qui déplace le point de rotation de la sphère
céleste de constellation en constellation, n’a aucune influence sur le nord
de la méridienne. Le décalage de précession concerne le point du ciel qui
sert apparemment de pivot à la voûte céleste. Par conséquent, si l’équipe de
Padiamenopé avait axé la tombe par une observation solaire, l’écart serait dû
à une négligence ou à une approximation dans la mesure, ce qui est toujours
possible 19. D’autre part, la logique voudrait que le praticien de l’observation
des circumpolaires prenne une visée au moment de la culmination pour
déterminer le nord, quel que soit l’astre visé. À l’époque de Padiamenopé,
l’axe de rotation de la sphère céleste était situé à mi-distance entre l’étoile ζ
de la Petite Ourse et l’étoile λ du Dragon dans une zone vide d’astres visibles
à l’œil nu. Les circumpolaires englobaient alors les constellations de la Petite
Ourse, le Dragon et une partie de la Grande Ourse. Il n’était pas facile d’estimer une culmination. Notre déviation de 7 à 8° serait-elle due à l’imprécision de ce type de visée ? Où faut-il imaginer que Padiamenopé a utilisé
une procédure ancienne et traditionnelle, trouvée « dans les écrits anciens »
désignant l’étoile polaire de ces temps-là, bref sans tenir compte de la précession ? On sait que l’axe céleste était situé, au Nouvel Empire, entre la Petite
Ourse et l’étoile alpha (Thuban) du Dragon. La différence en arc avec l’axe
céleste était d’environ 3,6°. Thuban est incluse dans les « Immortelles » de
l’époque de Padiamenopé. L’hypothèse est intéressante, mais n’excuse pas
le prêtre-lecteur 20 ! Non seulement il s’est servi probablement d’un astre
« périmé », mais il n’a pas tenu compte de son mouvement circumpolaire.
L’ambition d’une mesure absolue pour déterminer l’axe du monde avait peutêtre, aux yeux de ces savants traditionalistes, bien moins d’importance que
de tourner leur alidade vers un astre dont parlent les Anciens ; qu’importe
s’il bougeait encore !
18. Cycle de 25 765 ans (R. Caratini, Astronomie, Bordas-Encyclopédie, 1978, p. 521.2.C.a).
19. On peut noter par exemple les distorsions successives dans la cage d’escalier funéraire de la tombe
de Montouemhat : cf. Eigner, plan 11, suite de neuf salles (45 à 53) qui aboutissent pour le caveau à une
déviation de 9° sud. Il est vrai qu’il s’agissait là de topographie souterraine toujours délicate.
20. On regrette que les plafonds astronomiques de la TT 33 (couloir XIII), ébauchés en rouge, soient
très détruits. Rappelons, au passage, que Ouahibrê, qui fonda une chapelle osirienne dans le grand
couloir sud de la cour (TT 242), était peut-être un prêtre astronome (supérieur des secrets de l’Horizon).
62 | BSFE 193-194
L’ensemble muséal et scriptural
Si les salles IV et V, les premières de l’axe nord, peuvent être considérées
comme la suite des salles I à III (IV, présentation de la famille et Textes des
Pyramides ; V, Rituel de l’Ouverture de la bouche), à partir de la salle VI, nous
sommes dans un autre monde. De VI à VIII, une série d’escaliers monumentaux est visiblement inspirée des tombes royales ramessides. Il faut noter
que si les passages des portes de I à V sont décorés (I : hymnes solaires, II et
III : texte d’accueil, IV et V : scène en relation avec le contenu du décor de la
salle), les passages suivants (VI à IX) sont restés vierges. Cette série d’espaces
évoque fortement la tombe de Ramsès II (3e à 5e corridor et antichambre de
la salle du sarcophage). Comme chez Ramsès II, la salle IX marque un angle
droit dans le cheminement et les décors sont très proches (Chapitre 125 du
Livre des Morts et scène de psychostasie sur la paroi du fond). Mais au lieu
de déboucher à droite dans une salle funéraire ramesside, on fait un saut
de plusieurs siècles en arrière pour emprunter un couloir en pente (X) orné
d’une double version du grand rituel des offrandes 21. C’est la réplique de la
descenderie d’une pyramide de la Ve dynastie. Elle donne sur une salle au
plafond cintré, disposée comme une chambre funéraire de l’Ancien Empire.
Le grand massif de pierre dans sa moitié nord évoque, selon moi, la masse
d’un sarcophage royal.
Il faut remarquer que, dans ce rappel des monuments antiques,
Padiamenopé est un metteur en scène talentueux. La salle VI est particulièrement grandiose, l’arrivée de l’escalier est nettement plus étroite que son
départ, accentuant la perspective plongeante. La salle IX est majestueuse et
le couloir X, avec sa pente et sa voûte, est impressionnant. Mais les salles les
plus spectaculaires sont dans un autre secteur de la tombe.
La salle V marque un carrefour important dans le dédale du « Grabpalast ».
À droite, donc vers l’est, s’ouvre un couloir. Une porte avec un vantail en protégeait l’accès, protection matérielle complétée par une formule de malédiction. Elle commandait l’ensemble des salles et couloirs XII à XVI : c’est la partie
spécifiquement liturgique et de consultation des textes anciens de la tombe.
Dans le fameux cahier des charges, Padiamenopé s’est imposé (ou a
imposé) un pari difficile :
21. E.A.W. Budge , The Liturgy of Funerary Offerings, 1909, p. 204-256, comparaison avec la version d’Ounas
(p. 151-203) ; J. Dümichen, Der Grabpalast des Patuamenap, I, 1884, pl. 5-12. La reproduction en symétrie,
gravée dans la pierre, d’un aussi long document (143 colonnes) sur deux parois de 10,68 m qui se font
face est étonnante. Elle relève plus, à mon sens, du désir d’impressionner les visiteurs que de l’efficacité
rituelle, on aurait pu utiliser la place pour d’autres textes.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 63
1. Les parois devaient présenter, à gauche, une version complète, revue et
commentée, du Livre de l’Amdouat (version abrégée comprise), à droite, une
version complète du Livre des Portes et du Livre de la Terre ;
2. Ces deux groupes de textes devaient aboutir ensemble de part et d’autre
d’une paroi orientée vers le nord, afin que le Ba du défunt puisse rejoindre
les étoiles circumpolaires. Apparemment, ce pari fut difficile à tenir sur les
deux parois symétriques car l’Amdouat prend beaucoup plus de place que
le Livre des Portes. La disproportion est considérable 22 : en mètres linéaires,
la première série (gauche) totalise 77 m de paroi et la série droite 45 m. La
solution retenue est d’une extrême ingéniosité : d’une part, la disproportion
a été résolue en faisant tourner la série gauche autour d’un noyau central, en
l’occurrence le cénotaphe d’Osiris, pendant que la série droite en assumait
la base ; d’autre part, pour aboutir à une paroi nord, on a adjoint le petit
couloir XIII.3. Mais il a mieux : pour donner l’illusion auprès des visiteurs
que le couloir XIII.3 est de la même importance que les couloirs précédents
(XIIIo et XIIIe), toutes ses dimensions rétrécissent au fur et à mesure que l’on
avance 23, de sorte que ce couloir de 7 mètres semble en mesurer 18 24 ;
3. Établir un couloir de circumambulation autour du cénotaphe d’Osiris,
reproduction d’une structure disparue d’Abydos ;
4. Adjoindre trois chapelles : une centrale dédiée à Osiris Hemag, encadrée par le Château du Natron et un Château de l’Or. Dans ces chapelles,
Padiamenopé se présente comme un officiant. Il joue le rôle d’intercesseur
entre les visiteurs, entre autres, les « suivants de Montou » cités dans le texte
d’accueil. Osiris Hemag 25 est la forme « parée » finale d’Osiris avant sa résurrection ; les deux autres chapelles sont en relation avec l’embaumement.
Ce cahier des charges a produit un plan unique dans l’architecture funéraire. Bien que tous ces textes doivent bénéficier au défunt Padiamenopé dans
son destin auprès des dieux, certains d’entre eux – et non des moindres 26
– ornent également les parois du caveau secret du prêtre-lecteur. Pourquoi
ces doublets monumentaux ? Que répondre sinon que l’exemplaire caché est
destiné au strict usage du défunt, et que les autres versions s’adressent au
public des visiteurs, en particulier « ceux qui sont à la recherche de toutes
sortes de formules ».
22. Environ deux tiers pour la série gauche et un tiers pour la série droite (63,2 % et 36,8 %).
23. Hauteur 2,32 m au départ et 1,67 m à son extrémité. Le sol monte et le plafond s’abaisse.
24. Il a d’ailleurs intrigué nos prédécesseurs (Fr. W. von Bissing, op. cit., p. 22 ; A. P iankoff, op. cit.,
nomme ce couloir « l’impasse »), mais aucun n’a relevé le procédé en trompe l’œil.
25. M. Z ecchi, A Study of Egyptian God Osiris Hemag, 1996.
26. Une version des 12 heures de l’Amdouat, chapitres 137a, 142 du Livre des Morts dans le tympan,
chap. 144, 147, 148.
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Fig. 4 Couloir XII avec son puits équipé d’une passerelle et d’une échelle.
Au fond : le cénotaphe, paroi sud (photo Cl. Traunecker)
Le caveau secret de Padiamenopé reproduit en effet des ouvrages funéraires déjà affichés dans ce secteur du monument. Il est clair que les textes
de la partie accessible de la tombe étaient mis à la disposition des savants
visitant le « Grabpalast », puisque dans l’un des textes du Château du Natron,
on assimile la tombe à un scriptorium 27. Padiamenopé y est décrit comme :
« l’avisé dans le scriptorium / dans le ‟is” des livres (= la tombe) »
27. Salle XIV, monographie no 4, est, (gauche), colonne 5.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 65
Un lieu de culte de substitution de l’Osireion d’Abydos 28
Revenons dans le couloir XII. Devant nous s’ouvre l’étonnant puits XII, unique
en son genre tant par sa taille que par sa position. C’est le seul exemple d’un
puits d’accès aux caveaux qui s’ouvre dans un passage 29. Ses dimensions sont
exceptionnelles : 2,23 m sur 1,33 m barrant un passage de 2,79 m, laissant à
gauche un espace de quelques dizaines de centimètres. Sa profondeur est de
6 m. Il n’y a aucune trace d’encastrement de dalles témoignant d’une couverture en pierre. Pour assurer le franchissement en toute sécurité, il n’y a que
deux solutions : soit le puits était comblé, soit il était couvert par un dispositif
en bois ou par une passerelle 30 (fig. 4).
En franchissant la porte 31 au bout du couloir XII, nous découvrons
Padiamenopé, accompagné d’un neveu, qui nous accueille dans le passage
de cette porte 32.
À gauche, le prêtre-lecteur s’adresse aux visiteurs du futur, détaillant
leurs motivations : ils sont soit des fidèles de Montou, soit des touristes de la
nécropole, soit des épigraphistes !
Ô les vivants
Ô ceux qui sont sur terre, ceux qui sont nés et ceux qui viendront à naître
28. Nous avons déjà exposé les prémices de cette lecture abydénienne de la TT 33 dans A. Gasse –
Fl. Albert– S. Einaudi – I. Régen – Cl. Traunecker (éd.), La Thèbes des morts. La dynamique thébaine dans les
idées égyptiennes de l’au-delà (ENIM 8), 2015, p. 37-66 ; Cl. Traunecker, « La tombe de Padiamenopé (TT 33)
Résultats et perspectives », dans Archimède, Archéologie et Histoire ancienne 2 (automne 2015), université
de Strasbourg UMR 7044, revue en ligne : p. 112-117 (dans Fr. C olin, ‟Chronique d’Archimède”) ;
Cl. Traunecker , « Le palais funéraire de Padiamenopé (TT 33) de Thèbes à Abydos », dans Pharaon – le
magazine de l’Égypte éternelle 25 (mai-juin-juillet 2016), p. 6-21.
29. Dans les dix-sept tombes contemporaines des Assassif nord et sud, j’ai compté cinquante-quatre
exemples de puits. Dans tous les cas ces puits s’ouvrent soit dans un fond de pièce, soit dans un angle
mais jamais dans un passage. Dans trois cas, le puits s’ouvre sous un escalier et se trouve camouflé par
trois ou quatre marches de pierre. Dans ce dernier cas, l’accès au caveau est parfaitement dissimulé :
TT 34, Montouemhat, escalier 26 (D. Eigner , op. cit., pl. 11-13) ; TT 389, Basa, sous quatre marches d’escalier (ibid., p. 50) : TT 37, Aba, sous trois marches (ibid., p. 52).
30. Le comblement du puits rendait impossible, ou très difficile, l’usage de l’Osireion souterrain. Les
débris des salles XVII-XIX sont en trop faible quantité pour étayer l’hypothèse d’un puits comblé. Dans
l’autre solution, les visiteurs ne pouvaient ignorer la présence du puits.
31. Cette porte devait recevoir une fermeture qui ne fut jamais réalisée : la place du verrou est réservée
dans le texte d’accueil.
32. La scène de droite est intacte, le prêtre-lecteur se présente en costume contemporain coiffé d’une
calotte courte et portant un pendentif à double cœur. À gauche, le portrait est mutilé et l’original
est conservé au musée de Bruxelles (E. 3057), Bulletin des Musées Royaux (sept. 1908), p. 75 ; J. Capart,
Documents pour servir à l’étude de l’Art égyptien, I, 1929, pl. 92 ; Musées Royaux d’art et d’histoire de
Bruxelles, Département égyptien, Album 1934, XVI, pl. 40.
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Qu’ils viennent en tant que suivants de Montou, seigneur de
Thèbes, ou
qu’ils parcourent la nécropole afin de se divertir, ou qu’ils
soient à la recherche de toutes sortes de formules
Qu’ils pénètrent en ce tombeau et qu’ils contemplent ce qu’il
y a en lui
Aussi vrai qu’Amon-Rê, seigneur [des trônes du DoublePays] vit pour vous adorez le dieu, prononcez la formule
d’offrande, parachevez (ce) monument, faites croître ce qui
dépérit…
Texte d’accueil du passage de la porte XIII
(copie et version Jsesh : Cl. Traunecker)
A. Le cénotaphe
Le visiteur découvre alors l’angle sud-ouest du cénotaphe avec les charmantes
images en ronde bosse de Neith à gauche et Chentayt à droite, protégeant
l’angle du gigantesque sarcophage de pierre (fig. 5-6). Élément central du
complexe liturgique de Padiamenopé, ce monument carré de trente coudées
de côté 33 est réservé dans la roche.
Il représente le tombeau d’Osiris, selon le modèle abydénien. Son décor
est composé de quatre éléments :
1. Les quatre bandeaux de couronnement : le visiteur attentif qui se donnera la peine de lire ces quatre textes trouvera quelques indices quant à la
logique du décor du cénotaphe. Le bandeau sud met en scène Isis qui vient à
Padiamenopé pour lui attribuer le souffle et la respiration. Dans le bandeau
nord, c’est Nephthys qui prend la relève afin de consolider le corps, la tête et
les os. Cette disposition est classique sur les sarcophages, avec Isis au pied,
devant la momie, et Nephthys à la tête, derrière elle. Ainsi, le défunt contenu
dans le cénotaphe est orienté pieds au sud et tête au nord.
33. Soit 15,7 m.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 67
Fig. 5 Le cénotaphe : paroi sud (photo Cl. Traunecker)
Fig. 6 Angle sud-ouest du cénotaphe, paroi ouest (photo Cl. Traunecker)
68 | BSFE 193-194
À l’est, c’est Nout qui protège le défunt et l’introduit parmi les étoiles
circumpolaires. Le bandeau ouest est mal conservé. Dans les bandeaux sud,
nord et peut-être ouest, Padiamenopé est présenté comme un « pensionné
auprès du roi » et aligne donc des titres en rapport avec ses fonctions royales,
à l’inverse du bandeau est où il est « pensionné auprès du grand dieu », prétexte à déployer ses titres sacerdotaux.
2. Les huit déesses protectrices et les funérailles thébaines de Padiamenopé :
chaque angle du cénotaphe est protégé par deux déesses en ronde bosse, le
corps collé à la paroi et le regard tourné vers l’angle à surveiller. Un texte
de huit colonnes accompagne chaque statue. Si nous tournons autour du
cénotaphe dans le sens antihoraire 34, nous rencontrons en face sud, Chentayt
(ouest) et Isis (est), en face est, Nephthys (sud) et Nout (nord), en face nord,
Maât (est) et Selqis (ouest), enfin, en face ouest, Hathor (nord) et Neith (sud).
Bien que les textes qui accompagnent les déesses soient mal­heu­reu­sement
très mutilés, ils fournissent une clé précieuse pour décoder le message du
cénotaphe 35. Tout est dans le sens de la circumambulation. Dès lors que l’on
décide de lire ces textes de Chentayt (1) à Neith (8) en tournant dans le sens
antihoraire, il apparaît, malgré les lacunes, une suite logique étonnante : on
assiste aux funérailles de Padiamenopé, passant entre les mains des huit
déesses, mais ce sont des funérailles bien particulières car elles aboutissent
au temple de Karnak !
Au débouché du couloir XII, Chentayt (1) accueille Padiamenopé et, aidée
de Neith, remplit son office dans le Château de l’Or : préparation du corps et
momification. Les actions d’Isis (2) puis de Nephthys (3) sont très mutilées,
mais se concluent par une mention de Karnak. Nout (4) accueille son imagesekhem dans Thèbes, « ville de ta naissance » 36. Selqis mentionne la « ville de
ta naissance » et Hathor salue « ton arrivée à Ipetsout ». Là, Neith, la dernière
déesse de la circumambulation, l’accueille « glorifié selon l’apparence d’avant
(la mort ?) » et conclut : « Ipetsout est en fête à ta venue, Amon exulte à ta vue ».
Donc, le circuit se termine indubitablement à Karnak. Sans doute s’agit-il d’un
voyage virtuel destiné à l’éternité, mais aurait-il une origine réelle ? Il est difficile d’imaginer une présentation de la momie de Padiamenopé dans le temple
d’Amon, aussi peut-on se demander si ces allusions ne se réfèrent pas à l’ins34. Ce sens est suggéré par la disposition des lieux en prolongement du couloir XII. De surcroît, le sens
de circumambulation antihoraire est très fréquent dans les rituels d’autres religions. On commence en
effet à tourner par la droite, sens bénéfique.
35. Le sarcophage du roi nubien Aspelta est partiellement composé sur le même modèle avec huit
déesses, mais avec des textes bien plus ordinaires.
36. Selon la statue de Sorrente, Padiamenopé serait né à Thèbes (voir supra, n. 9) ; Osiris est « né à
Thèbes » lui aussi.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 69
tallation d’une image du défunt dans
le temple 37.
3. Les quinze fausses-portes canoniques avec leur nom : chaque porte
est associée à une relique d’Osiris 38.
L’aspect de ces portes se réfère à l’Ancien Empire, l’ensemble de Djéser à
Saqqara compte également quinze
portes dont une réelle. Ce thème, rare,
se trouve dans le soubassement d’un
des sarcophages de Merenptah réutilisé par Psousennès et dans le décor
du sarcophage du roi nubien Aspelta
(593-568 av. J.-C.), l’un des successeurs
de Tanoutamon.
4. Les vingt-deux chapelles : elles sont
sur le modèle à deux colonnettes végétales frontales et couverture cintrée.
L’encadrement du naos porte deux
textes s’ouvrant par un « nesout-diFig. 7 Cénotaphe. Chapelle 1 (sud) dédiée
hotep ». Dans le naos sont représen- à Osiris-itchy de To-ché et Oupou-ouat
tées en haut relief des séries d’images (photo Cl. Traunecker)
divines toutes différentes.
Ces chapelles sont réparties de manière irrégulière sur les quatre faces
du cénotaphe. Les nombreuses images divines ou royales en ronde bosse qui
occupent ces chapelles rappellent fortement, par leur étrangeté et leur diversité, les inventaires de statues de culte anciennes que l’on trouve parfois sur
37. On connaît actuellement douze, peut-être treize, statues de Padiamenopé. Pour les inventaires
récents : H. De Meulenaere, « Derechef Pétamenophis », dans L. Gabolde (éd), Hommages à J.-Cl. Goyon
(BdE 143), 2008, p. 15-48 ; L. Coulon, « Padiaménopé et Montouemhat. L’apport d’une statue inédite
à l’analyse des relations entre les deux personnages », dans Ph. Collombert – D. Lefèvre – St. Polis –
J. Winand (éd.) Aere Perennius, Mélanges égyptologiques en l’honneur de Pascal Vernus, 2016, p. 91-119. Aux
dix statues connues, l’auteur ajoute celle qui est l’objet de son article (fragm. Le Caire RT 27/1/21/1 +
Sidney University Museum NMR 11) et une statue assise en calcite dont deux fragments sont conservés
au magasin dit du « Cheikh Labib » à Karnak (91CL183 + 93CL1706). Personnellement, j’ajouterai provisoirement le second torse Michaïlidis (A. Piankoff, BIFAO 46 [1947], p. 89) bien que le nom soit incomplet.
38. Voir le schéma de répartition dans A. P iankoff, op. cit., p. 77. Étude comparative des noms des
portes : H. K ees, « Die 15 Scheintüren am Grabmal », ZÄS 88 (1963), p. 97-113, selon les trois sources
connues 1. Padiamenopé ; 2. le sarcophage de Merenptah remployé par Psousennès (P. Montet, Les
constructions et le tombeau de Psousennes à Tanis, 1951, pl. 82-88) ; 3. Aspelta : S. K. Doll , Texts and Decoration
on the Napatan Sarcophagi of Anlamani and Aspelta, 1978.
70 | BSFE 193-194
Fig. 8 Abydos. Plan du temple commémoratif de Séthi Ier avec les parties souterraines de l’Osireion
(© Cl. Traunecker)
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 71
Fig. 9 Abydos. Plan du temple commémoratif de Séthi Ier avec un essai de reconstitution du cénotaphe
d’Osiris et de la zone du pèlerinage (© Cl. Traunecker)
72 | BSFE 193-194
les parois de naos ou de cryptes 39. Autant que l’on puisse en juger malgré les
destructions, leur nombre était d’au moins cent vingt, sinon plus. S’agirait-il
d’une sorte d’inventaire de cultes locaux, comme sur le papyrus Jumilhac, voire
de lieux où Padiamenopé est intervenu pendant sa carrière ? Un texte de la
chapelle 11 (face est) fait allusion au souhait de « sortir (en) procession afin de
contempler ‟l’Union au Disque” parmi les suivants d’Horus (ou de Montou ?) ».
B. L’Osireion de Padiamenopé et les circumambulations souterraines
Revenons dans le couloir XII et descendons dans le puits XII. Il donne accès à
une série de pièces richement décorées : la salle XVII, le couloir XVIII débouchant sur le caveau voûté XIX, orienté vers le nord et exactement dans l’axe
du cénotaphe. Une version complète du Livre des Cavernes orne ces pièces.
Sa scène finale occupe la paroi nord de la salle XIX. En pendant, la paroi
est conserve une version complète de la scène du réveil d’Osiris, entouré
de ses trente-six génies-gardiens. Dans le sol s’ouvre un puits, lui aussi de
large section, aux dimensions proches de celles du puits XII (1,28 m x 2,18 m,
prof. 6,5 m). Il donne sur une pièce carrée, voûtée, aux parois ornées de redans
évoquant un sarcophage de l’Ancien Empire : c’est le caveau d’Osiris (XXI). Un
appartement encore rempli de déblais s’ouvre dans le bas du puits vers le sud.
La paroi nord de la salle XXI, de 1,70 m d’épaisseur, était construite en parpaings
pour dissimuler dans le plafond l’accès du caveau secret de Padiamenopé. Son
décor reprend des textes déjà présents dans les étages supérieurs de la tombe 40.
Quatorze niches étaient prévues pour receler des images de génies-gardiens.
Entre ces niches, on trouve une seconde version des trente-six génies gardiens
du réveil d’Osiris.
L’analogie avec l’Osireion d’Abydos est fondée sur la position du puits
d’accès à la fois ostensible et hors d’une enceinte, ici, la porte au bout du
couloir XII. À Abydos, le couloir est orné du Livre des Portes et, comme chez
Padiamenopé, d’une version complète du Livre des Cavernes. Puis, après
un angle droit à gauche, une descenderie conduit au tombeau d’Osiris : une
plateforme entourée d’un canal. Au-delà, une pièce à l’accès secret 41 ornée de
39. Par exemple, les catalogues de divinités du naos de Saft el-Henneh, des cryptes du temple de
Tôd, la crypte de Montouemhat dans le temple de Mout, ou l’un des sanctuaires du temple d’Hibis.
Voir Cl. Traunecker, « Krypta » dans LÄ III, 1980, col. 823-830, id., « Cryptes connues et inconnues des
temples tardifs », BSFE 129 (1994), p. 21-45. Un objet provenant de Médinet el-Fayoum associe, comme
chez Padiamenopé, des images diverses en ronde bosse : J. P. Corteggiani, L’Égypte ancienne et ses dieux,
2007, p. 451.
40. Voir supra n. 26.
41. L’ouverture dans la niche axiale est récente. Un conduit dit « de voleur » s’ouvre dans l’angle nordest. On peut envisager un lien avec la crypte à deux niveaux nord-ouest du temple de Séthi.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 73
textes rares constituait un caveau à part, comme celui de Padiamenopé. Fort
de cette analogie des parties basses des deux monuments, on peut imaginer
celle des superstructures. Chez Padiamenopé, la superstructure qui, dans la
partie publique de la tombe, couronne le caveau divin XXI et le caveau secret
XXII du maître des lieux est le « cénotaphe ». À Abydos, la superstructure
de l’Osireion a entièrement disparu 42 mais il ne me paraît pas déraisonnable
de penser qu’elle a servi de modèle au « cénotaphe ». N’oublions pas que
Padiamenopé se vante d’être « scribe du temple d’Osiris d’Abydos » 43. Ainsi,
non seulement la tombe de Padiamenopé reproduit un monument disparu,
mais elle permet également aux fidèles thébains d’effectuer le pèlerinage
abydénien sans quitter leur ville. On peut imaginer, tant à Abydos qu’au cœur
du « Grabpalast », la célébration des rites circumambulatoires : c’est la fonction
du couloir XIII.
Le modèle d’Abydos était-il en tout point semblable au cénotaphe de la
tombe 33 ? Je pense que les quinze portes et les huit déesses étaient présentes. Pour les vingt-deux niches, la question reste ouverte. On peut envisager des chapelles habitées par des divinités apotropaïques 44. Quant aux
matériaux, j’imaginerais volontiers que les constructeurs abydéniens, pour
« faire ancien », aient eu recours à la brique crue.
L’introduction des rites abydéniens des circumambulations dans les hypogées thébains, memphites ou nubiens a conduit les constructeurs à imaginer
et creuser ces étranges couloirs tournants comme chez Haroua, Bakenrenef
ou dans le cimetière royal de Nouri, la tombe de Taharqa. Là encore, c’est la
nécessité d’une action rituelle qui a pris le pas sur la pure théologie 45.
