1. Entre héritage de santé publique sociale et

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Hervé Hudebine, maître de conférences à l’université de Bretagne occidentale, ARS EA 3149
(Herve.Hudebine @ univ-brest.fr)
Le rôle des institutions de l’Etat providence, de la communauté scientifique et des
associations dans l’acceptation sociopolitique des actions de réduction des risques 19791997
La rapidité du développement des politiques britanniques de réduction des risques associés à
l’usage de drogue dans la deuxième moitié des années quatre-vingt et l’acceptation dont elles
ont fait l’objet aux plans politique et social sont paradoxales à plus d’un titre. Tout d’abord,
depuis la fin des années soixante-dix, la légitimation de l’intervention publique dans ce
domaine s’effectuait essentiellement sur le mode moral et sécuritaire. Ensuite, les
gouvernements conservateurs affichaient clairement une volonté de retrait de l’intervention
publique dans le domaine social, même si les résultats obtenus variaient en fonction des soussecteurs considérés. Cette orientation était soutenue par une rhétorique empruntant à la fois à
la morale, à l’idéologie néo-librale et à la théorie économique classique soulignant l’inertie de
l’administration dans le domaine social, voire de la santé (Hayward, Klein, 1994). Les
interventions de cette dernière étaient par ailleurs présentées comme coûteuses, inefficaces et
tendant à déresponsabiliser les individus. Or, l’adaptation réussie des politiques britanniques
de lutte contre la drogue à la prévention du sida procède pour une bonne part d’innovations
qui ont été portées par des acteurs vivement critiqués pour leur inertie dans les discours
conservateurs : fonctionnaires, professionnels de la santé ou de l’enseignement et de la
recherche universitaires, associations souvent marquées à gauche pour qui il s’agit parfois
d’un substitut à d’autres formes de militantisme.
L’objet de la communication proposée est d’expliquer comment une politique de réduction
des risques, dont les initiateurs et les valeurs sous-jacentes sont en décalage avec les
orientations conservatrices, a été rapidement acceptée par le gouvernement, n’a pas fait l’objet
et a survécu aux aléas de la conjoncture politique. L’hypothèse proposée est que la réponse au
péril constitué par le risque de propagation du sida au sein et à partir de la population des
usagers de drogues est liée à trois types de facteurs.
Il sera tout d’abord montré que le développement de la politique de réduction des risques
procède à la fois d’une activation de l’héritage et du potentiel du système britannique dans le
domaine de la santé publique sociale et d’une expérimentation réussie d’approches modernes
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de la gestion des dispositifs et des interventions socio-sanitaires (recours au tiers secteur,
autonomisation des populations cibles, participation contrôlée de ces dernières à l’élaboration
des normes d’intervention). Pour comprendre comment le passé et les facteurs institutionnels
peuvent concourrir au développement et à l’acceptation d’interventions socio-sanitaires
innovantes, il sera nécessaire, en deuxième lieu, de prendre en compte une autre
caractéristique clé de la configuration des politiques britanniques de la drogue sous le règne
des conservateurs. Celle-ci est en effet caractérisée par un degré significatif de pluralisme,
tant au sens conventionnel (acteurs, idées, discours), qu’au plan des cheminements
institutionnels ouverts aux promoteurs du changement. Il sera enfin montré que ce pluralisme
(qui autorise une prise en compte du point de vue des toxicomanes par le biais de leurs porteparole associatifs) est étroitement lié à l’existence de règles de second ordre, notamment
celles qui gouvernent la dialectique entre discours gouvernemental et action publique
concrète, qui ne sont alors pas spécifiques au champ de la drogue.
Pour conclure, deux questions relatives aux conditions de possibilité et d’acceptation d’un tel
style d’innovation et de régulation dans le champ de l’intervention socio-sanitaire seront
évoquées. On s’interrogera tout d’abord sur leur compatibilité avec des politiques d’ingéniérie
sociale qui, telles celles des néo-travaillistes, sont prises au sérieux par le personnel
gouvernemental. On se demandera ensuite dans quelle mesure le pluralisme évoqué est
tributaire des ressources (même négatives) et de la visibilité des populations marginalisées qui
sont ciblées par les politiques.
1. Entre héritage de santé publique sociale et expérimentation
de dispositifs modernes d’intervention : la genèse des
politiques britanniques de réduction des risques
1.1. L’activation de l’héritage et du potentiel de santé publique sociale
britannique
Un regard comparatif amène à s’intéresser au rôle joué par l’héritage et le potentiel de santé
publique sociale en Grande-Bretagne. Au sein de l’équivalent britannique des centres de soins
spécialisés domine, à la fin des années soixante-dix, une approche de la prise en charge
influencée par le comportementalisme d’origine américaine qui tranche avec les conceptions
psychothérapeutiques d’inspiration psychanalytiques qui prévalent assez largement chez les
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intervenants français à la même époque (Bergeron, 1999). Pour autant, les psychiatres qui
exercent dans les centres de soins spécialisés britanniques ne sont pas moins réticents que les
intervenants français face au développement de mesures de réduction des risques qui
impliquent une adaptation de leurs pratiques et une mise en perspective de l’objectif
d’abstinence auxquels ils sont attachés. La similarité des postures des intervenants spécialisés
britanniques et français incite à s’intéresser à d’autres facteurs que leurs convictions et
pratiques pour rendre compte de la rapidité et de l’acceptation de l’adaptation des politiques
britanniques de la drogue à la prévention du sida. Les analyses comparatives des politiques de
prévention du sida (Cattacin, Panchaud, 1996 ; Cattacin, Lucas, 1999 ; Steffen, 2004),
conduisent à envisager le rôle joué par l’héritage et le potentiel de santé publique sociale dans
l’adaptation de l’action publique en matière de drogue et son acceptation au plan
sociopolitique.
Fortement ressentie par ses acteurs, la défaite de la santé publique en Grande-Bretagne
(Lewis, 1986 ; Porter, 1997) a été relative. Les chercheurs, experts et professionnels rattachés
à cette discipline conservent des positions assez fortes tant au sein de l’université, que des
autorités ou gouvernements locaux ou encore au sein de l’administration où ils conseillent les
hauts fonctionnaires et leurs patrons politiques (Hudebine, 2001). Ils interviennent dans un
système de type universaliste qui, même s’il peut être qualifié de faible (Merrien, 2000),
fonctionne selon une configuration institutionnelle qui favorise la prise en compte des enjeux
collectifs de santé, tant du point de vue des normes de justice sociale héritées de l’aprèsguerre, que des mécanismes politico-administratifs de mise en jeu des responsabilités face aux
coûts, humains et financiers, de l’inaction. C’est ainsi qu’un héritage à la fois intellectuel,
expert et social, porté par des acteurs réputés pour leur inertie (Hayward, Klein, 1994), peut
favoriser l’innovation.
1.2. Le rôle clé des acteurs publics dans l’identification du problème,
la stimulation de la réflexion sur les solutions et l’expérimentation de
ces dernières
En Grande-Bretagne comme en France, la prise de conscience du risque que représente de
propagation du VIH au sein et à partir de la population des toxicomanes intervient en 1985.
