Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 B I B L I O G R AP H I E MARIE DE LA TRINITE, Filiation et sacerdoce des chrétiens, Lethielleux, Paris, 1986 – Le petit livre des grâces, Arfuyen, 2002 – Consens à n’être rien (carnets 1936-1942), Arfuyen, 2003 – Entre dans ma gloire (carnets 1942-1946), Arfuyen, 2001 – De l’angoisse à la paix, Relation écrite pour Jacques Lacan, Arfuyen, 2004 – Je te veux auprès de moi, agenda 1927-1930, Arfuyen, 2005 – Le silence de Joseph, Arfuyen, 2007 – Frère Dominique, Cerf, 2006 – Lecture d’une expérience et d’une œuvre, Actes du colloque de la Tourette, sous la direction de Éric de Clermont-Tonnerre, op, Cerf 2006 CHRISTIANE SANSON, Marie de la Trinité, De l’angoisse à la paix, Cerf, 2003 1 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 MARIE DE LA TRINITE ET LE SACERDOCE DU CHRETIEN Séminaire du 2 juin 2007 Centre d’études du Saulchoir Intervenant : Frère Éric de Clermont-Tonnerre, o.p. Président du Directoire des Éditions du Cerf Président de l’association « Amitiés Sœur Marie de la Trinité » Objet du séminaire : Sœur Marie de la Trinité – Dominicaine Missionnaire des Campagnes, décédée en 1980, dont on découvre actuellement les écrits spirituels (3000 pages à paraître) – fut invitée par le Père à « se servir » du sacerdoce du Christ, à en éprouver, en elle-même, toute la force et la plénitude. Elle a développé, avant le Concile Vatican II, toute une réflexion sur le sacerdoce personnel que chaque baptisé est appelé à mettre en œuvre dans sa vie. Le séminaire a pour but de recueillir cette doctrine du sacerdoce du chrétien chez Marie de la Trinité, d’en comprendre l’importance, de la mettre en écho avec certains textes, certains courants ou certaines études de la Tradition (les Pères, Thomas d’Aquin, l’École française, et le thème plus contemporain du sacerdoce commun des fidèles…) ainsi que de réfléchir à cette grâce étonnante que Marie de la Trinité souhaitait que chaque chrétien vive. Déroulement : Deux exposés de trente minutes, suivis de questions et d’échanges ; un temps de travail sur textes de trente minutes, un exposé de trente minutes. Bibliographie : Marie de la Trinité, Le Petit livre des grâces, Arfuyen, Orbey, 2002 –, Filiation et sacerdoce des chrétiens, Lethielleux / Culture et Vérité, Paris / Namur (Belgique), 1986 [encore disponible] 2 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 MARIE DE LA TRINITE ET LE SACERDOCE DU CHRETIEN Aujourd’hui, nous n’allons pas refaire un parcours d’ensemble sur l’expérience de MdT. En effet, il y a trois ans (juin 2004) nous avons eu déjà un séminaire dans le cadre du centre du Saulchoir sur l’expérience de MdT. Il s’agissait, en quelque sorte, d’une introduction à MdT. Cette introduction était structurée en trois étapes : L’itinéraire de MdT L’épreuve de Job Le sacerdoce du Christ et le sacerdoce personnel des chrétiens Aujourd’hui, c’est ce troisième thème qui va nous retenir. Il s’agit d’un thème extrêmement important chez MdT : thème qui correspond à son expérience et à sa réflexion et qui traverse l’ensemble des 3000 pages des Carnets dont nous allons, aux Éditions du Cerf, publier le 1er tome à la fin de cette année. Comme je l’ai indiqué dans le texte de quelques lignes qui annonçait ce séminaire, MdT a un jour entendu le Seigneur lui dire qu’elle ne se servait pas de son sacerdoce : (lire p. 63/64 Petit livre des grâces) (carnet 2 p. 107/62) 1940, Ceffonds (Haute-Marne) − Janvier seule à l'oratoire je regardais, pendant l'oraison, la multitude de mes péchés, et l'inutilité, par ma faute, de toutes les grâces de Dieu sur mon âme, en particulier cette grâce si grande de 1929 je faillis alors pécher contre l'espérance, tant le poids était lourd, accablant, et l'obscurité profonde, et les fautes nombreuses. Alors, il plut au Seigneur de se manifester en moi. Il me reprocha de ne pas me servir de son sacerdoce — Il me le reprocha comme Il sait faire « suaviter et fortiter avec douceur et force » (cf. Sg 8 1); je ne vis pas du tout alors ce qu'Il voulait ni ce que j'avais à faire. Ce reproche m'est resté imprimé intérieurement, mais il est tout suave, toute douceur. Au même moment, je connus pour la première fois notre Seigneur présent en moi avec toute la plénitude de son sacerdoce. Cela se fit en un instant, et dans la simplicité des opérations divines. En ce même instant Il me découvrit, au-dedans de moi-même (qui me trouvais comme au-dedans de Lui-même) les profondeurs de son sacerdoce, et m'y plongea. C'est de l'ordre des grâces substantielles, qui atteignent directement et uniquement le centre de l'âme — et y laissent une empreinte ineffaçable qui pénétrera l'éternité : les taches (p. 108/62) de nos péchés seront effacées par le Précieux Sang, mais les empreintes de la grâce demeureront, pour la gloire de ce Sang, et à la louange de la bonté du Père. Petit livre des grâces p. 63/64 Suivront des centaines de pages de ses carnets qui reviendront sur ce thème qu’elle développe autour : - du sacerdoce du Christ - de notre participation au mystère du Christ - des sacerdoces ministériel et personnel des chrétiens. 3 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 Lorsqu’on examine les termes utilisés par MdT pour parler du sacerdoce des chrétiens (du chrétien), on constate qu’elle n’utilise pas ou très peu l’expression consacrée par le Concile Vatican II, “le sacerdoce commun” des fidèles, des baptisés. Avant le Concile, le théologien dominicain Yves Congar a étudié la théologie protestante, en particulier la théologie de Jean Calvin et l’importance que Jean Calvin accorde au sacerdoce des baptisés. C’est en 1940 que MdT (recevant cette parole de ne pas se servir du sacerdoce) commence à réfléchir au sacerdoce des baptisés. Ce n’est qu’en 1953 que Congar publie Jalons pour une théologie du laïcat. Mais il connaîtra la désapprobation des autorités romaines précisément parce qu’il introduit, dès le début du livre, le thème théologique du sacerdoce commun. En milieu catholique, on restera assez réticent à ce thème (encore aujourd’hui) parce que c’est un thème protestant qui a conduit à envisager une structure ecclésiale sans clergé, sans prêtre, sans sacerdoce ministériel (les pasteurs ne sont pas des prêtres au sens de la théologie catholique) et qui privilégie une structure ecclésiale où s’exerce en communauté le sacerdoce commun des baptisés selon la formule : un seul est prêtre, le Christ ; tous sont prêtres, « tous » signifiant tous les fidèles ; donc pas de prêtre, pas de clergé. Ce matin, je voudrais donc : - Revoir avec vous certains aspects du sacerdoce des chrétiens chez MdT ; - Mettre en écho à cela certains textes et certains éléments de la Tradition à propos du sacerdoce des baptisés et du sacerdoce commun ; - Lire ensemble quelques textes ; - Réfléchir à cette grâce étonnante que MdT voulait que chaque chrétien vive. I – LE SACERDOCE DU CHRETIEN CHEZ MARIE DE LA TRINITE 1. Filiation et sacerdoce dans le Christ Toute la réflexion de MdT se fonde sur son expérience de la Trinité, et comme trait caractéristique de cette expérience de la Trinité : la relation. - relation entre les personnes divines, le Père, le Fils, et le Saint Esprit - relation entre le Père et l’homme, entre l’homme et le Père - relation du Christ avec les hommes et des hommes avec le Christ - relation (si l’on peut dire) entre l’humanité et la divinité. Ainsi écrit-elle par exemple (6 août 1944) L’amour du Verbe incarné est “un amour qui va vers et qui donne son propre