42. La restitution d’un tumulus proposé par S. Aufrère – J.-Cl. Goyon – J.-Cl. Golvin (L’Égypte restituée,
Site et temples de Haute Égypte, 1991, p. 44) n’est pas étayée archéologiquement. Le modèle des tombes
archaïques a toujours été l’enceinte à redans. Les Égyptiens n’ont jamais construit des tombes circulaires (voir Cl. Traunecker « Orientations réelles et imaginaires dans l’architecture égyptienne »,
excursus 2, « Pourquoi les pyramides sont-elles de plan carré ? » dans Journée Michel Azim, université
Lyon II, sous presse).
43. Padiamenopé est aussi « Scribe du temple d’Abydos », cf. statue de Syracuse : J. Heise, Erinnern und
Gedenken (OBO 226), 2007, p. 98-100.
44. Voir les génies-gardiens du sarcophage de Merenptah remployé par Psousennès, ou ceux du caveau
de Mutirdis (TT 410).
45. S. Einaudi, « The tomb of Osiris: an ideal burial model ? », dans J.-Cl. Goyon – Chr. Cardin (éd.), Actes
du neuvième Congrès international des égyptologues (OLA 50/1), 2007, p. 475-485.
74 | BSFE 193-194
Padiamenopé était-il un savant de cabinet ou un homme de pouvoir ?
Après ce parcours dans la tombe de Padiamenopé mettant en relief l’extraordinaire originalité du monument, des options prises et de la détermination
sans faille dans l’exécution du projet, il convient de se pencher à nouveau
sur la personnalité du « prêtre-lecteur » et de s’interroger sur sa place dans
la société du temps.
J’avais avancé l’idée d’un intellectuel, d’un savant, spécialiste de l’histoire
religieuse de son pays, d’un ritualiste hors pair, conseiller pontifical auprès de
Sa Majesté kouchite. Cette image est toujours valable, mais elle pourrait être
complétée peut-être par une nouvelle dimension du personnage Padiamenopé.
Cette nouvelle approche, encore hypothétique, se fonde sur des indices, des
rapprochements et non sur des preuves, mais il serait dommage de ne pas
l’exprimer, ne fût-ce que pour susciter de nouvelles pistes de recherches.
On s’est toujours interrogé sur la démesure d’une tombe d’intellectuel,
dépourvu de fonctions gouvernementales tant à l’échelle du pays que de la
région. S’il sort d’une famille sacerdotale locale, il ne fait pas explicitement
partie de l’élite dirigeante des sacerdoces locaux. La manière dont il a, semblet-il, imposé l’implantation de son monument sur le terrain au détriment des
voisins, l’importance du chantier et son ambition laissent supposer un personnage détenant une forte autorité. On peut toujours imaginer que celle-ci
était fondée sur son savoir et le respect du savant, mais nous savons tous que
ces considérations, toutes respectables qu’elles soient, suffisent rarement s’il
n’y a pas en plus un moyen de pression économique ou politique.
Pour esquisser ce portrait nouveau de Padiamenopé, je m’appuierai sur
trois de ses titres. Prenons à la lettre son titre d’archiviste et secrétaire royal
en retenant l’idée d’une proximité réelle entre le prêtre thébain et le roi
Taharqa. Même si les contacts étaient épisodiques en raison des déplacements
du roi, il est fort possible que Padiamenopé ait fait partie des proches, voire du
cercle des intimes du souverain, et surtout que cela se savait à Thèbes. De plus,
sa fonction de chargé des regalia le place dans une position prédominante.
Le titre de « conducteur des fêtes d’Amon » est un indice précieux pour son
rôle. En effet, on sait que cette fonction consistait essentiellement à représenter
sur place le souverain pendant le déroulement des grandes fêtes 46. On sait également que les compétences sacerdotales n’étaient pas indispensables. Le roi
pouvait déléguer n’importe lequel de ses proches pour le remplacer et le représenter durant les fêtes. L’essentiel était d’avoir la confiance royale. C’est ainsi
que les conducteurs de fêtes peuvent être des fonctionnaires royaux de tout
ordre, intendants, responsables du trésor, des greniers, administrateurs civils,
46. W. Helck, « Festleiter », LÄ II, 1975, col. 192-193.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 75
vizirs, etc. Sortes de plénipotentiaires
désignés par la seule volonté royale,
ils représentaient physiquement le
roi au cours des grandes cérémonies.
Enfin, il est aussi « responsable de
tous les travaux du roi ». Le mot
« travaux » doit être pris dans le
sens large du terme, mais on sait
combien l’activité architecturale à
Karnak fut importante sous le règne
de Taharqa. Sur la statue de Sorrente,
il est appelé « responsable des tra- Fig. 10 Portrait de Padiamenopé.
vaux ». Il n’y a pas lieu ici d’énumérer Passage de la porte XIII, sud (photo P. Maître)
les nombreuses interventions de cette période, en particulier les kiosques
des parvis. Padiamenopé est-il resté à l’écart des importants mouvements
de fond, d’énergie et de savoir liés à des chantiers aussi importants que la
construction du kiosque de Taharqa ? 47. Nous savons par la statue de Sorrente
que Padiamenopé était en situation de faire construire un temple avec son
enceinte et ses portes 48. Ajoutons qu’une des statues de notre ami porte la
mention rarissime à cette époque de « Donné par la faveur du roi » 49. Dans
sa thèse consacrée aux statues portant cette formule, Luc Delvaux donne
une définition des bénéficiaires de cette générosité royale personnelle qui
s’appliquerait bien à Padiamenopé : « des personnages qui n’occupaient pas
réellement des fonctions décisives de l’appareil d’état mais qui étaient certainement parmi les plus considérés, car particulièrement proches du roi » 50.
Le problème fondamental est que, contrairement à nos collègues hellénistes, nous sommes très mal renseignés sur l’organisation économique
de ces chantiers. Apparemment, et par définition, ils sont tous « royaux » ;
mais plusieurs indices nous montrent qu’il faut nuancer cette approche.
47. À propos du kiosque de Taharqa dans la grande cour, j’ai jadis émis l’hypothèse qu’il avait pu servir
de cadre à des cérémonies d’Union au Disque (CahKarn V, 1975, p. 89-92). Faut-il faire le rapprochement
avec l’Union au Disque évoqué par les textes de la chapelle 11 du cénotaphe ?
48. Statue de Sorrente : M. d’Este « Petamenofi a Sorrento », EVO 20-21 (1997-1998), p. 119-124, col. 6.
Cf. supra n. 9.
49. Statue Caire JE 37389 (Cachette 1904, debout 82 cm), J. Heise, op. cit., p. 101-102 ; M. Affara, DE 62
(2005), p. 5-15.
50. L. Delvaux, « Donné en récompense de la part du roi ». Statuaire privée et pouvoir en Égypte ancienne, I
(thèse de l’université Marc Bloch de Strasbourg), 2008, p. 104 ; sur la statue de Padiamenopé, p. 995999. Seul exemple de la formule de don post-XXIIIe dynastie, cette mention est une forme d’archaïsme
érudit bien dans le style de Padiamenopé, mais elle peut aussi refléter une réalité dans les rapports du
bénéficiaire et de l’autorité royale.
76 | BSFE 193-194
Aux époques ptolémaïque et romaine, on devine des distinctions entre les
projets royaux et les projets locaux sur fonds propres 51. Les personnages
chargés par l’administration royale de la gestion de projets spécifiques
étaient des personnages importants.
On imagine l’intervention du prêtre-lecteur Padiamenopé « conducteur
des fêtes d’Amon » pour les grandes solennités annuelles, et j’aimerais évoquer pour finir celle du premier jour épagomène, jour de la naissance d’Osiris.
Ce jour-là, à Karnak, une procession chargée des vases à eau sacrée d’Amon,
Mout et Khonsou descendait solennellement la rampe construite au nom de
Taharqa sur le parvis ouest pour puiser l’eau nouvelle de la crue. Le texte
de la rampe spécifie explicitement que l’hymne accompagnant la cérémonie
est entonné par un « prêtre-lecteur »52. Pourquoi pas Padiamenopé ? On peut
même aller plus loin, que le lecteur me pardonne, et imaginer que le chantier de construction de cette rampe, qui implique d’importants travaux portuaires, fut placé sous la supervision du « secrétaire particulier » du roi, le
seigneur Padiamenopé ! Quoi qu’il en soit, il faut considérer autrement, je
pense, l’homme qui a conçu et fait construire le « Grabpalast » !
Claude Traunecker
English abstract
Evocation of the grave which was built for Padiamenope on the western bank of Thebes
(towards 650 before J.-C.), of the history of its discovery, and of the incredible accumulation of unique characteristics: innovative choice in the geographical orientation,
architectural and scriptural structure which juxtaposes the periods, funerary texts
deliberately put at the disposal of the scholars, similarities with the Osireion of Abydos.
51. Cl. Traunecker, « Thèbes, été 115 avant J.-C. : les travaux de Ptolémée IX Sôter II » dans Chr. Thiers
(éd.), Documents de Théologies Thébaines Tardives (D3T 2) (CENIM 8), 2013, p. 221-226 ; id., « Thèbes, printemps 242 av. J.-C., Ptolémée III et la reine Bérénice à Karnak ? », dans Hommages égyptologiques à Paul
Barguet (Kyphi 7), 2015, p. 201-231. L’inscription grecque du listel de la façade du temple de Dendara
datée de Tibère fait allusion à un financement privé par « les habitants de la métropole et du nome »
(voir Fr. Daumas, Dendara et le temple d’Hathor, notice sommaire, 1969, p. 31). Voir aussi la dédicace grecque
de la porte de Trajan à Douch qui témoigne d’une souscription publique (G. Wagner, Les oasis d’Égypte à
l’époque grecque, romaine et byzantine d’après les documents grecs [BdE 100], 1987, p. 48-50).
52. Cl. Traunecker , « Les rites de l’eau à Karnak d’après les textes de la rampe de taharqa », BIFAO 72
(1972), p. 195-236, p. 203 et fig. 2. À l’époque gréco-romaine, selon Hérodote et Plutarque, cette fête
avait en pendant populaire les Pamylies (procession d’une statue d’Osiris ithyphallique). Les Pamylies
sont presque venues à nous car elles ont inspiré à Jean-Philippe Rameau et Louis de Cahusac un opéra
crée à Fontainebleau en 1754, « La naissance d’Osiris ». Cet aimable comédie-ballet pleine de bergers
et de bergères célébrait la naissance du futur Louis XVI.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 77
II. Au cœur du texte. Rhétorique et spatialité chez Padiamenopé
Au cœur du texte : deux exemples
Nous avons choisi deux exemples pour offrir un aperçu de la réflexion intellectuelle à l’œuvre dans la conception de ce monument exceptionnel, tant
par son volume que par son décor. Le premier est exclusivement textuel et
concerne la rhétorique ; le second est plus architectural et replace l’inscription dans son contexte spatial.
La tombe de Padiamenopé conserve une anthologie de la littérature
funéraire, en particulier l’une des dernières versions complètes de l’Amdouat
et du Livre des Portes 53. Elles sont réparties autour du cénotaphe osirien
(salles XII-XIII) et, plusieurs mètres plus bas, dans le caveau du prêtre
(salle XXII) (fig. 11). Les leçons de l’Amdouat 54 et du Livre des Portes copiées
sur les parois de la tombe 33 ont été clairement remaniées et présentent
plusieurs spécificités, en particulier des « métatextes » 55 ou « métadiscours » 56.
Ces derniers correspondent à de brefs commentaires sur le texte-source qui
précède ; ils viennent ponctuer de manière irrégulière les deux Livres et visent
à personnaliser ces compositions au profit de Padiamenopé. De manière
générale, malgré l’état de détérioration important du Livre des Portes, on peut
estimer que, grosso modo, un (rarement deux) métadiscours est présent pour
chaque heure. Ils sont, il faut le souligner, sans parallèle. En effet, aucune autre
version de l’Amdouat ou du Livre des Portes, ni même aucun autre texte de
la tombe ne semble comporter de métadiscours comparables. En outre, ces
incises personnalisantes apparaissent dans des endroits stratégiques du texte.
53. La tombe 33 renferme les dernières versions complètes actuellement connues pour le
Livre des Portes et l’Abrégé de l’Amdouat. La dernière notation intégrale de la version longue de
l’Amdouat apparaît sur le papyrus ptolémaïque du prêtre Nesmin dont nous envisageons l’édition
avec M. Gabolde : P. Windsor RCIN 1145266 (collection de Sa Majesté la reine Elizabeth II). Description
(sans illustration) par S. Birch, Description of the Papyrus of Nas-Khem, priest of Amen-Ra, discovered
in an excavation made by direction of the Prince of Wales, in a tomb near Gournah, at Thebes, 1863. Une
exposition l’a récemment mis à l’honneur : http://www.royalcollection.org.uk/collection/1145266/
section-of-the-papyrus-belonging-to-nesmin-with-the-first-hour-of-the-amduat.
54. I. R égen, « The Amduat and the Book of the Gates in the Tomb of Padiamenope (TT 33). A Work in
Progress », dans E. Pischikova – J. Budka – K. Griffin (éd.), Thebes in the First Millenium B.C., Actes du colloque
international, Louqsor, 1-4 octobre 2012 (Cambridge Scholars Publishing), 2014, p. 307-322 ; id., « Quand Isis met
à mort Apophis. Variantes tardives de la 7e heure de l’Amdouat », dans Chr. Thiers (éd.), op. cit., p.  247-271.
55. G. Genette , Palimpsestes, 1982, p. 8. Sur les procédés rhétoriques dans la littérature funéraire :
L. Coulon, « Rhétorique et stratégies du discours dans les formules funéraires : les innovations des Textes
des Sarcophages », dans S. Bickel – B. Mathieu (éd.), D’un monde à l’autre, Textes des Pyramides et Textes des
Sarcophages (BdE 139), 2004, p. 119-142.
56. P. van den H euvel , « Le discours rapporté », Neophilologus 66 (1978/1), p. 25.
78 | BSFE 193-194
Fig. 11 Aperçu de la localisation des principaux livres funéraires dans la tombe de Padiamenopé
(plan Cl. Traunecker, légendes I. Régen)
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 79
Exemple 1 : métadiscursivité dans le Livre des Portes
Ainsi, dans le Livre des Portes, un métadiscours au bénéfice de Padiamenopé
(infra, en grisé) apparaît notamment dans le « texte-programme » 57, court
texte qui fournit les raisons de la présence du soleil dans le monde inférieur et
précise la nature de ses projets : répartir la propriété foncière et les richesses
de la terre (« le partage de ce qui est dans le sol ») entre les habitants de
la Douat, mais aussi rendre la justice, récompenser le mort bienheureux et
anéantir les ennemis.
Le métadiscours reprend au compte de Padiamenopé des syntagmes ou
des mots-clés (supra, en gras) originellement attribués au dieu-soleil et figurant dans le texte-source. Ici, Padiamenopé s’associe à la première des six
raisons de la présence de l’astre dans le monde inférieur, la répartition foncière. Cette dernière est d’une importance capitale pour le défunt puisque
l’attribution de terres lui permettra d’assurer sa subsistance tout au long de
son existence post-mortem.
Par conséquent, si Padiamenopé voyage dans la barque du soleil, il prend
de même une part active à l’action du dieu-soleil en s’intégrant à l’équipe des
haleurs et justifie donc sa présence dans la barque. On notera au passage, dans
le métadiscours, la morphologie particulière des verbes dwȝ et sṯȝ qui correspond probablement à un sḏm~n=f « rituel » (performatif) 58 : il n’y a pas lieu,
en effet, de la rendre par une forme perfective puisque l’adoration du dieu et
le halage de sa barque ne sont pas terminés mais sont au contraire toujours
rituellement en cours. J’ajouterai que dans la tombe 33, Padiamenopé est
systématiquement représenté dans la barque du soleil 59. On voit donc bien
comment les scènes de l’Amdouat et du Livre des Portes sont un élément
essentiel du paratexte, autrement dit de tous les éléments entourant le texte
et qui le font exister. Elles participent également au processus de personnalisation du texte pour le mort. En définitive, texte et image sont si étroitement
liés dans ces Livres que le seul terme de « texte » ou de Livre ne suffit pas à
rendre leur richesse ; un terme plus adéquat serait celui d’« iconotexte » 60.
57. E. Hornung et al., Das Buch von den Pforten des Jenseits nach den Versionen des Neuen Reiches
(AegHelv 8), 1980, p. 62.
58. Voir par ex. Fr. L abrique , « Le sḏm~n=f rituel à Edfou : le sens est roi », GM 106 (1988), p. 53-64 ;
elle y distingue le sḏm~n=f rituel gnomique qui traduit « une action atemporelle, un fait absolu » et le
sḏm~n=f rituel performatif.
59. À l’exception de la douzième et dernière heure de l’Amdouat (salles XIII et XXII). Dans la version
de la salle XIII, Padiamenopé ne figure plus dans la barque mais à l’extérieur car il est figuré accueillant
le soleil levant en position d’adoration (couloir XIII-3).
60. Terme utilisé pour la première fois par Michael Nerlich en 1985 ; cf. A. Montandon, « Iconotexte »
80 | BSFE 193-194
Navigation du grand dieu que voici1
m wȝ.wt <Dwȝ.t>
sur les voies <du Monde inférieur> ;
sṯȝ nṯr pn ʿȝ jn nṯr.w Dwȝt(y).w
Halage du grand dieu que voici par
les dieux du Monde inférieur
r jr.t p<s>š.wt jm(y.w)t tȝ
pour é<ta>blir le partage de ce qui est
dans le sol,
r jr<.t> sḫr.w jm(y).w=f
pour réalise<r> les projets de ceux qui
sont en lui
r wḏʿ-mdw.wt m Jmn.t
pour rendre justice dans l’Occident,
jr.t ʿȝ r nḏs m nṯr.w jm(y).w Dwȝ.t
(pour) faire, du petit comme du grand,
des dieux qui sont dans le Monde
inférieur,
rd.t ȝḫw.w ḥr s.wt=sn m(m) mwt.w
r wḏʿ.t=sn
(pour) mettre les esprits brillants à
leur place au sein des morts (et) leur
rendre justice,
r ḥtm ẖȝ.wt njkyw.w r ḫnj
bȝ(.w)=sn
pour anéantir les cadavres des damnés
et pour emprisonner leurs âmes.
jw dwȝ~n ẖr(y)-ḥb(.t) ḥr(y)-tp
Pȝ-d(w)-Jmn-Jp(ȝ).t Rʿ m
C’est dans sa grande barque que le
prêtre-ritualiste et chef2 adore Rê ;
sṯȝ~n=f nṯr pn ʿȝ
r jr p<s>š.t jm(y) tȝ
S’il hale le grand dieu que voici, c’est
pour que puisse être établi le partage
de ce qui est dans le sol.
metadiscours
sqdw[.t] jn nṯr pn ʿȝ
T exte - source (« texte - programme »)
Livre des Portes, 2e heure, registre médian, 7e scène
Enfin, le métadiscours inséré dans un endroit crucial du Livre des
Portes apparaît comme une revendication indirecte d’efficacité. En effet,
Padiaménopé participe à l’ordre du monde, au maintien de la Maât, par
conséquent au maintien du cycle solaire et, au-delà, à sa propre renaissance.
dans Dictionnaire International des Termes Littéraires (DITL) : http://www.flsh.unilim.fr/ditl/Fahey/
ICONOTEXTEIconotext_n.html.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 81
Je souhaiterais à présent évoquer le dernier exemple qui, quant à lui,
replacera les inscriptions dans leur contexte en traitant de la spatialité du
texte dans le couloir XIII-3.
Exemple 2 : spatialité du texte dans le couloir XIII-3
Les Livres du Monde Inférieur présents dans la tombe 33 se déroulent d’ouest
en est sur les parois, conformément aux prescriptions de ces compositions
documentant le parcours nocturne du soleil. Ainsi, dans le caveau du prêtre
(salle XXII) situé plusieurs mètres en dessous du cénotaphe osirien, le souci
de conformité aux prescriptions d’orientation a entraîné le recours à un petit
jeu mathématique qui, seul, permettait que le Livre débutât à l’ouest et se
terminât à l’est du caveau (inversion des heures 5-6 et 7-8) (fig. 12). Mais plus
haut, au premier niveau de la tombe, l’autre version longue de l’Amdouat
courant autour du cénotaphe n’a pas respecté cette orientation : la douzième
heure est orientée vers le nord. Pourtant, cette zone de la tombe est caractérisée par une forte thématique solaire puisque, au terme des couloirs XIII-2
et XIII-3 61, cinq Livres se terminent par le lever du soleil : Livre de l’Amdouat,
Fig. 12 Orientation des heures du Livre de l’Amdouat, d’ouest en est,
dans les salles XIII, cénotaphe osirien, et XXII, caveau (plan D. Eigner, légendes I. Régen)
61. Numérotation de D. Eigner (cf. fig. 12).
82 | BSFE 193-194
Livre des Portes, Livre de la Nuit, Livre de la Terre, Livre de Nout 62. Quelle
est donc la raison motivant un tel retour du couloir XIII ? Nous nous étions
tout d’abord demandés si la présence d’une autre tombe empêchait le dé­rou­
lement complet du couloir XIII vers l’est ; ce n’était pas le cas. La solution fait
souvent irruption à des moments inattendus : alors que Claude Traunecker et
moi-même déambulions dans le couloir XIII.3, j’ai ainsi aperçu une inscription
à laquelle je n’avais pas prêté attention jusqu’alors. L’entrée du couloir XIII.3
est en effet marquée par un linteau portant une courte formule lacunaire.
Or, dans cette lacune, on distingue clairement les restes de ce qui devait être
la désignation jḫm-sk. Voilà donc pourquoi ce couloir tourne vers le nord :
il est orienté vers les Étoiles impérissables. Il s’agit plus précisément d’un
extrait de la formule 690B des Textes des Pyramides (§ 2101a-2102b), dans
lequel Padiamenopé reçoit le nom « d’Étoile impérissable » par les Enfants
d’Horus63. Or, le fond de ce couloir comporte une fausse-porte ; par conséquent­, elle correspond en quelque sorte à la porte de sortie de cette tombe,
au nord. Padiamenopé multiplie donc ses chances de survie dans la Douat en
reprenant non seulement une tradition solaire (vers l’est), mais également
une tradition stellaire (ciel du nord). Il synthétise ainsi cette double conception tant dans les textes que dans l’architecture.
De manière générale, les métadiscours montrent comment un esprit
ancien synthétise une composition, sélectionne et met en valeur les passages
du texte qui lui paraissent essentiels pour le bénéfice du mort. En dernier lieu,
jamais nous ne saurons si Padiamenopé fut lui-même directement à l’origine
des particularités des textes de sa tombe. Toujours est-il que s’il n’en a pas
été le scribe, il en aura sans doute été le commanditaire. Padiamenopé est
prêtre-lecteur et chef, ce qui lui assure toute compétence dans le domaine des
écrits. Il est du reste assez troublant de noter que dans sa titulature abrégée,
Padiamenopé choisit systématiquement ce titre 64 parmi la cinquantaine de
titres qu’on lui connaît. Il cherchait donc à apparaître avant tout, aux yeux
de la postérité, comme un intellectuel.
Isabelle Régen
62. Sur ce dernier, I. R égen, « Le faucon, rtḥ-qȝb.t et le lever du soleil. Trois extraits inédits du Livre de
Nout dans l’Assassif (TT 34, TT 33, TT 279) », dans Chr. Thiers (éd.), D3T 3 (CENIM 13), 2015, p. 217-246 ;
id. « Sur la mise en place du Livre de Nout dans les tombes tardives de la nécropole de l’Assassif », communication lors du colloque « Thebes in the 1st Millenium B.C. » organisé par E. Pischikova à Louqsor,
25-29 septembre 2016.
63. Les Enfants d’Horus correspondraient eux-mêmes aux « étoiles entourant le baudrier d’Orion »,
voir B. M athieu, « Les Enfants d’Horus, théologie et astronomie », ENIM 1 (2008), p. 13.
64. Communication personnelle de J. Baines.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 83
English abstract
Last, revised versions of the Book of the Amduat and the Book of the Gates appear in
the tomb of Padiamenope, including unparalleled « metatexts » or « metadiscurses »
aiming to personalize those Books for the deceased.
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Mars-Juin 2015
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Bulletin de la société française d’égyptologie
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La Société française d’égyptologie édite
annuellement la Revue d’égypto­logie (RdE),
publication scientifique de renommée
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d’égyptologues tant étrangers que français.
De plus, le compte rendu des réunions
organisées par la SFE et le texte complet des
communications paraissent dans le Bulletin de
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Tous les membres sont tenus informés des activités de la SFE et reçoivent
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2016
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Nove mbr e 2 015 -M a r s 2 016 | n o s  193 -194
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ISSN : 0037- 9379
bu lletin de l a société fr a nç a ise d’égy p tologie
Le Bulletin de la Société française d’égyptologie, qui paraît depuis 1949,
fait le compte rendu des réunions organisées régulièrement par cette
association, et livre le texte complet des communications qui y sont
faites par des chercheurs spécialisés dans les différentes facettes de
la recherche en archéologie égyptienne.
Il s’adresse aux personnes qui s’intéressent à l’étude de l’Égypte, de
ses origines à la période copto-byzantine, et les informe sur les derniers
développements des travaux en cours, notamment sur le terrain.
Il permet de mettre en relation des professionnels avec un public
féru d’égyptologie, tant en France qu’à l’étranger.
nos 193-194
Novembre 2015-Mars 2016
Bulletin de la Société française d’égyptologie
novembre 2015 - mars 2016 nos 193-194
- Compte rendu des réunions de novembre 2015
et mars 2016
2
ii
-Focus sur les membres
4
i
Nouvelles de la Société et de l’égyptologie
iii -
Listes des nouveaux membres, bienfaiteurs et donateurs 2015
Communications
- Ivan Guermeur
10
CNRS, Université Paul Valéry-Montpellier 3 - MCC (UMR 5140 - ASM)
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn
- Claire Somaglino
29
Université Paris-Sorbonne – CNRS (UMR 8167)
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta
à l’Ancien et au Moyen Empire
- Claude Traunecker & Isabelle R égen
52
Université de Strasbourg – CNRS (UMR 7044)
Université Paul Valéry-Montpellier 3 – CNRS (UMR 5140)
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux
N.B. : La communication du 12 novembre 2015 de M. Laurent C oulon
sera publiée ultérieurement
En couverture : Le dignitaire Héni, détail de sa stèle conservée au musée de plein air d’Héliopolis
(photo Cl. Somaglino) – Le cénotaphe de la tombe de Padiamenopé (photo Cl. Traunecker).