Au début de la décennie, « l’épidémie d’héroïne »1 a déjà été à l’origine d’une première
1
Howard Parker, Keith Bakx et Russel Newcombe utilisent ce terme car « le phénomène comporte des
caractéristiques similaires à celle d’une épidémie, par exemple la transmission à travers des contacts individuels
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réforme des politiques de la drogue. Si le renforcement de l’arsenal répressif qui en est résulté
s’est inscrit dans la continuité des mesures développées depuis la fin des années soixante, il en
est allé tout autrement dans le champ sanitaire et social. Fonctionnaires et médecins de l’Unité
politiques de la drogue du ministère de la santé figurent parmi les protagonistes qui, dès le
début des années quatre-vingt, ont cherché à déclencher un processus de rénovation des
dispositifs. En accord avec les diagnostics sociologiques effectués à l’époque (Stimson,
Oppenheimer, 1982), ils recherchent un assouplissement des pratiques psychiatriques,
souhaitent favoriser le développement de dispositifs de proximité multidisciplinaires, qui
proposeraient un accueil à bas seuil des usagers et impliqueraient donc une mise en
perspective de l’objectif d’abstinence. Si les médecins et fonctionnaires de santé publique ne
sont pas à proprement parler en mesure d’imposer de telles orientations, ils tentent néanmoins
de les favoriser en stimulant la réflexion des experts et représentants du secteur dans les
différents forums de l’action publique2 en matière de drogue, qu’ils soient interdisciplinaires
(Advisory Council on the Misuse of Drugs 1982 et 1984) ou médicaux (Department of Health
and Social Security, 1984).
Le succès remporté est mitigé puisque seul l’Advisory Council on the Misuse of Drugs
formule des recommandations conformes à leurs attentes. Le groupe de travail médical,
dominé par des psychiatres spécialisés, se montre plus conservateur. Les recommandations de
l’ACMD de 1982 inspirent directement une initiative de financement gouvernementale qui
bénéficie pour l’essentiel au développement d’un réseau de structures d’accueil à bas seuil, de
proximité, de type associatif (McGregor et al., 1991).
Cette première réforme du volet socio-sanitaire des politiques de la drogue au début des
années quatre-vingt, analysée comme l’un des facteurs explicatifs de la rapidité du
développement ultérieur des politiques de réduction des risques (Berridge, 1993 ; McGregor,
1998 ; Stimson, 1995), procède donc pour une bonne part des initiatives d’acteurs publics de
la santé. Ceux-ci jouent également un rôle significatif dans la mise en évidence du problème
constitué par le risque de propagation du VIH au sein et à partir de la population des usagers
et le rapide accroissement du nombre d’usagers au début de la décennie » (1988, p. 27). Le nombre d’usagers
d’héroïne croît de 30% par an entre 1980 et 1985 (HOME OFFICE STATISTICAL BULLETINS, 1998,
Statistics of Drugs Seizures and Offenders Dealt With, London, Home Office, issue 28/87, tableau 3.1.). Le
Conseil consultatif sur l’abus de drogues (Advisory Council on the Misuse of Drugs – ACMD estime qu’ en
1986 le nombre d’usagers d’héroïne se situe entre 75000 et 150000 en Grande-Bretagne (ADVISORY
COUNCIL on the MISUSE of DRUGS, 1988, AIDS and Drug Misue Part 1 – Report by the Advisory Council
on the Misuse of Drugs, London, Department of Health & Social Security, Her Majesty’s Stationery Office, p.
13).
2
La notion de forum d’action publique est ici utilisée dans l’acception de Bruno Jobert (1999).
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de drogues, dans toutes les étapes du processus d’élaboration et d’expérimentation des
mesures visant à y répondre, ainsi que dans l’obtention d’un accord gouvernemental.
L’alerte a été donnée par le réseau des laboratoires de santé publique. Dès 1986, des médecins
généralistes (rémunérés par le National Health Service) réalisent, notamment en Ecosse, des
enquêtes épidémiologiques financés par des fonds publics (Robertson, 1987, 1994). Ces
informations sont relayées auprès du gouvernement par le Chief Medical Officer, qui se
trouve à la tête de la hiérarchie médicale du ministère de la Santé. A la même époque, des
médecins de santé publique exerçant au sein d’autorités locales de santé, voire des personnels
infirmiers, initient des dispositifs expérimentaux d’échanges de seringues. Lors même que
cette option fait l’objet de vifs débats politiques et suscite des réticences ministérielles, les
fonctionnaires administratifs et médicaux de l’Unité politique de la drogue du ministère de la
santé « décident de ne rien décider »3 afin de laisser se poursuivre ces expériences. Ce sont
encore eux qui contribuent, avec le Chief Medical Officer, à convaincre le ministre de la
Santé d’officialiser l’expérience en organisant des visites dans les pays, notamment les PaysBas, où de tels dispositifs sont déjà à l’œuvre.
Sur ces bases, l’unité politique de la drogue donne en 1987 une nouvelle impulsion au
processus d’adaptation des politiques de la drogue à la prévention du sida en incitant
l’Advisory Council on the Misuse of Drugs à se réunir pour formuler des recommandations.
Les résultats des évaluations sociologiques et épidémiologiques des dispositifs d’échanges de
seringues (Donoghoe, Stimson, Dolan, 1992) sont pris en compte par ce conseil consultatif et
conduisent les psychiatres spécialisés, qui y sont représentés mais en minorité, à en accepter
le principe. Indice de la conversion, certes plus tardive, de cette profession, ses représentants
s’enrôlent, aux côtés de leaders associatifs, de chercheurs en sciences sociales et de médecins
de santé publique, dans la coalition qui, au printemps et à l’automne 1988, fait publiquement
pression sur le gouvernement pour le conduire à accepter officiellement les recommandations
de l’Advisory Council on the Misuse of Drugs, puis à en financer la mise en œuvre.
Les acteurs publics interviennent encore fortement dans le domaine de la prévention
secondaire, de la prise en charge et du traitement de la toxicomanie jusqu’au début des années
quatre-vingt-dix. Leurs initiatives touchent plus particulièrement deux domaines, la diffusion
et la mise en œuvre locales des politiques de réduction des risques, l’assouplissement et la
diversification de procédures de traitement qui doivent concourir à la prévention de la
La formule est empruntée à un conseiller médical de l’unité politique de la drogue (Drug Policy Unit) du
ministère de la Santé interviewé en 1996.
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propagation du virus. Sur le premier point, l’influence des hauts fonctionnaires du ministère
de la Santé sur des autorités sanitaires locales qui bénéficient d’une large autonomie
opérationnelle se limite « à conseiller et recommander, mais pas à contraindre »4. La marge
d’influence est cependant plus importante lorsque ces fonctionnaires centraux disposent de la
possibilité de distribuer subventions nationales pré-affectées à des objectifs précis. Tel est le
cas dans le domaine des actions de réduction des risques jusqu’en 1993, mais moins par la
suite. Sur le second front, il s’agit, pour les fonctionnaires de l’Unité politique de la drogue,
d’obtenir que le Medical Working Group formule des recommandations plus favorables à la
prescription de traitements de substitution et à l’implication des médecins généralistes dans
ces derniers afin de compenser le manque de capacités d’accueil des centres de soins
spécialisés. Les hauts fonctionnaires de l’unité politique de la drogue provoquent en 1991 une
nouvelle réunion du Medical Working Group. Les résultats des délibérations de cette instance
consultative vont dans le sens souhaité, au moins sur le second point, les psychiatres
spécialisés prenant cependant le soin de réserver leur statut d’experts seuls aptes à traiter les
cas les plus difficiles à long terme qui, pour eux, dépassent les compétences des médecins
généralistes (Department of Health, 1991).
Après cette dernière intervention, les fonctionnaires du ministère de la Santé n’apparaîtront
plus sur l’avant-scène des politiques de la drogue. Ce retrait doit, pour une part, être analysé
en relation avec des luttes et mutations profondes, qui sont d’ordre institutionnel et
organisationnel. Le ministère de l’Intérieur et, en particulier la « branche drogue »5, est
soucieux de réaffirmer sa prééminence dans un champ où, depuis l’émergence du sida,
l’administration de la Santé a tenu le premier rôle. L’initiative de prévention primaire lancée
par le ministre de l’Intérieur en 1989 et mise en œuvre à partir de 1990 par une nouvelle Unité
centrale de prévention de la drogue (Home Office, 1991) offre la possibilité d’investir un
champ dans lequel l’administration de la santé est réputée avoir fait preuve d’inefficacité.
