Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée

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Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée
Appel à contribution
Les féminismes islamiques : nouvelles frontières et rapport au politique
Le concept de féminisme islamique(1) fait son apparition dans les milieux universitaires et
intellectuels dans les années 1990. Il est forgé à partir de la situation de l’Iran où plusieurs
revues, dont Zanan (Les femmes), ont mis en lumière les interprétations sexistes des textes
religieux par le clergé, telles qu’incarnées par le droit musulman, et ont participé de
l’émergence de travaux de femmes - et aussi de quelques hommes - faisant valoir les droits
conférés aux femmes par l’islam : les femmes revendiquent ici un droit à l’interprétation
(ijtihad) à même de promouvoir l’égalité des sexes, des rôles nouveaux dans les rituels et les
pratiques religieuses, et des changements juridiques. Bien que le terme ‘féministe’ ait
rarement été revendiqué par les intéressées, il s’est rapidement propagé pour décrire ces
nouvelles pratiques. Il s’agit donc au départ d’un mouvement intellectuel et militant, initié et
diffusé d’abord principalement au sein du monde musulman non arabe, qui s’est aujourd’hui
globalisé et s’inscrit dans un courant réformateur plus large au sein de l’islam(2).
Au-delà de la seule réflexion théologique ou juridique, et ouvertement militante, j’entends ici
le terme de féminisme islamique dans un sens large, la littérature sur le sujet s’étant
jusqu’alors surtout centrée sur la dimension intellectuelle et militante qui a donné son nom au
féminisme islamique. S’il n’est pas question d’interroger vaguement le rapport des femmes à
l’islam, il s’agit de délimiter les frontières actuelles d’un féminisme islamique qui ne peut
plus être circonscrit à la seule sphère scripturaire. Ce numéro entend donc développer une
réflexion à la fois sur les nouveaux usages que font les femmes de l’islam, entendu comme
une ressource voire comme un nouveau contrat social(3), mais aussi sur des pratiques
féministes émergentes, qu’elles soient revendiquées comme telles ou qu’elles appartiennent à
ce que l’on pourrait nommer un féminisme informel ou populaire(4), c’est-à-dire s’exprimant
dans des pratiques et des contestations quotidiennes. On se demandera comment se formulent
ces appropriations féminines du religieux dans les pays arabes, comme dans d’autres pays
musulmans ou encore au sein de populations immigrées en Europe, et ce dans des contextes
d’omniprésence de cette référence dans l’espace social et politique (Iran et Arabie Saoudite)
ou de diffusion de ce logos avec la réislamisation des sociétés et des communautés de culture
arabe et musulmane. A quoi correspondent-elles quand les références religieuses, parce que
plus partagées, sont aujourd’hui marquées par un plus grand pluralisme ? Ce numéro a pour
objet des émergences récentes et réunira surtout des travaux en sociologie, anthropologie et
science politique même si certaines contributions d’histoire contemporaine permettront d’en
retracer les enjeux, le contexte ou les premières formulations.
Presque vingt ans après l’apparition du terme, il s’agira donc de réfléchir à ce que l’on
pourrait aujourd’hui qualifier de féminisme islamique : sans s’en tenir uniquement à la
manière dont les actrices revendiquent ou non le terme de « féministes » (un terme souvent
décrié- ce qui sera interrogé), certaines frontières données pour établies seront reconsidérées.
Trois axes majeurs sont proposés, qui ne prétendent pas constituer pas, à ce stade, un plan
définitif du dossier, puisqu’il s’agit précisément d’aboutir à de nouvelles questions à partir
d’une remise en cause des frontières jusque-là admises.