10 | BSFE 193-194
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2
du musée de Brooklyn 1
Ivan Guermeur
CNRS, Université Paul Valéry-Montpellier 3 - MCC (UMR 5140 - ASM)
La médecine de l’Égypte ancienne constitue assurément un des domaines
de l’égyptologie qui a été le mieux étudié, notamment depuis la seconde
guerre mondiale, et pour lequel il existe un nombre important de publications remarquables 2. Cependant, on doit noter que les recherches ont porté
jusqu’ici presque exclusivement sur le second millénaire avant notre ère,
période pour laquelle il existe des sources de toute première importance,
aujourd’hui dans l’ensemble bien publiées 3.
Ce relatif désintérêt, jusqu’à ces dernières années, pour les sources plus
récentes – il est vrai trop souvent peu connues ou assez mal éditées, tels
les papyrus démotiques médicaux de Vienne 4 – avait conduit la pensée
commune­à admettre une dégénérescence de la science, notamment
médicale, du fait d’une influence supposée accrue des pratiques magiques,
selon les principes d’alors où un Âge d’Or était immanquablement suivi de
Temps obscurs. C’est pourquoi nous ne sommes pas tout à fait surpris de lire
les remarques du grand démotisant danois Wolja Erichsen (1890-1966) qui,
1. Je remercie chaleureusement mes collègues et amis du Brooklyn Museum à New York, le Dr Edward
Bleiberg, le Dr Yekaterina Barbarsh, Kathy Zurek-Doule et le Dr Paul F. O’Rourke qui m’ont confié
les droits d’édition de ce document et qui m’ont offert toutes les facilités au cours de mes séjours
successifs sur place.
2. On notera en particulier : G. L efebvre , Essai sur la médecine égyptienne de l’époque pharaonique, 1956 ;
le monumental Grundriß der Medizin der alten Ägypter qui a paru en neuf volumes à Berlin entre 1954 et
1973, publié par H. Grapow – H. von Deines – W. Westendorf ; plus récemment, Th. Bardinet, Les papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique, 1995 ; J.F. Nunn, Ancient Egyptian Medicine, 1996 ; W. Westendorf,
Erwachen der Heilkunst. Die Medizin im Alten Ägypten, 1992 ; id., Handbuch der altägyptischen Medizin (HdO 36),
1999 ; H. Vymazalova – B. Vachala – E. Strouhal , The Medicine of the Ancient Egyptians, I, Surgery,
Gynecology, Obstetrics and Pediatrics, 2014 ; etc.
3. Voir le tableau présenté par J.F. Nunn, op. cit., p. 25.
4. Ainsi l’édition de E.A.E R eymond, From the Contents of the Libraries of the Suchos Temples in the Fayum, I,
A Medical Book from Crocodilopolis (P. Vindob. D. 6257) (MPER X), 1976, est notoirement insuffisante
(cf. D. Devauchelle – M. Pezin, CdE 53 [1978], p. 57-66) et une nouvelle édition est en préparation par
Fr. Hoffmann, « Zur Neuedition des hieratisch-demotischen Papyrus Wien D 6257 aus römischer Zeit »,
dans A. Imhausen – T. Pommerening (éd.), Writings of Early Scholars in the Ancient Near East, Egypt, Rome,
and Greece. Translating Ancient Scientific Texts (BzA 286), 2010, p. 201-218.
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 11
Fig. 1 Colonne x + iii du pBrooklyn 47.218.2 (© Brooklyn Museum)
12 | BSFE 193-194
publiant un texte médical démotique, ne peut s’empêcher de préciser que le
texte est « contaminé » par une supposée dégénérescence de l’art médical
au profit de pratiques magiques 5. Ces présupposés négatifs se retrouvent
aussi souvent dans les remarques émises par de nombreux historiens de la
médecine antique 6. Pourtant, cette vision moderne des choses, qui considère
que la magie est un phénomène de dégradation et qu’elle est inférieure à
ce que nous qualifions de médecine, ne correspond évidemment pas à la
pensée antique où ces deux notions étaient très imbriquées ; aussi parle-t-on
généralement de textes médico-magiques ou iatromagiques, pour reprendre
l’expression en usage chez nos collègues hellénistes et historiens de la
médecine 7. Il serait inopérant d’essayer d’opposer la pratique du médecin
antique à celle du sorcier, tant ces deux approches de l’art de la guérison, qui
nous semblent aujourd’hui si contradictoires, ne l’étaient pas à l’époque ; et
des textes qui, a priori, nous paraissent purement médicaux, au sens le plus
orthodoxe du mot, tels les papyrus Ebers ou Edwin Smith, comportent aussi
des passages que nous qualifierions aisément de « magiques ».
De fait, depuis la publication de nouveaux documents médicaux datant
de l’époque tardive (vie s. av. J.-C. – iiie s. apr. J.-C.), qui ont éclairé d’un jour
nouveau les recherches dans ces domaines, cette approche doit désormais
être abandonnée. Les innovations, évolutions, progrès et adaptations de la
science égyptienne ne sont en effet analysables jusqu’à présent que très partiellement, la majeure partie de la documentation d’époque tardive étant
encore inédite.
Par ailleurs, avec les textes des époques récentes, surgit aussi la question des relations qui auraient pu exister entre les médecines égyptienne et
grecque, une problématique qui a été abordée de temps à autre, particulièrement pour ce qui est de l’école cnidienne, l’école du médecin Hippocrate
(460-370 av. J.-C.). Des auteurs anciens – tels Homère et Hérodote, voire les
médecins Hippocrate et Gallien eux-mêmes – accordèrent une grande réputation aux médecins égyptiens ; de nombreux souverains orientaux souhaitèrent ardemment bénéficier au sein de leurs cours des compétences de ces
savants thérapeutes 8 et certains spécialistes de la médecine grecque recon5. W. E richsen, « Aus einem demotischen Papyrus über Frauenkrankheiten », MIO 2 (1955), p. 363-377.
6. H. von Staden, Herophilus. The Art of Medicine in Early Alexandria, 1989, passim ; M. Vegetti, « Entre le
savoir et la pratique : la médecine hellénistique », dans M.D. Grmek (éd.), Histoire de la pensée médicale en
Occident, I, 1995, p. 77, qui parle à propos de la médecine égyptienne d’un « inextricable enchevêtrement
d’expérience clinique et de magie ».
7. K.E. Rothschuh, Iatromagie: Begriff, Merkmale, Motiv, Systematik, 1978 ; id., Konzepte der Medizin in
Vergangenheit und Gegenwart, 1978.
8. P.F. O’Rourke , « La codification du savoir médical à l’époque saïte », EAO 71 (2013), p. 33.
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 13
naissent à l’occasion une éventuelle influence sur leur discipline 9. Toutefois,
la plupart des discussions sur une survivance éventuelle de la médecine
égyptienne dans la tradition grecque, et a fortiori dans les traditions médicales occidentales, demeurent souvent anecdotiques, en relevant quelques
faits qui peuvent prêter à discussion : le concept égyptien des corruptions
naturelles, les oukhedou (wḫdw), qui aurait influencé la théorie cnidienne des
résidus et de la montée et descente des flux, perîssoumata (περισσώματα) 10,
mais qui demeure peu vraisemblable 11, ou bien des éléments de terminologie
adoptés – quasi littéralement – en grec, comme le nom égyptien du mal de
tête, ges-dep (gs-dp), « moitié de tête », qu’on retrouverait traduit mot à mot
hémicrânia (ἡμικρανία), « migraine ». Mais pour aller plus loin dans la comparaison avec les données médicales grecques, il conviendrait de disposer de
plus de textes égyptiens édités datant des époques récentes.
Parmi ces documents tardifs qui demeurent inédits, figure en bonne place
le papyrus de Brooklyn 47.218.2. De fait, c’est en août 2009 que m’ont été
confiés, conjointement avec mon collègue Paul O’Rourke, par les autorités
du Brooklyn Museum de New York, les droits de publication de ce papyrus
médical et magique qui traite de la protection pré- et post-natale de la mère
et de son enfant. Le manuscrit est datable, d’après la paléographie et avec les
aléas que cela induit, des ve-iiie siècles av. J.-C.
Ce document fait partie d’un important lot de papyrus, essentiellement hiératiques, démotiques et araméens, légués au musée en 1947 par
Mme Theodora Wilbour, en souvenir de son père l’égyptologue et collectionneur Charles Edwin Wilbour (1833-1896) 12. Ce dernier avait vécu deux vies :
la première était celle d’un homme d’affaires avisé qui devint un magnat de
l’édition et de la presse, traducteur américain des Misérables de Victor Hugo ;
la deuxième, celle d’un égyptologue-collectionneur, commença par son implication dans un scandale politico-financier, le « Tweed ring (Tammany Hall)
scandal » 13, qui le contraignit à émigrer à Paris vers 1874. Il y entreprit alors
des études d’égyptologie sous la conduite de Gaston Maspero, et l’accompagna
en Égypte en 1880 14. Chaque hiver ou presque, entre 1880 et 1896, il parcourut
9. J. Jouanna, Hippocrate. Pour une archéologie de l’école de Cnide (Collection d’Études Anciennes 141), 2e éd.,
2009, p. 508-509 avec notes.
10. R.O. Steuer – J.B. Saunders, Ancient Egyptian & Cnidian Medicine: the Relationship of their Ætiological
Concepts of Disease, 1959 ; J.F. Nunn, op. cit., p. 61-62.
11. J. Jouanna, op. cit., p. 508-510 ; Th. Bardinet, op. cit., p. 128-138.
12. W.M. Dawson – E.P. Uphill – M.L. Bierbrier , Who was who in Egyptology, 4e éd., 2012, p. 576-577.
13. K.D. Ackerman, Boss Tweed: The Rise and Fall of the Corrupt Poll who Conceived the Soul of Modern
New York, 2005.
14. C.E. Wilbour , Travels in Egypt (December 1880 to May 1891): Letters of Charles Edwin Wilbour, édité par
J. Capart à New York, 1936.
14 | BSFE 193-194
le Nil à bord de sa dahabiyeh, « Les Sept Hathor », et acheta toutes sortes
d’antiquités de grande qualité 15. Il mourut à Paris le 17 décembre 1896 et
son importante collection rejoignit les États-Unis. C’est sa veuve qui chargea
ses enfants d’organiser la donation de la collection, de la bibliothèque et des
archives de son époux au Brooklyn Museum de New York. Toutefois, ce n’est
que dans le courant des années quarante que la découverte inopinée, dans la
maison familiale, d’une malle contenant des papyrus, suscita le dernier legs
de la famille Wilbour. Ce « trunk » était demeuré à Paris, dans l’hôtel où avait
résidé Charles E. Wilbour, longtemps après sa mort. C’est l’égyptologue et
historien de l’art J.D. Cooney 16 qui en fit l’inventaire 17.
Sir Alan H. Gardiner, en 1948, puis Georges Posener et Michel Malinine,
dans les années cinquante, examinèrent cet ensemble. Mais ce n’est que vers
1966 que Serge Sauneron fut chargé de leur publication par B.V. Bothmer 18. Au
cours de deux séjours à Brooklyn, à l’automne 1966, puis en septembre 1968,
Sauneron assura le déroulement, le regroupement et entama l’étude de cet
ensemble 19. Il suggéra, après avoir étudié le contenu de la majeure partie des
documents, qu’ils devaient provenir d’une même officine : ce lot de documents avait sans doute constitué un groupe de papyrus trouvés ensemble,
en un même endroit, et acquis, à une date indéterminée et en lieu inconnu,
par Charles E. Wilbour, au cours de ses séjours en Égypte, entre 1880 et 1896.
Toutefois, dans ses « Notebooks », qui s’arrêtent en mai 1895 20, il n’évoque
nullement ces documents et leur acquisition.
15. J.A. Wilson, Signs and Wonders upon Pharaoh. An engaging account of America’s share in the exploration
of Ancient Egypt, 1964, p. 73-76, 87-88, 92-93, 99-109.
16. W.M. Dawson – E.P. Uphill – M.L. Bierbrier , op. cit., p. 130.
17. Je dois au Dr Paul F. O’Rourke toutes les informations présentées ici au sujet de ce « trunk » et
de son contenu, c’est lui qui a pu mesurer l’intérêt des notes et remarques de Cooney, qui procéda à
son inventaire. Ce dernier vida la malle avec beaucoup de méthode et releva nombre d’informations
capitales, notamment pour déterminer la provenance des documents qu’elle contenait. Il publiera
prochainement un article à ce sujet : P.F. O’Rourke , « Charles Edwin Wilbour and the Provenance of
His Papyri », dans le cadre du projet « Localizing 4000 Years of Cultural History. Texts and Scripts
from Elephantine Island in Egypt » (ERC Grant, dir. V. Lepper, Berlin), dans un volume de Ägyptische
und Orientalische Papyri und Handschriften des Ägyptischen Museums und Papyrussammlung Berlin (ÄOP).
18. À l’exception du papyrus oraculaire (47.218.3) publié par R.A. Parker : A Saite Oracle Papyrus from
Thebes in the Brooklyn Papyrus (Pap. Brooklyn 47.218.3) (BES 4), 1962 et du texte littéraire 47.218.135,
réservé par Georges Posener et finalement publié par R. Jasnow, A Late Period Hieratic Wisdom Text
(P.Brooklyn 47.218.135) (SAOC 52), 1992.
19. S. Sauneron, « Som newly unrolled papyri in the Wilbour Collection of the Brooklyn Museum »,
BMA 8 (1966-1967), p. 98-102 ; id., Le papyrus magique illustré de Brooklyn (Brooklyn Museum 47.218.156), Wilbour
Monographs, III, 1970 ; id., « The Wilbour Papyri in Brooklyn: A Progress Report », BMA 10 (1968-1969),
p. 109-113 ; id., Un traité égyptien d’ophiologie. Papyrus du Brooklyn Museum 47.218.48 et 85 (BiGén 11), 1989.
20. Brooklyn Museum Archives. Wilbour Archival Collection, Notebook 2Q (December 1894 - May 1895).
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 15
Serge Sauneron 21, tirant argument du contenu du papyrus mythologique, publié depuis par Dimitri Meeks 22, où la région héliopolitaine
occupe une place centrale, suggéra que ces textes étaient originaires de la
cité du soleil. Il notait toutefois qu’il ne s’agissait là « que d’une bien fragile hypothèse » et il supposait que c’était au cours des fouilles conduites à
Héliopolis par Édouard Naville, pour le compte de l’Egypt Exploration Society,
en décembre 1887, ou à leur suite, que des ouvriers ou des paysans auraient
pu déterrer une jarre pleine de papyrus, dont un nombre important aurait
été acquis chez un antiquaire du Caire par Wilbour. L’hypothèse de Serge
Sauneron a été unanimement admise, malgré certaines difficultés, notamment celles ayant trait à la conservation de papyrus dans ces zones où la
nappe phréatique est très haute et où l’humidité les aurait donc immanquablement détériorés, même conservés dans une jarre. Par ailleurs, il ignorait un certain nombre de nouvelles données : des papyrus, mis au jour au
cours des fouilles conduites à Éléphantine en 1905-1908 par Otto Rubensohn
et Friedrich Zucker, pour le compte des musées de Berlin, présentent des
caractéristiques qui permettent de les rapprocher de ceux de Brooklyn, tant
du point de vue paléographique que de leur contenu. Et, même s’ils sont très
fragmentaires, un rap­pro­chement s’impose 23. Ainsi, le manuscrit publié par
W. Westendorf 24, comme d’autres textes qui sont en cours d’étude ou récemment publiés 25, peut être rapproché de certains documents de cet ensemble.
D’autres données internes laissent par ailleurs entendre que Wilbour aurait
pu acquérir ces documents au même moment que les papyrus araméens de
Brooklyn, qui proviennent eux assurément d’Éléphantine 26.
Ces éléments conduisaient déjà à suggérer Éléphantine comme provenance – de préférence à Héliopolis – lorsque Paul O’Rourke s’intéressa de plus
près à certaines archives ignorées de l’« Office of the Registrar » et du département des antiquités du Brooklyn Museum. C’est là qu’il mit la main sur
les minutes de John D. Cooney, qui détaillent le déroulement des opérations
21. Le papyrus magique illustré, p. VII-IX et n. 8.
22. Mythes et légendes du Delta d’après le papyrus Brooklyn 47.218.84 (MIFAO 125), 2006.
23. H.-W. Fischer-E lfert, LingAeg 19 (2011), p. 331 ; id., LingAeg 20 (2012), p. 281 ; Fr. Hoffmann –
J.Fr. Quack , Anthologie der demotischen Literatur (EQÄ 4), 2007, p. 361, n. a ; id., WdO 43 (2013), p. 246.
24. « Papyrus Berlin 10456. Ein Fragment des wiederentdeckten medizinischen Papyrus Rubensohn »,
dans W. Müller (éd.), Festschrift zum 150 Jährigen Bestehen des berliner ägyptischen Museums, 1974, p. 247254, pl. 33. Voir aussi G. Vittmann, « The Hieratic Texts », dans B. Porten (éd.), The Elephantine Papyri in
English. Three Millennia of Cross-Cultural Continuity and Change (DMOA 22), 1996, p. 71-73.
25. Voir en particulier le papyrus Berlin p15784 a + b (= p. 10469) : H.-W. Fischer-Elfert, Magika hieratika
in Berlin, Hannover, Heidelberg und München (ÄOP 2), 2015, p. 146-151.
26. E.G. K raeling, The Brooklyn Museum Aramaic Papyri. New Documents of the Fifth Century B.C. from the
Jewish Colony at Elephantine, 1953, p. 3-18.
16 | BSFE 193-194
d’enregistrement. En fait, les papyrus étaient généralement, ou contenus
dans des boîtes en métal pour les plus fragmentaires, ou soigneusement
emballés dans du papier pour les rouleaux mieux préservés, et ces papiers
portaient régulièrement des annotations que Cooney releva méthodiquement. Pour plusieurs rouleaux hiératiques d’époque tardive, il était indiqué
« Elephantine, Feb. 1896 », c’est-à-dire au moment du dernier séjour de
Wilbour en Égypte (automne 1895 – printemps 1896), pour lequel aucun
« Notebook » n’est conservé.
Enfin, ultime élément montrant qu’Éléphantine est très vraisemblablement le lieu d’origine et d’acquisition des papyrus, Paul F. O’Rourke et
Joachim Fr. Quack ont retrouvé, à Brooklyn et à Berlin, de nouveaux fragments appartenant au papyrus magique illustré édité par Sauneron ; ils permettent de reconstituer le haut d’une page complémentaire (x + 0) tandis
que d’autres peuvent être replacés dans la partie déjà publiée. Or, les fragments conservés à Berlin proviennent précisément des fouilles RubensohnZucker, et ils complètent parfaitement cette nouvelle page du papyrus de
Brooklyn 47.218.156 27.
Voyons plus en détail le papyrus : il mesure dans son état actuel – en
dehors de quatre-vingt-treize fragments (fig. 2) appartenant aux deux ou
trois premières pages, découverts à l’occasion de deux séjours sur place, en
novembre 2009 et en mai 2015 28 – 2,43 mètres de longueur et contient la
partie supérieure de neuf pages, dont huit écrites, comportant de vingt à
vingt-trois lignes.
Le texte est de nature « obstétrique », c’est-à-dire qu’il traite ex­clu­si­
vement de la femme enceinte et de la femme qui vient d’accoucher. Il concerne
aussi la protection du nouveau-né. De ce point de vue, il est assez différent du
traité gynécologique de Kahun, daté de la fin du Moyen Empire – avec lequel
il présente pourtant quelques parallèles – qui, lui, traite de toutes sortes de
problèmes médicaux dont peut être atteinte une femme 29 ; il se distingue
27. P.F. O’Rourke – J.Fr. Quack, « New Fragments of the Late Hieratic Illustrated Magical Papyrus at the
Brooklyn Museum (pBrooklyn 47.218.156) and Related Fragments at Berlin », étude à paraître dans le
cadre du projet « Localizing 4000 Years of Cultural History. Texts and Scripts from Elephantine Island
in Egypt » (ERC Grant, dir. V. Lepper), dans un volume de ÄOP.
28. Le séjour effectué au Brooklyn Museum en novembre 2009 a été financé par l’université de Heidelberg
et l’Exzellenzcluster Asien und Europa im globalen Kontext: Die Dynamik der Transkulturalität, et celui
effectué en mai 2015 l’a été dans la cadre de l’axe thématique 4, « représentations symboliques », du
programme scientifique du Labex ARCHIMEDE, programme IA- ANR-11-LABX-0032-01.
29. M. Collier – St. Q uirke , The UCL Lahun Papyri: Religious, Literary, Legal, Mathematical and Medical
(BAR IS 1209), 2004, p. 53-69.
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn | 17
Fig. 2 Quelques nouveaux fragments du papyrus (© Brooklyn Museum)
aussi nettement du Mutter und Kind de Berlin 30 qui s’apparente plus à un
papyrus magique qu’à un véritable traité médical.
Ce texte peut être divisé en plusieurs parties qui s’organisent très
logiquement :
I) Dans les divers fragments retrouvés en 2009 et 2015, qui sont peutêtre des éléments du début du texte, on reconnaît notamment la mention
d’un « début des [formules …] », plus loin « de maintenir l’œuf de la patiente
[enceinte] » ; sur un autre fragment « dans le ventre de la patiente enceinte
[…] », etc. Il s’agit d’embryologie et de la préservation du fœtus in utero, ce
qui correspond bien à ce que l’on retrouve dans la suite, aux colonnes x + i à
x + iv. Si l’on prend en compte ces deux ou trois pages aujourd’hui réduites
à l’état de fragments, et les trois pages bien conservées, il faut admettre que
cette thématique constituait l’objet principal du traité.
30. N. Yamazaki, Zaubersprüche für Mutter und Kind. Papyrus Berlin 3027 (ACHET B/2), 2003.
Fig. 3 Synopse du pBrooklyn 47.218.2 col. x + iii, 2-4 et du pBerlin 15784 a + b
pBrooklyn
pBerlin
pBrooklyn
pBerlin
pBrooklyn
pBerlin
pBrooklyn
pBerlin
18 | BSFE 193-194
Nove mbr e 2 015 -M a r s 2 016 | n o s  193 -194
nos 193-194 10,00 €
ISSN : 0037- 9379
bu lletin de l a société fr a nç a ise d’égy p tologie
Le Bulletin de la Société française d’égyptologie, qui paraît depuis 1949,
fait le compte rendu des réunions organisées régulièrement par cette
association, et livre le texte complet des communications qui y sont
faites par des chercheurs spécialisés dans les différentes facettes de
la recherche en archéologie égyptienne.
Il s’adresse aux personnes qui s’intéressent à l’étude de l’Égypte, de
ses origines à la période copto-byzantine, et les informe sur les derniers
développements des travaux en cours, notamment sur le terrain.
Il permet de mettre en relation des professionnels avec un public
féru d’égyptologie, tant en France qu’à l’étranger.
nos 193-194
Novembre 2015-Mars 2016
Bulletin de la Société française d’égyptologie
novembre 2015 - mars 2016 nos 193-194
- Compte rendu des réunions de novembre 2015
et mars 2016
2
ii
-Focus sur les membres
4
i
Nouvelles de la Société et de l’égyptologie
iii -
Listes des nouveaux membres, bienfaiteurs et donateurs 2015
Communications
- Ivan Guermeur
10
CNRS, Université Paul Valéry-Montpellier 3 - MCC (UMR 5140 - ASM)
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn
- Claire Somaglino
29
Université Paris-Sorbonne – CNRS (UMR 8167)
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta
à l’Ancien et au Moyen Empire
- Claude Traunecker & Isabelle R égen
52
Université de Strasbourg – CNRS (UMR 7044)
Université Paul Valéry-Montpellier 3 – CNRS (UMR 5140)
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux
N.B. : La communication du 12 novembre 2015 de M. Laurent C oulon
sera publiée ultérieurement
En couverture : Le dignitaire Héni, détail de sa stèle conservée au musée de plein air d’Héliopolis
(photo Cl. Somaglino) – Le cénotaphe de la tombe de Padiamenopé (photo Cl. Traunecker).
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 29
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale
du Delta à l’Ancien et au Moyen Empire 1
Claire Somaglino
Université Paris-Sorbonne – CNRS (UMR 8167)
Les villes se décomposent, la terre :
un cortège de poussière
seule la poésie peut se fiancer à un pareil espace
Adonis 2
Lors de fouilles menées à Héliopolis dans les années 1980, une stèle et une
architrave appartenant à l’édifice d’un dignitaire nommé Héni, usurpé peu
après par un certain Khéty-ânkh, furent retrouvées à environ 1 km à l’est
du temple de Rê et de l’obélisque de Sésostris Ier. Les deux monuments sont
actuellement conservés au musée de plein air d’Héliopolis, dans le quartier
de Matariyah 3. Il s’agit de pièces exceptionnelles, datant d’une période pour
laquelle la documentation est rare en Basse-Égypte : la fin de la Première
Période intermédiaire et/ou le début du Moyen Empire. Chacune d’entre
elles a déjà été publiée 4, mais une réflexion restait encore à mener sur le
1. Il m’est agréable de remercier ici les collègues qui m’ont apporté leurs conseils ou fourni des références bibliographiques à un point ou un autre de la conception de cet article : N. Favry, Y. Gourdon,
D. Lorand, A. Pillon et D. Raue. Je tiens à saluer R.A. Milek de l’IFAO dont l’aide précieuse m’a permis
d’accéder au musée d’Héliopolis, ainsi que le personnel du CSA pour son accueil et sa diligence sur
place. Enfin, je remercie P. Tallet et S. Dhennin pour leurs relectures.
2. « Ô ami, ô fatigue », 1982, traduit de l’arabe par A. Velter et Adonis.
3. Architrave : Héliopolis 1048.
4. S’y reporter pour leur description détaillée. Pour la stèle : W.K. Simpson, « Studies in the Twelfth
Dynasty IV: the Early Twelfth Dynasty False-Door: Stela of Khety-ankh / Heni from Matariya / Ain
Shams (Heliopolis) », JARCE 38 (2001), p. 9-20 et R. L andgráfová , It is my Good Name that You Should
Remember, Egyptian Biographical Texts on Middle Kingdom Stelae, 2011, p. 94-96 (no 31) ; pour l’architrave :
D. Franke , « Zur Chronologie des Mittleren Reiches II », Or. 57 (1988), p. 267-268 ; M. Z aki, « Une architrave "anonyme" d’Héliopolis », DE 63 (2005), p. 85-94 ; A. I lin -Tomich, « King Seankhibra and the
Middle Kingdom Appeal to the Living », dans G. Miniaci – W. Grajetzki (éd.), The World of Middle Kingdom
Egypt (2000-1500 BC), I, Middle Kingdom Studies, I, 2015, p. 145-168, qui fournit un très bon fac-similé de
la pièce. Les deux monuments sont par ailleurs analysés par A.E. D emidchik , « The History of the
Herakleopolitan King’s Domain », dans H.-W. Fischer-Elfert – R.B. Parkinson (éd.), Studies on the Middle
30 | BSFE 193-194
Fig. 1 La stèle de Héni, usurpée par Khéty-ânkh (photo Cl. Somaglino)
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 31
Fig. 2 Fac-similé de la stèle : en vert, zones martelées et réinscrites par Khéty-ânkh et en rose, ajouts de
Khéty-ânkh (d’après le fac-similé publié par W.K. Simpson, « Studies in the Twelfth Dynasty IV : the Early Twelfth
Dynasty False-Door : Stela of Khety-ankh / Heni from Matariya / Ain Shams (Heliopolis) », JARCE 38 [2001], p. 12)
32 | BSFE 193-194
statut et les titres du premier propriétaire, Héni, ainsi que sur la région au
sein de laquelle il exerce ses fonctions : Héliopolis et la frange orientale du
Delta. Ces deux monuments permettent ainsi d’envisager le rôle qu’a pu
jouer Héni sur cette vaste zone stratégique en perpétuelle recomposition.
