Bertrand Oberson Département Travail social et politiques sociales Université de Fribourg (Suisse) Doctorant [email protected] Intervention pour le colloque "La légitimité des politiques sociales en question", Grenoble, 17-18 janvier 2008 Parallèle 3 / lutte contre la précarité aux marges des dispositifs Sur quoi construire la légitimité des contreprestations de l'aide sociale? Introduction / contexte Depuis quelques années déjà, le monde politique suisse cherche à passer d’une logique d’indemnisation passive dans le champ de l'aide sociale à une logique plus dynamique et plus incitative1. Les contreprestations sont devenues le symbole de l’activation des politiques sociales. Selon cette rhétorique, il conviendrait de donner à chacun les moyens spécifiques qui lui sont nécessaires pour faire face aux aléas de son existence2. Ce discours d'apparence très logique, voire "rationnel" prend appui sur le concept d'un diagnostic précis de chaque situation3. Pourtant, ce diagnostic est tout sauf une évidence dans le champ de l'aide sociale et ce pour deux raisons majeures: 1. Le diagnostic ne semble pas simple: quelles caractéristiques personnelles et/ou biographiques peuvent expliquer les difficultés du demandeur d'aide? 2. L'idée même de poser un diagnostic individuel semble soulever quelques interrogations: insister sur les "carences" individuelles, n'est-ce pas éviter toute réflexion sur les "responsabilités collectives"? L'aide sociale est une prestation matérielle d’urgence attribuée aux personnes qui ne sont plus en mesure de bénéficier d’autres formes de soutien, en particulier de la famille, du secteur privé ou des assurances sociales. Elle assume donc une fonction de subsidiarité. Elle se présente comme le dernier filet du système de sécurité sociale. L’aide sociale est consentie aux personnes nécessiteuses, quelles que soient les raisons qui les ont conduites dans cet état de besoin. En règle générale, les cantons délèguent aux communes l’organisation de l’aide sociale, ce qui induit une grande diversité des modèles de mise en œuvre. Le canton de Fribourg (comme de nombreux autres cantons), en parallèle à cette aide matérielle, a décidé d’introduire des mesures d’insertion sociale. Elles favorisent – ou, du moins, tentent de favoriser – l’autonomie sociale des bénéficiaires de l’assistance en s’attaquant aux sentiments d’incompétence, d’inutilité, de nonreconnaissance et d’exclusion. Ces contreprestations sont facultatives dans le sens que les assistants sociaux ne sont pas contraints de proposer de telles mesures. Par contre, étonnamment, un bénéficiaire de l’aide sociale pourrait légalement être forcé d’entamer une mesure si une commission sociale l’exigeait, faute de quoi, une retenue sur l’aide matérielle pourrait être ordonnée. Concrètement, de nombreuses sociétés locales, de loisirs comme d’utilité sociale sont appelées à revaloriser leur rôle de création de liens sociaux en prenant en charge des bénéficiaires de l’aide sociale. 2 SOULET M.H., "Individualisme et État social" in Aspects de la sécurité sociale, no 3, 2002, p. 26. 3 En fonction des difficultés et des ressources repérées par l'assistant social et le demandeur d'aide, il convient d'organiser une mesure appropriée. À titre illustratif, mais non exhaustif, voici une liste d’institutions qui ont été abordées par des services sociaux régionaux dans le cadre des mesures d’insertion sociale : un centre de loisirs et de rencontres pour jeunes, un service de livraison de repas chauds à domicile, une association de quartier, une ludothèque, un service de conciergerie d’une école primaire, un service d’accueil extrascolaire, un service régional d’entretien des forêts, une association pour personnes handicapées physiques, une association s’occupant de jeunes en difficultés, un club de boxe, une thérapie par le chien, un club de tissage, une crèche, des cours de langue pour migrants… 1 1 Par ces débats, les notions de marge de manœuvre et de pouvoir des assistants sociaux refont surface4. Ainsi pour éviter la critique du pouvoir "discrétionnaire"5 des assistants sociaux, il convient de réfléchir à la légitimité de chaque décision autour des contreprestations de l'aide sociale. Nous allons donc nous intéresser aux discours et pratiques des assistants sociaux. En effet, presque par opposition aux règles strictes en matière d’aide financière, il n’existe aucune directive minimale ou maximale en matière de contreprestations facultatives. Chaque situation est traitée individuellement et contractuellement. Les contreprestations et leurs légitimités sont alors construites au cas par cas. L'assistant social semble alors entrer en négociation avec les demandeurs d'aide et les décideurs (commissions sociales). Les critiques face à ce genre de dispositif sont multiples et connues: les bénéficiaires de l’aide sociale se plaignent de l’opacité, voire de l’absence de critères d’attribution des contreprestations. "Ici, c’est à la tête du client". D'une façon plus générale, nous pourrions représenter l'intervention de l'État comme une balance, un équilibre à trouver entre d'un côté la standardisation, l'universalisme, la justice sociale et de l'autre côté la subjectivation, l'innovation, l'adaptation aux changements et aux personnes. Universalisme Personnalisation Pencher trop d'un côté, c'est risquer les critiques de la bureaucratie (impersonnelle) et de l'autre côté du clientélisme (antidémocratique). Comment s’adapter aux situations, aux individus tout en se conformant aux normes, aux lois, aux règles de procédures? Comment décider lorsque le règlement ne dit plus grand-chose6? Comment trouver l’équilibre entre ces deux pôles? Comment introduire de la réflexion dans la bureaucratie sans sortir des référents de la justice sociale? Puisque aujourd’hui face à une demande d'aide, l'assistant social devrait faire des choix, comment peut-il les légitimer au regard des autres situations? L'objet de cette communication sera donc d'éclairer ces choix, sans jeu de mots malsain : il n'est donc pas question d'identifier un "choix éclairé", mais de mettre en évidence sur quelles rhétoriques les travailleurs sociaux posent leurs choix. Cette communication repose sur quelques postulats principaux. En Suisse tout particulièrement, la politique publique est d'abord produite par des interactions, avant d'être stabilisée par des institutions7. Ce sont donc bien les acteurs qui font le changement, qui s'approprient des outils en OBERSON B., "La marge de manœuvre des assistants sociaux dans l’attribution de contreprestation" in FILÂTRE D. & DE TERSSAC G., avec la coll. de ABANEL X., CATLLA M. & VOLERY I., Les dynamiques intermédiaires, Toulouse, Éditions Octarès, série MSHS-T, septembre 2005, pp. 79-87. 5 Cf. LIPSKY M., "Les agents de base" in ISAAC J. & JEANNOT G. (s/d.), Métiers du public. Les compétences de l’agent et l’espace de l’usager, Paris, CNRS, 1995. 6 La loi sur les mesures d’insertion sociale est une loi-cadre laissant une très grande marge de manœuvre aux acteurs locaux. Il s’agit d’une loi incitative sans aucune contrainte cantonale ou fédérale. Pour preuve, dans certains services sociaux, jusqu’à 10% des bénéficiaires de l’aide sociale peuvent effectuer une contreprestation, alors que d’autres services refusent d’introduire toute contreprestation à l’aide sociale. Cf.http://www.fr.ch/sasoc/pages_F/aide_sociale/Recueil/2003/doc_recueil_2003/03tab35_repartition_ssr.pdf 7 Napoléon affirmait dans le contexte de l’Acte de médiation : « La Suisse ne ressemble à aucun autre État, soit par les événements qui s’y sont succédés depuis plusieurs siècles, soit par la situation géographique, soit par les différentes langues, les différences de religion et cette extrême différence de mœurs qui existe entre ses différentes parties. La nature a fait votre État fédératif, vouloir la vaincre n’est pas d’un homme sage ». Citation tirée de REVAZ G., La Suisse et la Francophonie, Québec, CIDEF-AFI, Faculté des Lettres, Université de Laval, 2003, p. 19. 