sujet en signe de sa réalité et en preuve de sa vérité. L’amour du Père est à l’opposé : c’est un amour qui aspire à soi et cela ne peut être autrement.” Elle caractérise ainsi deux modes de l’amour de Dieu : L’un du Verbe qui va vers, qui rejoint, qui pose devant lui l’autre. L’autre du Père qui attire à lui. 4 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 De plus, MdT continue à réfléchir aux relations entre Dieu et l’homme avant l’Incarnation et après l’Incarnation ; la condition de l’homme est exclusivement la condition de créature… … et comme, de soi, la créature est extérieure à Dieu, c'est aussi par le dehors et par un culte extérieur qu'elle L'honorait, à son plan et selon son mode de créature. Par l'Incarnation, l'Humanité a été assumée — d'abord dans un seul sujet, le Christ Jésus, puis en d'autres qu'Il S'est agrégé. (p. 2934/1741) D'extérieure, de ce fait, la religion due à la Déité est devenue toute intérieure, revêtue qu'elle fut, dès l'Incarnation par la Personne du Verbe. Du seul fait de l'Incarnation, elle est devenue intérieure aux Relations du Verbe au Père — c'est pourquoi « Regnum Dei intra vos est ◊ Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous. » et « ora Patrem tuum in abscondito ◊ Prie ton Père dans le secret. » C'est ainsi que la réalité de notre religion au Père est proportionnée à notre intériorité aux Relations du Verbe au Père. Ceci est d'une importance capitale — non tant pour le fait luimême, que pour sa cause qui éclaire la qualité de notre religion = la qualité même de la référence sacerdotale. Filiation et sacerdoce n° 4, p. 63 Avant l’Incarnation, la relation à Dieu est extérieure à la créature, elle s’exerce par le dehors et par le culte extérieur. Après l’Incarnation, l’humanité est assumée dans un seul sujet : le Christ, puis en nous-mêmes. De ce fait, la religion devient intérieure aux relations du Verbe au Père. La créature est intégrée à l’intérieur des relations trinitaires par le Verbe, c’est pourquoi le Royaume de Dieu est au-dedans de nous et qu’il est possible de prier dans le secret (porte-close). Ainsi, par l’Incarnation, notre culte se fait par le Verbe. Ceci éclaire la qualité de la référence sacerdotale. Continuant sa réflexion (même s’il s’agit d’une réflexion datant du 15 mai 1942) MdT aborde la distinction entre la filiation et le sacerdoce : Il y a comme une double face dans la Très Sainte Humanité du Christ : - celle qui regarde le Père, selon la Filiation = face qui est (p. 850/495) toute perfection, splendeur de gloire en elle-même et au Père, toute pureté, toute sainteté, immobile dans une plénitude et intimité de Déité qui ne peut s'accroître — immobile aussi dans l'assomption consommée dès le premier instant, dans la vision glorieuse, dans une totale adhésion de tout elle-même à ce à quoi adhère éternellement la Personne qui l'assume - face intérieure, réservée au seul regard du Père, face de pure Filiation, splendeur de perfection selon la nature, la grâce et la Déité — éclatante de la gloire du Créateur et du Père, centre de convergence de la gloire du Père, du Verbe et de l'Esprit Saint, lieu d'effusion du mystère éternel - face d'une splendeur faite de toutes les splendeurs créées et incréées, que ne peuvent atteindre ni ternir aucune des souillures de la terre - face qui baigne tellement dans la Déité, et qui est plongée si avant dans le mystère du Père, que toutes les angoisses et amères souffrances de la Rédemption ne l'en peuvent tirer ni distraire, parce qu'elles ne peuvent atteindre jusque là - c'est la face glorieuse de la Filiation - puis il y a la face de la terre, qui n'est pas celle de la Filiation, mais du sacerdoce — et non du sacerdoce de gloire, mais du sacerdoce de la terre, celui de l'expiation et de l'immolation : - face d'humilité et de compassion, de douceur et de patience, face de pauvreté, de dénuement, d'impuissance — face cachée — face laborieuse — face obéissante et soumise à toutes sortes de dépendances — face de toutes les miséricordes 5 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 - et au-delà, face méprisée et bafouée et frappée — face moquée, détestée et ensanglantée = face du sacerdoce d'expiation et d'immolation — face de toutes les douleurs, de tous les abandons, face de faiblesse et de détresse = face de l'agonie. F. S. n° 7, p. 64-65 Ces deux faces, Marie les contemple, à la messe, durant la consécration : consécration du pain, du corps = filiation (face glorieuse) ; consécration du sang = sacerdoce (face immolée) : Le Père aime l'une et l'autre, et Il est glorifié par l'une et par l'autre, le sacerdoce s'exerce en l'une et en l'autre, et les remplit l'une et l'autre. F. S. ibid. Chez MdT, filiation et sacerdoce jouent conjointement un rôle dans toutes les actions de notre Seigneur ; ses relations au Père sont à la fois - de dépendance entière : être avec lui, être aux affaires de mon Père (Lc 2, 49) - d’activité : faire ce qui lui plaît, accomplir ses œuvres dépendance / activité sont les caractéristiques de son adoration (de son culte). Le Christ n'a pas eu à prier pour l'Incarnation, mais il a dû prier pour la Rédemption, parce que l'Incarnation relève de la Filiation — tandis que la Rédemption relève du sacerdoce dans l'Humanité Très Sainte. (19 mai 1942) Car le Fils ne s'était pas abaissé par l'Incarnation, mais Il avait élevé l'humanité à la dignité de la Personne divine.(9 sept. 1941) F. S. n° 26 et 30, p. 83 et 86 2. Le sacerdoce du Christ Le sacerdoce du Verbe incarné a pour but le retour de toute l’humanité au Père, c’est-à-dire l’introduction du baptisé dans la gloire du Fils qui est la glorification du Père. Ce sacerdoce du Verbe incarné n’est pas sacramentel mais réel. Il ne s’exerce pas par le moyen d’une matière extérieure et étrangère au sujet du prêtre. Il s’exerce de manière intérieure, non par des signes et des rites, mais intérieurement et directement. Il y a donc une forme sacramentelle du sacerdoce, et une forme réelle — bien que ce soit le même et unique sacerdoce, mais selon deux modes différents d'opérations semblables. La forme sacramentelle s'exerce à l'aide de signes sensibles et de matière déterminée, selon les rites institués à l'effet de produire et d'administrer les sacrements = son action atteint l'âme par le dehors. La forme réelle s'exerce directement sur la nature dans laquelle le sacerdoce est inséré — son action touche l'âme par ce qu'elle a de plus intérieur. La forme sacramentelle est en vue et au profit de la forme réelle, elle est à son service. 