Description
La stèle (fig. 1) est une pièce de dimensions monumentales (H. 1,82 m et
l. 0,98 m). Un bandeau de deux colonnes / lignes de textes – titres, nom et
épithètes du défunt, suivis de chaque côté, en bas, par une représentation
de celui-ci – encadre une zone centrale, couronnée par une corniche à gorge
et entourée d’un tore. Dans sa partie supérieure, un texte livrant là encore
titres, nom et épithètes, entoure la représentation classique depuis le début
de l’Ancien Empire du repas funéraire et une paire d’yeux-oudjat. Dans la
partie basse, la scène principale est composée de quatre personnages se
faisant face deux à deux, le groupe de droite rendant hommage au défunt
représenté à gauche. Sous cette scène, deux figurations de petite dimension
et leur légende ont été ajoutées lors de la réutilisation du monument. Elles
sont de bien moindre qualité. Réalisée pour un dignitaire nommé Héni, la
stèle a en effet été usurpée durant la XIIe dynastie, peut-être dès le règne de
Sésostris Ier, par un certain Khéty-ânkh, ou Khéty-ânkhty, dont le nom est
parfois abrégé en Khéty 5.
Khéty fit marteler une partie des noms et titres de Héni pour les remplacer par les siens (fig. 2). On les devine cependant encore souvent sous les
martelages et regravures, et une occurrence du nom du personnage précédé
de son titre principal apparaît même encore intacte en haut à gauche de la
stèle (fig. 3). Si la majorité des épithètes et formules funéraires, ainsi que les
figurations, ont été reprises à son compte par Khéty-ânkh, plusieurs épithètes
ont été martelées et n’ont pas été remplacées. Le nouveau propriétaire du
monument a également fait procéder à des ajouts : une légende est placée
au-dessus du petit personnage de droite dans la scène du bas de la stèle,
le désignant comme son fils aîné Sehetepibrê-ânkhi ; tout en bas, les deux
personnages ajoutés sont, à droite, le scelleur Khnoumhotep, et à gauche
l’épouse de Khéty-ânkh, sans doute nommée Nebiou.
Kingdom in Mamroy of Detlef Franke (Philippika Marburger altertumskundliche Abhandlungen 41), 2013,
p. 105-106 et D. R aue , « Königsbekannte. Inschriften zur «anderen» Ersten Zwischenzeit im Norden
Ägyptens », dans B. Backes – C. von Nicolai (éd.), Kulturelle Kohärenz dirch Prestige (Münchner Studien zur
Alten Welt 10), 2014, p. 179-200.
5. Sur les hypothèses quant à la date de cette usurpation, cf. W.K. Simpson, op. cit., p. 9-10.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 33
Fig. 3 Angle supérieur gauche de la stèle : le nom et le titre de Héni n’ont pas été martelés
(photo Cl. Somaglino)
L’autre pièce envisagée, une architrave (fig. 4), présente également des
traces d’usurpation. Elle est ornée sur les deux tiers droits de sa longueur de
trois lignes de texte orientées de droite à gauche ; le tiers gauche présente
quant à lui une scène figurant deux porteurs d’offrande – le frère du défunt et
un prêtre funéraire – apportant une oie et un cuisseau de bœuf au défunt, qui
leur fait face, assis sur un fauteuil à pieds de taureaux et tenant les insignes de
sa fonction : sceptre et bâton. L’architrave appartient sans trop de doute à la
même tombe que la stèle : en effet, les représentations des figures humaines
sont très semblables (fig. 5), de même que la paléographie ou certains éléments du texte 6. Enfin, à la fin de la ligne 3, on devine dans une partie abîmée,
sous les martelages plus tardifs et la réinscription du titre de « directeur du
temple » ((j)m(y)-r(ȝ) ḥw.t-nṯr) de Khéty-ânkh, le titre de « directeur de la
Basse-Égypte » ((j)m(y)-r(ȝ) Tȝ-mḥw) et le nom de Héni 7.
Le texte de l’architrave, assez classique en contexte funéraire et fortement
inspiré des précédents de l’Ancien Empire – ce qui ne surprend guère pour un
monument de la région memphite – présente la particularité de mentionner
un protocole royal inédit :
(1) Quant à cette tombe de la nécropole qui est dans le désert Djedit-âat d’Héliopolis, c’est l’Horus Séânkhibtaouy, le roi de Haute et de Basse-Égypte Séânkhibrê,
qu’il vive éternellement, qui (m)’a donné son emplacement (2) en raison de mon
efficacité, étant grand et estimé dans le cœur de Sa Majesté, plus que tout sien
6. D. Franke avait signalé en particulier la même graphie rare du mot « nécropole » (l. 1), ou encore
le fait que le toponyme désignant la nécropole d’Héliopolis apparaît sur les deux monuments dans sa
version développée, sm.t Ḏd.t-ʿȝ.t n(y).t Jwnw, inhabituelle avant la période tardive (cf. W.K. Simpson,
op. cit., p. 10, qui cite les remarques de D. Franke).
7. Observations faites sur place ; voir également le fac-similé d’A. I lin-Tomich, op. cit., p. 145, fig. 1.
Fig. 4 L’architrave de la tombe de Héni, usurpée par Khéty-ânkh (photo Cl. Somaglino)
34 | BSFE 193-194
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 35
Fig. 5 Comparaison des représentations humaines entre la stèle (en haut)
et l’architrave (en bas) (photos Cl. Somaglino)
dignitaire qui était avec lui. Ô les vivants qui êtes sur terre et qui passez (3) devant
cette tombe : votre roi vivra pour vous, vos dieux vous loueront dans la mesure
où vous direz : « 1000 pains et bières, 1000 bovidés et volailles, 1000 pièces de tissu
et d’albâtre, pour l’imakh auprès du grand dieu, le directeur du temple […] / de
Basse-Égypte Héni 8 né de [...] 9.
Datation de la construction de la tombe
La conjonction du nom d’Horus Séânkhibtaouy, « celui qui fait vivre
continuellement le cœur des Deux-Terres » (sʿnḫ-jb-tȝ.wy) et du nom de
8. Le titre et le nom de Héni ont été martelés et remplacés par le titre de « directeur du temple » et
sans doute par le nom et la filiation de Khéty-ânkh, comme sur la stèle.
9. (1) jr js pn n ẖr.t-nṯr nt(y) m sm.t Ḏd.t-ʿȝ.t n(y).t Jwnw jn Ḥr Sʿnḫ-jb-tȝ.wy n(y)-sw.t bjt(y) Sʿnḫ-jb- Rʿ
ʿnḫ(=w) ḏ.t rd~n(=j) s.t=f (2) n mnḫ=j wr=k(wj) šsp=k(wj) ḥr jb n ḥm=f r sʿḥ=f nb nt(y) ḫr=f j-ʿnḫ.w
tpy.w tȝ swȝ.t(j)=sn (3) ḥr js pn ʿnḫ n=ṯn n(y)-sw.t=ṯn ḥsy=ṯn nṯr.w=ṯn ḏd=ṯn t ḥ(n)q.t ḫȝ jḥ ȝpd ḫȝ šs
mnḫ(.t) ḫȝ n jmȝḫ ḫr nṯr ʿȝ (j)m(y)-r(ȝ) ḥw.t-nṯr […]/[tȝ-]mḥw Hnj ms(w)~n […]
36 | BSFE 193-194
cou­ron­nement, Séânkhibrê (Sʿnḫ-jb-Rʿ), « Rê fait vivre le cœur », est en
effet inconnue par ailleurs et a focalisé l’attention des commentateurs du
monument. Séânkhibtaouy était le nom d’Horus de Montouhotep II, dans
la première des trois versions attestées de sa titulature 10. Il n’a pas alors
de véritable nom de couronnement, puisque le titre « roi de Haute et de
Basse-Égypte » est suivi d’un cartouche contenant la mention « fils de Rê
Montouhotep », soit son nom de naissance et l’épithète qui le précède habituellement. On précisera cependant que cette première version de sa titulature n’est gravée que sur trois monuments de Haute-Égypte. À noter qu’un
fragment de corniche de la chapelle de Montouhotep II à Gebelein porte la
mention d’un nom de couronnement du roi qui n’est pas attesté par ailleurs.
Le souverain y est désigné par le nom d’Horus Netjery-hedjet (nṯry-ḥḏ.t),
qui correspond à la deuxième version de sa titulature, mais son nom de
couronnement, malheureusement partiellement préservé, commence par la
composante inédite sʿnḫ-. Il a été proposé que le nom d’Horus de la première
version de la titulature du roi (Séânkhibtaouy) ait ici été repris, afin de faire
le lien entre les deux premières versions de la titulature royale, mais rien
ne peut le confirmer 11. Une autre hypothèse – tout aussi fragile cependant –
pourrait être de restituer ici Séânkhibrê (sʿnḫ-jb-Rʿ).
Ce nom de couronnement est autrement attesté pour deux rois de la
Deuxième Période intermédiaire : Amenemhat VI de la XIIIe dynastie – mais
ce dernier porte le nom d’Horus Sehertaouy (shr-tȝ.wy) 12 –, et un roi de
la XIVe dynastie dont le nom est connu uniquement grâce au Canon de
Turin 13. Le rapprochement entre l’architrave et la stèle de Héni, ainsi
que l’analyse stylistique et textuelle des deux monuments, conduit
cependant rapidement à éliminer une datation de la Deuxième Période
intermédiaire, pour privilégier la période de la fin de la Première
Période intermédiaire et du début du Moyen Empire 14. Les rois de la
IX-Xe dynastie héraklépolitaine sont mal connus, mais il me semble dif10. Sur la titulature du roi, son évolution et son analyse, voir L. Postel , Protocole des souverains égyptiens
et dogme monarchique au début du Moyen Empire (MRE 10), 2004, p. 134-135 et 319.
11. Ibid., p. 140 et 236, doc. 86b.
12. K.S.B. Ryholt (The Political Situation in Egypt during the Second Intermediate Period c. 1800-1550 B.C.
[CNI Publications 20], 1997, p. 338), suivi par M. Z aki (op. cit., p. 90), propose que le nom d’Horus du roi
puisse alterner entre Seheraouy et Séânkhibrê, en se fondant justement sur le linteau d’Héliopolis.
Mais aucun document sûrement daté du règne d’Amenemhat VI ne vient conforter cette hypothèse.
13. J. von Beckerath, Handbuch der Ägyptischen Königsnamen (MÄS 49), 1999, p. 111.
14. Sur les critères de datation de la stèle, cf. E. Brovarski, « False Doors and history: The First
Intermediate Period and Middle Kingdom », dans D.P. Silverman – W.K. Simpson – J. Wegner (éd.),
Archaïsm and Innovation: Studies in the Culture of Middle Kingdom Egypt, 2009, p. 397-399 et 406 ; sur la
datation de la formule funéraire de l’architrave, cf. A. I lin-Tomich, op. cit.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 37
ficile de retenir une datation de cette dynastie : le fait que la titulature
royale n’ait pas été martelée, alors que le monument, réutilisé durant la
XIIe dynastie, était encore visible, élimine me semble-t-il cette hypothèse 15.
De plus, la structure des deux noms royaux correspond très bien à la
tendance de composition des titulatures durant la XIe dynastie, telle que
Lilian Postel l’a analysée : celui-ci remarque qu’à partir du milieu de cette
dynastie, les noms royaux comprennent régulièrement les composantes
tȝ.wy, « les Deux-Terres » et sʿnḫ, « faire vivre » 16. Enfin, W. K. Simpson a
proposé de considérer le roi mentionné sur l’architrave comme un souverain
inconnu de la fin de la XIe dynastie, l’un de ces rois au nom malheureusement
en lacune dans le Canon de Turin 17. En tout état de cause, l’hypothèse d’un
souverain rival des rois de la nouvelle monarchie unifiée me semble encore
devoir être écartée, puisque le protocole royal a été laissé intact.
Bref, il n’est pas possible de tirer de conclusion claire ou assurée quant à
l’identité et la position chronologique de ce roi Séânkhibtaouy-Séânkhibrê,
mais les hypothèses proposant l’un des rois de la seconde moitié de la
XIe dynastie, ou une titulature inconnue d’Amenemhat Ier 18, sont les plus
vraisemblables. Ceci converge avec l’analyse des critères stylistiques et textuels – qui orientaient vers une datation fin XIe-début XIIe dynastie – et nous
limite donc à la période de soixante-dix à quatre-vingt-dix ans maximum
comprise entre les règnes de Montouhotep II et d’Amenemhat Ier.
Titulatures de Héni et Khéty-ânkh
Le réexamen des martelages sur la stèle permet de rétablir les séquences de
titres relatives à chacun des deux propriétaires successifs du monument. Le
propriétaire originel, Héni, est :
1. « directeur de la Basse-Égypte » ((j)m(y)-r(ȝ) Tȝ-mḥw), ; 2. « prince et
comte » ((j)r(y)-pʿ.t ḥȝty-ʿ) ; 3. « comte » (ḥȝty-ʿ) ; 4. « chef du pays tout entier »
(ḥry-tp n(y) tȝ r-ḏr=f ) ; 5. « grand chef du nome Héqa-ândj-est » (ḥry-tp
15. On notera justement que le protocole du roi Meriibrê/Mérikarê sur les reliefs du tombeau de
Sobekouseri, retrouvés eux aussi à Héliopolis, a été détruit : M. A bd el-Gelil – A. Saadani – D. R aue ,
« Some Inscriptions and Reliefs from Matariya », MDAIK 52 (1996), p. 145-147.
16. L. Postel , op. cit., p. 176-177 et passim ; sur le sens et les implications du verbe sʿnḫ, voir J. R izzo,
« À propos de sʿnḫ, "faire vivre", et de ses dérivés », ENIM 8 (2015), p. 73-101.
17. W.K. Simpson, op. cit. p. 10 ; on notera qu’il avait attribué l’architrave à la Deuxième Période intermédiaire, avant que le rapprochement ne soit fait avec la stèle (D. Franke , loc. cit.).
18. Proposition d’H. Willems , « The First Intermediate Period and the Middle Kingdom », dans
A.B. Lloyd (éd.), A Companion to Ancient Egypt, I, 2010, p. 90.
38 | BSFE 193-194
ʿȝ n Ḥqȝ-ʿnḏ-jȝb) ; 6. « chancelier du roi de Basse-Égypte » (ḫtmty-bjty) ;
7. « directeur de l’audition des jugements » ((j)m(y)-r(ȝ) sḏm.t wḏʿ.t) ;
8. « directeur des connus du roi (?) » (ḫrp rḫw n(y)-sw.t (?)).
Le titre privilégié par Héni dans sa présentation est celui de « directeur
de Basse-Égypte », qui figure dans au moins sept des douze séquences principales de titres de la stèle ; c’est également le seul qui soit gravé sur l’architrave. Apparu sous le règne de Montouhotep II, ce titre est attesté pour
trente-deux dignitaires jusqu’à la fin du Moyen Empire 19. Si les termes qui
le composent évoquent une autorité sur l’ensemble de la Basse-Égypte, il
semble surtout que la fonction a trait aux expéditions, car nombre de « directeurs de la Basse-Égypte » prennent part aux missions envoyées vers la Nubie
et surtout vers le Sinaï. Peut-être parce qu’ils jouaient un rôle dans le recrutement du personnel qui y prenait part.
Héni paraît avoir assumé aussi des fonctions d’ordre judiciaire, en sa qualité de « directeur de l’audition des jugements » 20, titre mentionné immédiatement après une série d’épithètes relatives au même domaine, « celui
qui détermine les lois et qui promeut les fonctions » (dd hpw sḫnt jȝwt) 21.
Le titre le plus surprenant de cette séquence est sans aucun doute celui de
« grand chef du nome Héqa-ândj-est », dont le caractère exceptionnel n’a,
me semble-t-il, pas suffisamment été souligné à ce jour. Nous y reviendrons
en détail plus loin.
Les autres titres de Héni, qu’ils expriment une fonction véritable ou un
rang, confirment le statut élevé du dignitaire dans la hiérarchie de son temps :
les « chefs du pays tout entier » ne sont en effet guère nombreux au Moyen
Empire, et le titre de « directeur des connus du roi (?) », dont la transcription
et la traduction restent incertaines, indique selon D. Franke, l’habilitation par
le roi à un emploi 22. On ne connaît qu’une dizaine de ces directeurs à partir du
début de la XIIe dynastie ; W. Grajetzki souligne qu’au début du Moyen Empire,
19. Le titre a été étudié en détail par D. Stefanovic , dans son ouvrage The Title mr tȝ-mḥw in the Middle
Kingdom Documents (Serbian Archaeological Society Occasional Papers 1), 2000.
20. On peut le rapprocher d’un titre du vizir Montouhotep sous le règne de Sésostris Ier, ḥry-tp n wḏʿ
mdt, « chef des cas jugés » (stèle Caire CG 20539 I, 3).
21. Sur cette épithète, voir A. Bats, « La loi hp dans la pensée et la société du Moyen Empire », Nehet 1
(2014), p. 108-110.
22. W.A. Ward, Index of Egyptian Administrative and Religious Titles of the Middle Kingdom: with a
Glossary of Words and Phrases Used, 1982, no 1156 ; voir aussi D. Franke , Das Heiligtum des Heqaib auf
Elephantine: Geschichte eines Provinzheiligtums im Mittleren Reich (SAGA 9), 1994, p. 56 et W. Grajetzki, Die
höchsten Beamten der ägyptischen Zentralverwaltung zur Zeit des mittleren Reiches: Prosopographie, Titel und
Titelreihen (Achet A2), 2000, p. 70-71 (il y donne la liste des dignitaires qui le portent au Moyen Empire,
à partir de la fin de la XIe dynastie).
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 39
ce sont des fonctionnaires possédant parmi les plus hauts titres de rang 23.
Tous ces indices correspondent bien à ce qu’indiquaient déjà la taille de la stèle
et la qualité de sa réalisation, ainsi que la mention du don de l’emplacement
de la tombe par le roi lui-même sur l’architrave. Autre élément de prestige :
les nombreuses épithètes dont est pourvu Héni sont pour partie identiques
ou très semblables à celles du vizir de Sésostris Ier Montouhotep, sur sa stèle
d’Abydos 24.
Le second propriétaire de la tombe, Khéty-ânkh, conserve – et se réapproprie donc –, la plupart des épithètes ainsi que certains titres (2, 3, 4, 5, 7 et 8)
de la titulature de Héni, mais fait tout de même inscrire les titres suivants, en
lieu et place de ceux de son prédécesseur :
1. « directeur du temple » ((j)m(y)-r(ȝ) ḥw.t-nṯr) ; 2. « directeur des scribes »
((j)m(y)-r(ȝ) sš) ; 3. « prêtre-lecteur en chef » (ẖry-ḥb ḥry-tp) ; 4. « prêtre-sem
et directeur de tous les pagnes royaux » (sm ḫrp šnḏy.t nb.t)25.
Le titre de « directeur du temple » semble correspondre à sa fonction
principale ou à celle qu’il juge la plus importante, puisqu’il apparaît dans cinq
des douze séquences de titres et est repris sur l’architrave. Les titres qui lui
sont propres sont dans l’ensemble très nettement orientés vers le domaine
du temple et il y a donc une nette différence de profil de carrière par rapport à Héni. On constate cependant qu’il ne porte pas le titre de « grand des
voyants » (wr mȝw), qui caractérise habituellement le grand-prêtre de Rê à
Héliopolis. De quel temple assume-t-il alors la direction ? Quant aux titres de
Héni conservés dans les séquences de Khéty-ânkh, ils correspondent pour la
plupart à des titres exprimant le prestige du personnage et n’étaient peutêtre pas considérés comme de véritables titres de fonction, en tout cas au
moment de l’usurpation de la stèle.
Héni, « grand chef du nome Héqa-ândj-est » (ḥry-tp ʿȝ n Ḥqȝ-ʿnḏ-jȝb)
J’ai mentionné plus haut le fait que le titre de « grand chef du nome Héqaândj-est » porté par Héni est exceptionnel. Tout d’abord, parce que c’est la
23. Ibid.
24. Six sur quinze (si l’on n’inclut pas les mentions de jmȝḫ et ses variantes). Sur la stèle de
Montouhotep Caire CG 20539, cf. traduction et ensemble de la bibliographie dans Cl. Obsomer, Sésostris I.
Étude Chronologique et historique du règne (Connaissance de l’Égypte ancienne 5), 1995, p. 521-531 (doc. 27).
Pour la translittération et traduction des épithètes de Héni ainsi que les références les concernant,
cf. W.K. Simpson, op. cit., p. 18-19.
25. Il s’agit d’un titre d’accompagnement qui apparaît très régulièrement après le titre de ẖry-ḥb ḥry-tp.
40 | BSFE 193-194
seule attestation du titre de « grand chef de nome » (ḥry-tp ʿȝ + nome) pour
un nome du Delta. Toutes les attestations qui en sont connues depuis la fin de
l’Ancien Empire sont en effet en relation avec des nomes de la vallée du Nil
uniquement – depuis les origines, la gestion administrative des provinces de
la Vallée et du Delta diffère 26.
Ce titre de « grand chef de nome » apparaît lors de la dernière réforme de
l’administration provinciale de l’Ancien Empire, fin Ve-début VIe dynastie. Il
est généralement traduit par « nomarque », même si plusieurs chercheurs
ont montré que d’autres dignitaires, avant l’apparition de ce titre, avaient
pu exercer des responsabilités sur l’ensemble d’un nome, ou qu’au contraire
ce titre ne recouvrait pas toutes les charges relatives à une seule et même
région 27. Il n’est d’ailleurs pas attesté pour l’ensemble des nomes de Haute et
Moyenne-Égypte à l’Ancien Empire et l’on a de toutes les façons trop souvent­
considéré qu’il existait un système uniforme de gestion de l’ensemble des
provinces, ce que les recherches récentes ont largement remis en cause.
Pendant le Moyen Empire, en particulier durant la première moitié de la
période, le titre de « grand chef de nome » est encore en usage. Son emploi
décroît puis disparaît à partir du règne de Sésostris III 28. Là encore, il n’est pas
utilisé, dans l’état actuel des sources, en relation avec des nomes de BasseÉgypte. Le titre de Héni constitue donc une exception remarquable – signalons cependant que les sources concernant le Delta pour l’Ancien et le Moyen
Empires sont très lacunaires –, exception que l’on retrouve seulement sous
forme de titre honorifique à la XVIIIe puis à la XXVIe dynastie. Le héraut royal
Râ, qui exerça vraisemblablement des fonctions diplomatiques à l’étranger au
milieu de la XVIIIe dynastie avant d’être intégré à l’administration civile, portait en effet le titre de « grand chef de Héqa-ândj » 29. Deux autres exemples
de l’usage du titre « grand chef de nome » sont attestés à la XVIIIe dynastie ;
ils concernent toujours des nomes de la vallée du Nil qui avaient été dirigés
par de tels dignitaires à l’Ancien ou au Moyen Empires 30. Peut-être faut-il
26. H. Willems , Les Textes des Sarcophages et la démocratie. Éléments d’une histoire culturelle du Moyen
Empire, 2008, p. 5-36 ; J.C. Moreno Garcia , « The Territorial Administration of the Kingdom in the
3rd Millenium », dans id. (éd.), Ancient Egyptian Administration (HdO 104), 2013, p. 85-152.
27. H. Willems, op. cit. ; J.C. Moreno Garcia, op. cit.
28. P. Tallet, Sésostris III et la fin de la XIIe dynastie, 2005, p. 86-88.
29. Modèle de sarcophage en calcaire (Caire CG 48483) : pour l’ensemble des références, se reporter à
D. R aue , Heliopolis und das Haus des Re: eine Prosopographie und ein Toponym im Neuen Reich (ADAIK 16), 1999,
p. 224-226.
30. Au milieu de la XVIIIe dynastie, Iamou-Nefer est « prince, gouverneur, nomarque de Ounet (XVe
nome de Haute-Égypte), scribe des offrandes royales de Thot maître d’Hermopolis ((j)r(y)-pʿ.t ḥȝty-ʿ
ḥry-tp ʿȝ n(y) Wnt, sš-ḥtpw-nṯr n(y) Ḏḥwty nb Ḫmnw) sur la statue BM 1782 (I.E.S. Edwards, Hieroglyphic
texts from Egyptian stelae, VIII, 1939, pl. 2-3). Sur ce dignitaire, voir A.P. Zivie , « Une statue stéléphore au
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 41
y voir une coquetterie archaïsante chez certains responsables provinciaux.
L’administration provinciale n’était en tout cas plus, à cette époque, gérée par
des personnages portant ce titre. Durant la période saïte enfin, un dignitaire
nommé Paouenhatef, enterré aux environs de l’actuel quartier de Fostat, portait le titre de « grand chef de Héqa-ândj » (ḥry-tp ʿȝ Ḥqȝ-ʿnḏ) 31. Là encore, on
connaît bien le goût des dignitaires de l’époque saïte pour les titres anciens.
Il est à remarquer qu’au Moyen Empire, des régions qui n’avaient jamais
eu de « grand chef de nome » auparavant ont pu s’en voir attribuer. L’exemple
typique est celui de Sarenpout, pourvu par Sésostris Ier de ce titre pour le
Ier nome de Haute-Égypte, une région hautement stratégique au moment où le
roi se lance à la conquête de la Basse-Nubie 32. Pourrait-on observer le même
phénomène dans le cas de Héni, puisque la frange orientale du Delta, à la tête
de laquelle il se trouvait, était justement une zone sensible ?
Le découpage de la frange orientale du Delta à l’Ancien
et au Moyen Empire
Le nome dans lequel Héni exerce ses fonctions est nommé Héqa-ândj-iab
(Ḥqȝ-ʿnḏ-jȝb) sur la stèle, un toponyme qui a été lu soit « l’est du nome Héqaândj » – qui était le XIIIe nome de Basse-Égypte dans la nomenclature classique avec Héliopolis pour ville principale –, soit « le nome Héqa-ândj et le
nome de l’Orient », ce qui traduirait l’autorité de Héni sur deux nomes de
l’est du Delta33. Un toponyme Iab-Héqa-ândj (Jȝb-Ḥqȝ-ʿnḏ) est connu dès
l’Ancien Empire et c’est donc l’occasion ici de réexaminer le découpage de la
frange orientale du Delta, qui a constamment changé depuis l’époque thinite.