4 2 leur donnant un sens plutôt qu'un autre8. Ainsi, il convient d'expliquer l'action publique par les préférences des différents acteurs (intérêts matériels et convictions morales) et les croyances pratiques sur les conséquences de leurs comportements9. Nous chercherons à mettre en évidence que "dans le cours des disputes, les personnes peuvent s'entendre, sans nécessairement s'accorder, en prenant appui sur des repères normatifs de validité plus ou moins généraux, à la fois intégrés à leurs compétences cognitives et inscrits dans des dispositifs (et, notamment, dans des dispositifs d'objets), enracinés dans les situations."10 Nous pourrions dire, certes de manière très schématique, que c'est l'anticipation du futur qui explique le présent (et non le passé)11. Dans un tel schéma de pensée, l'action publique est le jeu d'interactions et d'interdépendances, les décisions ne sont pas données a priori (ou tout simplement par le politique) mais résultent d'une coordination des registres d'action, mêlant science et politique, faits et valeurs12. Ainsi, la légitimité est pensée avant tout comme un processus. Il est, en effet, toujours nécessaire de justifier et d’entrer dans une sorte de négociation entre les différents acteurs impliqués pour savoir ce qui va être légitime. Il ne suffit pas d’appliquer un savoir ou des règles pour être légitime13. 1. Le travail social : une notion "carrefour" Le travail social bénéficie d'une position qui ne peut être circonscrite dans un champ bien déterminé mais se situe plutôt à l'intersection de différents champs. On voit les travailleurs sociaux évoluer à l'intersection de quatre champs de légitimité, correspondant chacun à un type de partenaire: élus, militants associatifs, professionnels des sciences humaines et cadres administratifs. Ils n'appartiennent totalement à aucun de ces champs mais participent de tous. Dominés dans chacun des champs du système d'action sociale, ils disposent par ailleurs d'un atout de position qui amène chacun de leurs partenaires à faire appel à eux. A l'intersection des divers champs, ils peuvent les faire communiquer. A chaque partenaire, ils peuvent apporter des données sur son environnement. Dans les conflits entre les diverses parties, ils peuvent facilement se poser en tiers en jouant de cette position de marginaux sécants. Cette position à l'intersection de différents champs a également été analysée de façon plus critique, moins optimiste. Ainsi, cette position intermédiaire serait plutôt une position de confrontations sur un territoire d'acteurs de plus en plus divers. Et cette diversité est radicale: elle concerne à la fois des références professionnelles, les cultures, les savoir-faire, les moyens, l'éthique… Ensuite, et cela est lié, elle modifierait les processus de décision, réduisant la place des travailleurs sociaux plus que jamais à un rôle de technicien. L'exemple le plus significatif est sans doute l'émergence de ce que Jacques Donzelot et Joël Roman ont qualifié de magistrature sociale dans le Revenu minimum d'insertion. "Avec l'instauration du RMI, leur pouvoir se réduit, de fait, à l'instruction de dossiers. La décision appartient à présent à un collectif, celui de la commission locale d'insertion qui réunit une multiplicité de partenaires (…). Cette magistrature sociale met fin à la confidentialité de la relation entre l'assistant et l'assisté." Il faut ajouter à cela la place désormais prise par les nouveaux acteurs de l'insertion qui assument, bien plus que les assistants sociaux, le 8 Cf. LASCOUMES P. & LE GALES P. (éd.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, collection académique, 2004. 9 Cf. DUBET F., Injustices, l'expérience des inégalités au travail, Paris, Éditions du Seuil, 2006. 10 BOLTANSKI L., "Préface" in NACHI M., Introduction à la sociologie pragmatique, Vers un nouveau style sociologique ?, Paris, Éditions Armand Colin, Collection Cursus Sociologie, 2006, p. 11. 11 BALME R. & BROUARD S., "Les conséquences des choix politiques: choix rationnel et action publique" in Revue française de science politique, volume 55, no 1, février 2005, pp. 33-50. 12 L'apparentement avec les théories de Jürgen Habermas est assez clair. Cf. CANTELLI F., "Espaces d'interdépendance entre action publique et experts: État réflexif dans le champ du sida" in Revue suisse de science politique, volume 10, no 1, 2004, p. 59. 13 HATZFELD H., "Construire de nouvelles légitimités en travail social" in La revue française de service social, no 210, 2003, p. 63. 3 suivi effectif du parcours d'insertion des bénéficiaires des mesures d'insertion sociale. Contraints de s'ouvrir aux autres en même temps fragilisés dans leur position, les travailleurs sociaux sont-ils prêts pour le partenariat?14 Le travail social se trouve ainsi immobilisé, paralysé, disqualifié15. En tout état de cause, la position d'intermédiaire pose la question de la légitimité, celle-ci devient centrale et l'objet d'enjeux considérables. Champ démocratique Elus Compétence technique Professionnels TS Administratifs Mandat institutionnel Associations Représentation affinitaire de la population Tiré de GOUDET B., "La fonction d'agent de médiation des travailleurs sociaux engagés dans des actions collectives et ses légitimités" in BLANC B., DORIVAL M., GÉRARD R., ROUX S. & ULLERN M.Cl., Actions collectives et travail social, tome 2, Processus d'action et d'évaluation, Paris, Éditions ESF, 1989, p. 34. Illustrons cette position d'intermédiaires : si longtemps les assistants sociaux chargés de mettre en place des politiques sociales se sont efforcés d’appliquer à la lettre les règlements/les normes de calcul dans le souci d’assurer des réponses justes, donc impersonnelles, aux besoins de la population. Aujourd’hui, un rééquilibrage de la balance s'impose par une relative personnalisation des réponses à apporter. À noter également que certaines fonctions du champ social ne s’étaient que peu construites autour de règlements universels mais plutôt autour d’acteurs professionnels garants de « la » justice. Il s’agit en particulier des éducateurs spécialisés et des animateurs socio-culturels. Pour ces fonctions, l’autonomie des professionnels était relativement importante. C’était à eux d’assurer une égalité de traitement. Celle-ci était garantie par une importante « normalisation » des professions. Le secret professionnel et/ou les codes de déontologie et/ou les syndicats professionnels ont longtemps joué le rôle d'encadrement strict de la profession. Aujourd'hui, s'immisce dans la définition du juste de nouveaux acteurs: les bénéficiaires bien entendu, mais également des "acteurs" externes tels que les contraintes budgétaires par exemple. Dès lors, plus rien ne semble aller de soi pour les travailleurs sociaux: comment faire des choix lorsque les infrastructures ne sont pas suffisantes, lorsqu'il n'est pas possible de financer des contreprestations pour tout demandeur d'aide …? 