Le premier axe lancera le débat en partant de ce que l’on entend le plus communément par
féminisme islamique. Il portera ainsi sur le Militantisme intellectuel et la pensée islamique
(interprétation des textes religieux et réflexion théorique). Il s’agira surtout ici d’en faire une
analyse avec le recul de deux décennies et d’insister particulièrement sur le phénomène
mondialisé du féminisme islamique et sur ses interactions avec le monde musulman et surtout
arabe, dont les penseurs et intellectuelles ont jusqu’ici fort peu fait partie. Et ce, à deux
niveaux. D’une part, des réflexions feront un bilan de son apport intellectuel, de sa réception
et de son influence dans les pays et lieux du monde arabe et musulman. D’autre part, des
analyses proposeront une sociologie de ses actrices (universitaires, intellectuelles mais aussi
prêcheures, quand elles produisent une réflexion textuelle) qui, en ce qui concerne le premier
groupe, travaillent le plus souvent aux États-Unis, en Europe, en Malaisie, en Iran ou encore
en Afrique du Sud, etc.…
Dans le second axe, Militantismes féminin/féministe et enjeux politiques, un certain nombre
de frontières actuelles seront contestées ou questionnées. Celle, par exemple, qui est tracée
entre un féminisme qui serait séculier et un autre qui serait islamique(5). Comment analyser le
fait que dans nombre de mouvements dits séculiers ou même laïcs, les militantes sont
aujourd’hui voilées et pratiquantes ? Que peuvent nous dire les pratiques quotidiennes, les
micro-interactions au sein des mouvements et entre eux sur ce partage entre deux types
supposés antagonistes de mouvements ? On pense aussi à la frontière posée entre différentes
formes de militantisme sachant que les militantismes féministes séculiers ont souvent des
enjeux politiques, sont parfois directement liés à des partis ou à des causes. En ce sens il
convient de considérer avec un prisme similaire au militantisme ce qui se passe au sein de
partis dits islamistes (Hezbollah, Front d’Action Islamique jordanien, Hamas..etc). Surtout,
cela suppose d’avoir une lecture politique de ces formes de féminisme islamique, dans des
contextes d’opposition ou de positionnements sur différentes causes ou enjeux. A partir de
l’observation des pratiques et interactions, on cherchera à comprendre quels sont les enjeux
sociaux, politiques, économiques qui sous-tendent ces modes de contestation des ordres
établis et dans quel champ, à quelles échelles (locale, nationale, régionale, globale) ils se
déploient et empruntent leurs modes de légitimation.
Le troisième axe s’attachera aux Interactions et pratiques féminines dans la sphère religieuse,
parfois dans leurs liens au politique. La référence à la norme religieuse sera déconstruite en se
demandant par exemple à quel projet réformiste elle peut servir : un projet libéral ou bien au
contraire néo-fondamentaliste(6). Peut-on parler de féminisme quand les femmes se réfèrent à
un logos islamique conservateur (néo-fondamentaliste) pour appuyer leurs trajectoires dans la
sphère religieuse notamment ? Quelles sont les limites posées dans ce cadre à leur affirmation
? Pourquoi se saisissent-elles de ces références-là ? Dans quels contextes politiques
nationaux, régionaux ou globaux, mais aussi familiaux ou sociaux le font-elles ? Par ailleurs,
seront aussi considérées les pratiques quotidiennes de femmes sollicitant d’abord un langage
islamique pour servir leurs itinéraires ou choix (féminisme populaire), sans forcément qu’elles
aient un rôle public en ce domaine.
Des résumés de proposition (2000 signes maximun) peuvent être envoyés par courriel à
Stéphanie Latte Abdallah, IREMAM-CNRS : [email protected]
avant le 15/09/2008.
Notes:
1 J’utiliserai le seul terme de féminisme islamique dans un sens large tel qu’explicité ci-après, en récusant la
distinction faite par Valentine Moghadam, peu claire à mon sens et génératrice de confusion particulièrement
quand on passe d’une langue à une autre. Elle distingue en effet le féminisme musulman (porté par des femmes
musulmanes) et traduit en anglais par islamic feminism, le féminisme islamique (défendu par des militantes se
revendiquant de l’islam – en anglais, ce serait ici muslim feminism) et le discours des femmes islamistes
(membres des mouvements islamistes). La seule traduction arabe entendue pour ces termes étant nissa’iyya
islamiya ou plus couramment à présent niswiyya islamiyya.
2 Les deux premières conférences internationales du mouvement féministe islamique ont été organisées par la
Junta islamica à Barcelone à l’automne 2005 et 2006.
3 Ce qu’évoque Fariba Adelkhah concernant le voile, voir Adelkhah, F., « Islamophobie et malaise dans
l’anthropologie. Être ou ne pas être (voilée) en Iran », in Politix, n° 80, déc 2007, p. 179-196.
4 Cette notion développée par l’histoire des femmes, recouvre des formes de résistances féminines au sein de la
société civile. Cf. Dauphin, C., Farge, A., Fraisse, G. et alii, “Culture et pouvoir des femmes. Essai
d’historiographie », Annales ESC, mars-avril 1986, n°2, p. 271-293 ; Latte Abdallah, S., Femmes réfugiées
palestiniennes, Paris, PUF, 2006.
5 Contrairement au cas turc par exemple, dans l’histoire du premier féminisme égyptien au tournant du 19ème et
début du 20ème siècle ces frontières ne furent d’abord pas si marquées tel que l’a montré Margot Badran. Cf.
Badran, M. Feminists, Islam, and Nation. Gender and the Making of Modern Egypt, Le Caire, The American
University in Cairo Press, 1996; « Toward Islamic Feminisms : A Look at the Middle East », in Asma
Afsarrudin, ed. Hermeneutics and Honor in Islamic/ate Societies. Cambridge, Mass.: Harvard Middle East
Monograph series, 1999.
6 Olivier Roy, « Le post-islamisme », introduction, Le post-islamisme, REMM, n°85-86, Aix-en-Provence,
Edisud, 1999, p. 22.
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