Malheureusement, les sources permettant de reconstituer son évolution sont
fort peu nombreuses.
Les sources thinites ou se référant à cette époque, comme les Annales
de la Ve dynastie, présentent très tôt une vision d’un Delta scindé en deux
grandes zones géographiques 34, l’est et l’ouest 35. Les « nomes de l’ouest » sont
nom d’Imaounefer d’Hermopolis Magna », BIFAO 75 (1975), p. 321-342. Enfin, un Montouherkhepeshef
sous Thoutmosis III est « nomarque dans la Haute-Égypte, nomarque de Ouadjet (Xe nome de HauteÉgypte) (ḥry-tp ʿȝ m Šmʿ, ḥry-tp ʿȝ n(y) Wȝḏt) d’après les peintures de sa tombe de Dra Abou el-Naga
(TT 20 : N. De G. Davies, Five Theban Tombs [EEF Archaeological Survey 21], 1913, pl. VIII).
31. A. H amada, « Tomb of Pawen-Hatef at Al-Fostât », ASAE 37 (1937), p. 135-142 ; J. Yoyotte , « Prêtres
et sanctuaires du nome héliopolite à la Basse-Époque », BIFAO 54 (1954), p. 115.
32. N. Favry, Le Nomarque sous le règne de Sésostris Ier (IEA 1), 2004, p. 301-303.
33. D’après D. Franke , cité par W.K. Simpson, op. cit., p. 14 et 18.
34. J.C. Moreno Garcia, « Administration territoriale et organisation de l’espace en Égypte au troisième millénaire avant J.-C. (V) : gs-pr », ZÄS 126 (1999), p. 119 s.
35. Les « nomes de l’ouest » sont sans doute déjà mentionnés dans une inscription rupestre de Djer au
42 | BSFE 193-194
mer Méditerranée
mer Méditerranée
Bouto
Bouto
Xoïs
Xoïs
Saïs
Mendès
Mendès
Saïs
Bousiris
Imet
Bousiris
Imet
XIV
XIV
Kom el-Hisn
Kom el-Hisn
Étendue
maximale
des lacs
Étendue
maximale
deslittoraux
lacs littoraux
etet
marais
à l’époque
dynastique
marais
à l’époque
dynastique
Boubastis
Gezira (sable)
Gezira (sable)
Athribis
Cordon littoral sableux
XIII
Athribis
Boubastis
Ouadi Toumilat Ouadi Toumilat
XIII
Cordon littoral sableux
Trait de côte actuel
Trait
côte
actuel
Trait
dede
côte
entre
4000 et 3000 av.
J.-C.
XIII
XIV
XIII
XIV
0
0
Trait de côte entre 4000 et 3000 av.
Nomes
J.-C. Héqa-ândj et Khentet-Iab
Nomes Héqa-ândj et Khentet-Iab
Létopolis
Héliopolis
Létopolis
Héliopolis
50 km
mer
Rouge
50 km
Fig. 6 Carte du Delta (Carte réalisée d’après K.W. Butzer, Early Hydraulic Civilization in Egypt, 1976,
p. 24, fig. 4 et id., « Geoarchaeological Implications of Recent Research in the Nile Delta »,
dans E.C.M. Van den Brink – T.E. Levy [éd.], Egypt and the Levant. Interrelations from the 4th
through the Early 3rd Millenium B.C.E., 2002, p. 88, fig. 4.5)
aussi mentionnés sur une empreinte de sceau datant du règne de Djoser à la
IIIe dynastie et retrouvée dans une tombe de Beit Khallaf 36. « L’Ouest » devient
ensuite la dénomination de l’une des grandes régions de l’ouest du Delta, le
IIIe nome de Basse-Égypte, et « l’Est » semble aussi désigner, comme nous le
verrons, un nome de l’est du Delta durant l’Ancien Empire. L’intérêt des tout
ouadi Ameyra (Sinaï) : P. Tallet, La Zone minière pharaonique du Sud-Sinaï (MIFAO 132/2), 2015, p. 23-27,
doc. 306, pl. 32. Deux empreintes de sceau datant du règne de Den, retrouvées dans la tombe de sa mère
Merneith à Umm el-Qa’ab, mentionnent un ou des pressoirs à vin, situés « au nord », dans les « nomes/
bassins de l’ouest » et les « nomes/bassins de l’est » (IÄF III, 238-239). L’interprétation à donner au signe
qui ressemble au hiéroglyphe spȝt de l’Ancien Empire n’est pas complètement assurée. Correspond-il
déjà à la valeur spȝt et à la désignation d’une région ? Le symbole de l’est apparaît également sur deux
autres empreintes datant du même règne (IÄF III, 121 et 148). Enfin, une case-année se référant au règne
de Den dans les Annales de la Ve dynastie conserve la mémoire de « l’organisation des terres agricoles
du nord-ouest et des habitants de l’est » (ro, l. 3, x+4) : T.A.H. Wilkinson, Royal Annals of Ancient Egypt.
The Palermo Stone and its Associated Fragments, 2000, p. 108-110.
36. IÄF III, 319.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 43
premiers souverains égyptiens pour la frange orientale du Delta pourrait être
lié à une volonté de réorganisation à leur profit des échanges déjà anciens
et intenses avec la zone syro-palestinienne 37. Dès les origines également, il
semble que la fondation de grands domaines royaux fut un moyen d’encourager la colonisation agricole de l’est et de l’ouest du Delta. La production de
vin et l’élevage étaient déjà des spécificités de ces deux régions 38.
Quant aux premières occurrences de noms de nomes, elles apparaissent
vraisemblablement sur des empreintes de sceau de la IIe dynastie – en particulier parmi les milliers de fragments d’empreintes retrouvés dans la tombe
de Khasekhemouy à Umm el-Qa’ab (Abydos) 39. Ces signes ont en effet le même
aspect que les dénominations de nomes mieux connues à partir du début de
l’Ancien Empire : un emblème sur un pavois, qui peut être régulièrement
accompagné de ce qui ressemble au signe hiéroglyphique-sepat
, traduit
par convention « nome » dans la littérature égyptologique. Il semble donc
bien que des régions aient été reconnues dès la naissance de l’État égyptien
– quelle que soit, et je ne rentre pas ici dans ce débat, la réalité administrative
qu’il faille y reconnaître.
Toutefois, ce découpage de la Basse-Égypte à partir de la IIe dynastie en
différents districts ou entités administratives – au nombre de seize à l’Ancien
comme au Moyen Empire –, n’empêche pas la reconnaissance de grandes
régions dans le Delta (ouest, centre et est), comme on le constate à l’analyse
de certaines titulatures de dignitaires de l’Ancien Empire 40 ou de plusieurs
passages des Textes des Pyramides. Ainsi dans le Spruch 224, une invocation
appartenant au rituel des insignes : « une offrande royale consistant en tous
tes (le roi) insignes dans toutes tes places, ton sceptre-nehebet étant en tête
des vivants, ton bâton à la tête des akhou, c’est Anubis à la tête de ceux de
l’ouest, c’est Andjeti à la tête des nomes de l’est » 41. Il s’agit ici de désigner
37. T.A.H. Wilkinson, Early Dynastic Egypt, 1999, p. 139-140, 363-364.
38. J.C. Moreno Garcia, « Ḥw.t-jḥ(w)t, the administration of the Western Delta and the ‟Libyan question” in the Third millenium BC », JEA 101 (2015), p. 25-61.
39. E.-M. E ngel , « Die Entwicklung des Systems der ägyptischen Nomoi in der Frühzeit », MDAIK 62
(2006), p. 154. On y note même déjà ce qui semble être la personnification d’un nome.
40. Ouserkafânkh, sous le règne de Niouserrê, était ainsi « directeur des nomes de la Basse-Égypte dans
ses deux bordures » ((j)m(y)-r(ȝ) spȝ.wt Tȝ-mḥw m gs.wy-pr) et « supérieur des secrets des portes des
pays étrangers dans les deux bordures » (ḥry-sštȝ n(y) rȝ-ȝw ḫȝs.wt m gs.wy-pr) : voir les remarques de
J.C. Moreno Garcia sur ces gs.wy-pr, dans son article « La gestion des aires marginales : pḥw, gs, ṯnw,
sḫt au IIIe millénaire », dans A. Wood – A. McFarlane – S. Binder (éd.), Egyptian Culture and Society, Studies
in Honour of Naguib Kanawati (CASAE 38/II), 2010, p. 55-56.
41. ḥtp dj n(y)-sw.t m sʿḥ=k nb m s.wt=k nb nḥb.t=k ḫnt ʿnḫ.w mdw=k ḫnt ȝḫ.w Jnpw js ḫnt Jmntyw, ʿnḏty
js ḫnt spȝ.wt jȝbt.(yw)t (PT 224 ) ; J.P. Allen, The Ancient Egyptian Pyramid Texts (Writing from the Ancient
World 23), 2005, p. 28 (W135). Le spruch 650 livre une formule semblable (ibid., N319, p. 264).
44 | BSFE 193-194
la totalité de la Basse-Égypte par l’énumération de ses deux moitiés, objectif
qui peut également être atteint en citant uniquement deux des nomes des
franges occidentale et orientale, puisque dans le Spruch 222 le pouvoir est
donné au roi sur l’ensemble du pays par la formule « Tu gagneras contrôle
sur ton corps, sans adversaire, car tu es né en tant qu’Horus et tu as été conçu
pour Seth, après t’être purifié dans le nome L’Ouest et avoir reçu ta pureté
dans le nome Héqa-ândj, auprès de ton père Atoum » 42.
Venons-en maintenant au découpage de la frange orientale. Durant
l’Ancien Empire, cinq toponymes distincts s’appliquent à cette région
(cf. ci-après Tableau 1) : Héqa-ândj (Ḥqȝ-ʿnḏ) ; Iab-Héqa-ândj (Jȝb-Ḥqȝ-ʿnḏ) ;
Iab (Jȝb) ; Iab-peh (Jȝb-pḥ) ; Khentet-iab (Ḫntt-jȝb). Ils traduisent tâtonnements, évolutions et recompositions… phénomènes logiques, le Delta
étant alors une région en pleine colonisation agricole, dont la géographie a
constamment évolué. On se souviendra en particulier que la côte méditerranéenne n’a cessé de progresser vers le nord dans la partie orientale du
Delta durant toute l’Antiquité et le Moyen Âge 43. Plusieurs propositions ont
été faites quant à la localisation de ces divers toponymes de la frange orientale, leur évolution et les relations qui existaient entre eux 44. On se réfère
généralement à celle de H.G. Fischer, mais il me semble que certaines de ses
conclusions peuvent être révisées.
Héqa-ândj apparaît dès le règne de Snéfrou dans la liste de domaines,
classés par nomes, du temple de la pyramide rhomboïdale de Dahchour 45.
Il n’est employé qu’à trois reprises à l’Ancien Empire, uniquement dans des
sources royales. Iab-Héqa-ândj est attesté également par trois fois durant cette
période, mais dans des sources de nature plus variée : titulature d’un dignitaire,
42. sḫm=k m ḏ.t=k n jmy-rd=k ms=k m Ḥr jwr=k n Stẖ wʿb~n=k m Jmnt sšp~n=k ʿ wʿb=k m Ḥqȝ-ʿnḏ
ḫr jt=k ḫr Tm (PT 222) ; ibid., W155, p. 40.
43. B. M arcolongo, « Évolution du paléo-environnement dans la partie orientale du Delta du Nil
depuis la transgression flandrienne (8000 BP) par rapport aux modèles de peuplements anciens »,
CRIPEL 14 (1992), p. 23-31 ; J.-D. Stanley, « Configuration of the Egypt-to-Canaan Coastal Margin and
North Sinai Byway in the Bronze Age », dans E.C.M. Van den Brink – T.E. Levy (éd.), Egypt and the Levant,
2002, p. 98-117 ; K.W. Butzer , « Geoarcheological Implications of Recent Research in the Nile Delta »,
dans id., ibid., p. 83-97.
44. H.G. Fischer , « Some Notes on the Easternmost Nomes of the Delta in the Old and Middle
Kingdoms », JNES 18 (1959), p. 129-142 ; H. G oedicke , « Two lost Old Kingdom ostraca », dans Festschrift
zum 100-jährigen Bestehen der Papyrussammlung der Österreichischen Nationalbibliothek. Papyrus Erzherog
Rainer (P. Rainer Cent.), 1983, p. 159-164 ; H. Jacquet-G ordon, Les Noms de domaines funéraires sous l’Ancien
Empire égyptien (BdE 34), 1962, p. 109-113 ; L. Postel – I. R égen, « Annales héliopolitaines et fragments de
Sésostris Ier réemployés dans la porte de Bâb al-Tawfiq au Caire », BIFAO 105 (2005), p. 239-241.
45. Se référer aux tableaux 1 et 2 pour les références de toutes les attestations citées.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 45
listes de domaines royaux et privés. C’est en réalité Iab, « L’Est », qui est le
toponyme le plus souvent attesté à l’Ancien Empire, là aussi dans des sources
à la fois royales et privées. Quant à Iab-peh, « l’Est d’aval », son usage est limité
à la IVe dynastie. Enfin Khentet-iab, « le front de l’Est » n’apparaît qu’au début
de la Ve dynastie, dans les sources royales et privées.
Au Moyen Empire, on assiste dès le règne de Sésostris Ier, sur la Chapelle
blanche de Karnak, à une certaine fixation du « canon géographique » égyptien, tel qu’il est ensuite repris et enrichi durant toute l’époque pharaonique
(cf. Tableau 2). À partir de son règne, seuls les nomes Héqa-ândj et Khentet-iab
trouvent leur place – jusqu’aux versions tardives d’époque gréco-romaine –
dans la liste canonique des nomes d’Égypte. Les toponymes Iab et Iab-Héqaândj disparaissent donc après le règne d’Amenemhat Ier.
L’analyse de cette documentation me semble favoriser les hypothèses
suivantes :
– Iab-Héqa-ândj et Héqa-ândj seraient deux désignations équivalentes.
Elles n’apparaissent en effet jamais ensemble dans la documentation, comme
cela aurait sans doute été le cas si, comme le suggère H.G. Fischer, Iab-Héqaândj désignait la partie orientale d’un nome plus grand nommé Héqa-ândj. Ces
découpages de grands nomes en deux sous-ensembles sont bien attestés dans
la documentation égyptienne. Ils peuvent se présenter sous trois formes :
l’ajout de « moitié orientale » (gs jȝbty) ou « moitié occidentale » (gs jmnty)
avant la désignation proprement dite du nome 46 ; l’ajout de « amont » ou
« aval » (ḫnt.t ou pḥ) après ce nom 47 ; enfin l’ajout de « nord » (mḥtyt) ou « sud »
(rsyt), toujours après le nom du nome 48. La désignation Iab-Héqa-ândj diffère
donc du schéma habituel. On notera que sur la stèle de Héni la mention des
deux composantes est inversée dans le toponyme Héqa-ândj-Iab. Je ne crois
cependant pas à la mention de deux nomes différents sur un même signe sepat
comme le propose D. Franke, mais plutôt à une erreur d’interprétation d’un
toponyme ancien.
– Considérons maintenant le tandem Iab et Iab-peh (« L’Est » et « L’Est
d’aval ») : ces deux toponymes apparaissent côte à côte dans le testament
de Nikaourê, durant le règne de Mykérinos. Certains des domaines légués
par le dignitaire à des membres de sa famille se situaient en effet dans ces
deux régions. La structure du toponyme Iab-peh, « L’Est d’aval », trouve des
parallèles bien attestés pour d’autres nomes (cf. supra). Il désigne sans trop
46. Ainsi gs jȝb(ty) Ḥwww et gs jmn(ty) Ḥwww, le harpon de l’est et le harpon de l’ouest, pour les VIIe
et VIIIe sepat de Basse-Égypte.
47. Pour les XIIIe-XIVe nomes et XXe-XXIe nomes de Haute-Égypte par exemple.
48. Voir la désignation des IVe et Ve nomes de Basse-Égypte.
46 | BSFE 193-194
de doute la partie la plus septentrionale du nome Iab. Sa disparition après la
IVe dynastie, et le fait qu’à la Ve dynastie apparaisse le toponyme Khentet-iab
semblent autoriser à postuler le détachement de la partie nord du nome, qui
formerait dès lors une entité administrative distincte. D’une dénomination
« L’Est d’aval », on passerait donc à l’appellation « le glacis » ou « le front de
l’Est » pour reprendre la traduction proposée en son temps par J. Yoyotte
pour Khentet-iab, qui exprime parfaitement la position frontalière du nome.
Cette autonomisation pourrait avoir été
causée par l’extension naturelle de la
région et la colonisation agricole qui s’y
accéléra, comme en témoigne la fondation
de domaines attribués à des temples sous
Sahourê, mais surtout sous Neferirkarê
durant la Ve dynastie. Sous ce dernier
règne, l’une des cases-années de la Pierre
de Palerme indique la fondation d’un
domaine de 3 aroures dans le Ier nome de
Basse-Égypte, de 10 aroures dans le nome
Iab, et de pas moins de 352 aroures dans
« le front de l’Est » 49.
– La question des relations entre les
toponymes Héqa-ândj, Iab-Héqa-ândj et
Iab demeure la plus complexe. Iab-Héqaândj et Iab sont nommés conjointement
dans une liste de domaines du mastaba de
Sabou à la VIe dynastie. Héqa-ândj et Iab
apparaissent ensemble uniquement sur la
liste de nomes de l’autel d’Amenemhat Ier
au début du Moyen Empire. Faut-il considérer alors que Héqa-ândj et Iab étaient
deux entités complètement différentes
ou bien que Héqa-ândj était une partie
de Iab ? C’est ce dernier parti que prend
H. Jacquet-Gordon, qui lit Iab-Héqa-ândj
Fig. 7 Représentation de Héni dans
« Héqa-ândj (qui est dans) l’Orient » 50.
la partie inférieure droite de sa stèle : il tient
un arc et une hache (photo Cl. Somaglino)
La liste de l’autel d’Amenemhat Ier serait
49. Verso IV, 3 : Urk. I, 246, 12-247, 4 ; T.A.H. Wilkinson, Royal Annals of Ancient Egypt. The Palermo Stone
and its Associated Fragments, 2000, p. 172-176.
50. H. Jacquet-G ordon, op. cit., p. 110.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 47
le seul document qui puisse s’opposer à une telle reconstitution, puisque
chacune des deux régions y est personnifiée de manière distincte, les deux
personnifications étant même séparées par un autre nome alors que les
deux parties d’un même nome apparaissent généralement l’une à la suite
de l’autre. Ce monument est cependant plus tardif et reflète peut-être la
phase de réorganisation qui aboutit avec le règne de Sésostris Ier à un nouveau schéma.
– Le scénario d’une grande région Iab des origines, qui se scinde en une
région Khentet-Iab de petite superficie et une grande région Iab, comprenant
elle-même une subdivision Héqa-ândj, aurait l’avantage de ne pas trop dénoter
par rapport au schéma à deux régions finalement établi sous Sésostris Ier :
une grande région Héqa-ândj et une petite région Khentet-iab (si l’on suit les
chiffres donnés sur la Chapelle blanche). Le changement de dénomination
reste quant à lui inexplicable à ce stade. Héqa-ândj, dont la traduction pose
problème, fut peut-être jugé plus prestigieux ou davantage en relation avec
des thématiques royales et religieuses. Cette grande région Iab puis Héqa-ândj
occupait une zone à l’est d’Héliopolis et s’étendait au moins jusqu’à Boubastis
– comme en atteste entre autres la mention de Bastet parmi les divinités de la
région sur la Chapelle blanche – et à l’entrée du Ouadi Toumilat. La principale
ville de la région est en tout cas Héliopolis, qui diffuse dans toute la frange
orientale du Delta le culte de Rê-Atoum 51. Ce grand ensemble occupait ainsi
une position stratégique pour la défense de l’Égypte et les échanges avec le
Sinaï et la Syrie-Palestine.
La seule source qui permette de se faire une idée de la nature de IabHéqa-ândj est la tombe de Nésout-Nefer à Giza à la IVe dynastie. Nésout-Nefer
assumait d’importantes responsabilités dans trois nomes égyptiens : Ta-our
et Ouadjet dans la vallée du Nil, Iab-Héqa-ândj en Basse-Égypte. Si pour les
deux nomes de la Vallée, il porte la même séquence de titre, en relation avec
les grands domaines royaux et leur personnel 52, pour Iab-Héqa-ândj, il est
« directeur des fortins, des déserts et de la forteresse royale » ((j)m(y)-r(ȝ)
rtḥ.w zmy.wt mnnw-n(y)-sw.t). Ceci montre parfaitement bien la position
stratégique de cette zone sur la frontière orientale de l’Égypte, à un endroit
pourvu d’un système de fortification protégeant l’accès du pays. Il s’agit sans
doute de l’entrée du Ouadi Toumilat, l’une des deux voies de passage privilégiées entre le Delta et le Sinaï.
51. M. Bietak, Tell el-Dab’a, II, Der Fundort im Rahmen einer archäologisch-geographischen Untersuchung über
das ägyptische Ostdelta (ÖAW IV), 1975, p. 157.
52. jmy-rȝ : swnw.w, nswtyw, wp.t, sšm-tȝ, ḥqȝ ḥw.t-ʿȝ.t (directeur des tours-sounou, directeur des colons
royaux, directeur de mission, administrateur, directeur d’un grand domaine royal).
48 | BSFE 193-194
Héni, à l’orée du Moyen Empire, pourrait lui aussi avoir joué un rôle dans
la défense du territoire ou dans les expéditions qui partaient de la région
d’Héliopolis. On se souvient qu’il est « directeur de la Basse-Égypte », un titre
qui est régulièrement porté par des dignitaires participant aux expéditions.
Or, une piste part justement d’Héliopolis pour gagner le fond du golfe de
Suez. Elle était utilisée dès le Moyen Empire au moins si l’on en croit le graffito d’un grand-prêtre d’Héliopolis de la XIIe dynastie, Nebou-Kaou-Rê, situé
au Ouadi al-‘Anqabiya ar-Rawiyana, à 22 km sur la route Le Caire-Suez 53. On
pouvait également facilement rejoindre depuis Héliopolis la zone de Boubastis
puis l’entrée du Ouadi Toumilat pour gagner le Sinaï 54.
Deux éléments supplémentaires pourraient renforcer l’idée d’une participation de Héni à des opérations vers les marges orientales de l’Égypte : il
est représenté, en bas à droite de sa stèle, portant un arc et une hache (fig. 7) ;
l’une de ses épithètes indique qu’il est « celui qui pacifie les Héryou-sha » (sgrḥ
ḥry.w-šʿ), et une autre, malheureusement lacunaire, faisait allusion au fait de
répandre la crainte du roi dans les pays étrangers (col. 8) 55.
L’épithète relative aux Héryou-sha, peuples du sud de la Palestine ou seminomades du Sinaï 56, n’est attestée par ailleurs que dans la stèle abydénienne
du vizir Montouhotep sous Sésostris Ier. On notera également que l’est du
Delta a régulièrement fourni des troupes pour des expéditions en Nubie : un
« connu du roi » (rḫ-n(y)-sw.t) originaire de Iab-peh y mène une expédition
sous la IVe dynastie qui aboutit à la capture de 17 000 hommes d’après un
graffito de Khor el-Aqiba ; une autre inscription rupestre, datant cette fois de
l’an 41 de Montouhotep II, mentionne la présence d’un « commandant (ḫrp)
dans Heqa-ândj » dans la région d’Assouan.
Titres, épithètes et iconographie me semblent constituer un faisceau d’indices solides pour proposer la participation de Héni soit à des expéditions
vers les mines et carrières, soit à des campagnes militaires contre des populations de l’est de l’Égypte qui menaçaient potentiellement la frontière. Ce
53. PM IV, 73 ; R. Engelbach – T.C. Townsend, « A XIIth dynasty inscription near the Cairo-Suez road »,
ASAE 33 (1933), p. 1-5. Des repérages effectués par P. Tallet et G. Castel montrent qu’il y avait aussi une
carrière à proximité (communication personnelle de P. Tallet).
54. Un canal reliait semble-t-il dès les époques anciennes la ville d’Héliopolis à l’Est du Delta. Il est
connu sous le nom de canal-Ity dans les sources (pour un résumé, cf. P. Grandet, Le Papyrus Harris I
[BdE 109/2], 1994, p. 122-125).
55. W.K. Simpson, op. cit., p. 16 et 19.
56. P. de M iroschedji, « Egypt and Southern Canaan in the Third Millennium BCE: Uni’s Asiatic
Campaigns Revisited », dans M. Gruber et al. (éd.), All the Wisdom of the East. Studies in Near Eastern
Archaeology and History in Honor of Eliezer D. Oren (OBO 255), 2012, p. 265-292.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 49
rôle aurait pu justifier la dévolution quelque peu exceptionnelle par le roi du
titre de « grand chef de nome » à Héni, un dignitaire à coup sûr fort important, si l’on en juge par la taille et la qualité de sa stèle, dans une tombe dont
l’emplacement avait été choisi par le souverain lui-même.
La menace sur la frontière orientale est en tout cas évoquée à plusieurs
reprises, en particulier dans des textes littéraires ayant pour cadre narratif
la fin de la Première Période intermédiaire ou le début du Moyen Empire,
comme l’Enseignement pour Mérikarê et la prophétie de Néferty – Néferty
est d’ailleurs présenté comme « un savant de l’Est 57, celui qui appartient à
[Ba]stet à son lever, un enfant du nome Héqa-ândj » 58 et indique que dans les
temps de confusion, « le nome de Héqa-ândj ne sera plus sur terre, la place
de naissance de tous les dieux » 59. Ces deux textes sont certes à manipuler
avec précaution, d’autant qu’ils pourraient avoir été composés à la fin du
Moyen Empire ou au début de la XVIIIe dynastie 60. D’autres sources évoquent
la construction d’un dispositif de sécurisation de la frontière orientale sous
le règne d’Amenemhat Ier, les fameux « murs du Prince » faits pour repousser
les Asiatiques, que franchit nuitamment l’infortuné Sinouhé lors de sa fuite 61.
Ce ou ces forteresses devaient se situer dans les environs du Ouadi Toumilat.
Peut-être bien là où Nésout-Nefer, en son temps, était directeur de la forteresse royale et des fortins de Iab-Héqa-ândj. Drôle de coïncidence… mais les
coïncidences existent-elles vraiment ?
English abstract
During excavations at Heliopolis in the 1980s, a stele and an architrave belonging to an
official named Heni were found. They seem to date from the end of the First Intermediate
Period or the very beginning of the Middle Kingdom, a period for which very little
documentation from Lower Egypt is known. These monuments were usurped by a
Khety-ankh at the beginning of the XIIth dynasty. The quality of the monuments, the
inclusion of an otherwise unknown royal titulature, as well as the titles of Heni and the
name of the region where he performed his duties, Heqa-andj-east in the eastern part
of the Delta, are all exceptional.
57. Déterminé ici par le signe de la section de terrain irrigué
(N23) et le signe du désert
(N25).