14 DHUME F., Du travail social au travail ensemble, le partenariat dans le champ des politiques sociales, Paris, Éditions ASH, 2001, pp. 54-56. 15 AUTES M., "Les territoires politiques de l'action sociale" in Informations sociales : "Les institutions face au débordement du social", no 76, CNAF, 1999, p. 138. 4 Comment faire alors pour "choisir", trier les bénéficiaires de contreprestations? Doit-on alors punir les non-méritants ou au contraire encourager les plus dociles…? Nous comprenons donc que les travailleurs sociaux, selon les différents regards posés, sont plus ou moins dépendants/autonomes des champs voisins. 1.1. Au carrefour entre le singulier et l'universel Suite à la prise en charge des problèmes sociaux par l'État-providence, le travail social s'est caractérisé par l’exigence d’arrêter des décisions en respectant le principe d’égalité de traitement. Dès lors, ce n’est pas tant à l'assistant social de décider, mais au règlement d'opérer les choix. Sauf que le travailleur social est également un représentant des plus faibles, l'enjeu est alors d’être capable d’imaginer des dispositifs permettant de concilier l’idéal d’une justice égalitaire pour tous et la satisfaction des usagers. Traiter avec justesse les usagers revient alors à les traiter à la fois avec impartialité mais aussi avec respect (proportionné à la situation)16. Il convient alors d'équilibrer l'égalité de traitement à la prise en charge "personnalisée". Les contreprestations étant construites au cas par cas17. En raison de cette position à l'intersection de différents champs, l'assistant social devrait constamment légitimer ses décisions. La science18 et la loi ne pouvant pas toujours apporter de réponses définitives, le travailleur social devrait alors légitimer ses actions par la consultation des différents partenaires, puis la négociation des choix à réaliser. Pour dire plus simplement, l'assistant social devrait de plus en plus montrer, expliciter le processus qui l’a amené à accepter ou refuser une demande singulière, à attribuer une aide ponctuelle, à accorder des contreprestations… C’est un travail lourd et difficile. Car tout semble alors négociable, car les enjeux et les valeurs mobilisées peuvent être multiples. Ne risque-t-on pas alors de tomber dans le marchandage pourtant repoussoir de l’action publique ? Alors que les travailleurs sociaux se sont pendant longtemps plaints d'un décalage entre une règle générale et la singularité des situations particulières (revendications de pouvoir tenir compte des différences, des capacités et des besoins de chacun), aujourd’hui suite à l'introduction des contreprestations dans le champ du social, ils sont amenés à résoudre le problème inverse : faire émerger d'interventions multiples, désordonnées et contingentes une lignée générale19. 1.2. Au carrefour entre le juste et le bien Le travail social se situe à l'intersection entre la défense d'un principe d'égalité de traitement entre tous les choix de vie (par exemple, ne pas favoriser les couples mariés par rapport aux concubins) et la promotion/défense de comportements dits "sains" (par exemple la lutte contre l'alcoolisme). Pour présenter ce dilemme, nous allons prendre un chemin de traverse : l'exemple des pâturages collectifs: les communs. Selon Garrett Hardin20, lorsqu'un champ est mis à la disposition de tous les agriculteurs du village, ces derniers ont tout intérêt à y faire paître le maximum d'animaux possible. En effet, si un agriculteur place plus d'animaux que les autres, il va prendre un avantage sur eux. De même si un agriculteur laisse plus longtemps ses animaux, il va également y gagner. A chaque fois, 16 WARIN P., « Les Dépanneurs de justice. Les « petits fonctionnaires » entre qualité et équité » in Droits et société, volume 33, 2002, pp. 48-49. 17 Les mesures d’insertion sociale sont toutefois répertoriées dans un « catalogue » collectif cantonal facilitant ainsi de nouvelles démarches auprès d’associations/institutions similaires. Le catalogue a la prétention de donner des idées tant aux assistants sociaux qu’aux bénéficiaires. En effet, chaque association/institution figurant sur ce catalogue ne s’engage aucunement pour une nouvelle prise en charge d’un bénéficiaire. Tout accord est individuel et ponctuel. Tant les assistants sociaux que les bénéficiaires peuvent faire des propositions concrètes de contreprestations. 18 Cf. le débat sur une relative médicalisation/psychologisation du social. 19 JEANNOT G., "Faire du général avec du singulier: les chefs de services d'une DDE et l'aménagement" in Les Annales de la recherche urbaine, no 88, 2000, p. 54. 20 HARDIN G., "The Tragedy of the Commons" in Science, no 162(1968), pp. 1243-1248. 5 l'agriculteur a intérêt à faire brouter le maximum d'herbe "commune" avant de devoir utiliser sa propre herbe. En clair, l'intérêt de s'accaparer le plus de ressources communes possible dépasse toujours le prix à payer pour l'utilisation de ces ressources. Rapidement, chaque éleveur emmène autant d'animaux que possible paître dans le champ commun pour empêcher, autant que faire se peut, les autres éleveurs de prendre un avantage sur lui en utilisant les ressources communes, et le champ devient vite une mare de boue où plus rien ne pousse21. La tragédie des biens communs ne prévoit que trois issues possibles à cette situation : le champ devient un immense champ de boue Une personne qui dispose d’un pouvoir de contrainte alloue les ressources au nom du village Le champ est découpé en espaces gérés par chaque paysan disposant alors d’un droit de propriété. Allouer les ressources au nom du village c'est, très probablement, devoir réfléchir à un ordre de priorité: priorité aux paysans propriétaires de "mauvais" terrains à faible rendements, priorité aux familles nombreuses, que sais-je encore? Il s'agit en quelque sorte de définir un "bien", des choix de vie, à protéger ou à défendre. A l'inverse, il peut être décidé de ne favoriser aucun "style" d'agriculteur par rapport à d'autres. Il convient alors de mettre en place un dispositif de partage –sous voile d'ignorance par exemple–, qualifié de juste, permettant l'attribution de l'utilisation du pré commun. Le travail social n'a jamais pu arbitrer entre la priorité du Bien sur le Juste ou l'inverse. Nous pouvons retrouver ces débats sur la prise en charge de populations classiques du travail social : le traitement des demandes de permis pour les personnes de nationalité étrangère doit-il dépendre de la provenance des migrants, de leur capacité à mobiliser un réseau de soutien, de leurs capacités professionnelles (de leur « utilité sociale ») et encore, plus simplement, du fonctionnaire chargé de traiter le dossier, ou au contraire doit-on mettre en place des procédures neutres face à la provenance des demandeurs, face à l'utilité du demandeur…?22 La plupart des politiques sociales contemporaines sont incapables d'arbitrer ces débats. L'exemple de la politique familiale est symptomatique : Faut-il donner la préférence à certaines formes et comportements familiaux et au contraire en éviter ou en réprouver d’autres ? La politique familiale doit-elle favoriser une division du travail traditionnelle entre les sexes et promouvoir un retour des femmes au foyer, ou tout au contraire aider les mères à harmoniser leur vie familiale avec leurs aspirations professionnelles ? Faut-il privilégier la famille dite « normale » ou « complète » ou s’agit-il justement d’apporter une aide particulière aux familles dites « monoparentales » ? Est-ce qu’il s’agit uniquement de compenser les charges familiales proprement dites selon le nombre d’enfants, ou tout au contraire de compenser des inégalités sociales existantes entre les familles de différentes conditions sociales ? Est-ce que l’État peut légitimement se servir des politiques sociales pour régler et gérer les comportements familiaux selon sa « raison » ou est-ce que ces derniers doivent rester une affaire purement « familiale » et « privée » ?23 Autrement dit, la famille a été érigée, au fil du temps, en institution sociale. En tant que telle, elle a toujours été au cœur des efforts déployés pour assurer l’ordre social. La famille est donc aussi une 21 http://fr.wikipedia.org/wiki/Trag%C3%A9die_des_biens_communs Cf. SPIRE A., Etrangers à la carte, L'administration de l'immigration en France (1945-1975), Paris, Éditions Grasset, 2005. 