18 mai 1942) F. S. n° 21, p. 79-80 Ce sacerdoce s’exerce chez Jésus, par la prière, par les psaumes ; il est restauration et expiation (la restauration précède l’expiation) ; il est immolation initiale (qui restaure) et immolation sur la croix (qui expie) Il s’exerce dans le dénuement, le silence, la vie cachée, l’obéissance, l’humilité. Le Christ a exercé son sacerdoce en étant, dès l’instant de l’Incarnation, Hostie, offrande : selon le Ps 39 et He 10,5-14 : Me voici, je viens pour faire ta volonté. Et MdT distingue encore un sacerdoce de gloire commencé dès l’incarnation et le sacerdoce d’immolation qui s’exerce dans la peine mais est enveloppé dans le sacerdoce de gloire – action de grâce, offrande de soi. 6 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 3. Notre participation au mystère du verbe Nous avons une aptitude radicale à l’union avec Dieu. Nous sommes images de Dieu, faits pour la relation par l’incarnation du Verbe et l’action de l’Esprit Saint. L’Esprit Saint nous unit à la Sainte Humanité du Fils qui nous marque de son empreinte et nous introduit dans cette étreinte d’amour entre le Père et le Fils, le Fils et le Père, autrement dit in sinu Patris. C’est la Filiation dont les caractéristiques sont : don à recevoir, réceptivité, passivité, repos, regard filial, confiance. Tout baptisé (selon le sacrement ou selon le désir) reçoit du Père les mêmes dons qu’Il a faits au Verbe Incarné. Par notre incorporation à Lui nous recevons du Père le don de Filiation ; Du fait que nous sommes nature humaine, ayant en propre une personne singulière, nous recevons du Père le don de sacerdoce : sacerdoce réel, personnel, pour être vécu. Sacerdoce qu’il faut bien se garder d’assimiler à un sacerdoce rituel, liturgique, cultuel ; dons qui sont mus par l’Esprit Saint, propriété que chaque baptisé possède en propre et qui sont remises à sa liberté. Le Père ne peut pas nous donner plus. L’attitude filiale est celle de l’union, c’est pourquoi, par convenance au Père, elle implique l’adoration sacerdotale, étant donné la distance de notre nature humaine à la nature de Déité du Père, du Verbe et de l’Esprit Saint. Sacerdoce et Filiation prennent ainsi une amplitude indéfinie. Ils constituent la structure fondamentale du chrétien qui a reçu l’onction (cf. 1 Jn 2, 20,27) – (note de 1979) F.S. n° 56, p. 104 Tout baptisé est invité à vivre le sacerdoce réel. Quant à l’attitude filiale, elle est celle de l’union où l’adoration est première et se situe entre Dieu et nous. Ainsi sacerdoce et filiation constituent la structure fondamentale du baptisé. Et il y a quelque chose de très important que dit Marie de la Trinité : Le Père tient plus compte en nous des dons que de notre nature, de leur perfection toute digne de Lui, et toute adaptée à Lui […] que des imperfections, lacunes, déviations de toutes sortes de notre nature et de notre moi. S'Il nous soutient dans l'être, comme un Créateur sa créature, selon notre nature humaine, cela ne Lui suffit pas — car, bien plus Il nous aime selon les dons, de l'amour éternel, paternel, ineffable duquel Il aime le Verbe : « Pater diligit Filium ◊ Le Père aime le Fils. » Jn 3 35 : notre Filiation adoptive et notre sacerdoce lui sont plus présents et plus précieux que tout notre comportement moral vertueux. (14 mars 1943) F. S. n° 67, p. 109 Les dons (de sacerdoce et de filiation) sont adaptés à Dieu et plus importants que nos imperfections. Dieu nous aime selon les dons. Notre filiation est plus précieuse que notre comportement moral et vertueux. L’Église nous propose d’être fils du Père. Il est important que l’Église ne fasse jamais figure de frein, ni de retour en arrière : Il faut que l’Église ne fasse jamais figure de frein, ni de retour en arrière : elle qui vit dans l’espérance, dans les promesses de la vie, dans ce qui est à venir ! 7 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 L'Église ne doit pas seulement présider à l'évolution de la créature raisonnable, personnelle et sociale — comme le Père préside à sa constitution et à sa vie — mais s'y mêler au plein centre, comme les dons de Filiation et de sacerdoce sont faits en plein milieu de l'âme, au-dedans de sa substance, pour la travailler en son centre même le plus intérieur ; de même, l'Église ne doit pas se tenir à distance, ou encore moins comme pur arbitre ou témoin : car c'est l'Église seule qui possède les trésors de vérité et de vie dont le monde a besoin — et plus elle le voit dépourvu de vie et de vérité, plus elle est responsable de les lui procurer. (p. 1216/724) Elle ne peut que constater que dans le monde, sans elle, rien ne va — et que tout y est à la dérive, en voie d'égarement et, par suite, de perdition — car ce n'est que par l'Église que l'âme peut atteindre sa fin — mais les âmes sont trop aveuglées pour aller audevant de l'Église : c'est à l'Église à aller à elles, comme le Verbe Incarné est venu à nous ! Mais si l'Église se mêle à toute créature, se propose à elle, traduit sa vérité dans son langage, et en imprègne la créature, comme si elle saturait tout son milieu : alors le Règne de Dieu arrivera — et, par Lui, la paix que seul peut lui procurer le Père, par son Église. Ce n'est pas au monde à faire des avances à l'Église (cf. la Samaritaine), il en est incapable par défaut de science et d'Esprit Saint — mais c'est à l'Église à chercher à s'incarner en toute créature = comme l'a fait le Verbe Incarné par la volonté du Père : l'initiative est venue du Père, puis a passé par l'Ange, pour reposer sur la Bienheureuse Vierge Marie, et s'achever en l'Assomption hic et nunc d'une créature humaine en Dieu ; créature qui, à l'instant même, a reçu au-dedans d'elle les dons de Filiation et de sacerdoce — et n'a fait que s'y livrer et se laisser régir par eux, durant toute sa vie terrestre = Il faut beaucoup prier pour l'Église dans ce sens. (2 août 1942) F. S. n° 68, p. 112-113 L’Église ne se tient pas à distance comme un arbitre ou un témoin ; possédant le trésor de vie et de vérité elle est responsable. Le monde ne peut pas faire des avances à l’Église, l’Église doit s’incarner dans toute créature. Et la conséquence de ce principe c’est une référence totale au Père. Par nature, il convient que tout Lui [le Père] soit référé, non seulement intelligence et réflexion, libre arbitre et volonté, mais aussi passions et actions de toutes sortes : tristesses et joies, désirs et craintes, émotions de toutes sortes, force et faiblesse, lumières et obscurités, anxiétés et paix, certitudes et doutes : tout ce qui travaille notre nature, tout ce à quoi elle est sujette, tout ce qui l'abat et la soulève, tout ce qui l'enrichit et tout ce qui la purifie, ce qui la comble et ce qui la vide — jusqu'à notre fragilité, nos chutes, nos hontes intérieures, tous les combats entre notre nature et sa grâce, tous ceux aussi de notre seule nature (p. 2768/1646) avec elle-même, et le malaise de l'âme à laquelle le corps pèse si lourd ! Le sacerdoce et la Filiation doivent atteindre, informer, imprégner et saisir, « comprendre » tout ce contenu sans cesse mobile, fluctuant, de notre nature humaine, sur le vif — et tout le mouvement de vie qui sans cesse se renouvelle et recommence au-dedans de façon infiniment variée et toujours nouvelle, pour en faire au Père, à mesure, hommage d'adoration et d'offrande sacerdotale dans l'amour et l'union Filiale. (19 juin 1944) F. S. n° 71, p. 115 La lumière du monde c’est la fidélité. Le sel de la terre c’est le sacerdoce. 