58. rḫ-ḫ.t pw n jȝb n(.y)-sw [Bȝ]s.t m wbn=s msw pw n(y) Ḥqȝ-ʿnḏ (pErmitage 1116B, l. 17).
59. nn wn Ḥqȝ-ʿnḏ r tȝ msḫn.t n(y).t nṯr nb (pErmitage 1116B, l. 57).
60. Pour les références sur la datation de ces textes et une nouvelle analyse plutôt en faveur du début
de la XVIIIe dynastie, cf. A. Stauder , Linguistic Dating of Middle Egyptian Literary Texts (Lingua Aegypa
Studia Monographica 12), 2013, p. 175-200 et 337-434.
61. Conte de Sinouhé, B17 et R42-43 ; Prophétie de Néferty, E66.
50 | BSFE 193-194
Tableau 1. La frange orientale du Delta à l’Ancien Empire
Héqa-ândj
(Ḥqȝ-ʿnḏ)
Iab-Héqa-ândj
(Jȝb ḥqȝ-ʿnḏ)
Iab
(Jȝb)
Iab-peh
(Jȝb pḥ(.t))
Khentet-iab
(Ḫntt-jȝb)
Défilé de
domaines du
temple bas
de Snéfrou 61
IVe dynastie
Domaines du testament de Nikaourê (Mykérinos ?) 62
Titres de NésoutNefer, Giza, fin
IVe dynastie 63
Inscription
rupestre au
nord de Khor
el-Aqiba 64
Ve dynastie
Liste de domaines
du temple
funéraire de
Sahourê 65
Annales de la
Ve dynastie
Domaines
de Sahourê
Annales de la
Ve dynastie
Domaines
de Sahourê 66
Annales de la
Ve dynastie
Domaines
de Néferirkarê
Annales de la
Ve dynastie
Domaines
de Néferirkarê 67
Liste de domaines
de l’autel du
temple bas de
Niouserrê 68
Liste de domaines
de l’autel du
temple bas de
Niouserrê ?
PT 211c (sp. 222) :
Ounas et Pépi I
VIe dynastie
Liste des domaines du mastaba
de Sabou, Saqqara 69
Liste des domaines
du mastaba
de Khnoumty,
Giza (Téti ?) 70
Liste des domaines
du mastaba de
Khnoumty,
Giza (Téti ?)
Liste des domaines
du mastaba de
Méhou, Saqqara
(Téti-Pépi II) 71
Liste des domaines
du mastaba de
Méhou, Saqqara
(Téti-Pépi II)
Liste de domaines
du mastaba de
Hézi, Saqqara 72
61. A. Fakhry, The Monuments of Sneferu at Dahshur, II, 1961, p. 50, pl. 24 ; H. Jacquet-G ordon, Les Noms des
domaines funéraires sous l’Ancien Empire égyptien (BdE 34), 1962, p. 135.
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta… | 51
Tableau 2. La frange orientale du Delta au Moyen Empire
Héqa-ândj
(Ḥqȝ-ʿnḏ)
Iab-Héqa-ândj
(Jȝb ḥqȝ-ʿnḏ)
Iab
(Jȝb)
Khentet-iab
(Ḫntt-jȝb)
XIe dynastie
Tombe de Héni,
Héliopolis. Début
Moyen Empire
Inscription rupestre
entre Shellal et Assouan,
XIe dynastie,
Montouhotep II, an 41 73
Tombe de Horhotep,
Thèbes-ouest (TT 314),
XIe dynastie (=PT 211c) 74
XIIe dynastie
Liste des domaines de l’autel
d’Amenemhat Ier à Licht
(MMA 09.180.526) 75
Chapelle blanche de
Sésostris Ier, Karnak 76
Liste des domaines
de l’autel
d’Amenemhat Ier
à Licht
Chapelle blanche de
Sésostris Ier, Karnak
Prophétie de Néferty
(pErmitage 1116B, 17 et 57)
Tombe de Sénousret-ânkh,
Licht, XIIe dynastie
(=PT 211c) 77
62. Mastaba LG 87 (G8158) : Urk. I, 17 ; LD II, 15a ; H. Jacquet-G ordon, op. cit., p. 219-221.
63. Mastaba G 4970 : N. K anawati, Tombs at Giza, II (ACE Reports 18), 2002, pl. 52, 53, 56.
64. J. L opez , « Inscriptions de l’Ancien Empire à Khor el-Aquiba », RdE 19 (1967), p. 51-66 ; id., Las inscripiones
rupestres faraónicas entre Korosko y Kasr Ibrim, 1966, no 27 ; W. H elck , « Die Bedeutung der Felsinchriften
J. Lopez, Inscripciones rupestres Nr. 27 und 28 », SAK 1 (1974), p. 215-225 ; E. E ichler, Untersuchungen zum
Expeditionswesen des ägyptischen Alten Reiches (GOF IV/26), 1993, p. 112, no 260.
65. L. Borchardt, Das Grabdenkmal des Königs S’ahu-Re’, I, 1913, p. 49, fig. 51.
66. Urk. I, 244,7 - 245,2.
67. Urk. I, 246,12 - 247,4.
68. H.G. Fischer, JNES 18 (1959), p. 129-132.
69. CGC 1419 ; H. Jacquet-G ordon, op. cit., p. 416-418.
70. Mastaba Giza G2374 : ibid., p. 310-312 ; E.J. Brovarski, The Senedjemib Complex, I (Giza Mastaba 7), 2001, fig. 87a.
71. H. Jacquet-G ordon, op. cit., p. 419-426 ; H. A ltenmüller, Die Wanddarstellung im Grab des Mehu in Saqqara
(ArchVer, Deutsches Archäologisches Institut 42), 1998, p. 111-132, pl. 18-29, fig. 7.
72. N. K anawati – M. A bder-R aziq, The Teti Cemetery at Saqqara, V, The Tomb of Hesi (ACE Reports 13), 1999,
p. 40-43, pl. 36-39 et 62.
73. W.M.Fl . P etrie , A Season in Egypt: 1887, 1888, p. 8, no 243 ; J. de Morgan, Cat. Mon., I, 1894, p. 37, no 151 ;
H.G. Fischer, op. cit., p. 132, n. 7 ; W. S chenkel , MHT, 1965, § 358.
74. G. M aspero, Trois années de fouilles dans les tombeaux de Thèbes et de Memphis (MMAF I), 1889, p. 146 (l. 165).
75. H.G. Fischer, op. cit., p. 137-139.
76. P. L acau – H. Chevrier, Une Chapelle de Sésostris I à Karnak, 1969, pl. 42.
77. W.C. H ayes, Texts in the Mastabeh of Se’n-Wosret-ʿAnkh (Publications of the Metropolitan Museum of Art Egyptian
Expedition 12), 1937, pl. 7, l. 379.
Nove mbr e 2 015 -M a r s 2 016 | n o s  193 -194
nos 193-194 10,00 €
ISSN : 0037- 9379
bu lletin de l a société fr a nç a ise d’égy p tologie
Le Bulletin de la Société française d’égyptologie, qui paraît depuis 1949,
fait le compte rendu des réunions organisées régulièrement par cette
association, et livre le texte complet des communications qui y sont
faites par des chercheurs spécialisés dans les différentes facettes de
la recherche en archéologie égyptienne.
Il s’adresse aux personnes qui s’intéressent à l’étude de l’Égypte, de
ses origines à la période copto-byzantine, et les informe sur les derniers
développements des travaux en cours, notamment sur le terrain.
Il permet de mettre en relation des professionnels avec un public
féru d’égyptologie, tant en France qu’à l’étranger.
nos 193-194
Novembre 2015-Mars 2016
Bulletin de la Société française d’égyptologie
novembre 2015 - mars 2016 nos 193-194
- Compte rendu des réunions de novembre 2015
et mars 2016
2
ii
-Focus sur les membres
4
i
Nouvelles de la Société et de l’égyptologie
iii -
Listes des nouveaux membres, bienfaiteurs et donateurs 2015
Communications
- Ivan Guermeur
10
CNRS, Université Paul Valéry-Montpellier 3 - MCC (UMR 5140 - ASM)
Le papyrus hiératique iatromagique no 47.218.2 du musée de Brooklyn
- Claire Somaglino
29
Université Paris-Sorbonne – CNRS (UMR 8167)
La stèle de Héni et la géographie de la frange orientale du Delta
à l’Ancien et au Moyen Empire
- Claude Traunecker & Isabelle R égen
52
Université de Strasbourg – CNRS (UMR 7044)
Université Paul Valéry-Montpellier 3 – CNRS (UMR 5140)
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux
N.B. : La communication du 12 novembre 2015 de M. Laurent C oulon
sera publiée ultérieurement
En couverture : Le dignitaire Héni, détail de sa stèle conservée au musée de plein air d’Héliopolis
(photo Cl. Somaglino) – Le cénotaphe de la tombe de Padiamenopé (photo Cl. Traunecker).
52 | BSFE 193-194
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) :
éclairages nouveaux
I. Le cahier des charges de Padiamenopé
Claude Traunecker
Université de Strasbourg – CNRS (UMR 7044)
II. Au cœur du texte. Rhétorique et spatialité chez Padiamenopé
Isabelle R égen
Université Paul Valéry-Montpellier 3 – CNRS (UMR 5140)
Les verrous des portes restées si longtemps fermées ont sauté…
Mais il reste encore bien des portes closes,
bien des souterrains secrets à l’intérieur de l’édifice plein de mystères
Johannes Dümichen
(Leçon inaugurale de l’Institut d’égyptologie de Strasbourg,
prononcée le 19 novembre 1872, trad. Cl. Traunecker)
I. Le cahier des charges de Padiamenopé
De tous les monuments de la nécropole de Louqsor, la tombe de Padiamenopé
(TT 33) est certainement le plus remarquable, mais aussi le plus mythique.
Le personnage de Padiamenopé est également hors norme et comme nappé
de mystères. Comment ce contemporain des derniers rois kouchites, un
savant certes, car il est « prêtre-lecteur », probablement proche du roi
en tant que scribe chargé des archives de Sa Majesté mais dépourvu de
titres politiques ou économiques (à l’inverse de son presque contemporain
Montouemhat), a-t-il pu faire creuser le plus grand hypogée d’Égypte ? Car
cette tombe immense, ce « palais funéraire » comme aimait à l’appeler son
premier éditeur, Johannes Dümichen, se compose actuellement de vingttrois salles réparties sur quatre niveaux.
Depuis près d’une décennie, nous parcourons ce monument et, petit à
petit, au fil du temps, des discussions entre nous et avec les collègues, certaines évidences cachées par nos approches trop normatives et modernes
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 53
nous sont enfin apparues. J’aimerais, dans ce court espace, présenter
quelques aspects inattendus de ce dossier fascinant.
Comme tout dans ce monument est exceptionnel, je propose d’imaginer
Padiamenopé donnant ses instructions pour l’organisation et la conception
de son tombeau bien-aimé :
« ma tombe-is, c’est le lieu de mon cœur ! » 1
Le « prêtre-lecteur » présente à ses collaborateurs un cahier des charges
absolument original ; il se composait, selon notre approche, de trois volets :
– positionner le futur monument avec des partis d’orientation nouveaux
dans la nécropole car Padiamenopé a opté pour une éternité choisie parmi
les « Immortelles », c’est-à-dire les étoiles circumpolaires ;
– exposer à son profit et à celui des visiteurs les réalisations des générations antérieures en matière d’art funéraire, tant monumentales que textuelles. Présenter son travail d’exégète et de spécialiste des vieux textes ;
– introduire dans son « Grabpalast » un tombeau d’Osiris et des salles de
culte sur le modèle abydénien (Osireion), faisant de son monument un lieu de
pèlerinage de substitution 2 à la disposition des fidèles thébains.
Avant d’aborder ces trois volets, évoquons très succinctement l’histoire
récente 3 du monument, connu comme étant la tombe thébaine 33 (TT 33).
Il n’a cessé de fasciner les visiteurs et les chercheurs. Depuis 1737, la tombe
est étudiée, son architecture est relevée et elle figure déjà sur le plan de la
nécropole thébaine de la Description de l’Égypte 4. On ne s’y aventurait alors
qu’avec crainte en raison des terribles récits des guides locaux évoquant des
chutes dans des puits traîtreusement disposés ou encore des touristes égarés,
1. TT 33 porte III, montant nord, face est.
2. Cl. Traunecker , « Un exemple de rite de substitution : une stèle de Nectanébo Ier », CahKarn VII (1983),
p. 339-354.
3. Pour une présentation générale de la TT 33 et son histoire récente, voir Cl. Traunecker, « Le palais
funéraire de Padiamenopé redécouvert (TT 33) », EA&O 51 (2009), p. 15-48 ; id., « The ‟Funeral Palace” of
Padiamenope (TT 33) : Tomb, Place of Pilgrimage, and Library. Current research », dans E. Pischikova –
J. Budka – K. Griffin (éd.), Thebes in the First Millenium BC, 2014, p. 205-234 ; Cl. Traunecker – I. R égen,
« The Funerary Palace of Padiamenope at Thebes », EgArch 43 (2013), p. 32-34 ; S. Einaudi – D. Werning,
« TT 33: the Book of the Dead and the Book of Caverns », EgArch 43 (2013), p. 35. Consulter également
les sites de l’IFAO et des universités : http://www.ifao.egnet.net/archeologie/tt33/ ; http://egypte ;
unistra.fr/les-travaux-de-terrain/la-tombe-de-padiamenope-tt33-responsable-claude-traunecker/
et http://www.montpellier-egyptologie.fr/tombe33. Pour la lecture abydénienne, voir infra n. 28.
4. R. Pococke , A Description of the East, I, 1743, p. 100 (avec un premier plan de la tombe) ; Visite et relevé
en 1799 : Description de l’Égypte, Antiquité, II, 1818, pl. 38, 39 ; plan de P risse d’Avennes, Histoire de l’art
égyptien, 1878, réédition M. Dewachter, 2002, pl. 9 et p. 29-30.
54 | BSFE 193-194
Fig. 1 Plan de la tombe de Padiamenopé, TT 33 (dessin Cl. Traunecker selon les relevés de D. Eigner)
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 55
Fig. 2 Coupes de la tombe de Padiamenopé, TT 33 (dessin Cl. Traunecker selon les relevés de D. Eigner)
sans compter la réelle difficulté de cohabitation avec les colonies de chauvessouris, proportionnelles à la taille du monument. C’est probablement en 1869
que J. Dümichen conçut 5 le projet de publier le matériel épigraphique du
« Grabpalast » du prêtre « Petuamenap ». Des sept volumes prévus, il en parut
deux en 1884 et 1885. Mais les conditions de travail étaient éprouvantes, des
dizaines de milliers de chauves-souris avaient élu domicile dans les salles
profondes, rendant l’air fortement chargé en ammoniac, éteignant de leur
bat­tement d’ailes les luminaires des épigraphistes 6. Dümichen mourut à
Strasbourg en 1894. Son élève, Wilhelm Spiegelberg, publia les quelques
planches qu’il retrouva dans les dossiers de son maître. Gaston Maspero décida
5. La première visite doit dater de son premier séjour à Louqsor en février 1864. Mais nous savons que
Dümichen faisait partie des invités au voyage en Haute-Égypte à l’occasion de l’inauguration du Canal
de Suez en 1869 et que ce groupe, ou du moins une partie, visita « la grande syringe » le 30 octobre. Ses
collègues égyptologues allemands étaient présents : Lepsius, Lieblein, mais aussi Naville et Möller. Le
récit de Taglioni, qui risque de tomber (lui aussi !) dans le puits maudit (p. 117) est riche en anecdotes
où l’on voit un Dümichen fragile, peu sportif et malchanceux, mais déterminé. À Assiout, Möller et
Dümichen, en bons romantiques allemands, décident d’assister au lever du soleil depuis les falaises
dominant la ville, et ratent ainsi le départ du bateau ! Les Français, en bon latins espiègles, les accusent
d’avoir voulu visiter les almées ! Mais tout se termine dans la bonne humeur. Ch. Taglioni, Deux mois en
Égypte, journal d’un invité du Khédive, 1872, p. 5-7, 86, 117, 118.
6. J. Dümichen, ZÄS 20 (1883), p. 12-13.
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d’en finir avec cette engeance des chauves-souris et fit murer la tombe à partir
de la quatrième porte. Ainsi s’éteignirent les chauves-souris… Mais les chercheurs ne tirèrent guère de profit de cette extermination car le Service des
Antiquités transforma le porche et les salles I à III en magasin de stockage de
produits des fouilles de la région, si bien que les salles IV à XXII restèrent inaccessibles et, qu’à de rares exceptions près, la porte IV resta murée. En un siècle,
la tombe ne fut ouverte que sept fois et pour de courtes durées7, de sorte qu’en
bien des points, nous étions tributaires des copies partielles de J. Dümichen.
En 2003, le projet de poursuivre l’œuvre du fondateur de la chaire d’égyptologie de Strasbourg prit corps grâce à l’appui de Bernard Mathieu, alors
directeur de l’IFAO, et à la collaboration d’Isabelle Régen, alors membre scientifique de l’Institut. En 2004-2005, à la demande du CSA, nous avons inventorié et déplacé les quelque deux mille objets entreposés dans les premières
salles. Le 6 décembre 2005, nous pûmes enfin abattre le fameux mur scellé
et découvrir de visu le labyrinthe de Padiamenopé et les surprises qu’il nous
réservait (fig. 1-2).
Grâce à des textes encore inédits 8, nous avons pu établir que Padiamenopé
était affilié, semble-t-il, à une famille de prêtres de Montou d’Ermant 9. Il
jouait le rôle, entre autres, d’une sorte de conseiller pontifical du roi, chargé
du soin des couronnes. Il semblerait que les protagonistes du grand Assassif,
successivement Haroua, Montouemhat et Padiamenopé appartenaient à trois
générations peu éloignées l’une de l’autre 10.
7. 1936 pour Fr. W. von Bissing (3 jours) : Fr. W. von Bissing « Das Grab des Peduamenophis in Theben »,
ZÄS 74 (1938), p. 2-26 ; en 1942, 1943 et 1944 pour les travaux d’Alexandre Piankoff, assisté d’Arpag
Mekhitarian et de Charles Maystre : A. Piankoff, « Les grandes compositions religieuses dans la tombe
de Padiamenopé », BIFAO 46 (1947), p. 73-92, avec une description et une copie partielle des textes du
cénotaphe ; 1951, prise de vue du plafond astronomique du caveau XXII par Charles Nims du Chicago
House (CH 9790-95) ; 1951, collationnement des dessins du Chicago House : O. Neugebauer – R. Parker ,
Egyptian Astronomical Texts III. Text, 1969, doc. 32 p. 40 ; ibid., planches, pl. 18, 29 et 22a. En mars 1976, l’architecte autrichien Diethlem Eigner, assisté du topographe Josef Dörner, fait un relevé complet et coté
de la TT 33 en une semaine de travail. Pendant cette ouverture, plusieurs collègues entreprennent une
description épigraphique de la tombe : Jürgen Osing (salles IV à XI), Elfriede Haslauer-Reiser (le cénotaphe), Manfred Bietak (salles XVII à XXII). Wolfgang Schenkel participe à cette visite mais chute dans
le puits XII, heureusement sans blessures. En 2005, à la réouverture de la TT 33, Diethlem Eigner nous a
remis un double de ses minutes de chantier et des rapports de collègues cités : qu’il en soit remercié, ces
documents sont très précieux pour nous.
8. Face nord du linteau de la porte d’accès à la salle IV.
9. Sur la statue de Sorrente, Padiamenopé déclare qu’il serait né à Thèbes (M. d’Este , « Petamenofi a
Sorrento », EVO 20-21 [1997-1998], p. 119-124, col. 6). Je remercie Olivier Perdu qui nous a communiqué
ses notes sur ce document. Voir aussi infra le texte de Nout du cénotaphe (I. Régen, p. 82, n. 62).
10. D'une quinzaine ou vingtaine d'années. Padiamenopé serait né vers 710 et mort vers 640, Haroua
aurait vécu de 740 à 670 et Montouemhat de 722 à 640, mais ce ne sont là que des suppositions donnant un
support à la restitution possible des événements. La statue de Berlin montre un homme sévère et âgé.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 57
Les trois volets du cahier des charges de Padiamenopé
Le renversement des axes
Les tombes kouchites, les plus anciennes des deux Assassif, nord et sud, se
développent sur un parti architectural simple : un axe de culte orienté vers
l’ouest avec une succession de deux salles à piliers et la chapelle d’offrandes.
Cette orientation est soit l’ouest apparent, c’est-à-dire les falaises de Deir
el-Bahari 11, soit l’ouest réel 12. Ces salles étant creusées dans le remarquable
calcaire de Taraouane, situé sous les conglomérats friables du fond de la
vallée, l’accès se fait donc à partir d’une cour basse, 5 à 10 m sous la surface
du désert. Elles s’ouvrent par un porche donnant sur cette cour basse. Pour
atteindre ce niveau, il fallait donc prévoir une descenderie, directe ou latérale.
Les caveaux et appartements funéraires sont accessibles soit par un puits, soit
par un escalier partant d’un angle d’une des salles. Le caveau est toujours
orienté vers l’ouest comme il se doit. Le tombeau du grand Montouemhat
– deuxième prophète d’Amon et pratiquement souverain en Haute-Égypte –
répond à ces règles, tout en étant enrichi par une invention décorative d’une
qualité exceptionnelle. Le caveau caché en hauteur et orienté vers l’ouest est
d’un type nouveau 13. Le plan axial est complété par une série de lieux d’ensevelissements secondaires, formant une prolifération de diverticules. Le tout
fait penser à une sorte de nécropole privée.
Padiamenopé déroge totalement à cet usage. Nous avons trouvé dans la
tombe deux portes symboliques 14, l’une au fond du couloir XIIIb, l’autre dans
la paroi du fond, donc nord, du caveau XXII. Ces portes, exemples uniques, à
ma connaissance, dans l’architecture funéraire égyptienne, sont des sortes
de portes de « sortie au jour » du défunt à partir de la tombe. L’exemple du
couloir XIIIb est explicite : les scènes finales des livres funéraires reproduits
sur les parois du couloir XIII l’encadrent et illustrent le moment crucial du
lever du soleil. De plus, à l’entrée du couloir XIIIb, un texte exprime clai­
rement le souhait de Padiamenopé de passer son éternité parmi les étoiles
« immortelles » ou « impérissables », les étoiles circumpolaires, qui sont toujours présentes dans l’horizon nord, quelle que soit la saison. Ce désir forcené
d’une destinée stellaire septentrionale (boréale) va déterminer le plan du
« Grabpalast » et perturber, semble-t-il, la sage ordonnance de toute la plaine
11. Par exemple, Haroua (TT 37), Anch-Hor (TT 414), Padineith (TT 197).
12. Par exemple, Montouemhat (TT 34).
13. D. Eigner , op. cit., p. 137. Le caveau est dissimulé au-dessus de la salle la plus profonde de la tombe,
trait que l’on retrouvera chez Padiamenopé.
14. Il s’agit de simples niches peu profondes et anépigraphes. Cette sobriété symbolise à mon avis un
espace ouvert, sans vantail ni gond et encore moins verrou.
Fig. 3 Plan de l’Assassif et orientations des principales tombes
(dessin Cl. Traunecker, fond de plan D. Eigner)
Axe des caveaux et la "sortie au jour" de Padiamenopé
Axes des caveaux (TT 34, 197, 37)
Axes du culte funéraire ordinaire
Nord géographique
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La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 59
funéraire. Padiamenopé aurait pu alors, comme l’avait fait Haroua et comme
d’autres le feront plus tard, se contenter d’aligner les trois salles classiques sur
le « thalweg » de la vallée. Son gisement est de 296° 15, soit ouest nord-ouest.
Cet azimut est aussi celui des dromos du cirque de Deir el-Bahari, ainsi que
celui de l’axe d’Amon à Karnak. Il fait référence visuellement aux falaises qui
matérialisent un ouest apparent.
Toutefois le prêtre-lecteur tenait absolument à s’élancer réellement vers
les étoiles éternelles. On traça donc en premier cet axe sud-nord, matérialisant la direction de l’axe nord du ciel. Puis, en bonne logique, on lui subordonna l’axe de culte des trois salles, tracé à 90° de l’axe sud-nord prioritaire.
Mais cela revint à disposer la tombe en biais dans la vallée. Pour les salles
classiques Padiamenopé copia, du moins dans ses dimensions, la disposition
choisie par Haroua, mais pour disposer de place vers le nord et déployer son
projet de temple osirien souterrain et ses ambitions stellaires, il dut repousser
ces salles vers le sud.
De plus, l’espace étant limité, tant au sud par les tombes de Khérouef
avec ses cours profondes et les tombes ramessides annexes, qu’à l’est par les
tombes du Moyen Empire, il fallut se rapprocher de Haroua. La disposition
des deux tombes donne l’impression que Padiamenopé vient empêcher le
développement du projet Haroua vers l’est. Bloqué par le mur ouest de l’enceinte de Padiamenopé, l’accès normalement axial du tombeau de Haroua est
reporté à l’angle droit vers le sud.
Le problème qui se pose maintenant est d’ordre chronologique, les deux
personnages n’étant pas exactement contemporains. On admet que l’écart
était d’une, voire de deux générations. Mais nous ignorons tout de leur âge
réel et surtout de la chronologie des constructions. De plus, nous avons trop
tendance à penser qu’à la mort et l’enterrement du propriétaire de la tombe,
toute activité et travaux dans le monument funéraire cessaient. Dans le cas
de Montouemhat, la tombe était sans cesse agrandie et la famille assurait le
culte, lequel induit une activité économique. Aussi n’est-il pas extravagant
de penser que le projet de Haroua n’était pas abouti au moment de la montée
en puissance de Padiamenopé et de sa famille.
De quels appuis disposait le prêtre-lecteur pour imposer au descendant
ou successeur de Haroua une présence aussi violente ? C’est là une question à
laquelle il est impossible de répondre, mais le fait de cette intervention laisse
entrevoir un personnage puissant et protégé.
15. Référence au cercle d’orientation, nord en haut et comptage en degrés dans le sens d’une aiguille
de montre : 0 = nord ; 90° = est ; 180° = sud ; 270° = ouest ; 360° ou 0 = nord.
60 | BSFE 193-194
Le mur d’enceinte ouest de son enclos funéraire coupe de manière brutale, et de plus en travers, le chantier de Haroua (TT 37) et de son successeur
Akhimenrou (TT 404) car l’ambition « circumpolaire » de Padiamenopé ne
recule devant rien. Ce premier parti du cahier des charges de Padiamenopé va
déterminer le plan de la tombe. Chez Haroua, la paroi nord de la chapelle de
culte est occupée par une image en ronde-bosse du maître des lieux, comme
s’il sortait de l’au-delà pour assister au culte osirien de la chapelle axiale. Chez
Padiamenopé, le modèle est une chapelle de mastaba de l’Ancien Empire avec
sa fausse-porte, mais à droite, au nord, s’ouvre l’accès, toujours archaïsant,
aux salles mémoriales et aux espaces des liturgies abydéniennes. Ces salles
se déploient vers le nord.