23 SCHULTHEIS F., « La famille dans la CEE, Sa place dans les politiques sociales des pays-membres » in Revue française des affaires sociales, no 4, octobre-décembre 1994, p. 100. 22 6 entité au sein de laquelle s’exercent le pouvoir et la domination, à commencer par le rapport entre les sexes. La conservation et la répartition de biens sont étroitement associées à la famille (et à la parenté). Vue sous cet angle, la famille est intimement mêlée aux discussions générales sur les intérêts de la société. Toutefois, cela signifie aussi qu’elle peut être instrumentalisée dans le but de servir ses intérêts24. Face à ces multiples questions et enjeux, il a souvent été décidé de ne pas décider. Ainsi la politique familiale en Suisse est, par moments, par endroits et sur certains objets une défense d'un Bien alors que dans d'autres domaines, une vision plus "neutre" de l'intervention étatique domine. 1.3. Au carrefour entre l'urgence et les lourdeurs administratives Dans le champ du travail social, l'urgence saute parfois aux yeux. En passant du contrôle de l'avenir au colmatage du présent, l'État perd la position de surplomb dans laquelle il se trouvait et à partir de laquelle il s'adressait aux autres acteurs. L'État est rentré dans la logique de l'urgence humanitaire25. Ce faisant, il a amplifié et généralisé les conséquences reconnues à toutes les stratégies de l'urgence: - l'occultation volontaire ou involontaire des fins, au profit des seuls moyens, - l'exacerbation de la tension entre le court terme, sur lequel on se consacre, et le long terme, que l'on expulse, - la création d'une demande d'urgence par l'existence même d'une offre d'urgence croissante et professionnalisée. Il convient alors de mobiliser une foule d'acteurs et de les faire travailler ensemble et rapidement. Cette manière de faire s'oppose alors à la logique bureaucratique traditionnelle : le travail autour d'une spécialisation puis le transfert à d'autres spécialistes. En effet, les acteurs aiment la clarté et la sécurité. Derrière la notion de clarté, il y a celle de protection : si mon territoire est clairement défini, personne ne peut empiéter dessus, il m’appartient, j’en ai le monopole. Je fais ce que je suis supposé faire, et le résultat d’ensemble n’est pas mon problème, dans la mesure où précisément, le principe fondateur de cette organisation est que si chacun à sa place fait correctement ce qu’il a à faire, le résultat ne peut être que positif. Surtout, cette manière de s’organiser protège du face à face et assure la stabilité de la prise en charge. Le client est en quelque sorte nié, ou plus simplement évacué26. « Pour exprimer cette idée, les sociologues ont trouvé au fil du temps des images ou des expressions variées : ils ont parlé de structure en nids d’abeille, de « peur du face à face »27. Même si le système bureaucratique a été fortement critiqué, il ne faut pas oublier qu'il a également été encensé comme garant d'un traitement juste. L'urgence, en remettant en cause le fonctionnement bureaucratique classique, s'attaque à la définition de la justice. Du reste, l'urgence est régulièrement accusée d'être un mode de fonctionnement amenant à des traitements injustes voire inhumains28. Se pose donc de façon vivante la question de la légitimité des actions en urgence. 24 LÜSCHER K., La politique familiale, pourquoi ? Arguments et thèses, Commission fédérale de coordination pour les questions familiales, COFF, Berne, 2004, p. 10. 25 LAÏDI Z., Le sacre du présent, Paris, Éditions Flammarion, 2000, p. 237. 26 DUPUY F., Sociologie du changement, Pourquoi et comment changer les organisations, Paris, Éditions Dunod, 2004, pp. 57-58. 27 CROZIER M., Le phénomène bureaucratique : essai sur les tendances bureaucratiques des systèmes d'organisation modernes et sur leurs relations en France avec le système social et culturel, Paris, Éditions du Seuil, 1971. 28 LIPSKY M. & SMITH S.R., "Quand les problèmes sociaux sont traités comme des urgences?" in SOULET M.H. (éd.), Urgence, souffrance, misère. Lutte humanitaire ou politique sociale?, Fribourg, Éditions universitaires Fribourg Suisse, 1998, pp. 61-96. 7 1.4. L'incertitude dans l'activité quotidienne Cette description d'un travail social au carrefour de différents champs, incapable d'arbitrer entre les différents principes de fonctionnement/légitimation propres à chaque champ, est une position délicate, relativement difficile à vivre. Quelquefois sur le mode de l’indignation, parfois sur le mode de la mauvaise conscience, très souvent sur le mode du doute, les uns et les autres ont en tout cas rarement la « conscience tranquille » quant à la légitimité des principes et des pratiques en œuvre. Les travailleurs sociaux vivent dans une relative incertitude quant à ce qu'ils ont à faire et au nom de quelles légitimités. L'urgence impose ses priorités et temporalités et dénie ainsi tout rôle/réflexion au travailleur social. Le sentiment d'être un "bancomat" illustre cette position servile. Parfois également, les travailleurs sociaux expriment être des "pantins" au service des acteurs politiques locaux. L'ingérence des chiffres –souvent ressentis comme non représentatifs dans le monde du travail social– est également une évidence29. La médicalisation des savoirs participe de ce mouvement. Dès lors, le travailleur social peut légitimement se sentir au milieu de multiples injonctions, parfois mêmes contradictoires. Comme l'ont rappelé Luc Boltanski et Eve Chiapello, face à cette situation complexe, le risque est grand de ne plus s'achopper à la question de la légitimité des contreprestations dans l'aide sociale. En effet, les épreuves sont toujours des épreuves de force, elles peuvent bien entendu se transformer en épreuves légitimes, mais cela ne va pas de soi. Pour passer de l'épreuve de force à l'épreuve légitime, il convient de l'inscrire dans un cadre conventionnel, obéissant à un dispositif de contrôle et à des contraintes de justification30. La société contemporaine serait marquée par ces deux formes d'épreuve: l'une tend vers la justice, l'autre vers des rapports de force31. "Dans l'idiome associé à la première, se forme un discours qui parle de justice, de droit, de légitimité, de généralité. Dans le langage de la seconde, s'élaborent des descriptions en termes de forces, de stratégies, de positions, de réseaux"32. Pour analyser ce changement des épreuves, Luc Boltanski et Eve Chiapello recourent à la notion de déplacement. Le déplacement se passe de la référence à des conventions et ne suppose ni extériorité ni généralité. C'est un processus qui n'opère que sur le seul plan de l'immanence. A la différence de la catégorisation qui engage toujours deux plans, singulier/général, le déplacement ne connaît qu'un seul plan, celui du singulier, sans référence à des conventions d'équivalence. Il n'y a plus alors de remontée en généralité. 