Au sein même de l’administration de la Santé, la réforme des services médico-sociaux et la
mise en oeuvre d’un marché interne (Allsop, 1995, ch. 9) signent, à partir de 1993, l’arrêt de
la grande majorité des lignes budgétaires pré-affectées. Du même coup, l’influence des hauts
fonctionnaires du ministère de la Santé sur les choix des gestionnaires locaux supervisant
l’élaboration des appels d’offres proposés aux prestataires de services diminue encore. L’une
des seules exceptions, nous y reviendrons, concerne alors les initiatives locales qui ceux-ci
4
5
La formule est employée par un haut fonctionnaire du ministère de la Santé interviewé en 1996.
Home Office Drugs Branch.
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contrediraient ouvertement la ligne politique ou les objectifs privilégiés du ministre et le
mettraient publiquement dans l’embarras.
Enfin, en 1991, la génération des fonctionnaires administratifs et médicaux présents durant la
période « héroïque » des réformes des politiques de la drogue (depuis 1982) quitte la place au
moment où une nouvelle politique de gestion des ressources humaines est inaugurée au sein
du ministère de la Santé. Celle-ci implique une rotation accélérée des hauts fonctionnaires
administratifs qui se voient comme des managers et ne s’identifient plus aux secteurs
auxquels ils sont affectés. La « mémoire médicale » des services disparaît également puisque,
aux médecins fonctionnaires en poste pour plusieurs années, se substituent des médecins
recrutés à temps partiel et pour des durées limitée.
Pour autant, le flambeau de la réduction des risques peut, avec toutefois de fortes variations
selon les localités (Fleming 1995), alors être repris par les acteurs publics locaux de la santé.
L’investissement dans les mesures et dispositifs de réduction des risques est poursuivi, en
dépit de la forte réduction des subventions nationales, au sein d’autorités sanitaires locales où
les administrateurs, souvent influencés en ce sens par leurs directeurs et médecins de santé
publique, sont prêts à affronter l’impopularité potentiellement liée à une telle affectation des
ressources.
L’analyse des répertoires de justification et d’action qui ont gouverné les initiatives des
acteurs publics de la santé, telle qu’elle peut être effectuée à partir d’entretien ou de leur
production écrite, fait très clairement apparaître des références aux principes fondateurs du
NHS (Hudebine, à paraître). Elle met aussi en lumière ce qui s’apparente à l’activation du
potentiel d’identification et de traitement des problèmes de « santé publique sociale »6
pourtant sous-estimé par les protagonistes eux-mêmes (Hudebine, 2001). L’injonction
administrative à mettre en place des structures d’accueil et de prise en charge de proximité
procède aussi, chez les hauts fonctionnaires, de traduire concrètement un objectif d’égalité
dans l’accès aux soins qu’ils prennent au sérieux (Hudebine, 1996 a). A l’échelon local, des
médecins et fonctionnaires de santé publique militent auprès des gestionnaires pour la mise en
place de tels services. Ils s’appuient alors sur des études épidémiologiques qui alertent, en
creux, sur le coût potentiel de l’inaction en termes de prise en charge et justifient une
Le terme est ici utilisé dans l’acception que lui donnent Susan Kippax et Kane Race à propos de la prévention
du VIH chez les homosexuels. Il s’agit, pour eux, d’une santé publique « socialement informée (…) qui met
l’accent sur les déterminants sociaux et économiques ». Cette santé publique n’est donc « pas uniquement fondée
sur « l’épidémiologie et les sciences médicales », mais également sur la « recherche sociale », qui amène à
« prendre en compte l’expérience vécue de ceux qui sont le plus à risques » (2003, p. 4).
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discrimiation positive en direction de catégories dont les problèmes sanitaires sont associés à
la concentration de difficultés socio-économique. Que l’argumentation ressorte d’une
approche plus utilitariste ou plus sociale de la santé publique (les deux ne s’excluant pas
nécessairement mutuellement), les managers des autorités locales de santé peuvent s’y
montrer sensibles.
Les observations qui viennent d’être effectuées incitent à évoquer un paradoxe supplémentaire
en ce qui concerne l’innovation. Cette dernière procède aussi, pour reprendre la formule de
François-Xavier dans une perspective cependant inverse à la sienne, de « l’empreinte des
origines » (Merrien 1990), que ce soit en ce qui concerne les principes fondateurs du système
national de santé « universaliste » ou le poids (bénéfique) de l’héritage de la santé publique en
Grande-Bretagne. Qui plus est, les dispositifs d’intervention socio-sanitaire qui ont été
expérimentés à la faveur de cette réforme des politiques de la drogue apparaissent résolument
modernes au point, que leur évolution de leur usage échappe, voire contredise, les intentions
émancipatrices d’une partie de leurs initiateurs.
1.3. L’expérimentation réussie d’approches modernes de
l’intervention socio-sanitaire
Le climat d’urgence sanitaire qui prévaut au moment où la priorité accordée à la réduction des
risques reçoit une sanction officielle, ainsi que la générosité des financements qui en
découlent permettent initialement au secteur de la prise en charge de la toxicomanie
d’échapper aux rigueurs du nouveau management public des politiques socio-sanitaire. Pour
autant, la prévention et la prise en charge de la toxicomanie figurent parmi les domaines où
des approches modernes de l’intervention socio-sanitaire ont été expérimentées de manière
relativement précoce. L’assertion vaut tant en ce qui concerne le recours au tiers secteur, que
le pilotage politique de cette action publique ou encore la diversification et l’articulation des
régimes de gouvernement des populations marginalisées qu’elle vise.
1.3.1. Le recours au tiers secteur
Ainsi qu’il y a déjà été fait allusion, la mise en œuvre des nouveaux services de prévention et
de prise en charge des usagers de drogues est, pour l’essentiel, confiée à des associations.
Celles-ci bénéficient de la majeure partie des subventions gouvernementales pré-affectées
dans le cadre de la Central Funding Initiative, puis de la prévention de la propagation du sida
chez les usagers de drogues et contribuent à l’essentiel du développement des dispositifs
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(MacGregor et al., 1991 ; ACMD, 1993). En outre, leur implication ne se limite pas à la mise
en œuvre des politiques de la drogue et à la gestion des services (Turner, 1994). Les années
quatre-vingt et quatre-vingt-dix sont également marquées par l’engagement croissant de
l’organisation-cadre qui les représente (la Standing Conference On Drug Abuse) dans
l’élaboration
de
guides
et
recommandations
de
bonnes
pratiques,
l’assistance
organisationnelle aux associations (aide à la réponse aux appels d’offres et à l’autoévaluation), voire dans le suivi et l’évaluation des dispositifs.
Cette implication croissante du tiers secteur dans le domaine de l’intervention socio-sanitaire
n’est pas spécifique au volet socio-sanitaire de l’action publique dans le domaine de la
drogue, mais elle y est particulièrement marquée. Elle résulte pour une part d’un choix
stratégique des fonctionnaires médicaux et administratifs de l’Unité politique de la drogue.
Ceux-ci cherchent à contourner les services institutionnalisés, en particulier les centres de
soins spécialisés. Ils font en effet le constat, qui n’est pas sans rappeler celui des réformateurs
conservateurs à popos des services médico-sociaux, de l’inertie de ces dispositifs et la
rapportent au souci qu’ont les professionnels qui y pratiquent, des psychiatres spécialisés, de
préserver leurs ressources et leurs conditions de travail.
1.3.2. De nouveaux modes de gouvernance
La volonté de favoriser la souplesse des dispositifs et leur adaptation aux besoins des
populations visées trouve également une traduction dans les modes de gouvernances adoptés.
