leur donnant un sens plutôt qu'un autre
. Ainsi, il convient d'expliquer l'action publique par les
préférences des différents acteurs (intérêts matériels et convictions morales) et les croyances
pratiques sur les conséquences de leurs comportements
. Nous chercherons à mettre en évidence que
"dans le cours des disputes, les personnes peuvent s'entendre, sans nécessairement s'accorder, en
prenant appui sur des repères normatifs de validité plus ou moins généraux, à la fois intégrés à leurs
compétences cognitives et inscrits dans des dispositifs (et, notamment, dans des dispositifs d'objets),
enracinés dans les situations."
Nous pourrions dire, certes de manière très schématique, que c'est
l'anticipation du futur qui explique le présent (et non le passé)
. Dans un tel schéma de pensée,
l'action publique est le jeu d'interactions et d'interdépendances, les décisions ne sont pas données a
priori (ou tout simplement par le politique) mais résultent d'une coordination des registres d'action,
mêlant science et politique, faits et valeurs
. Ainsi, la légitimité est pensée avant tout comme un
processus. Il est, en effet, toujours nécessaire de justifier et d’entrer dans une sorte de négociation
entre les différents acteurs impliqués pour savoir ce qui va être légitime. Il ne suffit pas d’appliquer
un savoir ou des règles pour être légitime
.
1. Le travail social : une notion "carrefour"
Le travail social bénéficie d'une position qui ne peut être circonscrite dans un champ bien déterminé
mais se situe plutôt à l'intersection de différents champs. On voit les travailleurs sociaux évoluer à
l'intersection de quatre champs de légitimité, correspondant chacun à un type de partenaire: élus,
militants associatifs, professionnels des sciences humaines et cadres administratifs. Ils
n'appartiennent totalement à aucun de ces champs mais participent de tous. Dominés dans chacun
des champs du système d'action sociale, ils disposent par ailleurs d'un atout de position qui amène
chacun de leurs partenaires à faire appel à eux. A l'intersection des divers champs, ils peuvent les
faire communiquer. A chaque partenaire, ils peuvent apporter des données sur son environnement.
Dans les conflits entre les diverses parties, ils peuvent facilement se poser en tiers en jouant de cette
position de marginaux sécants. Cette position à l'intersection de différents champs a également été
analysée de façon plus critique, moins optimiste. Ainsi, cette position intermédiaire serait plutôt une
position de confrontations sur un territoire d'acteurs de plus en plus divers. Et cette diversité est
radicale: elle concerne à la fois des références professionnelles, les cultures, les savoir-faire, les
moyens, l'éthique… Ensuite, et cela est lié, elle modifierait les processus de décision, réduisant la
place des travailleurs sociaux plus que jamais à un rôle de technicien. L'exemple le plus significatif
est sans doute l'émergence de ce que Jacques Donzelot et Joël Roman ont qualifié de magistrature
sociale dans le Revenu minimum d'insertion. "Avec l'instauration du RMI, leur pouvoir se réduit, de
fait, à l'instruction de dossiers. La décision appartient à présent à un collectif, celui de la commission
locale d'insertion qui réunit une multiplicité de partenaires (…). Cette magistrature sociale met fin à
la confidentialité de la relation entre l'assistant et l'assisté." Il faut ajouter à cela la place désormais
prise par les nouveaux acteurs de l'insertion qui assument, bien plus que les assistants sociaux, le
Cf. LASCOUMES P. & LE GALES P. (éd.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de la fondation nationale des
sciences politiques, collection académique, 2004.
Cf. DUBET F., Injustices, l'expérience des inégalités au travail, Paris, Éditions du Seuil, 2006.
BOLTANSKI L., "Préface" in NACHI M., Introduction à la sociologie pragmatique, Vers un nouveau style
sociologique ?, Paris, Éditions Armand Colin, Collection Cursus Sociologie, 2006, p. 11.
BALME R. & BROUARD S., "Les conséquences des choix politiques: choix rationnel et action publique" in Revue
française de science politique, volume 55, no 1, février 2005, pp. 33-50.
L'apparentement avec les théories de Jürgen Habermas est assez clair. Cf. CANTELLI F., "Espaces d'interdépendance
entre action publique et experts: État réflexif dans le champ du sida" in Revue suisse de science politique, volume 10, no
1, 2004, p. 59.
HATZFELD H., "Construire de nouvelles légitimités en travail social" in La revue française de service social, no 210,
2003, p. 63.