4. Le sacerdoce ministériel et le sacerdoce personnel Il est nécessaire de les distinguer : - le sacerdoce ministériel procure à l’Église sa structure plutôt que sa perfection qui est de l’ordre du sacerdoce personnel ; 8 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 - le sacerdoce ministériel est institué ; le sacerdoce personnel comme la filiation découle du baptême, de l’incorporation au Verbe ; Le sacerdoce est dit personnel quand il est destiné à parfaire le sujet et qu’il s’exerce sans intermédiaire, sans signe, sans ministre, par le dedans ; le chrétien est alors, à lui-même, le prêtre, l’autel et la victime capable de s’offrir soi-même dans le sacerdoce du Christ qui se déploie dans la créature ; alors que le sacerdoce ministériel est destiné à structurer les individus et les communautés sur l’unique prêtre. - le sacerdoce personnel est productif, créatif ; il est original ; - le sacerdoce ministériel ne produit rien, il applique ce qu’a produit le Christ (c’est très important) ; - le sacerdoce ministériel cessera, pas le sacerdoce personnel ; Il ne faudrait pas opposer ce sacerdoce réel au sacerdoce sacramentel — ni apprécier l'un au détriment de l'autre = leur excellence est une dans l'unique sacerdoce du Christ. Leur mode de participation diffère, ainsi que leur forme et, par suite, leur exercice = ni ils ne s'opposent, ni ils ne s'excluent. Toutefois, le sacerdoce sacramentel cessera avec la condition terrestre — tandis que le sacerdoce réel est pour l'éternité. Le sacerdoce sacramentel n'est pas en attente des splendeurs d'un nouvel exercice de gloire = il est limité à la vie terrestre : il n'y a pas plus loin pour lui. Tandis que le sacerdoce réel est en attente, en espérance de son exercice de gloire céleste — il est en attente de sa plénitude de perfection. Sur la terre, il faut l'un et l'autre = parce que la condition des membres du Christ y est à la fois céleste et terrestre. Au ciel, il n'y aura plus que la condition céleste — c'est pourquoi le sacerdoce sacramentel ne traverse pas de la terre au ciel, comme fait le sacerdoce réel. (18 mai 1942) F. S. n°82, p. 124 Il ne faudrait pas, tant que dure la condition terrestre, exalter le sacerdoce sacramentel seulement, et laisser dans l'ombre et l'impuissance (par manque de coopération résultant surtout de l'ignorance) le sacerdoce réel qui, avec la Filiation, est communiqué à tous les fidèles pour prendre en eux toutes les dilatations qu'il plaît au Père de lui donner aux fins de sa gloire et de la plénitude de leur béatitude. Si le sacerdoce sacramentel semble glorifier davantage le Père, parce qu'il s'exerce au dehors, de façon majestueuse, visible et officielle, avec puissance et honneur et tout cela convient souverainement aux opérations si saintes qui) lui sont confiées, à la majesté du Père auprès duquel il est officiellement, extérieurement, visiblement député — et à sa propre dignité de sacerdoce du Verbe Incarné. Le sacerdoce réel peut n'être pas moins glorieux au Père, et son exercice tout intérieur, caché aux créatures, mais tout visible au Père. Il peut même, si tel est le bon plaisir du Père, Lui être plus glorifiant, au titre même de sacerdoce : rien ne s'y oppose, puisque seuls les desseins du Père font la mesure des dons de sa Bonté ― de même qu'il n'y a pas d'autre mesure, pour la Filiation, que celle voulue par le Père, ainsi en est-il du sacerdoce. Et je pense que ce fut là, la part souverainement excellente de Saint Joseph. (carnet 18 mai 1942, p. 872/507) Pas d’opposition entre les deux sacerdoces. Le sacerdoce personnel connaîtra au ciel sa plénitude. Sur la terre les deux sacerdoces coexistent. 5. Conclusion Il est à noter que MdT ne développe pas l’aspect commun du sacerdoce mais son aspect personnel vécu avec le Christ et en lui. Ce n’est pas du sacerdoce des baptisés (selon l’expression de Calvin) dont elle parle, ni du sacerdoce commun des fidèles (selon l’expression de Vatican II) Pour elle, il s’agit du sacerdoce personnel du chrétien (en 1942, 9 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 elle dit encore “sacerdoce réel” !) qui doit devenir, selon l’expression adoptée par Catherine de Sienne, un autre Christ. Très important chez MdT de placer au centre de ses préoccupations : la Trinité, les relations, le mystère, l’être, et non la morale et le faire J'ai reçu la certitude que Dieu m'appelle, moi, à une vocation très haute — et qu'après m'en avoir donné la grâce initiale, Il veut s'en réserver tout le développement et la réalisation. Cette vocation concerne le sacerdoce du Christ, et l'union à ce sacerdoce. Le sacerdoce dépasse complètement celui qui l'exerce = cela ne peut pas être autrement, même pour la Très Sainte Humanité du Christ — car elle ne peut exercer efficacement son sacerdoce qu'en vertu de l'union hypostatique, par son assomption dans le Verbe où elle est comme infiniment au-dessus d'elle-même.(p. 55/34) C'est bien moindre de recevoir les dons de Dieu et de les distribuer à ses créatures, que d'offrir et de faire agréer de Dieu = et cela est propre au sacerdoce. (14 juin 1941) Il est intéressant de rapprocher les deux conceptions du sacerdoce chez Thérèse de Lisieux et MdT. Ces deux conceptions sont très différentes. Pour Thérèse de Lisieux, le prêtre est au centre de tout sacerdoce et le sacerdoce concerne le sacrifice et celui qui l’offre : être prêtre suggère donc une réalité bien concrète. Thérèse de Lisieux a, on le sait, toujours désiré être prêtre. Les Éditions du Cerf publieront à l’automne un livre issu d’une thèse d’une certaine Baiba Brudère : Je me sens la vocation de prêtre (Ms B, 2 v°) : enquête sur le sacerdoce commun chez Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, et l’apport de son expérience pour l’accomplissement de cette vocation, aujourd’hui. Thérèse a été très touchée par l’exercice du ministère des prêtres. Et lorsqu’elle affirme qu’elle se “sentait la vocation de prêtre”, elle se référait au sacerdoce ministériel et non au sacerdoce commun dont elle n’avait pas la connaissance. Elle savait qu’elle ne pouvait pas être prêtre (v : LT 201 - 1er nov. 1896) mais elle demandait à Jésus une âme apostolique. A l’image du prêtre, Thérèse aurait voulu célébrer elle-même l’eucharistie ; elle portait le souci de la sainteté des prêtres, leur médiocrité provoquait sa tristesse, elle était en relation avec de jeunes prêtres et voulait vivre quelque chose de leur sacerdoce. Or, Thérèse de Lisieux fait cette expérience (Ms A, 2 v°) : « ouvrant le saint Évangile, mes yeux sont tombés sur ces mots : “Jésus étant monté sur une montagne appela à Lui ceux qu’il lui plut et ils vinrent à Lui.” (Mc 3,13) Voilà bien, ajoute Thérèse, le mystère de ma vocation, de ma vie tout entière et surtout le mystère des privilèges de Jésus sur mon âme. » C’est bien là, le sacerdoce commun à tout le Peuple de Dieu. Le 2ème Concile du Vatican l’a mis en lumière, ce n’est plus une nouveauté radicale. Le concile ne part pas de zéro. Cette doctrine s’enracine dans la révélation et s’inscrit dans la tradition vivante de l’Église. Le Peuple de Dieu a sa vocation et sa mission propres. Sa vocation : Un Peuple appelé “Un Peuple que Dieu s’est acquis” (1 P 2,9-10) L.G. n°9 : “Il a plu à Dieu que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu au contraire en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait saintement.” Sa mission : A quoi est-il appelé ? Il est appelé, ce Peuple saint, à la sainteté. C’est un appel de l’Église tout entière mais cette sainteté de l’Église se manifeste constamment et doit se manifester par les fruits de grâce que l’Esprit produit dans les fidèles. Thérèse nous donne l’exemple de cette vocation et mission universelles. L’exercice de ce sacerdoce commun est : communion à Dieu, communion entre les membres du même corps, communion universelle. 