Transposition des préconisations du Conseil consultatif sur l’abus de drogue, les structures
locales de pilotage, de coordination et de suivi constituent des injonctions au partenariat
multidisciplinaire. Ces comités d’actions et équipes de prévention, régionaux et locaux, visent
à dépasser les clivages socioprofessionnels et sectoriels analysés comme l’une des cause de
l’échec des politiques de prévention et de prise en charge qui prévalaient avant le début des
années quatre-vingt. Tout comme la Central Funding Initiative et les dispositifs de réduction
des risques, ces structures locales de coordination et de suivi font l’objet d’évaluations
répétées. Indépendamment du développement des services et des résultats sanitaires obtenus,
ces dernières mettent en évidence leur faible effectivité, voire leur dévoiement. La mise en
place d’une unité nationale de coordination de la prévention de l’usage de drogues en 1990
participe aussi des initiatives destinées à corriger ces problèmes organisationnels récurrents
(Central Drugs Prevention Unit, 1992). Elle est suivie, à partir de 1993, par l’application, déjà
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évoquée, de la réforme des services médico-sociaux et du marché interne aux services
toxicomanie (Hudebine, 1996 b).
La mise en œuvre successive de ces mesures favorise l’émergence d’un style d’action
publique7 combinant la conduite gouvernementale à distance (hands-off management) de
réseaux d’acteurs diversifiés dans lesquels les prestataires de services de services sont mis
sous tension par le biais d’un double mécanisme de mise en concurrence et d’évaluations
régulières qui conditionnent les financements (Le Galès, 2004). La toxicomanie n’est pas le
seul domaine d’intervention socio-sanitaire où le gouvernement « tient le gouvernail sans
ramer » (Day, Klein, 1997) tandis que, sur le terrain, les équipages sont soumis de manière
permanente à l’obligation d’atteindre des objectifs et de rendre des comptes. Il s’agit toutefois
d’un secteur où le développement de ce nouveau style de politiques socio-sanitaires produit
des effets d’autant plus marqués que sa structuration est récente. Ainsi, un mouvement de
rationnalisation et restructuration de l’offre de services est observable dès le milieu des années
quatre-vingt-dix. Audits et mise en concurrence des organisations prestataires, qui doivent
répondre de leur activité sur la base de critères et d’objectifs chiffrés par les financeurs en
référence à des « cibles » définies à l’échelon national se multiplient. Les premiers sont ainsi
contraints à adopter des techniques de management conforme aux critères et attentes des
seconds. Si les associations sont les premières à être affectées, les centres de soins spécialisés
n’échappent pas à ce mouvement.
L’inscription des politiques de réduction des risques dans les nouveaux modèles
d’intervention sociale ne se limite pas uniquement, ni peut-être même principalement, aux
recours au tiers secteur, ainsi qu’à la conduite politique à distance de dispositifs soumis aux
règles du nouveau management public. La nouveauté la plus marquante tient sans doute dans
la diversification, l’articulation et le rééquilibrage (mouvant) des régimes de gouvernement
des populations8 qui est induit par les nouvelles politiques de la drogue.
7
La notion est entendue ici au sens de Grant Jordan, Gunnel Gustaffson et Jeremy Richardson. Elle intègre
l’interaction entre « (a) l’approche du gouvernement dans la résolution des problèmes et (b) la relation entre le
gouvernement et les autres acteurs dans le processus des politiques publiques » (Richardson et al., 1982, p. 13).
Elle peut, en d’autres termes, être comprise comme la combinaison des caractéristiques des relations centrepériphérie d’une part et, d’autre part, entre gouvernement et groupes impliqués dans les politiques. Un style
d’action publique peut également à ce titre être caractérisé en relation avec les règles institutionnelles qui
gouvernent les relations entre ses protagonistes. Celles-ci peuvent être explicites et formalisées (de premier
ordre) ou implicites (de second ordre – Thoenig, 1999 -étant éventuellement reconnues et apprises par le biais de
processus d’expérience et d’apprentissage social).
8
S’appuyant sur Michel Foucault pour analyser l’histoire des politiques d’éducation à la santé, Luc Berlivet
distingue deux régimes d’intervention ou de gouvernement des populations, caractérisés par « le statut de la
norme qui prétend fonder l’action » et le « mode opératoire de la relation de pouvoir ». Il évoque ainsi les
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11
1.3.3. La diversification, l’articulation et le rééquilibrage des régimes de
gouvernement des populations toxicomanes
L’évolution du régime de gouvernement des toxicomanes doit être appréhendée en relation
avec les fluctuations des orientations des discours gouvernementaux d’une part et, d’autre
part, avec la dynamique des controverses et recompositions stratégiques qui affectent le
champ de l’intervention en toxicomanie. Le développement des mesures de réduction des
risques peut, dans cette perspective, d’abord être analysée comme une réponse aux effets de
marginalisation sociale et d’exclusion des soins qui découlent du caractère disciplinaire des
régimes de gouvernement de la population toxicomane dominant, jusqu’au début des années
quatre-vingt. Ceci est bien sûr vrai des dispositifs répressifs, mais aussi des approches du
traitement de la dépendance qui prévalent au sein des centres de soins spécialisés, en
particulier à Londres. L’abstinence y apparaît alors comme une norme pré-établie, que
l’usager n’est pas admis à négocier, pas plus qu’il ne peut dévier du parcours de traitement
délimité pour l’atteindre9. Lorsque cette norme est contestée par des militants de la
légalisation ou analysée de manière critique par des sociologues ou psychosociologues, les
psychiatres spécialisées répondent qu’elle est fixée par le pouvoir politique, qu’il ne leur
revient donc pas de la mettre en cause et qu’ils ne modifieront leurs pratiques que si un
changement intervient à ce niveau. L’application de cette norme implique que les
toxicomanes respectent les règles et procédures de traitement à propos desquelles les
psychiatres revendiquent un monopole d’expertise. La non conformité des patients entraîne
l’application de sanctions, voire l’exclusion, la menace d’une condamnation pénale étant
conçue comme un facteur de motivation susceptible de prévenir de tels errements (Stimson,
Oppenheimer, 1982). A la même époque, les campagnes de prévention gouvernementales
diffusent l’image de toxicomanes en proie à la déchéance physique, psychologique et sociale,
qui sont promis à la délinquance et à une mort certaines (Power, 1989). Là encore, la seule
régimes de discipline, toujours fondés sur une « norme », pré-établie, « dictée par le souverain » et dont le
« mode opératoire » passe par le « dressage ». L’intervention sanitaire vise alors une « normation » des
populations. Jusque dans les années soixante-dix, les politiques de prévention sont plus proches de cet idéal-type.
Le développement de « dispositifs de sécurité » procède du constat de l’échec de ces politiques éducatives. De
nouvelles interventions ne visent plus une norme pré-établie, mais une normalité relative, moins défavorable.
(Berlivet, 2004, pp. 43-44). Sur le même registre, Pierre Lascoumes et Pascale Laborier (2005) évoquent des
combinaison de dispositifs ou « d’instrumentations dans les techniques de gouvernnement » des population
analysables à travers les discours, règles, procédures, pratiques et stratégie des protagonistes de l’action
publique.
9
Telles sont, par exemple, les positions affichées à plusieurs reprises par le chef de file des psychaitres
orthodoxes, John Strang, qui dirige alors l’Unité de recherche sur l’addiction de l’hôpital universitaire Maudsley
à Londres (Strang, 1987, 1992 a).
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12
norme de comportement envisageable est, sur le modèle de la guerre américaine à la drogue,
de « dire non ».
L’un des principaux impacts du sida est, de ce point de vue, la mise en perspective de la
norme d’abstinence pour privilégier des comportements (sexuels et d’usage de drogues) qui
contribuent à éviter ou réduire le risque de sa propagation. Les analyses et évaluations
(sociologiques ou socio-épidémiologiques) des politiques de traitement et de prévention
réalisées dans la première moitié des années quatre-vingt montrent la nécessité d’adapter les
messages et modes de prise en charge aux styles de vie et besoins spécifiques des populations
visées (Newcombe, 1992). L’adaptation évoquée peut aller jusqu’à la négociation individuelle
des changements de comportement souhaitables et praticables, parfois par l’intermédiaire
d’usagers stabilisés. Le tout est mis en œuvre dans un contexte d’assouplissement informel
des politiques policières et judiciaires à l’encontre des usagers (Dorn, South, 1994).