2. Les contreprestations : une histoire de préférences Pour comprendre comment se prennent les décisions les plus difficiles dans le cadre de l'attribution ou non de contreprestations dans le champ de l'aide sociale, nous pourrions bien entendu nous centrer sur le rôle encadrant des institutions. Selon l'approche néo-institutionnaliste, les individus ne sont jamais totalement libres de leurs préférences : les institutions créent les individus et leurs préférences. Cette pensée a tendance à réduire l'action des personnes en société à l'exécution d'un programme préexistant et intériorisé, ou incorporé. Sans vouloir définitivement rejeter cette vision, nous préférerons opter pour le postulat inverse. La politique publique est d'abord produite par des 29 Cf. DE GAULEJAC V., La société malade de la gestion, Idéologie gestionnaire pouvoir managérial et harcèlement social, Paris, Éditions du Seuil, 2005 ; CHAUVIERE M., Le Travail social dans l’action publique. Sociologie d’une qualification controversée, Paris, Éditions Dunod, 2004. 30 NACHI M., Introduction à la sociologie pragmatique, Vers un nouveau style sociologique ?, Paris, Éditions Armand Colin, Collection Cursus Sociologie, 2006, p. 62. 31 NACHI M., Introduction à la sociologie pragmatique, Vers un nouveau style sociologique ?, Paris, Éditions Armand Colin, Collection Cursus Sociologie, 2006, p. 66. 32 BOLTANSKI L. & CHIAPELLO E., Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Éditions Gallimard, Collection NRF Essais, 1999, p. 402. 8 interactions, avant d'être stabilisée par des institutions. La description du travail social à l'intersection de différents champs participe grandement à ce postulat. 2.1. Le cas par cas, une fatalité? Comme nous l'avons vu auparavant, une difficulté majeure du travail social est de ne pas se faire happer par un champ dominant. De tout temps, mais peut-être particulièrement aujourd'hui dans une société dite individualiste, le travailleur social doit être attentif à maintenir une distance avec les demandeurs d'aide. Cette distance est à construire entre le bénéficiaire et le professionnel. Nous allons donc réfléchir aux différentes pratiques de mises à distance. Quels outils utiliser pour contribuer à une visée plus générale ? On peut évoquer les notions d’action focale et d’action subsidiaire proposées par Michael Polanyi 33. Celui-ci note qu’une action ne peut atteindre sa félicité que parce que celui qui l’accomplit porte son attention au-delà de l’immédiat de son objet d’intervention. Ainsi le conducteur apprend à ne pas avoir le regard porté sur les 10m qui le précèdent –et sur lesquels pourtant son véhicule va dans l’immédiat évoluer– mais bien plus loin. Ce regard porté au loin rétroagit alors sur son action immédiate, l’amenant à lisser en l’occurrence ses réactions. On peut comprendre par analogie l’activité des assistants sociaux, comme une manière de ne jamais traiter la "pathologie", la demande, le demandeur d'aide seulement pour lui-même, mais en ayant toujours aussi, l’attention portée au-delà, vers ces finalités plus larges et plus transversales. L’investissement individuel se retrouve, plus laborieusement, dans une certaine manière de « tenir »34 et « d’éviter les mauvais coups » face à de multiples et fâcheux événements35. Nous pouvons repérer deux manières de "tenir": 1. appliquer les normes/règles existantes; 2. utiliser les dispositifs en fonction des préférences. 2.2. Tourner le regard vers le passé : appliquer les normes/règles existantes L’action collective se trouve largement formatée par des dispositifs sociotechniques qui ne relèvent pas uniquement de la couche visible des grandes lois et des institutions : catégories juridiques, normes techniques, protocoles de calcul, ratios d’équilibre financier, etc36. Ces pilotes invisibles de l’action sont des adjuvants nécessaires à l’action. On ne peut penser les questions de choix dans le champ du travail social sans les introduire. "Or, chacun de ces dispositifs a sa propre histoire. Il est l'expression de l'état des rapports sociaux, d'une certaine vision d’un problème. Ensuite, il va poursuivre sa trajectoire pour devenir un protocole automatisé puis naturalisé que l’on va finir par oublier. Autrement dit, ces instruments, élaborés suivant des logiques particulières, selon des temporalités spécifiques, s’appliquent, se généralisent et deviennent naturels. Ils font partie intégrante de l’action. On cesse de réfléchir aux implicites qu’ils contiennent et aux effets qu’ils produisent. Les acteurs leur ont délégué de manière consciente ou non, une grande partie de l’action. Ces dispositifs prolongent, précisent et rendent possible l’action. Ces assistants des acteurs les rendent plus efficaces. Mais, dans le même temps, ceci s’obtient au prix d’une réduction des marges de jeu."37 Ces règles/directives sont souvent prises pour elles-mêmes sans référence aux principes (de justice) à leur origine. Ainsi elles perdent leur sens et doivent être appliquées à la lettre. Elles 33 POLANYI M., Personal Knowledge, Toward a Post-critical Philosophy, Chicago : The University of Chicago Press, 1958. 34 ION J., Le Travail social au singulier, Paris, Éditions Dunod, 1998, p. 101. 35 JEANNOT G., Les Métiers flous. Travail et action publique, Toulouse, Éditions Octarès, 2005, pp. 21-22. 36 CALLON M. & LATOUR B., La Science telle qu'elle se fait, Paris, Éditions La Découverte, 1991. 37 LORRAIN D., “Les pilotes invisibles de l’action publique. Le désarroi du politique ? » in LASCOUMES P. & LE GALES P. (éd.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, collection académique, 2004, pp. 165-166. 9 permettent toutefois de cadrer concrètement l'activité quotidienne des assistants sociaux. Cela réduit donc considérablement les choix sans expliciter les principes de justice permettant une remontée en généralité. Par exemple, le nombre de places disponibles pour des programmes d'occupation dans le secteur public est généralement défini d'année en année. Ainsi à un moment donné, les assistants sociaux n'ont plus de choix et doivent trouver des acteurs privés prêts à accueillir leurs clients. Autre exemple, le dispositif contemporain a focalisé l'attention de tous sur la notion d'insertion, faisant ainsi oublier bien d'autres débats. En particulier, la diminution des normes minimales d'aide sociale n'a quasiment pas soulevé de contestations. Les "lois" sont ainsi souvent utilisées pour taire des débats. Si une décision paraît difficile, c'est qu'aucune résolution ne paraît plus légitime par rapport aux autres. A ce moment, différents "objets/outils" tels que règlements, codes déontologiques ou éthiques peuvent renforcer cette légitimité défaillante. Ainsi, recourir à des objets et s'appuyer sur eux contribue à frayer la voie vers l'accord et à conférer à ce dernier plus de stabilité et de légitimité. 