10 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 II – QUELQUES TRACES, DANS LA TRADITION, DE CE SACERDOCE DU CHRETIEN Il a cinquante ans, nous rappelait le Père Philibert (dans une conférence à paraître dans la Vie Spirituelle : “Le sacerdoce des baptisés dans la théologie chrétienne”), le Père Congar résumait le sens du sacerdoce chrétien dans une formule brève, nette et surprenante, mais qui traduit la tradition chrétienne en ce domaine : Un seul est prêtre (hiereus) : le Christ Tous sont prêtre [au singulier] (hiereus) : l’Église Quelques uns sont prêtres (presbuteroi) : les prêtres (les ministres) 1. Le Nouveau Testament • C’est la théologie de la lettre aux Hébreux qui conduit à cette affirmation : un seul est prêtre - Jésus est le grand prêtre de la nouvelle alliance (Jésus n’était pas prêtre alors que Zacharie et son fils Jean le Baptiste appartiennent à une lignée de prêtres) - Ce sacerdoce tranche avec celui de l’Ancien Testament : 1. il n’offre pas ceci ou cela, mais lui-même. 2. en un seul acte (une fois pour toutes) 3. il demeure éternellement l’unique médiateur • Ensuite, c’est dans la 1ère lettre de Pierre que nous trouvons la mention de l’existence d’une communauté sacerdotale : « Approchez-vous de lui, la pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie, précieuse auprès de Dieu. Vous-mêmes, comme pierres vivantes, prêtez-vous à l’édification d’un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ. » (1 P 2,4-5) Lire aussi 1 P 2,9-10 : « Mais vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, pour proclamer les louanges de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui jadis n’étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le peuple de Dieu, qui n’obteniez pas miséricorde et qui maintenant avez obtenu miséricorde. » • Enfin, quelques uns sont prêtres (presbuteroi) Ce sacerdoce ministériel trouve son fondement dans la tradition apostolique : les apôtres et leurs successeurs qui instituèrent des collaborateurs ; ce sacerdoce ministériel est relatif aux individus et aux communautés et à leur structuration dans le Christ. • A ce donné du Nouveau Testament, il faudrait ajouter : - Romains 12,1- Jean 4 - Jean 13 2. Les Pères Les Pères ont développé la conviction que : 1. le Fils est l’unique prêtre de la loi nouvelle ; 11 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 2. que de même qu’il nous donne de participer à sa filiation, il nous donne de participer à son sacerdoce ; 3. ce Fils est prêtre non à cause de l’appartenance à une race sacerdotale mais par une onction céleste ; 4. par le baptême, nous participons à la filiation et au sacerdoce ; désormais tout baptisé est fils de prêtre, écrit saint Léon le Grand. Quelles sont les prérogatives des baptisés en matière de sacerdoce ? Les Pères nous le disent : sacerdoce du Fils ? son sacrifice son sacrifice ? le don de soi-même, de sa vie à Dieu par la charité l’autel ? le cœur du baptisé Autrement dit : Faire mourir le vieil homme et revêtir le nouveau car le sacerdoce ramène tout à Dieu. Tout chrétien est prêtre Mais écoutons maintenant quelle est la supplication de l’Apôtre. « Je vous supplie, dit-il, d’offrir vos corps. » Par cette demande, l’Apôtre élève tous les hommes à la hauteur du sacerdoce. « A offrir vos corps en hostie vivante. » (Rm 12,1) Office inouï du ministère chrétien : l’homme devient en même temps hostie et prêtre ! L’homme ne cherche pas au dehors ce qu’il va offrir à Dieu mais apporte avec lui et en lui ce qu’il va sacrifier à Dieu pour son propre bénéfice ; l’hostie immolée est encore vivante et le prêtre qui a offert le sacrifice permet à la victime de vivre. Admirable sacrifice où le corps et le sang sont offerts sans le corps et le sang ! « Je vous supplie par la miséricorde de Dieu. » Frères, ce sacrifice est à l’image du Christ qui a immolé son corps ici-bas et offert sa vie pour la vie du monde. En vérité il a fait de son corps une hostie vivante, lui qui vit encore après avoir été tué. Dans ce si grand sacrifice, la mort est anéantie, elle est emportée par le sacrifice ; l’hostie est vivante et la mort est châtiée ! C’est pourquoi les martyrs naissent au moment de leur mort et commencent leur vie quand ils la finissent ; ils vivent quand ils sont tués et brillent au ciel quand on croyait sur terre qu’ils s’étaient éteints. « Je vous supplie, frères, par la miséricorde de Dieu, d’offrir vos corps en hostie vivante. » Le prophète l’a chanté : « Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation mais tu m’as façonné un corps » (Ps 39,7). Sois à la fois le sacrifice offert à Dieu et le prêtre. Ne perd pas ce que la puissance divine t’a accordé. Revêts le manteau de la sainteté. Prends la ceinture de chasteté. Que le Christ soit le voile de ta tête, la croix, la protection de ton front qui t’accorde la persévérance. Conserve dans ton cœur le sacrement de la divine Ecriture. Que ta prière brûle toujours comme un encens agréable à Dieu. Prends le glaive de l’Esprit, que ton cœur soit l’autel où tu pourras, sans craindre Dieu, porter ton corps pour en faire la victime. Dieu recherche la foi, non la mort ; il a soif de ferveur non de sang ; il se laisse fléchir par une bonne disposition, non par une mort violente. Pierre Chrysologue (sermon 108) Sacerdoce des baptisés – sacerdoce des prêtres (p. 119) 3. Saint Thomas d’Aquin (article de Camille de Belloy, o.p. – 4.12.05) Parmi ses contemporains, Saint Thomas est le seul maître à avoir consacré une question entière au sacerdoce du Christ dans sa Somme de théologie, IIIa pars, q. 22. La question est abordée à partir de la notion de médiation : « L’office propre au prêtre, écrit-il, est d’être médiateur entre Dieu et le Peuple. » Le prêtre (sacerdos) est médiateur en tant d’une part qu’il transmet au peuple les dons divins (sacra dans) et d’autre part, en tant qu’il offre à Dieu les prières des hommes et satisfait ainsi en quelque sorte à Dieu pour leurs péchés. Saint Thomas montre ensuite que le sacerdoce ainsi défini comme médiation convient au plus haut point au Christ. C’est par lui, en effet, que les dons divins sont transmis aux hommes (selon une 12 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 médiation descendante qui va de Dieu aux hommes : par le Christ, Verbe incarné, nous vient la grâce, la possibilité gratuitement offerte et effectivement réalisée de devenir participants de la nature divine). C’est également le Christ qui a réconcilié le genre humain avec Dieu, en offrant sa vie sur la croix, mais aussi par toute son existence humaine et sainte, depuis sa naissance jusqu’à sa résurrection d’entre les morts (selon une médiation cette fois ascendante qui va de l’homme Jésus à Dieu son Père et qui caractérise l’œuvre de rédemption accomplie par le Christ en son humanité). Le problème est que la notion de médiation, si précieuse pour éclairer l’agir sacerdotal du Christ, ne semble guère pouvoir s’appliquer à un éventuel sacerdoce des fidèles. Cette œuvre de médiation entre Dieu et les hommes est en effet propre au Christ, « l’unique Médiateur » (1 Tm 2, 5). Certes, il est possible de recevoir une participation de cette unique médiation, mais alors c’est le sacerdoce des prêtres, qui se trouve ainsi défini. Un peu plus loin dans la Somme, tout en affirmant que le Christ est le seul médiateur parfait entre Dieu et les hommes, saint Thomas ajoute : « rien n’empêche cependant que certains autres puissent être appelés médiateurs entre Dieu et l’homme sous un certain rapport, c’est-à-dire pour autant qu’ils coopèrent à unir les hommes à Dieu d’une façon dispositive et ministérielle ». Et saint Thomas explique : « Les prêtres de la Nouvelle Alliance peuvent être dits médiateurs entre Dieu et les hommes pour autant qu’ils sont les ministres du véritable Médiateur et qu’ils dispensent aux hommes en son nom les sacrements du salut »1. Grâce à la notion de médiation, le sacerdoce des prêtres est donc clairement désigné par saint Thomas comme une fonction ministérielle et sacramentelle, non pas comme un état de vie qui envelopperait toute leur personne. Cette fonction de médiation, exercée à la suite, au service et au