Le succès de santé publique obtenu témoigne de la réussite de cette approche (Stimson, 1996).
Toutefois, au tournant des années quatre-vingt-dix, de nouvelles évaluations en font apparaître
les limites, liées notamment à la nécessité de multiplier les relais individuels (Rhodes, 1994
a). La solution proposée est de passer à des modes d’élaboration et de diffusion
communautaires des normes de comportement. Obtenir que les processus d’intériorisation de
normes de comportements plus sains s’effectuent à l’échelle collective permettrait, en effet,
de dépasser à moindre coût les limites des actions de prévention des risques dont la diffusion
est alors tributaire de la multiplication d’interactions individuelles nécessitant d’importantes
ressources humaines (Rhodes, Holland, 1992).
Les avocats de cette orientation, souvent des spécialistes des sciences sociales entendues au
sens large, n’en ignorent pas le caractère politiquement et socialement subversif si elle venait
à être poussée à son terme (Rhodes 1994 b ; Rhodes, Stimson, 1994). De fait, à la fin des
années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, la frange la plus radicale des
réseaux d’intervenants et de militants formés autour des politiques britanniques de la drogue
finit par revendiquer ouvertement une levée du cadre prohibitionniste au nom des bénéfices
sanitaires qu’elle apporterait (Dorn, South, 1989 ; MacDermott, 1992). Cette offensive
militante intervient toutefois à contre-temps, c’est-à-dire précisément au moment où le péril
de santé publique apparaît en voie d’être contenu. A partir de 1990, ce constat détermine en
effet au sein d’une partie du gouvernement conservateur une inflexion vers la hiérarchie
antérieure des objectifs assignés aux politiques de la drogue : prévention primaire, comme il y
a déjà été fait allusion, mais aussi abstinence des usagers pris en charge et/ou traités,
rt6 8
13
répression accrue à des fins de prévention et de réduction de la délinquance associée à l’usage
de drogues.
Ce tournant discursif se traduit dans la première moitié des années quatre-vingt-dix par une
réaction de plusieurs membres du gouvernement, dont le nouveau chef (John Major) a
proclamé sa volonté de « revenir aux valeurs fondamentales », à l’encontre des mesures de
réduction des risques. En 1992, le secrétaire d’Etat à la Santé chargé de la drogue, chrétien
évangélique revendiqué, envisage ainsi une évaluation des services toxicomanie sur la base de
leur rapport coût/efficacité et de leur contribution à la réalisation de l’objectif d’abstinence.
En 1993, le ministre de l’Intérieur, qui proclame que « la prison, ça marche », restreint les
possibilités de sortie du circuit pénal pour les usagers bénéficiant de mise à l’épreuve dans le
cadre de dispositifs expérimentés à la fin des années quatre-vingt et formalisés en 1991. En
1994, il critique du laxisme policier à leur encontre. La même année, l’avant-projet du
programme gouvernemental de lutte contre la drogue omet toute mention explicite de
l’objectif de réduction des risques sanitaires associés à l’usage de drogues (Tackling Drugs
Together, 1994).
Ainsi, dès lors que le risque de santé publique semble contenu, plusieurs ministres paraissent
vouloir à nouveau privilégier les régimes de gouvernement des populations toxicomanes qui
seraient qualifiés de disciplinaires dans la perspective foucaldienne. L’offensive
gouvernementale ne se traduit cependant pas par le retour au statu quo ante apparemment
souhaité mais, plutôt, par un rééquilibrage. Elle a en effet provoqué une mobilisation et un
aggiormento stratégique des avocats de la réduction des risques qui apprennent
progressivement à faire passer leurs divergences idéologiques et théoriques au second plan.
Dès le début des années quatre-vingt-dix, les psychiatres spécialisés ont perçu la possibilité
que l’association de l’agenda antiprohibitionniste à la réduction des risques provoque une
réaction gouvernementale. Convertis tardivement et avec réticence à cette priorité, ils en
prônent une définition neutralisée, réduite à un plus petit dénominateur commun de santé
publique, décliné en procédures rigoureuses qui correspondent à leurs canons professionnels
et à ceux du management public, sans exclure la réduction des risques de délinquance (Farrell,
Strang, 1990 ; Strang, 1992 a et b, 1993).
La « communauté des politiques de la drogue »10, qui reçoit pour l’occasion le discret soutien
d’officiers supérieurs de police, organise sur ces bases une campagne de lobbying. Celle-ci
10
Le terme est employé par l’historienne Virginia Berridge (1991).
rt6 8
14
aboutit à la réinsertion de la réduction des risques dans le programme anti-drogue définitif de
1995 (Tackling Drugs Together, 1995), même si cette priorité décline dans la hiérarchie des
priorités gouvernementales et y est désormais associé à la préservation de la sécurité publique.
L’année suivante, les résultats de l’évaluation des services toxicomanie annoncée en 1992 et
pour laquelle des épidémiologistes et psychiatres spéacilisés ont été recrutés, sont rendus
publics (The Task Force Review, 1996). Loin de répondre aux attentes ministérielles, les
conclusions sont favorables aux différents dispositifs et mesures de réduction des risques
déployés depuis le milieu des années quatre-vingt. L’efficacité des échanges de seringues,
structures de proximité, actions de prévention communautaire, traitements de substitution à
moyen et long terme est validée, sous réserve de rigueur dans leur gestion et dans
l’application de procédures rigoureuses mises en œuvre par des intervenants compétents.
Cette évaluation vient consolider le compromis obtenu par la communauté des politiques de la
drogue auprès du gouvernement. Outre l’acquiescement aux procédures managériales et à
l’obligation de rendre des comptes, il implique l’acception des objectifs d’ordre public et
d’une coopération avec les forces de police et la justice. Celle-ci a été anticipée par les
psychiatres spécialisés londoniens qui ont, dès la fin des années quatre-vingt, participé à des
expériences de mise à l’épreuve des usagers de drogues assorties de condition de traitement
(dont le non respect se traduit par l’application de la peine).
La généralisation de ce type de dispositif, ainsi que la mise en place de parcours de traitement
structurés, dans le cadre desquels la gestion du système de sanctions imposées aux usagers qui
ne respectent pas les procédures est informatisée, signifient que le développement des
politiques de réduction des risques n’a pas été synonyme de disparition des régimes
disciplinaires de prise en charge. Ceci est d’autant plus vrai que le risque d’arrestation et
d’incarcération demeure présent, les discours ministériels étant, on l’a vu, venus poser une
limite à l’assouplissement informel (et variable selon les régions) de la répression policière
destiné à contenir le risque représenté par la propagation du sida.
S’esquisse ainsi, dès la fin de l’ère conservatrice, ce que deviendra le régime hybride de
gouvernement des usagers de drogues et, plus généralement des populations marginalisées,
sous le gouvernement néo-travailliste. Les dispositifs de sécurité offrent aux individus qui y
sont une opportunité d’intériorisation de normes de comportement moins dommageables pour
la collectivité. Leur échec ou leur refus ouvre, à terme, la voie d’une orientation vers des
dispositifs plus disciplinaires (MacGregor, 2006).
rt6 8
15
Les développements qui précèdent mettent en évidence la modernité des formes
d’intervention sociales expérimentées dans le cadre des politiques de réduction des risques
d’un triple point de vue : l’implication du tiers secteur au-delà de la simple mise en oeuvre ; le
gouvernement à distance de dispositifs dont les responsables sont mis sous tension par le biais
de l’application méthodes du nouveau management public ; et, enfin, l’hybridation des
régimes de gouvernement des populations toxicomanes qui accompagne ces évolutions. Ce
dernier phénomène doit, on l’a vu, être relié au pluralisme des représentations et discours, tant
en ce qui concerne le problème de la drogue et ses solutions, que les populations qui sont
affectées. Il s’agit là, d’un élément d’explication supplémentaire lorsque l’on cherche à rendre
compte de la rapidité de l’adaptation de cette action publique à la prévention du VIH. Cette
caractéristique soulève toutefois également la question de la régulation d’une action publique
qui apparaît structurelle traversée par des tensions.