2.3. Tourner le regard vers le futur : utiliser les dispositifs en fonction des préférences Le débat sur la soumission des travailleurs sociaux au code de déontologie et plus particulièrement à un article interdisant toute action permettant une "dénonciation" des bénéficiaires de l'aide à d'autres services permet d'introduire la question des préférences, des valeurs guidant l'activité quotidienne des travailleurs sociaux. Aujourd'hui, au nom d'une amélioration de l'efficacité des services étatiques, au nom d'une collaboration interinstitutionnelle et au nom d'une revalorisation des obligations de chacun, les travailleurs sociaux sont de moins en moins soumis à ce devoir de réserve grâce à des procurations autorisant les travailleurs sociaux à communiquer entre services. Les services sociaux peuvent-ils, ou au contraire doivent-ils, dénoncer un cas qui toucherait indûment des prestations du service des allocations familiales? Doit-on faire des différences entre les services ? Concrètement, les services sociaux doivent-ils avertir les services fiscaux en cas d’abus ? Pour dire autrement, le travailleur social doit-il rendre des comptes aux bénéficiaires uniquement ou à la société en général ? Et s'il doit rendre des comptes à la société en général, comment peut-il alors créer une relation de confiance avec le demandeur d'aide? Cette notion d'interprétation locale de la loi/des normes dans le monde de la fonction publique n'a que peu été l'objet d'attention, presque par opposition aux organisations marchandes qui ont été de tout temps associées à ces marges de manœuvre. Comme si la culture organisationnelle de la fonction publique, ces agirs communs 38 devaient se cacher derrière l'impartialité, l'égalité de traitement. Aujourd'hui, il n'est plus aussi rare de rencontrer des travailleurs sociaux insister sur des particularités locales permettant ainsi de frayer des accords. Ce sera notre prochain objet d'attention. 3. Quelques rhétoriques utilisées pour légitimer les contreprestations dans l'aide sociale En l'absence d'un principe de légitimité partagé par l'ensemble des acteurs ou d'épreuves formelles de légitimité39, le risque est grand d'imposer des choix par la force. C'est du moins ce que ressentent beaucoup de demandeurs d'aide. Les inégalités de traitement, les rapports de force, la contingence – le hasard? – sont ainsi de plus en plus mobilisés par les demandeurs d'aide pour comprendre ce qui leur arrive. Observons les différentes argumentations utilisées en commission sociale pour construire la légitimité dans l'attribution des contreprestations de l'aide sociale. 38 CLOT Y. & FAÏTA D., "Genres et style en analyse du travail, Concepts et méthodes" in Travailler, Revue internationale de psychopathologie et de psychodynamique du travail, no 4, 2000, p. 14. 39 Les prises de décision à propos des mesures d'insertion se prennent en commission sociale. Il s'agit bien d'une épreuve de légitimité nécessitant, en général, une remontée en généralité. Sauf que ces épreuves se font en l'absence des principaux intéressés: les demandeurs d'aide. Ceux-ci risquent de vivre ces décisions comme des épreuves de force. Les principes de légitimité ne faisant pas surface, seule la décision semble s'imposer. 10 3.1. De l’exposition de soi à une logique de mérite À la différence des assurances sociales, reposant sur des critères objectifs, les dispositifs d’aide sociale et plus particulièrement les mesures d’insertion sociale ont besoin d’entrer dans le concret et d’intégrer des éléments subjectifs. L’examen au cas par cas que pratiquent les assistants sociaux puis les commissions sociales implique un rapport de proximité et de personnalisation. En tout état de cause, il semble clair que certaines limites ne doivent pas être franchies, qu’un droit à l’intimité doit être respecté par l’assistant social, faute de quoi, l’exposition de soi serait une forte atteinte à la dignité40. Dans la défense des dossiers par l’assistant social devant les commissions sociales, comme dans les prises de contact avec les associations abordées dans le cadre des mesures d’insertion sociale, cette limite n’est pas si évidente à trouver. En effet, jusqu’où l’assistant social peut-il « mettre à nu » le demandeur d’aide sans trop entrer dans sa sphère privée en sachant que ce sont souvent des anecdotes qui contribuent largement à l’acceptation de telles prises en charge ? La tentation est alors forte pour l’assistant social de porter un jugement de mérite sur le bénéficiaire de l’aide sociale. Ainsi, les mesures d’insertion sociale semblent se mériter alors que, par opposition, l’aide sociale matérielle doit être attribuée quelque soit la cause du besoin. Le mérite se manifeste par un style digne, par l’honnêteté, par l’expression d’une envie de changer la situation et, plus modestement par le registre de la vertu41. Le mérite semble être un ressort particulièrement efficace pour emporter la conviction des assistants sociaux et des commissions sociales. Cette logique n’est pourtant pas la seule logique repérable : la compassion et la moralisation semblent jouer un rôle non négligeable. 3.2. Choisir entre la compassion ou la moralisation La compassion est produite par un style implorant et s’inscrit dans un registre de sympathie, évoquant souvent de manière précise un ou quelques malheurs. Ainsi, la révélation des drames intimes dans l’espace public des commissions sociales confère à leur délibération une dimension émotionnelle. Cette décision est appelée par Didier Fassin un « choix pathétique »42. Lorsqu’un bénéficiaire est connu de longue date, ou encore qu’il a déjà bénéficié de nombreuses mesures d’autres dispositifs, son mérite est remis en question, pourtant une « chance supplémentaire » peut lui être proposée, essentiellement légitimée par le principe de la compassion. Face à un bénéficiaire non méritant, les assistants sociaux et les commissions sociales, plutôt que de faire preuve d’empathie, pourraient parfois souhaiter lui donner la leçon. La conception selon laquelle le demandeur d'aide a tendance à profiter de sa situation, ou du moins à la vivre de manière passive, détermine assez largement l'attitude des assistants sociaux et de leurs supérieurs. Ceux-ci sont souvent attentifs à tout indice de complaisance ou de passivité et y réagissent de manière plus ou moins sévère. L’aspect moralisant dans l’attribution des mesures d’insertion sociale n’est jamais totalement évité, particulièrement lorsqu’une commission doute du bien-fondé de l’attribution d’une mesure concrète, elle peut, a minima, se référer au côté moralisateur : « Cela ne lui fera pas de mal. » 40 ASTIER I., Revenu minimum et souci d'insertion, Paris, Éditions Desclée de Brouwer, 1996, p. 240 FASSIN D., "La supplique. Stratégies rhétoriques et constructions identitaires dans les demandes d'aide d'urgence" in Annales, Histoires, sciences sociales, volume 55, no 5, 2000, p. 976. 42 FASSIN D., "Charité bien ordonnée. Principes de justice et pratiques de jugement dans l'attribution des aides d'urgence" in Revue française de sociologie, volume 42, no 3, 2001, p. 440. 