En mesurant, d’après les relevés de Diethlem Eigner 16 ainsi que par Google
Earth, les orientations et la position exacte de la tombe 33, on relève deux
faits : 1. La construction n’est pas parfaite et on remarque quelques déviations selon les parois. 2. L’orientation vers le nord accuse une déviation de
6 à 10° vers l’ouest selon les parois. On peut dire que globalement l’écart
entre le nord géographique et l’orientation du monument de Padiamenopé
est de 7-8°. Ce qui est à la fois peu, car cela ne se remarque pas sur le terrain, et beaucoup pour une civilisation qui a su orienter avec une très grande
précision les temples solaires et les pyramides. Comment rendre compte de
cette irrégularité ? En bons rationalistes, nous avons tendance à imaginer que
Padiamenopé cherchait à déterminer exactement l’orientation du nord géographique, puisque celui-ci est un point au centre de la voûte céleste (à 25° 44’
de hauteur) autour duquel tournent la sphère céleste et les étoiles. Le nord
géographique détermine en même temps le tracé de la méridienne solaire.
Mais on peut aussi tracer la méridienne solaire – et donc le nord géographique d’un point – par l’observation de l’ombre portée d’un gnomon. Cette
dernière mesure est relativement facile à obtenir et précise, surtout avec
l’aide d’une lentille de diffraction 17 (objet de Berlin), alors que l’observation
par visée stellaire est bien plus délicate à faire. Mais par ce présupposé, nous
tiendrions pour acquis que les anciens Égyptiens, chargés de l’implantation
de la tombe, cherchaient le nord géographique absolu. Mais est-ce si certain ?
Avaient-ils conscience que la méridienne solaire et l’axe de la sphère céleste
étaient les apparences d’une même réalité mécanique ?
16. Le nord du quadrillage général de Dörner et d’Eigner est le nord magnétique de 1969. La déclinaison
magnétique était alors de 1,18° est (http://www.geomag.nrcan.gc.ca/calc/mdcal-fr.php).
17. Faire passer l’ombre à travers une fente (la nervure de palmier du musée de Berlin : A. E rman –
H. R anke , La civilisation égyptienne, 1976, p. 449, fig. 173).
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 61
Il s’agissait ici, textuellement, d’orienter le monument vers les
« Immortelles » afin que le Ba de Padiamenopé puisse profiter de l’éternité
de ces étoiles qui ne disparaissent jamais. Normalement, la précession des
équinoxes ne devait pas jouer de rôle sur l’orientation nord par visée solaire
car ce phénomène cyclique 18, qui déplace le point de rotation de la sphère
céleste de constellation en constellation, n’a aucune influence sur le nord
de la méridienne. Le décalage de précession concerne le point du ciel qui
sert apparemment de pivot à la voûte céleste. Par conséquent, si l’équipe de
Padiamenopé avait axé la tombe par une observation solaire, l’écart serait dû
à une négligence ou à une approximation dans la mesure, ce qui est toujours
possible 19. D’autre part, la logique voudrait que le praticien de l’observation
des circumpolaires prenne une visée au moment de la culmination pour
déterminer le nord, quel que soit l’astre visé. À l’époque de Padiamenopé,
l’axe de rotation de la sphère céleste était situé à mi-distance entre l’étoile ζ
de la Petite Ourse et l’étoile λ du Dragon dans une zone vide d’astres visibles
à l’œil nu. Les circumpolaires englobaient alors les constellations de la Petite
Ourse, le Dragon et une partie de la Grande Ourse. Il n’était pas facile d’estimer une culmination. Notre déviation de 7 à 8° serait-elle due à l’imprécision de ce type de visée ? Où faut-il imaginer que Padiamenopé a utilisé
une procédure ancienne et traditionnelle, trouvée « dans les écrits anciens »
désignant l’étoile polaire de ces temps-là, bref sans tenir compte de la précession ? On sait que l’axe céleste était situé, au Nouvel Empire, entre la Petite
Ourse et l’étoile alpha (Thuban) du Dragon. La différence en arc avec l’axe
céleste était d’environ 3,6°. Thuban est incluse dans les « Immortelles » de
l’époque de Padiamenopé. L’hypothèse est intéressante, mais n’excuse pas
le prêtre-lecteur 20 ! Non seulement il s’est servi probablement d’un astre
« périmé », mais il n’a pas tenu compte de son mouvement circumpolaire.
L’ambition d’une mesure absolue pour déterminer l’axe du monde avait peutêtre, aux yeux de ces savants traditionalistes, bien moins d’importance que
de tourner leur alidade vers un astre dont parlent les Anciens ; qu’importe
s’il bougeait encore !
18. Cycle de 25 765 ans (R. Caratini, Astronomie, Bordas-Encyclopédie, 1978, p. 521.2.C.a).
19. On peut noter par exemple les distorsions successives dans la cage d’escalier funéraire de la tombe
de Montouemhat : cf. Eigner, plan 11, suite de neuf salles (45 à 53) qui aboutissent pour le caveau à une
déviation de 9° sud. Il est vrai qu’il s’agissait là de topographie souterraine toujours délicate.
20. On regrette que les plafonds astronomiques de la TT 33 (couloir XIII), ébauchés en rouge, soient
très détruits. Rappelons, au passage, que Ouahibrê, qui fonda une chapelle osirienne dans le grand
couloir sud de la cour (TT 242), était peut-être un prêtre astronome (supérieur des secrets de l’Horizon).
62 | BSFE 193-194
L’ensemble muséal et scriptural
Si les salles IV et V, les premières de l’axe nord, peuvent être considérées
comme la suite des salles I à III (IV, présentation de la famille et Textes des
Pyramides ; V, Rituel de l’Ouverture de la bouche), à partir de la salle VI, nous
sommes dans un autre monde. De VI à VIII, une série d’escaliers monumentaux est visiblement inspirée des tombes royales ramessides. Il faut noter
que si les passages des portes de I à V sont décorés (I : hymnes solaires, II et
III : texte d’accueil, IV et V : scène en relation avec le contenu du décor de la
salle), les passages suivants (VI à IX) sont restés vierges. Cette série d’espaces
évoque fortement la tombe de Ramsès II (3e à 5e corridor et antichambre de
la salle du sarcophage). Comme chez Ramsès II, la salle IX marque un angle
droit dans le cheminement et les décors sont très proches (Chapitre 125 du
Livre des Morts et scène de psychostasie sur la paroi du fond). Mais au lieu
de déboucher à droite dans une salle funéraire ramesside, on fait un saut
de plusieurs siècles en arrière pour emprunter un couloir en pente (X) orné
d’une double version du grand rituel des offrandes 21. C’est la réplique de la
descenderie d’une pyramide de la Ve dynastie. Elle donne sur une salle au
plafond cintré, disposée comme une chambre funéraire de l’Ancien Empire.
Le grand massif de pierre dans sa moitié nord évoque, selon moi, la masse
d’un sarcophage royal.
Il faut remarquer que, dans ce rappel des monuments antiques,
Padiamenopé est un metteur en scène talentueux. La salle VI est particulièrement grandiose, l’arrivée de l’escalier est nettement plus étroite que son
départ, accentuant la perspective plongeante. La salle IX est majestueuse et
le couloir X, avec sa pente et sa voûte, est impressionnant. Mais les salles les
plus spectaculaires sont dans un autre secteur de la tombe.
La salle V marque un carrefour important dans le dédale du « Grabpalast ».
À droite, donc vers l’est, s’ouvre un couloir. Une porte avec un vantail en protégeait l’accès, protection matérielle complétée par une formule de malédiction. Elle commandait l’ensemble des salles et couloirs XII à XVI : c’est la partie
spécifiquement liturgique et de consultation des textes anciens de la tombe.
Dans le fameux cahier des charges, Padiamenopé s’est imposé (ou a
imposé) un pari difficile :
21. E.A.W. Budge , The Liturgy of Funerary Offerings, 1909, p. 204-256, comparaison avec la version d’Ounas
(p. 151-203) ; J.  Dümichen, Der Grabpalast des Patuamenap, I, 1884, pl. 5-12. La reproduction en symétrie,
gravée dans la pierre, d’un aussi long document (143 colonnes) sur deux parois de 10,68 m qui se font
face est étonnante. Elle relève plus, à mon sens, du désir d’impressionner les visiteurs que de l’efficacité
rituelle, on aurait pu utiliser la place pour d’autres textes.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 63
1. Les parois devaient présenter, à gauche, une version complète, revue et
commentée, du Livre de l’Amdouat (version abrégée comprise), à droite, une
version complète du Livre des Portes et du Livre de la Terre ;
2. Ces deux groupes de textes devaient aboutir ensemble de part et d’autre
d’une paroi orientée vers le nord, afin que le Ba du défunt puisse rejoindre
les étoiles circumpolaires. Apparemment, ce pari fut difficile à tenir sur les
deux parois symétriques car l’Amdouat prend beaucoup plus de place que
le Livre des Portes. La disproportion est considérable 22 : en mètres linéaires,
la première série (gauche) totalise 77 m de paroi et la série droite 45 m. La
solution retenue est d’une extrême ingéniosité : d’une part, la disproportion
a été résolue en faisant tourner la série gauche autour d’un noyau central, en
l’occurrence le cénotaphe d’Osiris, pendant que la série droite en assumait
la base ; d’autre part, pour aboutir à une paroi nord, on a adjoint le petit
couloir XIII.3. Mais il a mieux : pour donner l’illusion auprès des visiteurs
que le couloir XIII.3 est de la même importance que les couloirs précédents
(XIIIo et XIIIe), toutes ses dimensions rétrécissent au fur et à mesure que l’on
avance 23, de sorte que ce couloir de 7 mètres semble en mesurer 18 24 ;
3. Établir un couloir de circumambulation autour du cénotaphe d’Osiris,
reproduction d’une structure disparue d’Abydos ;
4. Adjoindre trois chapelles : une centrale dédiée à Osiris Hemag, encadrée par le Château du Natron et un Château de l’Or. Dans ces chapelles,
Padiamenopé se présente comme un officiant. Il joue le rôle d’intercesseur
entre les visiteurs, entre autres, les « suivants de Montou » cités dans le texte
d’accueil. Osiris Hemag 25 est la forme « parée » finale d’Osiris avant sa résurrection ; les deux autres chapelles sont en relation avec l’embaumement.
Ce cahier des charges a produit un plan unique dans l’architecture funéraire. Bien que tous ces textes doivent bénéficier au défunt Padiamenopé dans
son destin auprès des dieux, certains d’entre eux – et non des moindres 26
– ornent également les parois du caveau secret du prêtre-lecteur. Pourquoi
ces doublets monumentaux ? Que répondre sinon que l’exemplaire caché est
destiné au strict usage du défunt, et que les autres versions s’adressent au
public des visiteurs, en particulier « ceux qui sont à la recherche de toutes
sortes de formules ».
22. Environ deux tiers pour la série gauche et un tiers pour la série droite (63,2 % et 36,8 %).
23. Hauteur 2,32 m au départ et 1,67 m à son extrémité. Le sol monte et le plafond s’abaisse.
24. Il a d’ailleurs intrigué nos prédécesseurs (Fr. W. von Bissing, op. cit., p. 22 ; A. P iankoff, op. cit.,
nomme ce couloir « l’impasse »), mais aucun n’a relevé le procédé en trompe l’œil.
25. M. Z ecchi, A Study of Egyptian God Osiris Hemag, 1996.
26. Une version des 12 heures de l’Amdouat, chapitres 137a, 142 du Livre des Morts dans le tympan,
chap. 144, 147, 148.
64 | BSFE 193-194
Fig. 4 Couloir XII avec son puits équipé d’une passerelle et d’une échelle.
Au fond : le cénotaphe, paroi sud (photo Cl. Traunecker)
Le caveau secret de Padiamenopé reproduit en effet des ouvrages funéraires déjà affichés dans ce secteur du monument. Il est clair que les textes
de la partie accessible de la tombe étaient mis à la disposition des savants
visitant le « Grabpalast », puisque dans l’un des textes du Château du Natron,
on assimile la tombe à un scriptorium 27. Padiamenopé y est décrit comme :
« l’avisé dans le scriptorium / dans le ‟is” des livres (= la tombe) »
27. Salle XIV, monographie no 4, est, (gauche), colonne 5.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 65
Un lieu de culte de substitution de l’Osireion d’Abydos 28
Revenons dans le couloir XII. Devant nous s’ouvre l’étonnant puits XII, unique
en son genre tant par sa taille que par sa position. C’est le seul exemple d’un
puits d’accès aux caveaux qui s’ouvre dans un passage 29. Ses dimensions sont
exceptionnelles : 2,23 m sur 1,33 m barrant un passage de 2,79 m, laissant à
gauche un espace de quelques dizaines de centimètres. Sa profondeur est de
6 m. Il n’y a aucune trace d’encastrement de dalles témoignant d’une couverture en pierre. Pour assurer le franchissement en toute sécurité, il n’y a que
deux solutions : soit le puits était comblé, soit il était couvert par un dispositif
en bois ou par une passerelle 30 (fig. 4).
En franchissant la porte 31 au bout du couloir XII, nous découvrons
Padiamenopé, accompagné d’un neveu, qui nous accueille dans le passage
de cette porte 32.
À gauche, le prêtre-lecteur s’adresse aux visiteurs du futur, détaillant
leurs motivations : ils sont soit des fidèles de Montou, soit des touristes de la
nécropole, soit des épigraphistes !
Ô les vivants
Ô ceux qui sont sur terre, ceux qui sont nés et ceux qui viendront à naître
28. Nous avons déjà exposé les prémices de cette lecture abydénienne de la TT 33 dans A. Gasse –
Fl. Albert– S. Einaudi – I. Régen – Cl. Traunecker (éd.), La Thèbes des morts. La dynamique thébaine dans les
idées égyptiennes de l’au-delà (ENIM 8), 2015, p. 37-66 ; Cl. Traunecker, « La tombe de Padiamenopé (TT 33)
Résultats et perspectives », dans Archimède, Archéologie et Histoire ancienne 2 (automne 2015), université
de Strasbourg UMR 7044, revue en ligne : p. 112-117 (dans Fr. C olin, ‟Chronique d’Archimède”) ;
Cl. Traunecker , « Le palais funéraire de Padiamenopé (TT 33) de Thèbes à Abydos », dans Pharaon – le
magazine de l’Égypte éternelle 25 (mai-juin-juillet 2016), p. 6-21.
29. Dans les dix-sept tombes contemporaines des Assassif nord et sud, j’ai compté cinquante-quatre
exemples de puits. Dans tous les cas ces puits s’ouvrent soit dans un fond de pièce, soit dans un angle
mais jamais dans un passage. Dans trois cas, le puits s’ouvre sous un escalier et se trouve camouflé par
trois ou quatre marches de pierre. Dans ce dernier cas, l’accès au caveau est parfaitement dissimulé :
TT 34, Montouemhat, escalier 26 (D. Eigner , op. cit., pl. 11-13) ; TT 389, Basa, sous quatre marches d’escalier (ibid., p. 50) : TT 37, Aba, sous trois marches (ibid., p. 52).
30. Le comblement du puits rendait impossible, ou très difficile, l’usage de l’Osireion souterrain. Les
débris des salles XVII-XIX sont en trop faible quantité pour étayer l’hypothèse d’un puits comblé. Dans
l’autre solution, les visiteurs ne pouvaient ignorer la présence du puits.
31. Cette porte devait recevoir une fermeture qui ne fut jamais réalisée : la place du verrou est réservée
dans le texte d’accueil.
32. La scène de droite est intacte, le prêtre-lecteur se présente en costume contemporain coiffé d’une
calotte courte et portant un pendentif à double cœur. À gauche, le portrait est mutilé et l’original
est conservé au musée de Bruxelles (E. 3057), Bulletin des Musées Royaux (sept. 1908), p. 75 ; J. Capart,
Documents pour servir à l’étude de l’Art égyptien, I, 1929, pl. 92 ; Musées Royaux d’art et d’histoire de
Bruxelles, Département égyptien, Album 1934, XVI, pl. 40.
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Qu’ils viennent en tant que suivants de Montou, seigneur de
Thèbes, ou
qu’ils parcourent la nécropole afin de se divertir, ou qu’ils
soient à la recherche de toutes sortes de formules
Qu’ils pénètrent en ce tombeau et qu’ils contemplent ce qu’il
y a en lui
Aussi vrai qu’Amon-Rê, seigneur [des trônes du DoublePays] vit pour vous adorez le dieu, prononcez la formule
d’offrande, parachevez (ce) monument, faites croître ce qui
dépérit…
Texte d’accueil du passage de la porte XIII
(copie et version Jsesh : Cl. Traunecker)
A. Le cénotaphe
Le visiteur découvre alors l’angle sud-ouest du cénotaphe avec les charmantes
images en ronde bosse de Neith à gauche et Chentayt à droite, protégeant
l’angle du gigantesque sarcophage de pierre (fig. 5-6). Élément central du
complexe liturgique de Padiamenopé, ce monument carré de trente coudées
de côté 33 est réservé dans la roche.
Il représente le tombeau d’Osiris, selon le modèle abydénien. Son décor
est composé de quatre éléments :
1. Les quatre bandeaux de couronnement : le visiteur attentif qui se donnera la peine de lire ces quatre textes trouvera quelques indices quant à la
logique du décor du cénotaphe. Le bandeau sud met en scène Isis qui vient à
Padiamenopé pour lui attribuer le souffle et la respiration. Dans le bandeau
nord, c’est Nephthys qui prend la relève afin de consolider le corps, la tête et
les os. Cette disposition est classique sur les sarcophages, avec Isis au pied,
devant la momie, et Nephthys à la tête, derrière elle. Ainsi, le défunt contenu
dans le cénotaphe est orienté pieds au sud et tête au nord.
33. Soit 15,7 m.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 67
Fig. 5 Le cénotaphe : paroi sud (photo Cl. Traunecker)
Fig. 6 Angle sud-ouest du cénotaphe, paroi ouest (photo Cl. Traunecker)
68 | BSFE 193-194
À l’est, c’est Nout qui protège le défunt et l’introduit parmi les étoiles
circumpolaires. Le bandeau ouest est mal conservé. Dans les bandeaux sud,
nord et peut-être ouest, Padiamenopé est présenté comme un « pensionné
auprès du roi » et aligne donc des titres en rapport avec ses fonctions royales,
à l’inverse du bandeau est où il est « pensionné auprès du grand dieu », prétexte à déployer ses titres sacerdotaux.
2. Les huit déesses protectrices et les funérailles thébaines de Padiamenopé :
chaque angle du cénotaphe est protégé par deux déesses en ronde bosse, le
corps collé à la paroi et le regard tourné vers l’angle à surveiller. Un texte
de huit colonnes accompagne chaque statue. Si nous tournons autour du
cénotaphe dans le sens antihoraire 34, nous rencontrons en face sud, Chentayt
(ouest) et Isis (est), en face est, Nephthys (sud) et Nout (nord), en face nord,
Maât (est) et Selqis (ouest), enfin, en face ouest, Hathor (nord) et Neith (sud).
Bien que les textes qui accompagnent les déesses soient mal­heu­reu­sement
très mutilés, ils fournissent une clé précieuse pour décoder le message du
cénotaphe 35. Tout est dans le sens de la circumambulation. Dès lors que l’on
décide de lire ces textes de Chentayt (1) à Neith (8) en tournant dans le sens
antihoraire, il apparaît, malgré les lacunes, une suite logique étonnante : on
assiste aux funérailles de Padiamenopé, passant entre les mains des huit
déesses, mais ce sont des funérailles bien particulières car elles aboutissent
au temple de Karnak !
Au débouché du couloir XII, Chentayt (1) accueille Padiamenopé et, aidée
de Neith, remplit son office dans le Château de l’Or : préparation du corps et
momification. Les actions d’Isis (2) puis de Nephthys (3) sont très mutilées,
mais se concluent par une mention de Karnak. Nout (4) accueille son imagesekhem dans Thèbes, « ville de ta naissance » 36. Selqis mentionne la « ville de
ta naissance » et Hathor salue « ton arrivée à Ipetsout ». Là, Neith, la dernière
déesse de la circumambulation, l’accueille « glorifié selon l’apparence d’avant
(la mort ?) » et conclut : « Ipetsout est en fête à ta venue, Amon exulte à ta vue ».
Donc, le circuit se termine indubitablement à Karnak. Sans doute s’agit-il d’un
voyage virtuel destiné à l’éternité, mais aurait-il une origine réelle ? Il est difficile d’imaginer une présentation de la momie de Padiamenopé dans le temple
d’Amon, aussi peut-on se demander si ces allusions ne se réfèrent pas à l’ins34. Ce sens est suggéré par la disposition des lieux en prolongement du couloir XII. De surcroît, le sens
de circumambulation antihoraire est très fréquent dans les rituels d’autres religions. On commence en
effet à tourner par la droite, sens bénéfique.
35. Le sarcophage du roi nubien Aspelta est partiellement composé sur le même modèle avec huit
déesses, mais avec des textes bien plus ordinaires.
36. Selon la statue de Sorrente, Padiamenopé serait né à Thèbes (voir supra, n. 9) ; Osiris est « né à
Thèbes » lui aussi.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 69
tallation d’une image du défunt dans
le temple 37.
3. Les quinze fausses-portes canoniques avec leur nom : chaque porte
est associée à une relique d’Osiris 38.
L’aspect de ces portes se réfère à l’Ancien Empire, l’ensemble de Djéser à
Saqqara compte également quinze
portes dont une réelle. Ce thème, rare,
se trouve dans le soubassement d’un
des sarcophages de Merenptah réutilisé par Psousennès et dans le décor
du sarcophage du roi nubien Aspelta
(593-568 av. J.-C.), l’un des successeurs
de Tanoutamon.
4. Les vingt-deux chapelles : elles sont
sur le modèle à deux colonnettes végétales frontales et couverture cintrée.
L’encadrement du naos porte deux
textes s’ouvrant par un « nesout-diFig. 7 Cénotaphe. Chapelle 1 (sud) dédiée
hotep ». Dans le naos sont représen- à Osiris-itchy de To-ché et Oupou-ouat
tées en haut relief des séries d’images (photo Cl. Traunecker)
divines toutes différentes.
Ces chapelles sont réparties de manière irrégulière sur les quatre faces
du cénotaphe. Les nombreuses images divines ou royales en ronde bosse qui
occupent ces chapelles rappellent fortement, par leur étrangeté et leur diversité, les inventaires de statues de culte anciennes que l’on trouve parfois sur
37. On connaît actuellement douze, peut-être treize, statues de Padiamenopé. Pour les inventaires
récents : H. De Meulenaere, « Derechef Pétamenophis », dans L. Gabolde (éd), Hommages à J.-Cl. Goyon
(BdE 143), 2008, p. 15-48 ; L. Coulon, « Padiaménopé et Montouemhat. L’apport d’une statue inédite
à l’analyse des relations entre les deux personnages », dans Ph. Collombert – D. Lefèvre – St. Polis –
J. Winand (éd.) Aere Perennius, Mélanges égyptologiques en l’honneur de Pascal Vernus, 2016, p. 91-119. Aux
dix statues connues, l’auteur ajoute celle qui est l’objet de son article (fragm. Le Caire RT 27/1/21/1 +
Sidney University Museum NMR 11) et une statue assise en calcite dont deux fragments sont conservés
au magasin dit du « Cheikh Labib » à Karnak (91CL183 + 93CL1706). Personnellement, j’ajouterai provisoirement le second torse Michaïlidis (A. Piankoff, BIFAO 46 [1947], p. 89) bien que le nom soit incomplet.
38. Voir le schéma de répartition dans A. P iankoff, op. cit., p. 77. Étude comparative des noms des
portes : H. K ees, « Die 15 Scheintüren am Grabmal », ZÄS 88 (1963), p. 97-113, selon les trois sources
connues 1. Padiamenopé ; 2. le sarcophage de Merenptah remployé par Psousennès (P. Montet, Les
constructions et le tombeau de Psousennes à Tanis, 1951, pl. 82-88) ; 3. Aspelta : S. K. Doll , Texts and Decoration
on the Napatan Sarcophagi of Anlamani and Aspelta, 1978.
70 | BSFE 193-194
Fig. 8 Abydos. Plan du temple commémoratif de Séthi Ier avec les parties souterraines de l’Osireion
(© Cl. Traunecker)
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 71
Fig. 9 Abydos. Plan du temple commémoratif de Séthi Ier avec un essai de reconstitution du cénotaphe
d’Osiris et de la zone du pèlerinage (© Cl. Traunecker)
72 | BSFE 193-194
les parois de naos ou de cryptes 39. Autant que l’on puisse en juger malgré les
destructions, leur nombre était d’au moins cent vingt, sinon plus. S’agirait-il
d’une sorte d’inventaire de cultes locaux, comme sur le papyrus Jumilhac, voire
de lieux où Padiamenopé est intervenu pendant sa carrière ? Un texte de la
chapelle 11 (face est) fait allusion au souhait de « sortir (en) procession afin de
contempler ‟l’Union au Disque” parmi les suivants d’Horus (ou de Montou ?) ».
B. L’Osireion de Padiamenopé et les circumambulations souterraines
Revenons dans le couloir XII et descendons dans le puits XII. Il donne accès à
une série de pièces richement décorées : la salle XVII, le couloir XVIII débouchant sur le caveau voûté XIX, orienté vers le nord et exactement dans l’axe
du cénotaphe. Une version complète du Livre des Cavernes orne ces pièces.
Sa scène finale occupe la paroi nord de la salle XIX. En pendant, la paroi
est conserve une version complète de la scène du réveil d’Osiris, entouré
de ses trente-six génies-gardiens. Dans le sol s’ouvre un puits, lui aussi de
large section, aux dimensions proches de celles du puits XII (1,28 m x 2,18 m,
prof. 6,5 m). Il donne sur une pièce carrée, voûtée, aux parois ornées de redans
évoquant un sarcophage de l’Ancien Empire : c’est le caveau d’Osiris (XXI). Un
appartement encore rempli de déblais s’ouvre dans le bas du puits vers le sud.
La paroi nord de la salle XXI, de 1,70 m d’épaisseur, était construite en parpaings
pour dissimuler dans le plafond l’accès du caveau secret de Padiamenopé. Son
décor reprend des textes déjà présents dans les étages supérieurs de la tombe 40.
Quatorze niches étaient prévues pour receler des images de génies-gardiens.
Entre ces niches, on trouve une seconde version des trente-six génies gardiens
du réveil d’Osiris.
L’analogie avec l’Osireion d’Abydos est fondée sur la position du puits
d’accès à la fois ostensible et hors d’une enceinte, ici, la porte au bout du
couloir XII. À Abydos, le couloir est orné du Livre des Portes et, comme chez
Padiamenopé, d’une version complète du Livre des Cavernes. Puis, après
un angle droit à gauche, une descenderie conduit au tombeau d’Osiris : une
plateforme entourée d’un canal. Au-delà, une pièce à l’accès secret 41 ornée de
39. Par exemple, les catalogues de divinités du naos de Saft el-Henneh, des cryptes du temple de
Tôd, la crypte de Montouemhat dans le temple de Mout, ou l’un des sanctuaires du temple d’Hibis.