2. Des vertus du pluralisme dans l’action publique en matière
de drogues à la question de sa régulation
2.1. Le pluralisme des politiques de la drogue comme donnée
explicative de laur adaptation à la prévention du VIH
L’analyse de l’émergence plus tardive des politiques de réduction des risques en France a mis
en évidence l’impact du verrouillage institutionnel d’un monolithisme intellectuel (Bergeron,
1999). Dans le cas britannique, les controverses auxquelles l’expérimentation, puis
l’ajustement des dispositifs de réduction des risques donnent lieu, indiquent que la notion
« communauté des politiques de la drogue » (Berridge, 1991, p. 184), parfois utilisée pour
désigner les réseaux formés autour de cette action publique, n’implique pas nécessairement
l’existence de cadres normatifs et cognitifs unifiés. Les sociologues qui emploient également
ce terme (McGregor, 1998) soulignent en effet que l’action publique britannique en matière
de drogue est traversée en permanence par un triple réseau de tensions : entre discours
gouvernemental et action publique concrète, entre politiques d’ordre public et politiques
socio-sanitaires et, enfin au sein de ce volet de l’action publique, entre conceptions
divergentes de la prise en charge et de la prévention. Ces tensions impliquent que la pluralité
des représentations du problème de la drogue, des populations touchées et des solutions à
mettre en œuvre est la règle dans ce champ d’action publique. Il est ainsi possible d’identifier
plusieurs types de positions permettant de catégoriser les protagonistes des politiques de la
rt6 8
16
drogue en fonction de leurs inclinaisons, même si ces derniers ne sont pas nécessairement
formellement organisés en « coalitions de causes » explicites11.
Les controverses qui agitent le champ des politiques de la drogue opposent au premier chef
les tenants de l’objectif d’abstinence que l’impératif humanitaire peut ponctuellement
conduire à mettre en perspective et des libéraux qui partagent cette visée mais sont, par
pragmatisme, prêts à fournir aux toxicomanes les moyens d’utiliser de la drogue en
minimisant les risques associés à ce comportement, en particulier ceux qui découlent des
effets de l’action publique. Ce clivage recoupe, pour une part seulement, des positions
socioprofessionnelles, les tenants du premier type de position étant plus souvent des
psychiatres spécialisés, les avocats de la seconde plus fréquemment des spécialistes des
sciences sociales ou des représentants d’association. Au-delà s’expriment également des
libertariens antiprohibitionnistes et des « évangélistes », apôtre de l’abstinence absolue.
L’éventail de positions qui vient d’être évoqué ne se retrouve pas dans tous les forums
d’action publique, dont la composition est tributaire de normes et règles institutionnelles, mais
aussi d’équilibres de rapports de force qui varient en fonction des contextes politicoadministratifs,
socioprofessionnels
et/ou
locaux.
Ainsi,
le
courant
libertarien
antiprohibitionniste ne trouve-t-il que des porte-paroles isolés à la Chambre des communes
tandis que, au même titre que le courant évangéliste, il n’est pas représenté au sein du Conseil
consultatif sur l’abus de drogues. Par ailleurs, certains forums sont, tant à l’échelon national
que local, plus monolithiques que d’autres. Le Medical Working Group est dominé par des
représentants des psychiatres spécialisés qui, de par leurs prises de position, pourraient être
rapprochés du courant humanitaire. La composition du Conseil consultatif sur l’abus de
drogues est décidée par le ministère de l’Intérieur, qui s’en remet aux réseaux et associations
professionnels pour sélectionner les individualités. Le recrutement de spécialistes des sciences
sociales et de représentants associatifs à partir du début des années quatre-vingt répond à
l’importance croissante de ces catégories de protagonistes dans la formation et/ou la mise en
œuvre de l’action publique.
La multiplicité des forums qui ont été évoqués traduit certes, pour une part, une division ou du
travail intellectuel (Jobert, 1999) sur l’action publique (des objectifs au pilotage de la mise en
œuvre, en passant par les bonnes pratiques dans les domaines de la prévention, du traitement
Le terme est ici utilisé dans l’acception de Henri Bergeron, Yves Surel et Jérôme Valluy (1998). Edella
Schlager (1995) insiste sur le fait que ces coalitions de cause ne sont pas nécessairement organisées sur une base
explicite.
11
rt6 8
17
et/ou de la prise en charge). Elle signifie aussi que ceux qui sont dominés par des
représentants de courants initialement rétifs à l’innovation (des parlementaires ou des
psychiatres spécialisés « orthodoxes », proche des positions humanitaires) ne constituent pas
des points de veto institutionnel (Immergut, 1992) incontournables pour les innovateurs. On
songe ici aux fonctionnaires et médecins de santé publique, travailleurs sociaux, représentants
associatifs, universitaires engagés sur le terrain, qui peuvent, tant à l’échelon national qu’à
l’échelon local, aller plaider leur cause dans les forums les plus ouverts, quitte à renouveler
leur offensive auprès des plus conservateurs lorsqu’ils ont accumulé des données et
évaluations positives. Ainsi, nous l’avons vu, les hauts fonctionnaires de l’Unité politique de
la drogue obtiennent des recommandations plus conformes à leur souhait en provoquant des
débats au sein du Conseil consultatif sur l’abus de drogue qu’en convoquant le Medical
Working Group. Des actions de lobbying similaires sont entreprises par des chargés de
mission en santé publique à l’échelon local, par exemple dans le sud-est de Londres. Ils
contournent un groupe de travail sur l’abus de drogues installé par une municipalité
d’arrondissement, au sein duquel psychiatres spécialisés et responsables des services sociaux
s’opposent à l’expérimentation d’échanges de seringues, pour trouver un accueil plus
favorable dans un comité sur l’abus de drogues mis en place dans le cadre de la Central
Funding Initiative.
De telles stratégies, déployées dans une configuration institutionnelle qui offre des marges
d’autonomie opérationnelle aux autorités et acteurs de santé locaux, permettent dans un
premier temps de développer l’expérimentation des mesures de réduction des risques les plus
controversées. Les évaluations positives de ces dernières fournissent aux promoteurs de
l’innovation des données qui renforcent leur argumentation lorsqu’ils tentent à nouveau, cette
fois
avec
succès,
d’emporter
l’adhésion
des
forums
(politiques,
consultatifs,
interdisciplinaires) au sein desquels ils ont échoué dans un premier temps.