41 11 3.3. L’introduction de différences par genre, par origine sociale et géographique Les inégalités territoriales sont évidentes et compréhensibles. En effet, par essence, les mesures d’insertion sociale sont individualisées en fonction des besoins et des capacités du bénéficiaire concerné. Dès lors, l’assistant social ne peut se contenter de choisir des mesures validées par le canton et figurant dans un « catalogue ». Il sera, constamment, amené à construire de toute pièce de nouvelles mesures. Ce travail, en partie anticipé aux demandes, nécessite beaucoup de temps et d’énergie puisque les acteurs interpellés méconnaissent généralement le dispositif d’aide sociale. Face à ce nouveau réseau à constituer par les assistants sociaux, certains bénéficiaires de l’aide sociale sont discriminés. La constitution d’un réseau entre les services sociaux et le secteur associatif est entièrement à construire, certaines localités semblent mieux s’y prêter. Ainsi, les villes de petite importance semblent opèrer plus facilement des liens entre les services sociaux et la société civile. Cette façon de procéder comporte des risques non négligeables. Les bénéficiaires sont confrontés à des possibilités de contreprestations différentes et donc à des prestations, des droits et des devoirs qui varient selon leur région de résidence43. Certaines comparaisons internationales ont pointé un rapport au genre très différent, voire opposé, selon les États-providence analysés44. Certains pays autorisent les mères seules à ne pas travailler pour s’occuper de leurs enfants. Alors que d’autres appliquent une politique inverse de remise au travail, sans toujours se préoccuper de la prise en charge des enfants. De telles différences de traitement par genre ont été repérées dans le dispositif de traitement du chômage en Suisse45. Les chômeuses qui ont des enfants, et particulièrement de très jeunes enfants, sont soupçonnées par les conseillers en placement de ne pas vouloir travailler à tout prix. À cet égard, les mesures actives sont souvent utilisées comme moyen de contrôle de l’employabilité de ces jeunes mamans. Celles-ci se trouvant, selon les régions, systématiquement assignées à un programme d’occupation (Emplois Temporaires Subventionnés) dès le troisième mois après un accouchement. Des discriminations semblables ont été mises en évidence à l’encontre des personnes d’origine étrangère. 3.4. La notion de « feeling » Pour que l'assistant social s'investisse plus largement dans son action auprès du bénéficiaire de l'aide sociale, il faut que s'instaure une relation particulière entre eux. Cette relation est largement tributaire de l'attitude du demandeur. C'est ce que Marcelo Valli, Hélène Martin et Ellen Hertz 46 appellent le « feeling ». Pour que naisse ce feeling, le demandeur d'aide doit endosser une responsabilité personnelle dans sa situation tout en montrant une volonté de « s'en sortir ». Les contreprestations devant être adaptées à la situation et n’étant généralement pas obligatoires, les assistants sociaux risquent de ne les proposer qu’en fonction de la nature de la relation instaurée entre l’assistant social et le bénéficiaire, ou pour le moins, d’être influencés par cette relation. Si la relation n’est pas jugée satisfaisante par l’assistant social, celui-ci risque d’être beaucoup plus exigent face au demandeur. Une contreprestation dans ce contexte prendra l’apparence d’une punition. Au contraire, une relation longue et intense peut provoquer beaucoup plus de tolérance de la part de l’assistant social. Une proposition de contreprestation sera alors présentée comme une opportunité pour le bénéficiaire. La 43 BERTOZZI F., "Suisse. Les expériences locales d'insertion" in Les politiques sociales. Collège international pour l'étude du changement dans les politiques sociales, no 3-4, 2000, p. 60. 44 DUFOUR P., BOISMENU G. & NOËL A., L’Aide au conditionnel. La contrepartie dans les mesures envers les personnes sans emploi en Europe et en Amérique du Nord, Montréal, Presses de l’Université de Montréal. 2003, p. 148. 45 VALLI M., MARTIN E. & HERTZ E., "Le « feeling » des agents de l’État-providence. Analyse des logiques sous-jacentes aux régimes de l’assurance chômage et de l’aide sociale" in Ethnologie française, no 2, 2002, p. 227. 46 VALLI M., MARTIN E. & HERTZ E., "Le « feeling » des agents de l’État-providence. Analyse des logiques sous-jacentes aux régimes de l’assurance chômage et de l’aide sociale" in Ethnologie française, no 2, 2002, p. 225. 12 nature de la relation influence donc directement les jugements apportés par les professionnels du social. Face à leur large pouvoir d’appréciation, les assistants sociaux expriment toutefois une crainte d’arbitraire. En fait, l’appréciation de leur travail semble passer par une clarification des critères d’attribution des aides, particulièrement des contreprestations facultatives. Trop d’autonomie nuirait en la confiance que les bénéficiaires peuvent accorder aux assistants sociaux. Dès lors, il convient de formaliser une remontée en généralité dans les propositions et prises de décisions. 4. La construction de la légitimité dans le travail social: une patate chaude Les choix en matière de contreprestations donnent parfois l'impression d'être une patate chaude que l'on tente plus ou moins maladroitement de refiler à son voisin. 4.1. Les usagers à la rescousse La question de la stabilisation des prestations de la fonction publique a longtemps été assurée en protégeant les agents de la fonction publique des clients. Concrètement, les assistants sociaux n’ont même pas à se réfugier derrière la loi, ils ne prennent pas directement de décisions, ce sont les commissions sociales qui assument cette charge. La rhétorique étant de protéger la relation de confiance entre l’assistant social et le demandeur d’aide. À la limite, un assistant social peut même aider un demandeur d’aide à formuler un recours contre une décision négative d’une commission sociale. L’assistant social occupant alors une place « neutre » entre le demandeur d’aide et l’instance de décision. Tant que la fonction publique pouvait se définir comme une réponse impersonnelle aux différents problèmes créés par le fait de vivre ensemble, la réponse appropriée des agents de la fonction publique pouvait se lire dans les règlements. Aujourd’hui, le client a gagné. La réponse impersonnelle semble inadaptée à la résolution de nombreux problèmes collectifs. Le client participe d’une manière ou d’une autre à la résolution des ses propres problèmes. La gestion personnalisée va dans deux sens principaux, d'une part l'amélioration du réseau de ressources, d'autre part le renforcement de l'aptitude personnelle des clients à obtenir des sources d'aide et à exploiter euxmêmes des ressources47. Le client participe donc aujourd'hui lui-même à la construction de la légitimité des décisions en matière de contreprestations, toutefois pas directement en assistant, pas exemple, aux prises de décision formelles lors des commissions sociales. 4.2. Les cultures locales à la rescousse Les agents de la fonction publique tentent parfois de stabiliser certains accords par des règles non écrites afin de se rassurer, afin d’encadrer, de contrôler leurs activités quotidiennes. Certains travailleurs sociaux se réfèrent à des normes négociées avec les autorités de décision ou directement entre collègues (par exemple, attribution prioritaire aux jeunes ou encore réprimer les profiteurs). « Les principes implicites orientant les actions des conseillers en placement renvoient, à un niveau local, à des normes non écrites propres à chaque service ou groupe de collaborateurs. En effet, certains groupes ou services adoptent une attitude plutôt rigide en défendant le rigorisme des lois alors que d'autres, qui revendiquent la défense des intérêts de l'usager, sont davantage bienveillants ou tolérants. »48 47 SECO, Manuel pour la collaboration interinstitutionnelle (CII), Berne, Direction du travail, 2004, pp. 109-126. VALLI M., MARTIN E. & HERTZ E., "Le « feeling » des agents de l’État-providence. Analyse des logiques sous-jacentes aux régimes de l’assurance chômage et de l’aide sociale" in Ethnologie française, no 2, 2002, p. 224. 