Voir Cl. Traunecker, « Krypta » dans LÄ III, 1980, col. 823-830, id., « Cryptes connues et inconnues des
temples tardifs », BSFE 129 (1994), p. 21-45. Un objet provenant de Médinet el-Fayoum associe, comme
chez Padiamenopé, des images diverses en ronde bosse : J. P. Corteggiani, L’Égypte ancienne et ses dieux,
2007, p. 451.
40. Voir supra n. 26.
41. L’ouverture dans la niche axiale est récente. Un conduit dit « de voleur » s’ouvre dans l’angle nordest. On peut envisager un lien avec la crypte à deux niveaux nord-ouest du temple de Séthi.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 73
textes rares constituait un caveau à part, comme celui de Padiamenopé. Fort
de cette analogie des parties basses des deux monuments, on peut imaginer
celle des superstructures. Chez Padiamenopé, la superstructure qui, dans la
partie publique de la tombe, couronne le caveau divin XXI et le caveau secret
XXII du maître des lieux est le « cénotaphe ». À Abydos, la superstructure
de l’Osireion a entièrement disparu 42 mais il ne me paraît pas déraisonnable
de penser qu’elle a servi de modèle au « cénotaphe ». N’oublions pas que
Padiamenopé se vante d’être « scribe du temple d’Osiris d’Abydos » 43. Ainsi,
non seulement la tombe de Padiamenopé reproduit un monument disparu,
mais elle permet également aux fidèles thébains d’effectuer le pèlerinage
abydénien sans quitter leur ville. On peut imaginer, tant à Abydos qu’au cœur
du « Grabpalast », la célébration des rites circumambulatoires : c’est la fonction
du couloir XIII.
Le modèle d’Abydos était-il en tout point semblable au cénotaphe de la
tombe 33 ? Je pense que les quinze portes et les huit déesses étaient présentes. Pour les vingt-deux niches, la question reste ouverte. On peut envisager des chapelles habitées par des divinités apotropaïques 44. Quant aux
matériaux, j’imaginerais volontiers que les constructeurs abydéniens, pour
« faire ancien », aient eu recours à la brique crue.
L’introduction des rites abydéniens des circumambulations dans les hypogées thébains, memphites ou nubiens a conduit les constructeurs à imaginer
et creuser ces étranges couloirs tournants comme chez Haroua, Bakenrenef
ou dans le cimetière royal de Nouri, la tombe de Taharqa. Là encore, c’est la
nécessité d’une action rituelle qui a pris le pas sur la pure théologie 45.
42. La restitution d’un tumulus proposé par S. Aufrère – J.-Cl. Goyon – J.-Cl. Golvin (L’Égypte restituée,
Site et temples de Haute Égypte, 1991, p. 44) n’est pas étayée archéologiquement. Le modèle des tombes
archaïques a toujours été l’enceinte à redans. Les Égyptiens n’ont jamais construit des tombes circulaires (voir Cl. Traunecker « Orientations réelles et imaginaires dans l’architecture égyptienne »,
excursus 2, « Pourquoi les pyramides sont-elles de plan carré ? » dans Journée Michel Azim, université
Lyon II, sous presse).
43. Padiamenopé est aussi « Scribe du temple d’Abydos », cf. statue de Syracuse : J. Heise, Erinnern und
Gedenken (OBO 226), 2007, p. 98-100.
44. Voir les génies-gardiens du sarcophage de Merenptah remployé par Psousennès, ou ceux du caveau
de Mutirdis (TT 410).
45. S. Einaudi, « The tomb of Osiris: an ideal burial model ? », dans J.-Cl. Goyon – Chr. Cardin (éd.), Actes
du neuvième Congrès international des égyptologues (OLA 50/1), 2007, p. 475-485.
74 | BSFE 193-194
Padiamenopé était-il un savant de cabinet ou un homme de pouvoir ?
Après ce parcours dans la tombe de Padiamenopé mettant en relief l’extraordinaire originalité du monument, des options prises et de la détermination
sans faille dans l’exécution du projet, il convient de se pencher à nouveau
sur la personnalité du « prêtre-lecteur » et de s’interroger sur sa place dans
la société du temps.
J’avais avancé l’idée d’un intellectuel, d’un savant, spécialiste de l’histoire
religieuse de son pays, d’un ritualiste hors pair, conseiller pontifical auprès de
Sa Majesté kouchite. Cette image est toujours valable, mais elle pourrait être
complétée peut-être par une nouvelle dimension du personnage Padiamenopé.
Cette nouvelle approche, encore hypothétique, se fonde sur des indices, des
rapprochements et non sur des preuves, mais il serait dommage de ne pas
l’exprimer, ne fût-ce que pour susciter de nouvelles pistes de recherches.
On s’est toujours interrogé sur la démesure d’une tombe d’intellectuel,
dépourvu de fonctions gouvernementales tant à l’échelle du pays que de la
région. S’il sort d’une famille sacerdotale locale, il ne fait pas explicitement
partie de l’élite dirigeante des sacerdoces locaux. La manière dont il a, semblet-il, imposé l’implantation de son monument sur le terrain au détriment des
voisins, l’importance du chantier et son ambition laissent supposer un personnage détenant une forte autorité. On peut toujours imaginer que celle-ci
était fondée sur son savoir et le respect du savant, mais nous savons tous que
ces considérations, toutes respectables qu’elles soient, suffisent rarement s’il
n’y a pas en plus un moyen de pression économique ou politique.
Pour esquisser ce portrait nouveau de Padiamenopé, je m’appuierai sur
trois de ses titres. Prenons à la lettre son titre d’archiviste et secrétaire royal
en retenant l’idée d’une proximité réelle entre le prêtre thébain et le roi
Taharqa. Même si les contacts étaient épisodiques en raison des déplacements
du roi, il est fort possible que Padiamenopé ait fait partie des proches, voire du
cercle des intimes du souverain, et surtout que cela se savait à Thèbes. De plus,
sa fonction de chargé des regalia le place dans une position prédominante.
Le titre de « conducteur des fêtes d’Amon » est un indice précieux pour son
rôle. En effet, on sait que cette fonction consistait essentiellement à représenter
sur place le souverain pendant le déroulement des grandes fêtes 46. On sait également que les compétences sacerdotales n’étaient pas indispensables. Le roi
pouvait déléguer n’importe lequel de ses proches pour le remplacer et le représenter durant les fêtes. L’essentiel était d’avoir la confiance royale. C’est ainsi
que les conducteurs de fêtes peuvent être des fonctionnaires royaux de tout
ordre, intendants, responsables du trésor, des greniers, administrateurs civils,
46. W. Helck, « Festleiter », LÄ II, 1975, col. 192-193.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 75
vizirs, etc. Sortes de plénipotentiaires
désignés par la seule volonté royale,
ils représentaient physiquement le
roi au cours des grandes cérémonies.
Enfin, il est aussi « responsable de
tous les travaux du roi ». Le mot
« travaux » doit être pris dans le
sens large du terme, mais on sait
combien l’activité architecturale à
Karnak fut importante sous le règne
de Taharqa. Sur la statue de Sorrente,
il est appelé « responsable des tra- Fig. 10 Portrait de Padiamenopé.
vaux ». Il n’y a pas lieu ici d’énumérer Passage de la porte XIII, sud (photo P. Maître)
les nombreuses interventions de cette période, en particulier les kiosques
des parvis. Padiamenopé est-il resté à l’écart des importants mouvements
de fond, d’énergie et de savoir liés à des chantiers aussi importants que la
construction du kiosque de Taharqa ? 47. Nous savons par la statue de Sorrente
que Padiamenopé était en situation de faire construire un temple avec son
enceinte et ses portes 48. Ajoutons qu’une des statues de notre ami porte la
mention rarissime à cette époque de « Donné par la faveur du roi » 49. Dans
sa thèse consacrée aux statues portant cette formule, Luc Delvaux donne
une définition des bénéficiaires de cette générosité royale personnelle qui
s’appliquerait bien à Padiamenopé : « des personnages qui n’occupaient pas
réellement des fonctions décisives de l’appareil d’état mais qui étaient certainement parmi les plus considérés, car particulièrement proches du roi » 50.
Le problème fondamental est que, contrairement à nos collègues hellénistes, nous sommes très mal renseignés sur l’organisation économique
de ces chantiers. Apparemment, et par définition, ils sont tous « royaux » ;
mais plusieurs indices nous montrent qu’il faut nuancer cette approche.
47. À propos du kiosque de Taharqa dans la grande cour, j’ai jadis émis l’hypothèse qu’il avait pu servir
de cadre à des cérémonies d’Union au Disque (CahKarn V, 1975, p. 89-92). Faut-il faire le rapprochement
avec l’Union au Disque évoqué par les textes de la chapelle 11 du cénotaphe ?
48. Statue de Sorrente : M. d’Este « Petamenofi a Sorrento », EVO 20-21 (1997-1998), p. 119-124, col. 6.
Cf. supra n. 9.
49. Statue Caire JE 37389 (Cachette 1904, debout 82 cm), J. Heise, op. cit., p. 101-102 ; M. Affara, DE 62
(2005), p. 5-15.
50. L. Delvaux, « Donné en récompense de la part du roi ». Statuaire privée et pouvoir en Égypte ancienne, I
(thèse de l’université Marc Bloch de Strasbourg), 2008, p. 104 ; sur la statue de Padiamenopé, p. 995999. Seul exemple de la formule de don post-XXIIIe dynastie, cette mention est une forme d’archaïsme
érudit bien dans le style de Padiamenopé, mais elle peut aussi refléter une réalité dans les rapports du
bénéficiaire et de l’autorité royale.
76 | BSFE 193-194
Aux époques ptolémaïque et romaine, on devine des distinctions entre les
projets royaux et les projets locaux sur fonds propres 51. Les personnages
chargés par l’administration royale de la gestion de projets spécifiques
étaient des personnages importants.
On imagine l’intervention du prêtre-lecteur Padiamenopé « conducteur
des fêtes d’Amon » pour les grandes solennités annuelles, et j’aimerais évoquer pour finir celle du premier jour épagomène, jour de la naissance d’Osiris.
Ce jour-là, à Karnak, une procession chargée des vases à eau sacrée d’Amon,
Mout et Khonsou descendait solennellement la rampe construite au nom de
Taharqa sur le parvis ouest pour puiser l’eau nouvelle de la crue. Le texte
de la rampe spécifie explicitement que l’hymne accompagnant la cérémonie
est entonné par un « prêtre-lecteur »52. Pourquoi pas Padiamenopé ? On peut
même aller plus loin, que le lecteur me pardonne, et imaginer que le chantier de construction de cette rampe, qui implique d’importants travaux portuaires, fut placé sous la supervision du « secrétaire particulier » du roi, le
seigneur Padiamenopé ! Quoi qu’il en soit, il faut considérer autrement, je
pense, l’homme qui a conçu et fait construire le « Grabpalast » !
Claude Traunecker
English abstract
Evocation of the grave which was built for Padiamenope on the western bank of Thebes
(towards 650 before J.-C.), of the history of its discovery, and of the incredible accumulation of unique characteristics: innovative choice in the geographical orientation,
architectural and scriptural structure which juxtaposes the periods, funerary texts
deliberately put at the disposal of the scholars, similarities with the Osireion of Abydos.
51. Cl. Traunecker, « Thèbes, été 115 avant J.-C. : les travaux de Ptolémée IX Sôter II » dans Chr. Thiers
(éd.), Documents de Théologies Thébaines Tardives (D3T 2) (CENIM 8), 2013, p. 221-226 ; id., « Thèbes, printemps 242 av. J.-C., Ptolémée III et la reine Bérénice à Karnak ? », dans Hommages égyptologiques à Paul
Barguet (Kyphi 7), 2015, p. 201-231. L’inscription grecque du listel de la façade du temple de Dendara
datée de Tibère fait allusion à un financement privé par « les habitants de la métropole et du nome »
(voir Fr. Daumas, Dendara et le temple d’Hathor, notice sommaire, 1969, p. 31). Voir aussi la dédicace grecque
de la porte de Trajan à Douch qui témoigne d’une souscription publique (G. Wagner, Les oasis d’Égypte à
l’époque grecque, romaine et byzantine d’après les documents grecs [BdE 100], 1987, p. 48-50).
52. Cl. Traunecker , « Les rites de l’eau à Karnak d’après les textes de la rampe de taharqa », BIFAO 72
(1972), p. 195-236, p. 203 et fig. 2. À l’époque gréco-romaine, selon Hérodote et Plutarque, cette fête
avait en pendant populaire les Pamylies (procession d’une statue d’Osiris ithyphallique). Les Pamylies
sont presque venues à nous car elles ont inspiré à Jean-Philippe Rameau et Louis de Cahusac un opéra
crée à Fontainebleau en 1754, « La naissance d’Osiris ». Cet aimable comédie-ballet pleine de bergers
et de bergères célébrait la naissance du futur Louis XVI.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 77
II. Au cœur du texte. Rhétorique et spatialité chez Padiamenopé
Au cœur du texte : deux exemples
Nous avons choisi deux exemples pour offrir un aperçu de la réflexion intellectuelle à l’œuvre dans la conception de ce monument exceptionnel, tant
par son volume que par son décor. Le premier est exclusivement textuel et
concerne la rhétorique ; le second est plus architectural et replace l’inscription dans son contexte spatial.
La tombe de Padiamenopé conserve une anthologie de la littérature
funéraire, en particulier l’une des dernières versions complètes de l’Amdouat
et du Livre des Portes 53. Elles sont réparties autour du cénotaphe osirien
(salles XII-XIII) et, plusieurs mètres plus bas, dans le caveau du prêtre
(salle XXII) (fig. 11). Les leçons de l’Amdouat 54 et du Livre des Portes copiées
sur les parois de la tombe 33 ont été clairement remaniées et présentent
plusieurs spécificités, en particulier des « métatextes » 55 ou « métadiscours » 56.
Ces derniers correspondent à de brefs commentaires sur le texte-source qui
précède ; ils viennent ponctuer de manière irrégulière les deux Livres et visent
à personnaliser ces compositions au profit de Padiamenopé. De manière
générale, malgré l’état de détérioration important du Livre des Portes, on peut
estimer que, grosso modo, un (rarement deux) métadiscours est présent pour
chaque heure. Ils sont, il faut le souligner, sans parallèle. En effet, aucune autre
version de l’Amdouat ou du Livre des Portes, ni même aucun autre texte de
la tombe ne semble comporter de métadiscours comparables. En outre, ces
incises personnalisantes apparaissent dans des endroits stratégiques du texte.
53. La tombe 33 renferme les dernières versions complètes actuellement connues pour le
Livre des Portes et l’Abrégé de l’Amdouat. La dernière notation intégrale de la version longue de
l’Amdouat apparaît sur le papyrus ptolémaïque du prêtre Nesmin dont nous envisageons l’édition
avec M. Gabolde : P. Windsor RCIN 1145266 (collection de Sa Majesté la reine Elizabeth II). Description
(sans illustration) par S. Birch, Description of the Papyrus of Nas-Khem, priest of Amen-Ra, discovered
in an excavation made by direction of the Prince of Wales, in a tomb near Gournah, at Thebes, 1863. Une
exposition l’a récemment mis à l’honneur : http://www.royalcollection.org.uk/collection/1145266/
section-of-the-papyrus-belonging-to-nesmin-with-the-first-hour-of-the-amduat.
54. I. R égen, « The Amduat and the Book of the Gates in the Tomb of Padiamenope (TT 33). A Work in
Progress », dans E. Pischikova – J. Budka – K. Griffin (éd.), Thebes in the First Millenium B.C., Actes du colloque
international, Louqsor, 1-4 octobre 2012 (Cambridge Scholars Publishing), 2014, p. 307-322 ; id., « Quand Isis met
à mort Apophis. Variantes tardives de la 7e heure de l’Amdouat », dans Chr. Thiers (éd.), op. cit., p.  247-271.
55. G. Genette , Palimpsestes, 1982, p. 8. Sur les procédés rhétoriques dans la littérature funéraire :
L. Coulon, « Rhétorique et stratégies du discours dans les formules funéraires : les innovations des Textes
des Sarcophages », dans S. Bickel – B. Mathieu (éd.), D’un monde à l’autre, Textes des Pyramides et Textes des
Sarcophages (BdE 139), 2004, p. 119-142.
56. P. van den H euvel , « Le discours rapporté », Neophilologus 66 (1978/1), p. 25.
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Fig. 11 Aperçu de la localisation des principaux livres funéraires dans la tombe de Padiamenopé
(plan Cl. Traunecker, légendes I. Régen)
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 79
Exemple 1 : métadiscursivité dans le Livre des Portes
Ainsi, dans le Livre des Portes, un métadiscours au bénéfice de Padiamenopé
(infra, en grisé) apparaît notamment dans le « texte-programme » 57, court
texte qui fournit les raisons de la présence du soleil dans le monde inférieur et
précise la nature de ses projets : répartir la propriété foncière et les richesses
de la terre (« le partage de ce qui est dans le sol ») entre les habitants de
la Douat, mais aussi rendre la justice, récompenser le mort bienheureux et
anéantir les ennemis.
Le métadiscours reprend au compte de Padiamenopé des syntagmes ou
des mots-clés (supra, en gras) originellement attribués au dieu-soleil et figurant dans le texte-source. Ici, Padiamenopé s’associe à la première des six
raisons de la présence de l’astre dans le monde inférieur, la répartition foncière. Cette dernière est d’une importance capitale pour le défunt puisque
l’attribution de terres lui permettra d’assurer sa subsistance tout au long de
son existence post-mortem.
Par conséquent, si Padiamenopé voyage dans la barque du soleil, il prend
de même une part active à l’action du dieu-soleil en s’intégrant à l’équipe des
haleurs et justifie donc sa présence dans la barque. On notera au passage, dans
le métadiscours, la morphologie particulière des verbes dwȝ et sṯȝ qui correspond probablement à un sḏm~n=f « rituel » (performatif) 58 : il n’y a pas lieu,
en effet, de la rendre par une forme perfective puisque l’adoration du dieu et
le halage de sa barque ne sont pas terminés mais sont au contraire toujours
rituellement en cours. J’ajouterai que dans la tombe 33, Padiamenopé est
systématiquement représenté dans la barque du soleil 59. On voit donc bien
comment les scènes de l’Amdouat et du Livre des Portes sont un élément
essentiel du paratexte, autrement dit de tous les éléments entourant le texte
et qui le font exister. Elles participent également au processus de personnalisation du texte pour le mort. En définitive, texte et image sont si étroitement
liés dans ces Livres que le seul terme de « texte » ou de Livre ne suffit pas à
rendre leur richesse ; un terme plus adéquat serait celui d’« iconotexte » 60.
57. E. Hornung et al., Das Buch von den Pforten des Jenseits nach den Versionen des Neuen Reiches
(AegHelv 8), 1980, p. 62.
58. Voir par ex. Fr. L abrique , « Le sḏm~n=f rituel à Edfou : le sens est roi », GM 106 (1988), p. 53-64 ;
elle y distingue le sḏm~n=f rituel gnomique qui traduit « une action atemporelle, un fait absolu » et le
sḏm~n=f rituel performatif.
59. À l’exception de la douzième et dernière heure de l’Amdouat (salles XIII et XXII). Dans la version
de la salle XIII, Padiamenopé ne figure plus dans la barque mais à l’extérieur car il est figuré accueillant
le soleil levant en position d’adoration (couloir XIII-3).
60. Terme utilisé pour la première fois par Michael Nerlich en 1985 ; cf. A. Montandon, « Iconotexte »
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Navigation du grand dieu que voici1
m wȝ.wt <Dwȝ.t>
sur les voies <du Monde inférieur> ;
sṯȝ nṯr pn ʿȝ jn nṯr.w Dwȝt(y).w
Halage du grand dieu que voici par
les dieux du Monde inférieur
r jr.t p<s>š.wt jm(y.w)t tȝ
pour é<ta>blir le partage de ce qui est
dans le sol,
r jr<.t> sḫr.w jm(y).w=f
pour réalise<r> les projets de ceux qui
sont en lui
r wḏʿ-mdw.wt m Jmn.t
pour rendre justice dans l’Occident,
jr.t ʿȝ r nḏs m nṯr.w jm(y).w Dwȝ.t
(pour) faire, du petit comme du grand,
des dieux qui sont dans le Monde
inférieur,
rd.t ȝḫw.w ḥr s.wt=sn m(m) mwt.w
r wḏʿ.t=sn
(pour) mettre les esprits brillants à
leur place au sein des morts (et) leur
rendre justice,
r ḥtm ẖȝ.wt njkyw.w r ḫnj
bȝ(.w)=sn
pour anéantir les cadavres des damnés
et pour emprisonner leurs âmes.
jw dwȝ~n ẖr(y)-ḥb(.t) ḥr(y)-tp
Pȝ-d(w)-Jmn-Jp(ȝ).t Rʿ m
C’est dans sa grande barque que le
prêtre-ritualiste et chef2 adore Rê ;
sṯȝ~n=f nṯr pn ʿȝ
r jr p<s>š.t jm(y) tȝ
S’il hale le grand dieu que voici, c’est
pour que puisse être établi le partage
de ce qui est dans le sol.
metadiscours
sqdw[.t] jn nṯr pn ʿȝ
T exte - source (« texte - programme »)
Livre des Portes, 2e heure, registre médian, 7e scène
Enfin, le métadiscours inséré dans un endroit crucial du Livre des
Portes apparaît comme une revendication indirecte d’efficacité. En effet,
Padiaménopé participe à l’ordre du monde, au maintien de la Maât, par
conséquent au maintien du cycle solaire et, au-delà, à sa propre renaissance.
dans Dictionnaire International des Termes Littéraires (DITL) : http://www.flsh.unilim.fr/ditl/Fahey/
ICONOTEXTEIconotext_n.html.
La tombe du prêtre Padiamenopé (TT 33) : éclairages nouveaux | 81
Je souhaiterais à présent évoquer le dernier exemple qui, quant à lui,
replacera les inscriptions dans leur contexte en traitant de la spatialité du
texte dans le couloir XIII-3.
Exemple 2 : spatialité du texte dans le couloir XIII-3
Les Livres du Monde Inférieur présents dans la tombe 33 se déroulent d’ouest
en est sur les parois, conformément aux prescriptions de ces compositions
documentant le parcours nocturne du soleil. Ainsi, dans le caveau du prêtre
(salle XXII) situé plusieurs mètres en dessous du cénotaphe osirien, le souci
de conformité aux prescriptions d’orientation a entraîné le recours à un petit
jeu mathématique qui, seul, permettait que le Livre débutât à l’ouest et se
terminât à l’est du caveau (inversion des heures 5-6 et 7-8) (fig. 12). Mais plus
haut, au premier niveau de la tombe, l’autre version longue de l’Amdouat
courant autour du cénotaphe n’a pas respecté cette orientation : la douzième
heure est orientée vers le nord. Pourtant, cette zone de la tombe est caractérisée par une forte thématique solaire puisque, au terme des couloirs XIII-2
et XIII-3 61, cinq Livres se terminent par le lever du soleil : Livre de l’Amdouat,
Fig. 12 Orientation des heures du Livre de l’Amdouat, d’ouest en est,
dans les salles XIII, cénotaphe osirien, et XXII, caveau (plan D. Eigner, légendes I. Régen)
61. Numérotation de D. Eigner (cf. fig. 12).
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Livre des Portes, Livre de la Nuit, Livre de la Terre, Livre de Nout 62. Quelle
est donc la raison motivant un tel retour du couloir XIII ? Nous nous étions
tout d’abord demandés si la présence d’une autre tombe empêchait le dé­rou­
lement complet du couloir XIII vers l’est ; ce n’était pas le cas. La solution fait
souvent irruption à des moments inattendus : alors que Claude Traunecker et
moi-même déambulions dans le couloir XIII.3, j’ai ainsi aperçu une inscription
à laquelle je n’avais pas prêté attention jusqu’alors. L’entrée du couloir XIII.3
est en effet marquée par un linteau portant une courte formule lacunaire.
Or, dans cette lacune, on distingue clairement les restes de ce qui devait être
la désignation jḫm-sk. Voilà donc pourquoi ce couloir tourne vers le nord :
il est orienté vers les Étoiles impérissables. Il s’agit plus précisément d’un
extrait de la formule 690B des Textes des Pyramides (§ 2101a-2102b), dans
lequel Padiamenopé reçoit le nom « d’Étoile impérissable » par les Enfants
d’Horus63. Or, le fond de ce couloir comporte une fausse-porte ; par conséquent­, elle correspond en quelque sorte à la porte de sortie de cette tombe,
au nord. Padiamenopé multiplie donc ses chances de survie dans la Douat en
reprenant non seulement une tradition solaire (vers l’est), mais également
une tradition stellaire (ciel du nord). Il synthétise ainsi cette double conception tant dans les textes que dans l’architecture.
De manière générale, les métadiscours montrent comment un esprit
ancien synthétise une composition, sélectionne et met en valeur les passages
du texte qui lui paraissent essentiels pour le bénéfice du mort. En dernier lieu,
jamais nous ne saurons si Padiamenopé fut lui-même directement à l’origine
des particularités des textes de sa tombe. Toujours est-il que s’il n’en a pas
été le scribe, il en aura sans doute été le commanditaire. Padiamenopé est
prêtre-lecteur et chef, ce qui lui assure toute compétence dans le domaine des
écrits. Il est du reste assez troublant de noter que dans sa titulature abrégée,
Padiamenopé choisit systématiquement ce titre 64 parmi la cinquantaine de
titres qu’on lui connaît. Il cherchait donc à apparaître avant tout, aux yeux
de la postérité, comme un intellectuel.
Isabelle Régen
62. Sur ce dernier, I. R égen, « Le faucon, rtḥ-qȝb.t et le lever du soleil. Trois extraits inédits du Livre de
Nout dans l’Assassif (TT 34, TT 33, TT 279) », dans Chr. Thiers (éd.), D3T 3 (CENIM 13), 2015, p. 217-246 ;
id. « Sur la mise en place du Livre de Nout dans les tombes tardives de la nécropole de l’Assassif », communication lors du colloque « Thebes in the 1st Millenium B.C. » organisé par E. Pischikova à Louqsor,
25-29 septembre 2016.
63. Les Enfants d’Horus correspondraient eux-mêmes aux « étoiles entourant le baudrier d’Orion »,
voir B. M athieu, « Les Enfants d’Horus, théologie et astronomie », ENIM 1 (2008), p. 13.
64. Communication personnelle de J. Baines.
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English abstract
Last, revised versions of the Book of the Amduat and the Book of the Gates appear in
the tomb of Padiamenope, including unparalleled « metatexts » or « metadiscurses »
aiming to personalize those Books for the deceased.
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