L’accord politique, intersectoriel, médical, socioprofessionnel et associatif obtenu de cette
manière en 1988 ne porte cependant que sur les instruments de réduction des risques, puisque
demeurent le cadre législatif tout comme les objectifs des politiques de la drogue, dont la
hiérarchie est provisoirement et informellement réaménagée. Dans le prolongement de cet
accord circonstancié, une résorption ponctuelle des tensions qui traversent les normes et
objectifs guidant les politiques de la drogue peut certes être observée. Ainsi, un ministre de la
santé souligne en 1988 la normalité d’usagers de drogues auparavant stigmatisés dans les
campagnes gouvernementales, tandis que son collègue de l’intérieur favorise des
rt6 8
18
aménagements et expérimentations qui visent à ce que la mise en œuvre des politiques
policières et pénales ne contrecarrent pas les mesures de réduction des risques. Pour autant,
l’accord sur les instruments et les inflexions des discours politiques n’éteint pas les
controverses qui traversent le champ des politiques de la drogue. Cette réflexion vaut
particulièrement pour le volet socio-sanitaire de cette action publique où les controverses qui
touchent l’élaboration, la spécification et l’évaluation la mise en œuvre des instruments de
réduction des risques peuvent être indexées à des conflits d’approches, de territoires de
ressources et d’influence qui demeurent vifs. En outre, ainsi que l’indique le précédent point
de cette contribution, la phase durant laquelle les aménagements concrets de l’action publique
sont reflétés dans les discours (de communication) ministériels s’apparente à une parenthèse,
qui se referme dès 1990, lorsque le péril de santé publique apparaît en voie d’être contenu. Le
retournement de la rhétorique gouvernementale se traduit, de manière atténuée (en raison du
lobbying de la communauté des politiques de la drogue) et avec un délai de latence, par un
ajustement des programmes en 1995 et affecte peu le contenu des actions concrètes. Un
décalage prononcé apparaît alors entre les discours de communication politique
gouvernementaux, qui traduisent un retour à une légitimation des politiques de la drogue sur
le mode sécuritaire et moral, et de nombreuses actions concrètes qui répondent à des
impératifs de santé publique sociale et communautaire.
Hormis l’exception relative que constitue la parenthèse de 1988-1990, les développements qui
précèdent conduisent à poser l’hypothèse d’un pluralisme structurel des politiques
britanniques de la drogue. Ce qualificatif s’applique aussi bien aux cadres cognitifs12 et
discours associés à cette action publique qu’aux régimes de gouvernement des populations
qu’elle sous-tend, ainsi que nous l’avons vu dans le point précédent.
Le pluralisme des politiques britanniques de la drogue entendu dans cette double acception est
autorisé et, dans une mesure, organisé par la configuration institutionnelle de cette action
publique. Il apparaît, en particulier lorsque le cas britannique est envisagé dans une
perspective comparative, comme l’une des données permettant de rendre compte du
développement relativement précoce des mesures et dispositifs de réduction des risques. Le
corollaire de ce pluralisme est que les politiques britanniques de lutte contre la drogue sont
12
La notion est ici empruntée à Philippe Zittoun (2000) qui, dans le cas de la politique de logement social
française observe également la coexistence à long terme de cadres cognitifs (ou référentiels) alternatifs.
rt6 8
19
structurellement traversées par des tensions, ce qui conduit à s’interroger sur les modalités de
leur régulation13.
2.2. La régulation d’une action publique structurellement traversée
par des tensions
L’analyse des discours tenus et stratégies déployées par les protagonistes des politiques de la
drogue au milieu des années a permis d’identifier des règles de second ordre 14 dont le respect
autorise la gestion des tensions entre orientations politiques et action publique concrète d’une
part et, d’autre part, dans le cadre de partenariats inter et/ou intra sectoriels, entre convictions
et conceptions divergentes. Dans la première perspective cas, l’étude des relations entre hauts
fonctionnaires centraux et responsables (publics ou associatifs) locaux de la mise en œuvre
des politiques de la drogue permet de comprendre que l’adéquation effective des actions
concrètement initiées ou soutenues importe moins que la conformité (ou l’absence de
contradiction) apparente avec les orientations gouvernementales. Les seconds prennent
conscience de l’importance de cette donnée, au moment où ils sont sanctionnés (perte de
budget, de terrioire d’action), réprimandés par le cabinet ministériel ou, de manière
préférable, lorsqu’ils en sont informés par les hauts fonctionnaires centraux avec qui ils sont
régulièrement en contact. Deux règles en découlent.
La première implique qu’un responsable public ou associatif local ne doit pas tenir des
propos, initier ou promouvoir des actions qui contredisent explicitement et ouvertement « la
ligne du ministre », de telle sorte que celui-ci ne soit pas « placé publiquement dans
l’embarras ». La seconde consiste dans l’apprentissage et l’utilisation de la « langue
administrative »15 politiquement acceptable pour proposer et/ou rendre compte d’initiatives
locales qui ne sont pas nécessairement conformes aux normes (notamment morales) et aux
théories d’action (causes et solution de la dépendance et de la délinquance) qui sont affichées
dans les orientations et discours gouvernementaux. Ceci implique que les protagonistes non
politiques de l’action publique qui souhaitent préserver leurs marges d’action pour agir en
Il en va ainsi dès lors qu’il est constaté que le « rôle des idées » dans la régulation est moindre que l’on
pourrait s’y attendre lorsque une approche dite « cognitive » de l’action publique est adoptée (Palier, Surel,
2005).
14
Il s’agit de règles (ni préalablement, ni explicitement établies) du « jusqu’où aller sans aller trop loin. (…)
Personne ne les édicte mais tout le monde s’attend à ce qu’elles soient respectées (Thoenig, 1999, p. 40).
15
Les termes cités sont issus d’entretiens réalisés avec des responsables locaux de la mise en œuvre de
l’initiative de prévention du ministère de l’Intérieur ou avec des directeurs et responsables de projets en santé
publique.
13
rt6 8
20
fonction de leurs convictions et conceptions doivent déployer des stratégies (entre autres
discursives) d’évitement (de la contradiction ouverte et publique) ou d’ajustement partiel et
ambigu vis-à-vis de la ligne gouvernementale. C’est ainsi que des initiatives de réduction des
risques (y compris des actions communautaires dont le caractère potentiellement subversif a
déjà été évoqué) peuvent être financées dans le cadre d’un programme de prévention primaire
du ministère de l’Intérieur où l’objectif d’abstinence est privilégié. De la même manière,
l’utilisation de la terminologie adéquate est indispensable pour être invité et demeurer « à la
table où se négocie les ressources et subventions »16. Ainsi, les responsables locaux de
l’initiative de prévention lancée par le ministère de l’Intérieur, tout comme les dirigeants
d’association bénéficiant de financements dans ce cadre apprennent-ils qu’ils ne peuvent faire
figurer l’objectif de réduction des risques dans leurs bilans d’action officiels17 à peine, pour
les seconds, de perdre leurs budgets. Toutefois les fonctionnaires centraux leur expliquent
que, dans les faits, des dispositifs de ce type peuvent être soutenus.
Aux côtés de ces stratégies discursives d’évitement de la contradiction ouverte avec la ligne
gouvernementale, les protagonistes non politiques de l’action publique en matière de drogue
peuvent également pratiquer l’ajustement partiel et ambigu. Alors que la notion de prévention
communautaire recouvre prioritairement, dans les discours ministériels, la participation des
communautés locales à la prévention de l’usage et de la délinquance, sa signification est toute
différente pour les acteurs de la prévention pour qui, nous l’avons vu, elle peut être synonyme
d’élaboration collective de normes d’usage plus sain. L’application des règles de second ordre
consiste bien sûr, en pareil cas, à ne pas revendiquer publiquement cette dernière
interprétation.
Les relations de pouvoir que recouvre cette dialectique entre discours de communication
politique et action publique concrète sont asymétriques dans la mesure où la capacité de
sanction discrétionnaire se trouve du côté gouvernemental. Celle-ci doit toutefois être utilisée
avec parcimonie dans la mesure où le déficit de logistique bureaucratique et organisationnelle
des administrations de l’Intérieur et de la Santé signifie qu’elles sont tributaires de la
coopération des organisations non gouvernementales et responsables administratifs locaux
pour ce qui est du pilotage, de la coordination et du suivi de la mise en œuvre de l’action
publique locale. Le personnel gouvernemental peut par ailleurs trouver une utilité dans des
16
Entretien avec le directeur du Forum des politiques de la drogue de Londres, 1996.
Toutefois, les évaluateurs de ces dispositifs, qui sont souvent des universitaires, sont autorisés à évoquer ce
type d’action, mais uniquement dans des publications académiques.