nom du Christ pour le peuple chrétien, les prêtres ne peuvent l’exercer que s’ils y ont été habilités par un sacrement spécial, le sacrement de l’Ordre. Marie de la Trinité a parfaitement perçu cette caractéristique du sacerdoce des prêtres. Voici ce qu’elle écrivait le 25 juin 1941 : « Dans les prêtres il y a comme un déversement du sacerdoce du Christ, et ils sont chargés d’aller aux âmes pour mettre ce sacerdoce en contact avec elles, afin qu’elles en reçoivent les effets – comme aussi ils sont chargés de représenter ces âmes auprès de Dieu. Ils sont médiateurs entre Dieu et les âmes, et les âmes et Dieu. » C’est exactement, littéralement même, la définition que donne saint Thomas du sacerdoce des prêtres dérivant du sacerdoce médiateur du Christ. Mais MdT ajoute : « Pour moi ce n’est pas cela – mais je me sens aspirée au-dedans du mystère de son sacerdoce […] pas pour en communiquer les effets au prochain par les sacrements [et par l’enseignement ou la prédication, pourrait-on compléter] – mais pour m’y livrer et entrer en participation de ce qu’il a de plus intérieur […]. Plus je serai assumée en ce sacerdoce, en sa totalité (de l’expiation du péché à la plus pure gloire du Père), plus je serai en réponse à ma vocation. » ST III, q. 26., a. 1, sol. 1. Plus loin, s. Thomas en fera l’application particulière au sacrement de l’eucharistie en écrivant : « Le prêtre est établi comme intermédiaire [medius] entre Dieu et le peuple. C’est pourquoi de même qu’il lui appartient d’offrir à Dieu les dons du peuple, de même il lui appartient de transmettre au peuple les dons divinement sanctifiés » (ST III, q. 82, a. 3). 1 13 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 Quel est donc cet aspect du sacerdoce du Christ « plus intérieur » que la médiation et vers lequel MdT se sent toute aspirée ? Elle répond : « c’est comme l’ordre du sacrifice qui monte au Père, depuis l’abîme du péché, jusqu’à son infinie sainteté. » À la médiation qui définit le sacerdoce des prêtres, MdT fait ainsi correspondre le sacrifice où elle reconnaît sa « vocation », sa propre participation au sacerdoce du Christ. Or c’est précisément ce thème du sacrifice que saint Thomas aborde dès le deuxième article de sa question 22, aussitôt après le thème de la médiation, lorsqu’il se demande « si le Christ a été à la fois prêtre et victime. » Il commence par citer l’Écriture (Ep 5, 2) : « Le Christ nous a aimés et s’est livré pour nous, s’offrant lui-même à Dieu en sacrifice d’agréable odeur »2. Cette donnée scripturaire, qui oblige à voir dans la passion et la mort du Christ un véritable sacrifice, saint Thomas l’interprète ensuite au moyen d’une citation de saint Augustin, tirée du Livre X de La Cité de Dieu, où l’évêque d’Hippone affirmait que « tout sacrifice visible est le sacrement (sacramentum), c’est-à-dire le signe sacré (sacrum signum) d’un sacrifice invisible. »3 Autrement dit, la réalité essentielle du sacrifice ne réside pas dans l’acte extérieur, que cet acte soit la simple offrande d’un objet matériel ou qu’il aille jusqu’à la mise à mort d’une victime ; non, l’essentiel du sacrifice réside dans l’acte intérieur, dans l’attitude invisible et pourtant bien réelle d’offrande qui accompagne, soutient et motive l’acte extérieur ou visible. Dans cette perspective, l’acceptation libre de sa mort par le Christ a bien valeur d’offrande sacrificielle, car elle est tout entière commandée par son amour pour Dieu son Père et pour les hommes ses frères. C’est de cette façon que le Christ a été à la fois prêtre et victime de son propre sacrifice. Quant à l’acte physique de sa mise à mort, il n’eut rien de sacrificiel : « De la part de ceux qui l’ont tué, la passion du Christ a été une action maléfique ; mais c’est de sa part à lui, qui a souffert par amour, qu’elle a été un sacrifice. » On trouve chez MdT une distinction toute semblable entre l’acte intérieur, proprement sacrificiel, du Christ en sa passion et l’acte extérieur de son supplice: « Ce qui est essentiel au sacerdoce, c’est d’immoler par l’esprit […]. Et il peut bien y avoir distinction entre le sacerdoce qui immole par le dedans et les causes prochaines extérieures de l’immolation : car c’est manifeste dans la passion du Christ […]. Toute la valeur de ce sacrifice venait du dedans » (4 novembre 1941) Ainsi donc, pour saint Thomas comme pour MdT, le sacrifice visible, extérieur du Christ n’a valeur “sacrificielle” qu’en raison de l’acte invisible et intérieur qui donne à ce sacrifice son caractère sacerdotal et sa vraie puissance de salut. Alors, participer à son sacerdoce, ce sera, pour tous les baptisés, participer à son sacrifice intérieur. Mais en quoi consiste au juste cet acte intérieur qui nous assimilera au sacrifice du Christ ? Saint Thomas répond dans la suite de l’a. 2 de notre q. 22 : « le sacrifice invisible c’est celui par lequel l’homme offre à Dieu son esprit, selon ce verset du Ps. 50, 19 : Le sacrifice à Dieu, c’est un esprit brisé. Et c’est pourquoi on peut nommer sacrifice tout ce qui est offert à Dieu en vue de porter l’esprit de l’homme vers Dieu ». En une phrase, saint Thomas vient de donner à la notion de sacrifice toute son extension, en la libérant du légalisme rituel où on l’enferme trop souvent. Par là même, il retrouve l’exigence biblique du sacrifice spirituel que les prophètes de l’AT ne 2 3 ST III, q. 22, a. 2, sed contra. SAINT AUGUSTIN, Civ. Dei, X, V ; BA 34, p. 440-441 14 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 cessent de rappeler, et que le NT a abondamment développée. De manière significative, à chaque fois que saint Thomas a l’occasion de traiter du sacrifice, c’est à saint Augustin qu’il se réfère. Or voici la définition que saint Augustin donnait du sacrifice : « Le vrai sacrifice est toute œuvre qui contribue à nous unir à Dieu dans une sainte communion (“société”), à savoir toute œuvre rapportée à ce bien suprême grâce auquel nous pouvons être véritablement heureux »4. Comme on est loin d’une vision étriquée, exclusivement centrée sur l’aspect douloureux ou coûteux du sacrifice ! L’acte du sacrifice n’est pas vu dans sa matérialité, comme un acte pénible destiné à apaiser Dieu, mais il est bien plutôt défini positivement comme une œuvre de communion, orientée de l’intérieur vers sa finalité, qui est l’union intime et bienheureuse avec Dieu. La définition est tellement large qu’elle peut englober tous les actes de la vie chrétienne (prière, louange, aumône, miséricorde, hospitalité…) pourvu seulement que ces actes soient pratiqués « pour Dieu » (propter Deum). C’est bien ce que saint Thomas affirme de son côté lorsqu’il traite du sacrifice dans la deuxième partie de la Somme : « Tout acte vertueux, dit-il, prend raison de sacrifice du fait qu’on l’accomplit pour adhérer à Dieu en une sainte société. » MdT fait ainsi de l’immolation sacrificielle l’acte par excellence du sacerdoce (« l’acte suprême du sacerdoce sur la nature humaine est l’immolation », écrit-elle le 27 août 1942). Abordés directement, sans soubassement théologique, ces innombrables passages des Carnets exaltant l’immolation dans le sacerdoce du Christ et des chrétiens peuvent surprendre, déstabiliser ou mettre mal à l’aise. Mais notre incursion dans la théologie à la fois large et précise du sacrifice chez saint Augustin et saint Thomas nous a permis, je l’espère, d’éviter les principaux contresens qui voilent de nos jours l’idée même de sacrifice ou d’immolation. Impossible désormais de confondre l’immolation avec