48 13 Leurs délibérations semblent alors se ramener à des rationalisations objectives (respect des normes construites) ou subjectives (adhésion à des valeurs, de mérite ou de compassion par exemple). L’équité des attributions étant alors garantie par cette construction préalable d’un cadre de règles et de valeurs multiples. « Une norme se définit en effet par le caractère conventionnel et collectif de son élaboration, ce qui permet de comprendre qu’elle soit partagée au sein d’un groupe aussi réduit soit-il, mais rend problématique son universalité. »49 4.3. L'action publique est vivante L'action publique peut être lue comme un processus qui opère par traductions et déplacements successifs, en fonction des événements auxquels il se confronte ou des épreuves qu'il doit surmonter: l'intégration d'un nouveau partenaire avec des centres d'intérêt différents, une transformation imprévue qui affecte son environnement, l'apparition d'une question inédite ou d'une demande inhabituelle… Chacun de ces aléas donne lieu à une reformulation partielle ou globale du dispositif. L'action publique, à l'image d'un projet, ne reste donc pas consignée dans ses motifs et motivations de départ. Elle se ré-étage au fur et à mesure de son avancée. Concrètement, l'attribution des contreprestations n'a pas suivi ce qui était prévu initialement: la constitution de catégories-cible prioritaires. De tels écarts ou discordances ne sont nullement signe d'échec ou de dysfonctionnement. Ils signalent, au contraire, une authentique qualité: la faculté dont dispose toute action de se déplacer, d'investir d'autres modalités d'existence, d'entrouvrir un nouvel horizon ou d'agencer différemment son fonctionnement. "A la suite de Bruno Latour, nous opposons donc deux conceptions du projet. Selon une première conception, que nous qualifierons de "réifiée", le projet se déclinerait à partir de la logique qu'il "embarque" en lui dès son démarrage (sa programmation). Selon une deuxième conception, que nous jugeons nettement plus appropriée, le projet construit son existence pas à pas et ne révèle sa logique qu'en fin de parcours –une logique dont il s'est doté et qu'il a testé tout au long de son avancée, et non une logique qui l'aurait déterminé et guidé dès son lancement."50 Le projet ne "tient" pas de lui-même et par lui-même, par simple inertie, mais il tire sa force des nombreux rapports sociaux qui se déterminent en lui et avec lesquels il va devoir batailler. Le projet est donc indissociable de tous les dehors qui le constituent, auxquels il se confronte et qui lui permettent d'exister. Comme l'écrit Bruno Latour, "à la naissance les projets sont tous mort-nés. Il faut leur ajouter de l'existence continûment, pour qu'ils prennent corps, qu'ils imposent leur cohérence grandissante à ceux qui les discutent ou qui s'y opposent. Aucun projet ne naît rentable, efficace, génial"51. Ainsi, l'application de la loi sur les mesures d'insertion sociale n'est pas définitive, bien au contraire. En fonction des échanges en commissions sociales, différentes légitimités peuvent orienter son application concrète. 5. Conclusion: institutionnaliser l'épreuve de légitimité Dans le contexte de l'attribution des contreprestations de l'aide sociale, la justice pensée comme une procédure rationnelle et universelle n'est peu envisageable: la pluralité des réponses à apporter ne semblant pas pouvoir être remise en cause. Dès lors, la conception de la justice semble devoir se traduire par la prééminence d'une "éthique du compromis". Celle-ci désigne une forme d'accord contextualisée, construite autour de la mise en concordance partielle de valeurs diverses et de principes différenciés. Pour tenir compte d'une 49 MICHAUD Y., "Valeurs, normes et évaluations" in EspacesTemps.net, http://espacestemps.net/document1630.html. 50 LE STRAT P.N., Expérimentations politiques, Éditions Fulenn, 2007, pp. 70-71. 51 LATOUR B., Aramis ou l'amour des techniques, Paris, Éditions La Découverte, 1993, p. 72. Actuel, 01.11.2005, 14 pluralité de conceptions du Bien, il faut selon Luc Boltanski et Laurent Thévenot, construire une approche qui embrasse également la pluralité des principes d'accord disponibles. Leur "modèle des Cités" propose donc une réponse au problème du pluralisme en élaborant une théorie de l'accord et du désaccord, "qui ne soit pas simplement une théorie des arguments confrontés à des principes, mais qui rende compte de l'affrontement avec des circonstances, avec une réalité, c'est-à-dire (qui parte de) l'engagement, dans une action, d'être humains et d'objets"52."53 La question de l'accord est donc au cœur de la Cité: elle préoccupe aujourd'hui la plupart des approches philosophiques et sociologiques qui cherchent à trouver une réponse aux problèmes de la divergence des intérêts et du conflit des valeurs. Dans un contexte de pluralisme authentique, il incombe à la réflexion de promouvoir une analyse susceptible de poser les fondements du vivreensemble qui, tout en respectant les différences, préserve l'unité d'un monde commun. Le défi à relever concerne la formation d'un accord au sujet non des motifs qui commandent l'action d'individus ou de groupes spécifiques, mais des principes qui doivent servir de base au maintien du lien social dans des sociétés hétérogènes, marquées par une différenciation sociale et culturelle croissante54. Ainsi, pour répondre au besoin qu’ont individus et groupes de décider, de résoudre leurs discussions, de délimiter le permis et l’interdit, le compromis semble pouvoir jouer un rôle décisif. Son rôle grandit aux dépens du recours à la tradition et de la science, en amenant les partis pris opposés et les volontés rivales à découvrir un trait d’union. L’approche politique de la décision nous dit que le compromis s’élabore au cours d’un échange, d’une délibération. Or, le dispositif des commissions sociales, statuant sur les attributions ou non des contreprestations de l'aide sociale, ne semble pas capable de créer ce compromis minimal. Pour reprendre les propos de Michael Walzer55, lorsque les gens sont en désaccord, les institutions doivent fournir des canaux pour s'exprimer et ainsi institutionnaliser les épreuves de légitimité. Notre étude sommaire ne nous a pas permis de faire cette observation, bien au contraire, les décisions sont plutôt vécues péniblement, sous le mode des rapports de force. Cette absence d'épreuves de légitimité est souvent vécue par les demandeurs d'aide comme un fatalisme, comme une domination sans visage, ou plutôt à multiples visages selon les situations et intérêts en jeu. 52 BOLTANSKI L. & THÉVENOT L., De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Éditions Gallimard, 1991, p. 163. 53 NACHI M. & NANTEUIL M, "Compromis, pluralisme et régulation" in NACHI M. & NANTEUIL M. (de) (éd.), L’Eloge du compromis. Pour une nouvelle pratique démocratique, Louvain, Academia Bruylant, Presses universitaires de Louvain, 2006, pp. 15-16. 54 NACHI M. & NANTEUIL M, "Compromis, pluralisme et régulation" in NACHI M. & NANTEUIL M. (de) (éd.), L’Eloge du compromis. Pour une nouvelle pratique démocratique, Louvain, Academia Bruylant, Presses universitaires de Louvain, 2006, p. 16. 55 WALZER M., Sphères de justice, Une défense du pluralisme et de l'égalité, Paris, Éditions du Seuil, Collection La Couleur des idées, 1997, p. 434. 15