17
rt6 8
21
actions qui, si elles ressortent de normes et de principes d’action peu conformes au plan
politique, comportent néanmoins une efficacité au plan de la santé publique et de la
délinquance. C’est ainsi qu’un secrétaire d’Etat à la santé chargé de la drogue peut être
rappelé à l’ordre par son ministre de tutelle, non pas parce qu’il prêche la réhabilitation de la
morale et l’abstinence (aussi bien en matière de drogues que de relations sexuelles), mais
parce qu’il menace nommément et explicitement des associations et intervenants de proximité
(Mawhinney, 1999, p. 136).
Des règles de second ordre du même type s’appliquent dans le cadre de partenariats inter et
intra sectoriels, nationaux et locaux même si les relations entre acteurs impliqués sont alors
moins asymétriques. Les protagonistes concernés recourent alors à des termes qui leur
permettent de coopérer indépendamment des querelles de normes, de théories, voire de
procédures d’action qui peuvent les séparer. Ainsi, acteurs de la justice et de la police, d’une
part, structures de proximité et, plus fréquemment, centres de soins spécialisés peuvent
s’accorder sur la notion de prévention des risques qui, pour les premiers, relèvent avant tout
de la délinquance et, pour les seconds, avant tout de la santé. Des centres de soins spécialisés
et structures d’accueil de proximité peuvent s’accorder sur la notion d’empowerment
(autonomisation) des usagers de drogues tout en ayant à l’esprit que son acception est bien
différente pour les autres partenaires. Dans le premier cas, le terme recouvre une prise en
charge et un traitement conduisant les toxicomanes à surmonter leur dépendance tandis que,
dans le second, il s’agit plutôt de leur donner les moyens d’utiliser de la drogue à moindre
risques. Le même type de remarque pourrait être effectué à propos de la notion de droit des
usagers. Les partenaires impliqués évitent toutefois d’expliciter les termes de leur accord afin
de préserver les conditions d’une coopération pragmatique (orientation mutuelle des
« clients », échanges de ressources).
De tels partenariats peuvent, d’autre part, être orientés par l’intérêt commun des protagonistes
qui gagnent à présenter un front commun face aux autorités publiques pour obtenir, préserver
ou accroître leurs ressources. L’élaboration d’une définition minimaliste de la réduction des
risques au début des années quatre-vingt-dix correspond à ce cas de figure. Elle est
suffisamment minimaliste pour que la majeure partie des membres de la « communauté des
politiques de la drogue » s’y retrouvent. Cette définition intègre par ailleurs les règles de
second ordre relatives à la langue administrative politiquement acceptable puisqu’elle est
assez neutre pour ne pas heurter le gouvernement.
rt6 8
22
Les contrevenants aux règles de second ordre s’exposent aussi à des sanctions dans le cadre
des partenariats inter et intra sectoriels. Celles-ci prennent la forme d’une exclusion de la
coopération le plus souvent parce que l’affichage militant de positions et d’actions
iconoclastes expose l’ensemble des partenaires à des sanctions des financeurs publics.
La régulation de politiques de la drogue caractérisées par un décalage entre discours de
communication gouvernementale et action publique concrète, tout en incorporant des
interventions judiciaro-policières et socio-sanitaires ressortissant d’approches fréquemment
divergentes, procède donc peu de l’élaboration et de la référence à des cadres cognitifs
structurés, qui seraient partagés par l’ensemble des protagonistes impliqués. Les
développements qui précèdent semblent au contraire indiquer que la recherche de ce type
d’accord entraînerait plutôt la paralysie de l’action publique. Aussi est-on conduit à privilégier
l’hypothèse de l’importance des cadres discursifs des politiques de la drogue, qui forment la
grammaire des arrangements stratégiques que les protagonistes de cette action publique
passent avec les impératifs de la communication politique et entre eux18.
Conclusion
L’équilibre sociopolitique sur lequel reposent les politiques britanniques de la drogue est
remis en cause par l’arrivée des travaillistes qui, tout en prolongeant et en accentuant les
orientations imprimées à la fin de l’ère conservatrice, cessent de s’accommoder d’un style
d’action publique qui, comme nous l’avons vu, laisse d’importantes marges aux protagonistes
de la mise en œuvre. Le gouvernement Blair pousse à son terme l’évolution vers une politique
qui privilégie la dimension sécuritaire des risques à réduire. La prise en charge et le
traitement, s’ils relèvent d’intervention socio-sanitaire, ne bénéficient de ressources
supplémentaires (qui sont distribuées par le ministère de l’intérieur) que dans la mesure où ils
concourent à réduire la délinquance. La non non conformité des usagers pris en charge en
application de nouvelles ordonnances de dépistage et de traitement de la dépendance est
assortie de sanctions pénales (MacGregor, 2006). De plus, les ressources du management
public sont mobilisées pour favoriser la mise en œuvre effective des nouvelles orientations.
Les promoteurs des politiques de réduction des risques, qui n’avaient pas « éprouvé la
18
Pour des hypothèses de ce type, voir Andreas Busch (1999), ainsi que Vivien Schmidt et Claudio Radaelli
(2004).
rt6 8
23
nécessité de s’organiser sous les conservateurs »19, se constituent alors en association
nationale pour tenter de préserver les acquis obtenus sous le règne des conservateurs qui, avec
le recul, apparaît comme plus libéral, si ce n’est en discours au moins dans les faits. Le
pluralisme des politiques britanniques de la drogue tel qu’il transparaît dans l’analyse
effectuée ici, tout comme les bénéfices relatifs qui en découlent pour les populations visées,
apparaissent donc tributaires d’un style d’action publique marqué par une indifférence relative
du personnel gouvernemental quant à la mise en œuvre concrète, tout du moins tant que celleci ne perturbe pas la communication politique. Il en irait différemment lorqu’un nouveau
gouvernement travailliste prend au sérieux les ambitions d’ingéniérie sociale qu’il affiche.
L’autre spécificité de l’action publique analysée est que les toxicomanes qu’elles visent
constituent certes une population marginalisée et construite comme déviante au plan
sociopolitique, mais son dénuée de ressources, même si celles-ci peuvent être qualifiées de
négatives. L’approche esquissée ici pourrait être appliquée à d’autres actions publiques, visant
également des populations stigmatisées, mais qui ne disposent pas des mêles atout, par
exemple les politiques d’accueil (ainsi que de refus) des demandeurs d’asile. La souffrance et
la maladie y sont devenus des critères ultimes, plus aisément reconnus que l’oppression
politique, pour échapper à une expulsion, manifestant ainsi la spécificité et l’autonomie des
normes sanitaires. Pour autant, les marges d’ajustement des protagonistes de cette action
publique intéressés à un traitement équitable des demandeurs, tout comme les rééquilibrages
sociopolitiques en faveur de ces derniers qui pourraient être obtenus, sont minimes
(D’Halluin, Fassin, 2005). Le pluralisme des cadres cognitifs et des dispositifs de
gouvernement des toxicomanes observés dans le champ des politiques (conservatrices)
britannique de la drogue procèdent peut-être d’un atout dont les demandeurs d’asile ne
disposent pas : les effets pervers de leur stigmatisation n’apparaissent pas immédiatement
dans des sociétés où elle est source de gain politique.
Les résultats présentés ici peuvent donc, pour une part, être considérées comme tributaire de
la période et du type de population cible de l’action publique choisies comme objets d’étude.
Il peut cependant être suggéré que ces limites n’invalident pas l’intérêt du cadre d’analyse qui
a été esquissé. Transposé dans le champ plus vaste des politiques sociales, celui-ci consuirait
à rechercher une éventuelle correspondance entre deux types d’hybridation, celle des modèles
Le propos est du sociologue Gerry Stimson, qui sera l’un des fondateurs de la United Kingdom Harm
Reduction Association en 2000 (entretien réalisé en 1999).
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de protection sociale (Barbier, Théret, 2004) et celle des régimes de gouvernement des
populations qui peuvent leur être associés.
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