une quelconque propension doloriste et malsaine à s’autodétruire. Tel est à mes yeux le principal bénéfice d’une lecture de MdT qui puise à la source d’une tradition théologique éprouvée. L’aspect le plus original de la doctrine mystique ou prophétique de MdT sur le sacerdoce est le dynamisme interne qui conduit le sacerdoce d’immolation à s’accomplir en sacerdoce de gloire. Il y aurait un grave contresens en effet à figer le sacerdoce personnel ou mystique des baptisés dans la seule immolation sacrificielle. MdT ne cesse de dire au contraire que l’immolation n’a pas sa fin en elle-même, mais qu’elle consiste précisément à faire passer le sujet qui l’exerce à une finalité tout autre qui est la gloire même de Dieu, signifiée par l’image johannique du « sein du Père ». Ce passage, ce mouvement d’un ordre de réalité à un autre, c’est d’abord le Christ qui l’opère selon son propre sacerdoce et dans l’unité de sa Personne. À plusieurs reprises dans ses Carnets, MdT s’emploie à jalonner aussi précisément que possible les étapes qui marquent le passage du sacerdoce d’immolation au sacerdoce de gloire (étapes à comprendre non dans le sens d’une succession chronologique d’états, mais comme les actes formellement distincts de l’unique sacerdoce du Christ). Voici, à titre d’exemple, l’ordre qu’elle adopte le 24 mars 1942. Il y a d’abord les opérations du sacerdoce de la terre : ce sont l’expiation (du péché), la restauration (de la nature humaine assumée par le Verbe) et l’immolation (acte suprême du sacerdoce terrestre). Mais il y a aussi les opérations du sacerdoce de gloire que sont l’action de grâce et la louange, aboutissant à l’adoration de Dieu, sommet de l’activité sacerdotale, où le sacerdoce du Christ rejoint en fait sa filiation, puisqu’il est passé de l’abîme créé et souillé du péché à un autre abîme, abîme de sainteté incréée, qui est le sein du Père. 4 SAINT AUGUSTIN, Civ. Dei, X, VI ; BA 34, p. 444-445. 15 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 Il n’y a qu’un seul sacerdoce, mais ce sacerdoce a comme une double face […]. Une face, celle de l’immolation, a rapport à la terre, aux humains pécheurs – l’autre face, celle de la gloire, se réfère toute au Père d’immense majesté. Tant qu’il y aura des humains en vie mortelle, il faut l’un et l’autre. Ensuite, il n’y aura plus que le sacerdoce de gloire. La splendeur de la gloire de ce sacerdoce remplira le sein du Père, puisque c’est le sacerdoce du Fils, et il remplira le ciel « dans la splendeur des saints » […] (23 septembre 1941). Quand tout sera fait de ce qui est à faire sur la terre – il restera encore tout à faire de ce qui est faire pour le Père : adorer, louer, rendre grâce, s’immoler dans des transports d’exultation ! et tout sera à faire pour toute l’éternité d’éternité (9 octobre 1942) 4. L’École française Les développements de Marie de la Trinité peuvent avoir été inspirés de ses lectures d’ouvrages appartenant à ce mouvement connu sous le nom d’École française de spiritualité qui s’est développée autour de Bérulle, Condren, Jean-Jacques Olier… au XVIIe siècle en France. En effet, en 1939, MdT dit à mère Saint-Jean, supérieure générale des DMC, qu’elle rapportera de Lyon quelques livres d’occasion – parmi lesquels le Catéchisme de la vie intérieure de Mr Olier. Quelques jours plus tard, elle reparle de ce livre en disant qu’il est le petit instrument qui lui a été donné pour travailler à sa perfection. Lorsque le P. Motte, en 1940, interroge MdT sur ses lectures elle cite les œuvres d’Olier et aussi : L’idée du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ de Condren ; la Croix de Jésus de Chardon. (Sur ces lectures cf. Le Petit livre des grâces p.56-57) Il y a des points communs entre les expressions de Marie de la Trinité sur le sacerdoce et celles que l’on trouve chez J.J. Olier. N’étant pas spécialiste de l’École française, il m’est difficile d’étudier les rapprochements possibles. Dans l’édition des carnets, on suggérera qu’une étude puisse en être faite. Y a t-il une inspiration qui vient directement de J.J. Olier, ou bien les similitudes viennent-elles à la fois d’une inspiration et du fait que MdT, comme J.J. Olier, étaient lecteurs de saint Thomas ? Quoiqu’il en soit, il faut sûrement noter le point suivant : C’est que J.J. Olier, fondateur de la Compagnie de St-Sulpice pour la formation des prêtres, insiste sur le sacerdoce ministériel. Je veux dire qu’il se préoccupe des prêtres. Mais, parlant de prêtres justement, il parle du sacerdoce baptismal qu’il donne en référence, en modèle pour les prêtres : spiritualité, vie chrétienne fondée sur l’eucharistie et l’oraison, l’incorporation aux « états du Christ », être en Jésus qui est dans le sein du Père. Mais, MdT va, elle, insister sur la distinction entre sacerdoce baptismal (sacerdoce personnel) et sacerdoce ministériel. L’apport fondamental de MdT, héritière de J.J. Olier et lectrice de saint Thomas, c’est de rendre à tous les baptisés la notion de sacerdoce. Signalons aussi, sans en donner le détail, l’existence de similitudes relevées dans les vies de J.J. Olier et de MdT. Le sacerdoce royal et spirituel des baptisés … Le chrétien possède l’Esprit de Jésus. Or celui-ci est prêtre et ne peut être dépouillé de cette dignité qu’il conserve en soi pour l’éternité… Aussi porte-t-il cette dignité avec soi 16 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 partout où il habite. C’est pourquoi tout fidèle en Jésus-Christ est prêtre (cf. 1 P 2,9)… Fidèles en Jésus-Christ, vous êtes roi et prêtres, votre sacerdoce sera éternel comme celui de Jésus… Les fidèles sur la terre, qui sont en Jésus-Christ, participant de tous ses titres et de toutes ses dignités, sont faits prêtres comme lui dans l’intime de leur âme. S’ils laissaient à JésusChrist la liberté de leur intérieur sans occupation inutile, ils seraient rendus participants de tout ce qu’il réalise au ciel et des offrandes perpétuelles qu’il fait à Dieu, de lui et de tous les saints et les justes, en lui-même. Il y a une prêtrise essentielle, à savoir celle qui est en Jésus-Christ, souverain Prêtre, partout où il se trouve. Et il y a une prêtrise de délégation, de députation, de manifestation et de déclaration, bref, la prêtrise de notre religion qui est manifestée à l’Église par l’onction [de] ceux que le Saint-Esprit a choisis pour être les sacrificateurs, pour être les prêtres qui offriront publiquement et dans une célébration solennelle l’Hostie de toute l’Église, cette Hostie toutefois que les fidèles, chacun en particulier, sont obligés de présenter à Dieu et de lui offrir dans leur cœur par un culte intérieur et caché. Il y a une autre sorte d’hostie et de sacrifice dans l’Église. Ce n’est pas cette hostie et ce sacrifice public et solennel, ce sacrifice de religion pour l’Église : « Un esprit brisé de douleur est un sacrifice digne de Dieu (Ps 50,19) » Tel est le sacrifice dont parle l’apôtre saint Paul : Je vous conjure, par la miséricorde de Dieu, de lui offrir vos corps comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu, comme votre culte raisonnable (Rm 12,1) » … Et pour cela il n’y a pas besoin d’une prêtrise solennelle, pas besoin d’une prêtrise déléguée. Il suffit d’avoir la seule véritable et réelle présence de l’Esprit de Jésus-Christ qui partout exerce sa prêtrise… Ainsi, notre immolation et sacrifice journalier n’est qu’une apparence, une dilation, une extension et continuation du sien même … Aussi faut-il toujours que ce soit en lui et en ses intentions saintes que nous fassions ce divin sacrifice. Tous les sacrifices véritables ont leur vertu dans l’Esprit et dans le cœur de Jésus-Christ notre Seigneur, le seul et unique sacrificateur dans l’Église… C’est de cette sacrificature que nous sommes oints par le baptême. Il nous donne l’obligation de l’accomplir et de l’exécuter sur nous-mêmes… Jean-Jacques Olier (Vivre pour Dieu en Jésus-Christ, Cerf, 1995, p. 99-103) 5. Le sacerdoce commun (Vatican II) 1. Il y a un terme qui est tout à fait absent des écrits de Marie de la Trinité et pourtant très fortement introduit dans le vocabulaire du Concile à propos de l’Église ; curieusement, c’est un terme sur lequel on est revenu, après le Concile, en en minimisant l’importance, comme pour s’en méfier, c’est le terme de : Peuple de Dieu. Or, toute la doctrine du sacerdoce commun des baptisés est concentrée dans les n° 9, 10 et 11 de la Constitution Lumen Gentium. Le Peuple de Dieu A toute époque, à la vérité, et en toute nation, Dieu a tenu pour agréable quiconque le craint et pratique la justice (cf. Act. 10,35). Cependant il a plu à Dieu que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu au contraire en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté… Ce peuple messianique a pour chef le Christ… La condition de ce peuple, c’est la dignité et la liberté des fils de Dieu, dans le cœur de qui, comme dans un temple, habite l’Esprit-Saint. Sa loi, c’est le commandement nouveau d’aimer comme le Christ lui-même nous a aimés (cf. Jn 13,34). Sa destinée enfin, c’est le royaume de Dieu, inauguré sur la terre par Dieu même, qui 17 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 doit se dilater encore plus loin jusqu’à ce que, à la fin des siècles, il reçoive encore de Dieu son achèvement… C’est pourquoi ce peuple messianique, bien qu’il ne comprenne pas encore effectivement l’universalité des hommes et qu’il garde souvent les apparences d’un petit troupeau, constitue cependant pour tout l’ensemble du genre humain le germe le plus fort d’unité, d’espérance et de salut… Lumen Gentium n° 9 2. Lire ensuite le n° 10 Le sacerdoce commun Le Christ Seigneur, grand prêtre pris d’entre les hommes (cf. Héb. 5, 1-5) a fait du peuple nouveau « un royaume, des prêtres pour son Dieu et Père » (cf. Ap 1, 6 ; 5, 9-10). Les baptisés, en effet, par la régénération et l’onction du Saint-Esprit, sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, pour offrir, par toutes les activités du chrétien, autant de sacrifices spirituels, et proclamer les merveilles de celui qui des ténèbres les a appelés à son admirable lumière (cf. 1 P 2, 4-10). C’est pourquoi, tous les disciples du Christ, persévérant dans la prière et la louange de Dieu (cf. Act. 2, 42-47), doivent s’offrir en victimes vivantes, saintes, agréables à Dieu (cf. Rm 12, 1), porter témoignage du Christ sur toute la surface de la terre, et rendre raison, sur toute requête, de l’espérance qui est en eux d’une vie éternelle (cf. 1 p 3, 15) Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel, bien qu’il y ait entre eux une différence essentielle et non seulement de degré, sont cependant ordonnés l’un à l’autre : l’un et l’autre, en effet, chacun selon son mode propre, participent de l’unique sacerdoce du Christ. Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel jouit d’un pouvoir sacré pour former et conduire le peuple sacerdotal, pour faire dans le rôle du Christ, le sacrifice eucharistique et l’offrir à Dieu au nom du peuple tout entier ; les fidèles eux, de par le sacerdoce royal qui est le leur, concourent à l’offrande de l’Eucharistie et exercent leur sacerdoce par la réception des sacrements, la prière et l’action de grâces, le témoignage d’une vie sainte et par leur renoncement et leur charité effective. Lumen Gentium n° 10 Le Concile est réticent à utiliser le mot prêtre au singulier pour l’appliquer à chaque baptisé. C’est l’ensemble des baptisés qui est : un royaume, des prêtres, un sacerdoce. Chaque baptisé n’exerce un sacerdoce qu’en commun avec les autres, même si l’on parle de l’exercice de ce sacerdoce dans la vie de chaque baptisé. Marie de la Trinité parlera d’un sacerdoce personnel, celui que doit exercer chacun. D’un autre point de vue, le texte du Concile pourrait laisser entendre qu’il existe, d’une part le sacerdoce ministériel, et d’autre part le sacerdoce des fidèles laïcs qui ne sont pas prêtres. Ce n’est pas ainsi qu’il faut l’entendre : le sacerdoce, qu’il soit des fidèles, des baptisés ou commun, englobe les ministres (= les prêtres), c’est-àdire tous les baptisés. Il n’y a pas un sacerdoce des laïcs qui leur serait propre, mais un sacerdoce commun à tous les baptisés. Ce sacerdoce des baptisés a un horizon, une finalité qui est la sainteté. … Pourvus de moyens salutaires d’une telle abondance et d’une telle grandeur, tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur condition et leur état de vie, sont appelés par Dieu, 18 Eric de Clermont-Tonnerre, o. p. C.E.S. 2 juin 2007 chacun dans sa route, à une sainteté dont la perfection est celle même du Père. ( L. G. fin du § 11) Nous rappelons à ce sujet la structure de la constitution Lumen Gentium : I - Le mystère de l’Église la Trinité ; le Royaume de Dieu ; les images de l’Église ; l’Église corps du Christ ; l’Église visible ; l’Église invisible. II - Le Peuple de Dieu III - La structure hiérarchique de l’Église et spécialement l’épiscopat (N.B. on parle du sacerdoce commun d’abord puis ensuite de la structure ministérielle) IV – Les laïcs V – L’appel universel à la sainteté VI – Les religieux VII – Le caractère eschatologique de l’Église VIII – La Vierge Marie 3. La communion L’exercice de ce sacerdoce commun à pour but la communion à et en Dieu, et entre tous les hommes. Cette communion double se réalise dans l’union au Christ, laquelle se réalise tout particulièrement pour chacun et en commun dans l’eucharistie, le sacrifice eucharistique. La constitution liturgique n° 48 Sacrosanctum concilium dit ceci : “Qu’offrant la victime sans tache, non seulement par les mains du prêtre, mais aussi en union avec lui, ils apprennent à s’offrir eux-mêmes, et soient conduits de jour en jour par le Christ médiateur à la perfection de l’unité avec Dieu et de l’unité entre eux pour que finalement Dieu soit tout en tous.” Cette communion se réalise par l’union à l’offrande du Christ : “Regarde cette offrande et daigne y reconnaître celle de ton fils.” C’est pourquoi il est important que l’exercice du sacerdoce commun s’appuie sur la réception du Christ : recevoir le Christ, son offrande, sa médiation, sa puissance transformante, sa grâce de filiation. Notre offrande, notre sacerdoce ne s’exercent que par lui, avec lui et en lui. C’est là que le sacerdoce ministériel est essentiel, indispensable pour que l’exercice du sacerdoce commun du peuple de Dieu se fonde sur le Christ et que l’Église accueille le Christ et rende grâce pour son offrande, pour son sacrifice et s’y associe. Le sacerdoce ministériel est « sacrement » de la médiation effective du Christ pour que ce soit bien par lui, avec lui et en lui que nous allions au Père. 4. Le sacerdoce ministériel est ordonné au sacerdoce commun. Il est relatif au déploiement de la grâce baptismale. Il est un pouvoir sacré pour le service de tous les baptisés, rendant présent et agissant le Christ, unique médiateur. Il est ordonné à l’édification de l’Église structurée sur le Christ. Il est au service du sacerdoce personnel, du sacerdoce commun. 19